Déficiences intellectuelles

2016


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Synthèse

La déficience intellectuelle est définie par des déficits des fonctions intellectuelles et des limitations des comportements adaptatifs apparus au cours du développement

La « déficience intellectuelle » fait référence à un déficit de l’intelligence ainsi qu’à un déficit du comportement adaptatif qui y est associé. C’est le terme le plus couramment utilisé actuellement dans la littérature internationale dans le champ de la médecine, de l’éducation ou de la psychologie. Il est également repris par le grand public et les groupes de défense des droits des patients. On parle de « handicap intellectuel » lorsque l’on veut évoquer les problèmes sociaux associés à « la déficience intellectuelle ».
Trois organisations, dont l’autorité est reconnue internationalement, proposent chacune une définition de la déficience intellectuelle : l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans sa Classification internationale des maladies (CIM-10/CIM-11 en cours), l’American Association on Intellectual and Developmental Disabilities (AAIDD) dans la 11e édition de son manuel de définitions (2010) et l’American Psychiatric Association (APA) avec le DSM-5 (2013).
Les définitions constitutives proposées par ces organisations ont en commun les trois critères suivants :
• le constat de déficits dans les fonctions intellectuelles comme le raisonnement, la résolution de problèmes, la planification, la pensée abstraite, le jugement, l’apprentissage académique, l’apprentissage par l’expérience et la compréhension pratique. Ces déficits sont confirmés à la fois par des évaluations cliniques et par des tests d’intelligence personnalisés et normalisés ;
• des limitations significatives du comportement adaptatif en général, c’est-à-dire dans les habiletés conceptuelles, sociales et pratiques apprises qui permettent de fonctionner dans la vie quotidienne ;
• l’apparition de ces déficits intellectuels et de ces limitations adaptatives au cours de la période développementale.
Ces définitions sont traduites en une définition opérationnelle de la déficience intellectuelle par l’AAIDD et le DSM-5 qui ont retenu trois critères communs :
• un quotient intellectuel (QI) inférieur à la moyenne de la population générale, d’environ deux écarts-types, soit < 70, le QI moyen étant fixé par convention à 100 et l’écart-type à 15 ;
• une performance du comportement adaptatif approximativement de deux écarts-types sous la moyenne de la population générale ;
• l’apparition des déficits intellectuels et adaptatifs au cours de la période développementale, et l’AAIDD précise avant 18 ans.
Pendant longtemps, le degré de sévérité de la déficience intellectuelle a été classé selon le niveau intellectuel déterminé par le QI. La CIM-9 mentionnait :
• retard mental léger : QI 50/55 – 70 ou 2 écarts-types en dessous de la moyenne ;
• retard mental moyen : QI 35/40 – 50/55 ou 3 écarts-types en dessous de la moyenne ;
• retard mental grave : QI 20/25 – 35/40 ou 4 écarts-types en dessous de la moyenne ;
• retard mental profond : QI inférieur à 20/25 ou 5 écarts-types en dessous de la moyenne.
Cette classification reposant seulement sur le niveau de QI est de moins en moins utilisée. D’une part, elle ne représente pas des catégories fiables, en particulier pour les QI inférieurs à 50, difficiles à mesurer. D’autre part, elle n’apporte pas d’éléments permettant d’identifier les besoins de la personne. Dans un cadre de soutien individuel, elle n’offre que peu d’informations sur le fonctionnement de la personne et par conséquent sur le soutien et l’accompagnement nécessaires.
En 2013, le DSM-5 et l’AAIDD ont complété la classification basée sur le QI en proposant une typologie descriptive fondée sur le comportement adaptatif cognitif, social et pratique. Les niveaux de gravité de la déficience intellectuelle sont toujours classés en léger, modéré, grave et profond, mais les deux autorités soulignent l’importance de les définir à partir de critères d’intensité des soutiens (tableau 1). L’intensité des besoins de soutien peut être mesurée à l’aide de la typologie du DSM-5 ou d’échelles comme l’Échelle d’intensité de soutien (publiée par l’AAIDD en 2004).

Tableau 1 Critères de gravité de la déficience intellectuelle d’après le DSM-5

Gravité
Domaine conceptuel
Domaine social
Domaine pratique
Léger
La personne a une manière plus pragmatique de résoudre des problèmes et de trouver des solutions que ses pairs du même âge…
La personne a une compréhension limitée du risque dans les situations sociales ; a un jugement social immature pour son âge…
La personne occupe souvent un emploi exigeant moins d’habiletés conceptuelles…
Modéré
D’ordinaire, la personne a des compétences académiques de niveau primaire et une intervention est requise pour toute utilisation de ces compétences dans la vie professionnelle et personnelle…
Les amitiés avec les pairs tout-venant souffrent souvent des limitations vécues par la personne au chapitre des communications et des habiletés sociales…
Présence, chez une minorité importante, de comportements mésadaptés à l’origine de problèmes de fonctionnement social…
Grave
La personne a généralement une compréhension limitée du langage écrit ou de concepts faisant appel aux nombres, quantités, au temps et à l’argent…
Le langage parlé est relativement limité sur le plan du vocabulaire et de la grammaire…
La personne a besoin d’aide pour toutes les activités de la vie quotidienne, y compris pour prendre ses repas, s’habiller, se laver et utiliser les toilettes…
Profond
La personne peut utiliser quelques objets dans un but précis (prendre soin de soi, se divertir)… Des problèmes de contrôle de la motricité empêchent souvent un usage fonctionnel…
La personne peut comprendre des instructions et des gestes simples…
La personne dépend des autres pour tous les aspects de ses soins physiques quotidiens, pour sa santé et pour sa sécurité, quoiqu’elle puisse participer à certaines de ces activités…
La déficience intellectuelle peut être aussi considérée comme un problème du fonctionnement (handicap) de la personne dans son environnement. Analyser la déficience intellectuelle à travers les systèmes de classification du fonctionnement humain permet de mieux comprendre les problèmes de fonctionnement, de partager non seulement un langage commun entre les disciplines professionnelles, mais également un cadre pratique pour le diagnostic interdisciplinaire, la description des besoins de soutien et la planification du soutien.
Il existe trois modèles multidimensionnels de classification du fonctionnement humain :
• le modèle du fonctionnement de l’AAIDD ;
• le modèle du processus de la production du handicap (selon Patrick Fougeyrollas, MDH-PPH, modèle du développement humain-Processus de production du handicap).
Dans une perspective systémique du fonctionnement humain, la CIF s’efforce de concevoir le handicap, non comme une maladie ou un problème uniquement individuel, mais comme le résultat d’une interaction entre différents facteurs, notamment corporels, sociaux et contextuels, c’est-à-dire des facteurs personnels et environnementaux. L’environnement est un facilitateur ou au contraire un obstacle à la réalisation des activités quotidiennes et à la participation des personnes à la vie en société.
Le modèle de l’AAIDD (2002, 2010) conçoit le fonctionnement humain en 5 dimensions :
• les capacités intellectuelles représentées par le QI ;
• le comportement adaptatif ;
• l’état de santé général qui englobe la santé physique et mentale, les facteurs de risque et de comorbidités, la qualité de l’environnement pour la santé, l’accès aux services de santé, l’étiologie multifactorielle (facteurs biomédicaux, comportementaux et éducationnels) ainsi que la prévention ;
• la participation, les interactions, les rôles sociaux qui représentent le fonctionnement et l’implication au quotidien d’une personne dans son milieu ;
• le contexte qui concerne l’environnement dans une perspective écologique et les facteurs personnels (voir CIF). L’AAIDD fait référence à l’environnement Micro (en contact direct avec la personne), Meso1 (organisations, environnement communautaire) et Macro (systèmes, société, culture).
La personne avec déficience intellectuelle peut présenter une altération d’une ou plusieurs de ces dimensions. Le soutien nécessaire regroupera l’ensemble des ressources et des stratégies visant à promouvoir le développement, l’éducation, les intérêts et le bien-être de la personne pour améliorer son fonctionnement individuel.
Le modèle du processus de production du handicap (selon P. Fougeyrollas, MDH-PPH 2) résulte d’une approche anthropologique : il vise à documenter et expliquer les causes et conséquences des maladies, traumatismes et autres atteintes à l’intégrité ou au développement de la personne. Dans ce modèle, le fonctionnement individuel est représenté comme le produit ou le résultat dynamique d’interactions entre facteurs personnels (intégrité des systèmes organiques et aptitudes) et facteurs environnementaux (sociaux et physiques) et les habitudes de vie (activités courantes et rôles sociaux).
La CIF comme le MDH-PPH 2 sont des modèles généraux et comportent des classifications standardisées. Le modèle de l’AAIDD est un modèle spécifiquement construit dans le domaine de la déficience intellectuelle (DI). Il ne connaît pas de sous-classifications ou de codes standardisés et sert plutôt de modèle conceptuel du fonctionnement.

En France, la déficience intellectuelle légère pourrait concerner entre 10 et 20 personnes pour 1 000, la déficience intellectuelle sévère est retrouvée chez 3 à 4 personnes pour 1 000

Connaître le nombre de personnes avec DI aide les tutelles à prendre la mesure des enjeux (sanitaires, éducatifs et sociaux…) afin d’établir une politique de développement des services, de prévoir et de mettre à disposition les ressources nécessaires. Réaliser une enquête transversale en population générale reste difficile en raison de la lourdeur des tests nécessaires (tests de QI et des capacités adaptatives), en particulier pour établir la prévalence de la déficience intellectuelle légère. Aussi de nombreuses études portent sur des populations ciblées. Ce qui peut expliquer que les données épidémiologiques fiables portent principalement sur la déficience intellectuelle sévère.
De nombreux facteurs méthodologiques peuvent affecter les résultats d’études de prévalence de la DI : il y a ceux liés à l’identification de la DI (comme l’hétérogénéité des tests utilisés, les conditions de passation des tests, la prise en compte ou non des capacités adaptatives de la personne), et ceux liés à la population enquêtée (comme la tranche d’âge) ou encore liés aux caractéristiques des politiques nationales d’intégration et d’accompagnement.
Les connaissances précises à la fois en épidémiologie descriptive et analytique de la DI sont peu nombreuses en France, l’information reposant souvent sur les données de la littérature internationale. Il n’existe pas de recensement administratif français national des personnes avec DI. Seuls deux registres de population fournissent des éléments sur les déficiences intellectuelles sévères (DIS) de l’enfant en âge scolaire. Une DIS est plus facilement repérable, cependant les enfants avec DIS sont le plus souvent exclus du système scolaire habituel. Concernant les déficiences intellectuelles légères (DIL), il est plus difficile d’obtenir des données exhaustives de qualité en population car il s’agit le plus souvent de résultats d’enquêtes particulières. En France, la prévalence de la DIL est estimée entre 10 et 20 pour 1 000, ce taux est similaire à ceux retrouvés dans les autres pays européens ou aux États-Unis. La variabilité d’un facteur de 1 à 2 résulte des différentes approches utilisées pour repérer la population d’enfants avec DIL. Concernant la DIS, le taux de prévalence en France est plus précis, de 3 à 4 pour 1 000, proche d’autres données internationales (entre 2,7 et 4,4 pour 1 000).
La prévalence de la DI augmente avec l’âge de l’enfant pour atteindre un plateau à l’âge de 15 ans. Toutes les études montrent une prévalence plus élevée chez les garçons que chez les filles (sex-ratio de l’ordre de 1,2-1,9). Le contexte socioéconomique (incluant revenus et niveau d’éducation des parents) joue un rôle certain sur la prévalence de la DIL, avec une prévalence plus faible de la DIL dans les milieux socio-économiquement favorisés. Cet effet est beaucoup moins important pour la prévalence de la DIS. Parmi les facteurs de risque environnementaux, la DI est plus fréquemment observée chez les enfants nés prématurés, et chez ceux avec un retard de croissance intra-utérin. L’alcoolisation excessive maternelle serait la cause environnementale la plus fréquente.
Malgré les nombreux facteurs qui pourraient agir sur la prévalence globale des DI (meilleurs dépistage prénatal et suivi de grossesse, améliorations des contextes socio-économiques, meilleure survie), la prévalence reste stable dans le temps, en France comme à l’étranger. En Europe, le taux de prévalence des DIS est constant de 1980 à 2004. De manière globale, la survie des personnes avec DI s’améliore mais reste inférieure à celle de la population générale.
De nombreux autres troubles sont associés à la DI, tels que d’autres troubles neurodéveloppementaux, des troubles psycho-pathologiques ou des problèmes de santé. Ces comorbidités sont d’autant plus fréquentes que la DI est sévère. Leur fréquence varie aussi selon l’étiologie de la DI : certains syndromes présentent des problèmes médicaux spécifiques qui justifient un suivi médical particulier.
En France, d’après les données des registres, les troubles neurodéveloppementaux associés à la DI sont essentiellement des déficiences motrices qui sont observées dans 19 % des DIS. Ce chiffre est équivalent à ceux rapportés dans d’autres pays, c’est-à-dire de l’ordre de 20 % quelle que soit la sévérité de la DI. Enfin, il faut souligner que les anomalies congénitales sont 10 fois plus fréquentes (en relation ou non avec l’étiologie de la DI) qu’en population générale.

Le repérage et le dépistage2 reposent sur la détection de retards de développement en population générale et le suivi de populations à risques

Certaines populations de nouveau-nés peuvent être considérées comme vulnérables, c’est-à-dire présenter un risque supérieur à celui de la population générale d’être atteints d’un trouble du neurodéveloppement. Il s’agit de nouveau-nés prématurés, ou ayant eu des signes d’anoxie périnatale, ou ayant été exposés pendant la grossesse à un agent infectieux (par exemple, cytomégalovirus, toxoplasmose), ou à un toxique (par exemple, alcool, antiépileptique), ou encore à une pathologie maternelle (par exemple, dysthyroïdie). Il peut s’agir également de nouveau-nés pour lesquels une anomalie cérébrale de pronostic incertain a été découverte sur les échographies prénatales, avec poursuite de la grossesse (par exemple, ventriculomégalie, agénésie du corps calleux, anomalies du cervelet). Pour les nouveau-nés prématurés ou ayant eu des signes d’anoxie périnatale, de nombreux réseaux périnataux se sont progressivement mis en place en France, dans toutes les régions, impliquant les néonatologistes, les pédiatres libéraux et les CAMSP (Centre d’Action Médico-Sociale Précoce). Pour d’autres populations d’enfants à risque, aucun suivi systématique n’est actuellement organisé en France.
Le dépistage prénatal de la trisomie 21, réservé initialement à certaines situations à risque, a progressivement été proposé à toutes les femmes enceintes quel que soit leur âge. Sur le plan éthique, les experts rappellent que l’autonomie de la femme3 est respectée à condition que le consentement individuel éclairé soit précédé d’une information claire, loyale et appropriée. Quelques publications mettent en évidence un défaut d’information des femmes enceintes sur les enjeux du dépistage et une méconnaissance des conséquences cliniques de la trisomie 21 (prenant en compte non seulement le handicap intellectuel et les problèmes médicaux associés, mais aussi les progrès dans les soins médicaux, les projets éducatifs et l’inclusion sociale). Le nombre d’enfants naissant avec une trisomie 21 est actuellement stable, autour de 500 par an, soit un taux de 6/10 000 naissances. Pour un très petit nombre d’entre eux, le diagnostic a été fait en prénatal, à la suite du dépistage avec poursuite de la grossesse. Dans la grande majorité des cas (85 %), le diagnostic est fait dans les premiers jours de vie et n’avait pas été suspecté en prénatal. L’acceptation par les parents est d’autant plus difficile qu’il est vécu comme un « échec » du dépistage. La qualité des conditions de l’annonce du diagnostic est d’autant plus importante.
Le dépistage néonatal systématique a démontré sa pertinence pour deux pathologies accessibles à un traitement dès les premiers jours de vie : la phénylcétonurie et l’hypothyroïdie congénitale. L’extension du dépistage néonatal à d’autres pathologies (X fragile, déficit en MCAD ou biotinidase) fait aujourd’hui débat. Les arguments d’un tel dépistage sont d’éviter l’errance diagnostique, d’obtenir rapidement une information précise sur la pathologie, de mettre en œuvre une stimulation précoce, de donner un conseil génétique fiable. Tout nouveau programme de dépistage néonatal implique des ressources professionnelles en aval pour la prise en charge.
En période néonatale, des signes d’appel, par exemple une malformation d’un organe, un signe neurologique (hypotonie, convulsions, microcéphalie, troubles de succion, de déglutition) peuvent révéler un syndrome responsable de trouble du neurodéveloppement (par exemple, trisomie 21, syndromes de Williams-Beuren ou de Prader-Willi). La qualité de l’annonce du diagnostic suivie d’un accompagnement adapté sont essentiels dans ces situations de grande vulnérabilité psychologique des parents. Une consultation d’annonce doit être réalisée selon les référentiels de bonnes pratiques. Le contenu de l’annonce doit être juste, mis à jour, et inclure des informations sur les associations de soutien et les professionnels à contacter pour l’accompagnement précoce.
Le décalage dans le développement psychomoteur d’un enfant « tout-venant », sans facteur de risque familial, anté- ou périnatal, est la situation clinique la plus fréquente. Le type de signe d’appel et l’âge du repérage dépendent du degré de déficience sous-jacente : hypotonie, mauvais contact oculaire, absence de sourire réponse dès les premières semaines en cas de déficience sévère à profonde ; retard de langage, retard de marche, hyperactivité, agressivité, entre un et cinq ans en cas de déficience modérée ; échec scolaire, trouble des conduites, dépression à l’adolescence en cas de déficience légère.
Les parents, un proche, un professionnel de la petite enfance sont souvent les premiers à repérer un signe de décalage du développement psychomoteur. Parfois, les inquiétudes parentales sur le développement d’un enfant se manifestent seulement lorsque celui-ci est amené à fréquenter une institution collective, comme une crèche, un jardin d’enfants ou une école maternelle, du fait de la comparaison avec le développement des autres enfants. Le doute d’un parent concernant le développement de son enfant est un motif de consultation médicale qui ne doit pas être banalisé. Le repérage de ces signes d’alerte nécessite que les professionnels de la petite enfance connaissent le développement psychomoteur ordinaire, ses variations, et les signes qui doivent interroger. Les examens du carnet de santé (8 jours, 4 mois, 9 mois et 24 mois), s’ils sont réalisés avec rigueur, devraient permettre d’effectuer le repérage de la plupart des déficiences ou handicaps, avec demande d’avis spécialisé devant un signe patent de décalage dans un ou plusieurs domaines d’acquisition (langage, posture, interaction sociale, motricité fine). Le dépistage des troubles du neurodéveloppement fait partie des missions du pédiatre et des équipes de PMI puis de médecine scolaire.

Les troubles du neurodéveloppement sont à distinguer d’une simple variante du développement ordinaire

Le diagnostic d’un trouble du neurodéveloppement s’effectue en deux temps : distinguer d’abord une simple variante du développement ordinaire d’un trouble du neurodéveloppement, puis préciser le type exact de trouble du neurodéveloppement.
Si certains signes cliniques (hypotonie sévère, absence de contact oculaire, absence de préhension volontaire) orientent rapidement vers un trouble organique et justifient des explorations complémentaires spécialisées rapides, d’autres signes (absence de marche à 18 mois, absence de langage expressif à deux ans, hyperactivité) peuvent être liés à une simple variante individuelle du développement psychomoteur ordinaire et/ou favorisés par un environnement psychosocial peu stimulant, non forcément associés à une vulnérabilité de l’enfant lui-même. Pour distinguer un décalage simple et un trouble du neurodéveloppement, il faut renforcer précocement la stimulation linguistique et sensorimotrice de l’enfant par des professionnels formés au développement précoce (kinésithérapeutes, psychomotriciens, orthophonistes, équipes de PMI, de CMP et CAMSP) en partenariat avec les parents. La trajectoire développementale de l’enfant doit être réévaluée par un suivi régulier et un trouble du neurodéveloppement doit être suspecté en cas de rattrapage insuffisant malgré une intervention précoce. Le diagnostic d’un trouble du neurodéveloppement est donc un processus dynamique.
Un retard psychomoteur peut être la manifestation précoce de différents troubles cognitifs ou psychopathologiques, actuellement regroupés dans le DSM-5 sous le terme unique de « troubles du neurodéveloppement : déficience intellectuelle, trouble du spectre autistique (TSA), troubles d’apprentissage spécifiques sévères… ». Ces troubles du neurodéveloppement déficience intellectuelle, trouble du spectre autistique (TSA), troubles d’apprentissage spécifiques sévères… ». Ces troubles du neurodéveloppement peuvent être associés, en particulier TSA et DI (environ 30 % des personnes présentant des troubles du spectre autistique ont une déficience intellectuelle associée).

Des outils de dépistage existent mais sont encore peu utilisés

En pratique clinique courante, le repérage des enfants atteints d’un retard de développement repose avant tout sur le jugement clinique des praticiens, plus qu’en référence à des outils formalisés (questionnaires parentaux, échelles de développement précoce). Les objectifs de tests de dépistage sont de spécifier des normes, de guider le praticien dans son observation du développement de l’enfant, et donc de l’aider à mieux identifier les enfants présentant un retard de développement. Un outil de dépistage doit être rapide, facile à utiliser et approprié à la pathologie recherchée et il doit avoir des propriétés psychométriques correctes. On distingue les questionnaires parentaux qui ont l’avantage de nécessiter moins de temps que les tests avec observation directe, et les échelles de développement précoce, qui impliquent l’examen direct des compétences de l’enfant, généralement utilisés par les psychomotriciens ou les psychologues.
Plusieurs outils sont disponibles en France. Trois questionnaires parentaux (IFDC-Inventaires français du développement communicatif ; IDE-Inventaire du Développement de l’Enfant ; ASQ-Ages and Stages Questionnaires) et trois échelles de développement précoce (Denver-DDST ; Bayley III ; Brunet-Lézine) ont été développés par différentes équipes sans qu’une réflexion nationale ait été mise en œuvre pour harmoniser les pratiques. Le programme EIS (Évaluation Intervention Suivi) a une place à part parmi les échelles de développement précoce. Il s’agit d’une évaluation directe et structurée d’enfants à risque ou atteints de troubles du neurodéveloppement de 0 à 3 ans, utilisable jusqu’à 6 ans chez les enfants ayant un trouble du neurodéveloppement. Cet outil se distingue des autres échelles par son caractère dynamique et intégré, conçu pour faciliter le lien entre l’évaluation de l’enfant, la programmation et l’évaluation de l’intervention précoce.
Pour les enfants d’âge préscolaire et scolaire, deux outils de dépistage des troubles d’apprentissage sont disponibles (BSEDS et BREV/EDA) mais ils n’ont pas été développés spécifiquement pour le repérage d’enfants atteints de déficience intellectuelle. Un questionnaire parental de repérage d’enfants et adolescents avec DIL, le CAIDS-Q (Child and Adolescent Intellectual Disability Screening Questionnaire), a été développé par une équipe anglaise. La validation d’une version française de ce questionnaire mériterait d’être étudiée.
Cependant, il existe des obstacles à l’utilisation des outils de dépistage en pratique clinique.
Les échelles de développement précoce ont démontré leur intérêt dans le suivi organisé de groupes d’enfants vulnérables. Cependant, l’évolution des versions successives des différents tests et leur validation posent des problèmes de concordance et de méthodologie pour les cohortes longitudinales. Pour l’utilisation en pratique clinique, la valeur prédictive individuelle des échelles de développement est faible. De même, la fiabilité des questionnaires parentaux pour détecter un retard de développement mérite une certaine prudence. Un autre frein à l’utilisation des outils est le temps de passation de ces échelles standardisées, malgré leur caractère dit « rapide ». La passation puis l’interprétation des tests requièrent un investissement personnel, une formation et une rémunération des professionnels. De ce fait, ces instruments de dépistage restent peu utilisés en pratique pédiatrique et en médecine générale courante en France, mais aussi à l’étranger.
Malgré tout, de nombreux articles scientifiques soulignent la nécessité de disposer d’échelles précoces d’évaluation du neurodéveloppement correctement étalonnées pour estimer l’effet des interventions précoces ou des traitements en médecine périnatale. Au demeurant, toute politique de dépistage cohérente implique la possibilité d’accéder dans un délai rapide à une confirmation diagnostique auprès de centres ressources.

L’évaluation diagnostique s’appuie sur des données recueillies à l’aide d’outils psychométriques récents et validés

Le diagnostic de la déficience intellectuelle repose sur la présence des critères fournis par le DSM-5 ou l’AAIDD, comme indiqué ci-dessus, à savoir : une limitation dans le fonctionnement intellectuel (QI < 70), des limitations du comportement adaptatif et l’âge d’apparition des troubles. L’évaluation de la personne dans un cadre diagnostique s’appuie sur un recueil minutieux d’informations en provenance de sources multiples (parents, enseignants, éducateurs, professionnels de santé, etc.) et à l’aide d’outils psychométriques récents et validés. Elle s’effectue le plus souvent dans un contexte pluridisciplinaire.
L’évaluation des capacités de raisonnement (par un test psychométrique ou test de QI) est une étape indispensable du diagnostic de déficience intellectuelle à distinguer par exemple des troubles spécifiques d’apprentissage (diagnostic différentiel). Plusieurs instruments de qualité sont actuellement disponibles pour pratiquer l’évaluation du quotient intellectuel : échelles de Wechsler, les plus utilisées en France comme à l’étranger (WPPSI IV, WISC IV, WAIS IV), KABC-II, et plus récemment, la NEMI-2. Les anciens tests (Terman-Merill, WISC-R, etc.) induisent une surévaluation des capacités intellectuelles liée à l’effet Flynn4 et leur utilisation augmente ainsi le risque de faux négatifs. Les spécialistes s’accordent pour dire qu’une évaluation valide repose sur l’utilisation d’instruments psychométriques récents.
En raison des contraintes temporelles de l’examen psychologique, ont été proposées des versions abrégées des tests classiques. Dans le cadre de la DI, celles-ci ne sont pas suffisamment précises et sont sources d’erreur diagnostique. Par ailleurs, le choix des épreuves et les conditions de l’examen psychologique doivent parfois être aménagés en fonction des difficultés particulières de la personne, comme la présence de troubles moteurs, visuels ou auditifs ou du langage. Sont proposées différentes épreuves non-verbales adaptées à l’évaluation d’enfants présentant des difficultés de langage (comme, par exemple, les Matrices Progressives de Raven). Cependant, les résultats obtenus ne sont pas totalement assimilables à un QI classique car ils ne prennent pas en considération l’intelligence cristallisée5 . Rappelons enfin que le QI doit être accompagné de son intervalle de confiance (qui donne une estimation de l’erreur sur la mesure), et de précisions sur la validité des informations recueillies.
Il est indispensable que les psychologues engagés dans la démarche diagnostique aient une connaissance approfondie des méthodes d’évaluation et possèdent des bases théoriques solides à propos des dimensions développementales et syndromiques de la déficience intellectuelle. Les limites de l’utilisation des tests dans le contexte de la déficience intellectuelle doivent aussi être bien connues : effets « plancher6  », variations inter-tests.
Si la littérature scientifique est précise sur les limites des tests d’intelligence, elle ne remet pas en cause leur utilisation dans l’état actuel des connaissances. Cependant, certains auteurs proposent une évaluation dynamique comme alternative à l’évaluation psychométrique classique de l’intelligence, qu’ils considèrent comme une évaluation « statique » fondée essentiellement sur le produit des expériences antérieures. Celle-ci désavantagerait les personnes issues de milieux peu stimulants, et ne fournit pas réellement d’indications sur le potentiel d’apprentissage. L’évaluation dynamique propose d’estimer le potentiel d’apprentissage en plaçant l’individu dans une situation standardisée dans laquelle l’évaluateur fournit des aides hiérarchisées (de la plus générale à la plus spécifique). Son application à la déficience intellectuelle permet de différencier les sujets selon leur potentiel d’apprentissage, quand les résultats obtenus en évaluation statique peuvent être similaires. Certaines personnes avec une déficience intellectuelle tirent parti des aides fournies et semblent avoir une marge de progression plus importante que d’autres. L’évaluation dynamique peine cependant à s’imposer en raison de problèmes méthodologiques importants. Elle présenterait un réel intérêt clinique, notamment en étant utilisée en complément des tests classiques, sans être en mesure cependant de les remplacer.
Les difficultés adaptatives, caractéristiques de la déficience intellectuelle, étaient utilisées comme des signes cliniques distinctifs bien avant l’avènement des tests d’intelligence. L’évaluation des comportements adaptatifs dans la démarche diagnostique est une étape complémentaire à celle du QI, et diminue le risque de faux négatifs et faux positifs notamment dans la zone de la déficience intellectuelle légère. Cette évaluation se fait en référence aux normes développementales et culturelles propres au milieu dans lequel la personne évolue. À ce jour, il existe outre-Atlantique plusieurs échelles normées d’évaluation du comportement adaptif qui possèdent de très bonnes qualités psychométriques (Adaptive Behavior Scale-School, Second Edition ou ABS-S :2 ; Adaptive Behavior Assessment System, Second Edition ou ABAS-II ; Scale of Independant Behavior-Revised ou SIB-R ; Vineland Adaptive Behavior Scale-Second Edition, ou Vineland-II). La France a accumulé un retard très important au regard d’autres pays européens dans le processus de traduction et d’adaptation culturelle de ces échelles (seule la Vineland-II récemment validée est actuellement disponible). Les échelles ne sont pas destinées à déterminer les capacités maximales de la personne en la plaçant dans des situations standardisées comme le font les tests de QI. Elles évaluent au contraire ses performances réelles dans des situations de la vie quotidienne (en questionnant des tiers qui la connaissent bien).
Par ailleurs, l’utilisation d’échelles d’évaluation du comportement adaptatif dans la démarche diagnostique apporte des informations très utiles pour orienter les accompagnements éducatifs. La plupart des échelles comprennent également une partie optionnelle destinée à évaluer les comportements problématiques, bien que ces derniers soient conceptuellement distincts des comportements adaptatifs et qu’ils n’entrent pas dans les critères diagnostiques de la déficience intellectuelle.
Le déficit intellectuel et les limitations du comportement adaptatif doivent être présents pendant la période développementale. Selon le DSM-5, cette période comprend l’enfance et l’adolescence. L’AAIDD fixe la limite à 18 ans en étant probablement motivée par des considérations d’ordre juridique.
Une question importante concerne cependant l’âge à partir duquel le diagnostic positif de DI peut être posé. Il existe un consensus assez large dans la littérature scientifique pour considérer que la période de la petite enfance n’est pas adaptée à ce type de décision. Les quotients de développement obtenus aux épreuves d’évaluation de la petite enfance ne permettent pas de prédire avec une précision suffisante la valeur du QI quelques années plus tard. Un retard de développement dans la petite enfance (hormis les cas les plus sévères) ne se traduit pas nécessairement par une déficience intellectuelle quelques années plus tard.
Si l’on peut affirmer avant trois ans une DI sévère ou profonde, le diagnostic de DI modérée ne pourra pas être confirmé avant quatre ou cinq ans, du fait de la faible valeur prédictive des outils de diagnostic précoce et de l’existence de diagnostics différentiels possibles (troubles cognitifs spécifiques sévères ou troubles de la personnalité). En cas de déficience intellectuelle légère, le diagnostic différentiel se pose souvent au début de l’école élémentaire, parfois tardivement au collège, avec des troubles cognitifs spécifiques multiples et sévères appelés par certains auteurs « multidys ». L’évaluation fine des profils psychométriques et des compétences socio-adaptatives et de l’environnement est déterminante. La présence d’un déficit moteur ou sensoriel (visuel, auditif), de troubles psychoaffectifs, ainsi qu’un environnement linguistique et social peu stimulant rendent le diagnostic encore plus complexe.
Le DSM-5 précise que les critères diagnostiques de la DI ne comprennent aucun critère d’exclusion, c’est-à-dire le diagnostic devrait être posé dès que les trois conditions sont remplies, en présence ou non d’un trouble associé. En revanche, le diagnostic de certains troubles cognitifs spécifiques (dysphasie, dyslexie, dyspraxie, dyscalculie) demande de vérifier que les difficultés observées ne sont pas attribuables à une DI (entre autres). L’association de plusieurs troubles cognitifs spécifiques peut cependant avoir un impact négatif sur les performances à un test de QI, posant la question d’un diagnostic différentiel. Dans ce cas, le recours à des épreuves qui évaluent l’intelligence fluide et l’évaluation du comportement adaptatif peuvent fournir des informations utiles. Les diagnostics de TDAH (Trouble Déficit d’Attention/Hyperactivité) et de TSA (Trouble du Spectre Autistique) peuvent coexister avec celui de DI.

Le diagnostic étiologique des DI reste indéterminé pour près de 40% des cas

Le diagnostic positif établi, reste la question du diagnostic étiologique. La DI est extrêmement hétérogène sur le plan clinique et sur le plan étiologique. Cette très grande diversité des causes freine la démarche du diagnostic étiologique. Les causes de DI peuvent être liées à l’environnement (infections, intoxications dont celle liée à l’alcool, etc.) ou d’origine génétique, mais les DI idiopathiques représentent le groupe majoritaire (35-40 %). Selon les études, le pourcentage d’enfants avec DI et/ou avec un retard de développement pour lesquels le diagnostic étiologique a été établi, varie le plus souvent entre 40 et 60 %. Cette variation selon les études résulte des caractéristiques des populations étudiées, de la sévérité de la DI, du type d’investigations réalisées et de la prise en compte des avancées technologiques au moment où elles ont été réalisées. Le taux d’identification de l’étiologie varie de façon très importante selon la sévérité de la déficience. Des facteurs organiques sont mis en évidence dans 75 % des formes sévères (QI < 50) et la prévalence est la même quel que soit le milieu socio-économique de l’enfant. En revanche, l’étiologie n’est identifiée que dans une faible proportion (de l’ordre de 20 %) de la déficience intellectuelle légère (DIL). Bien que les chiffres varient selon les études, on peut néanmoins donner les ordres de grandeurs (présentés dans le tableau 2).

Tableau 2 : Critères de gravité de la déficience intellectuelle d’après le DSM-5

Complications de la prématurité
5 %
Causes environnementales
13 %
Anomalies chromosomiques
15 %
Maladies métaboliques
8 %
Syndromes reconnaissables
2 %
DI liées au chromosome X
10 %
Autres maladies monogéniques connues
10 %
DI idiopathiques
35-40 %
Parmi les causes génétiques de DI, on distingue principalement les anomalies chromosomiques (anomalies de nombre et de structure) visibles sur un caryotype, les microréarrangements génomiques déséquilibrés variés identifiés par la technique de CGH-array ou Analyse Chromosomique sur Puce à ADN (ACPA), les anomalies monogéniques, et anomalies génétiques non mendéliennes (phénomène d’empreinte parentale…). Actuellement, plus de 400 gènes sont impliqués dans la DI, avec pour chacun une faible récurrence (moins de 1 %), ce qui rend le choix des stratégies diagnostiques complexes, en particulier dans la DI isolée, sans orientation clinique vers un diagnostic syndromique, et ce d’autant qu’une majorité d’entre eux sont liés à des mutations de novo.
Les nouvelles technologies, en particulier les méthodes de CGH/ACPA, et plus récemment les techniques de séquençage haut débit (Next Generation Sequencing, NGS) sont en train de révolutionner les pratiques du diagnostic étiologique. Le séquençage haut débit peut soit cibler des panels de gènes connus de DI, soit concerner l’exome entier (Whole Exome Sequencing, WES). Le séquençage de génome entier (Whole Genome Sequencing, WGS) est encore réservé à la recherche, même si les publications pour le diagnostic de la DI se multiplient. La littérature ne tranche pas pour recommander l’une ou l’autre approche (exome versus panel de gènes), chacune ayant des avantages et des inconvénients. Il est probable que ces techniques évoluent rapidement avec une meilleure couverture et une baisse des coûts avant la généralisation du WES, puis du WGS. Par ailleurs, la question de la stratégie, soit individuelle (analyser le cas-index seulement) ou soit d’emblée en trio (c’est-à-dire y associer ses 2 parents) dépend de l’équipe, même si dans la majorité des cas, l’analyse des parents sera nécessaire à l’interprétation des résultats. Le choix des trios étant évidemment trois fois plus coûteux, mais nettement plus performant (par la limitation du nombre de variants à valider).
Ces nouvelles technologies donnent paradoxalement une part essentielle à la clinique, indispensable pour valider le variant pathogène parmi les multiples variants identifiés chez un individu donné. Sur le plan éthique, outre l’interprétation des variants de signification inconnue, une des questions que pose cette technique pan-génomique est la découverte fortuite de résultats non sollicités (unsollicited findings), c’est-à-dire des anomalies sans rapport avec l’indication initiale. De ce fait, la prescription de ces examens nécessite une collaboration étroite entre le prescripteur (a fortiori s’il n’est pas généticien), le généticien clinicien et le laboratoire, pour l’interprétation des résultats et le rendu aux familles. La question de l’information préalable sur ces possibilités, et le consentement associé est essentielle.
Toutes les difficultés inhérentes à ces nouvelles technologies (interprétation des résultats, questions éthiques…) font à juste titre l’objet de questionnements parmi tous les prescripteurs potentiels de NGS dans la DI, du fait de leur possible retentissement pour les patients.
Actuellement, les techniques de séquençage haut débit ont été mises en place dans plusieurs pays pour le diagnostic de DD (developmental delay)/DI. Certains pays ont déjà établi des recommandations pour l’utilisation du NGS en diagnostic.
Néanmoins, malgré l’apport de ces nouvelles technologies, la démarche diagnostique n’est pas toujours aisée et encore très dépendante des possibilités locales. Dans cette période intermédiaire, les recommandations pour une stratégie diagnostique sont encore fluctuantes, en partie parce que leur approche en diagnostic mérite d’être validée (en particulier sur un plan financier).
L’évaluation d’une personne avec DI commence toujours par une phase clinique, comportant un recueil des informations familiales et personnelles du sujet, suivi d’un examen somatique complet, en insistant sur l’examen morphologique et l’examen neurologique. Parmi les examens complémentaires en l’absence d’hypothèse diagnostique à l’issue de la phase clinique, l’ACPA et la recherche d’une mutation complète du gène FRAXA (syndrome de l’X fragile, cause la plus fréquente des DI héréditaires) sont les examens génétiques à demander de première intention, quels que soient le sexe et la gravité de la DI. Les autres examens (génétiques et non génétiques) ont une place variable. On peut citer parmi ceux-ci l’IRM cérébrale, qui met en évidence un taux moyen d’anomalies cérébrales chez les personnes avec DI d’environ 30 %, mais avec un apport pour le diagnostic étiologique très limité (de 0,2 à 3,9 %), qui augmente en cas de signes neurologiques associés. De plus, la réalisation d’une imagerie cérébrale requiert une immobilité difficile à obtenir chez les personnes avec DI, ce qui nécessite souvent une anesthésie pour un examen de bonne qualité. Par ailleurs, l’apport de la spectroscopie (procédé non invasif permettant de mesurer des métabolites cérébraux tels que les lactates) a été très peu évalué dans la DI. Parmi les autres examens, la place du bilan métabolique (et sa nature) sans signe d’appel évocateur n’est pas clairement tranchée, car sa rentabilité est faible (1 %) et les examens coûteux. Mais le diagnostic des maladies métaboliques responsables de DI a un double intérêt : le caractère potentiellement traitable de ces maladies, surtout en cas de dépistage précoce, et le conseil génétique, puisqu’il s’agit d’affections habituellement héréditaires. Outre la phénylcétonurie, bénéficiant d’un dépistage néonatal systématique en France, le dépistage des anomalies du métabolisme de la créatine, et celui des anomalies de glycosylation des protéines sont particulièrement intéressants dans la DI.
Néanmoins, malgré la performance des outils disponibles, une étiologie n’est retrouvée que dans 50 à 60 % des cas environ. En l’absence de diagnostic étiologique, une réévaluation diagnostique à intervalles réguliers doit être programmée.

Certains troubles psychiatriques sont plus fréquents chez les personnes ayant une DI que dans la population générale mais leurs diagnostics sont difficiles à établir

Les données actuelles suggèrent une prévalence élevée de certains troubles psychiatriques chez les personnes avec DI. Mais le diagnostic est difficile à établir en raison d’outils diagnostiques peu adéquats et de la complexité des signes cliniques qui masquent souvent des troubles psychiatriques.
Les pratiques actuelles du diagnostic psychiatrique dans les populations avec DI s’effectuent généralement par le biais de l’utilisation des systèmes de classification psychiatrique destinés à la population générale, ou par le biais d’instruments issus de protocoles de recherche. Ces pratiques engendrent de sérieux problèmes de validité. D’abord, l’application des systèmes de classification classiques n’est pas validée auprès d’individus avec DI, puisque l’échantillonnage sur lequel se fondent ces systèmes diagnostiques, exclut de facto tout individu avec une DI. De plus, les outils issus de travaux de recherche ne s’appliquent en général qu’à un secteur psychopathologique, et l’échantillonnage est souvent insuffisant pour en permettre la généralisation à l’ensemble des professionnels susceptibles d’en faire l’utilisation.
Un second obstacle au diagnostic psychiatrique dans le champ de la DI tient à certaines caractéristiques inhérentes de la DI. La déficience est susceptible d’altérer significativement les manifestations des signes psychopathologiques (pathoplasticity), qui pourraient être ignorés par le clinicien. De même, la désintégration cognitive peut également masquer certains symptômes traditionnels d’un trouble psychiatrique (diagnostic overshadowing).
Enfin, l’importante diversité des méthodologies dans les études (instruments diagnostiques, variables mesurées), et la sévérité de la DI rendent difficile la comparaison des résultats.
Si les individus avec une DI légère peuvent être évalués selon les critères issus des systèmes internationaux de classification des troubles psychiatriques, ces systèmes ne sont pas adaptés aux DI modérées à sévères. Des adaptations aux manuels de classification ont été proposées au Royaume-Uni avec le DC-LD (Diagnostic criteria for psychiatric disorders for use with adults with learning disabilities/mental retardation du Royal College of Psychiatrists, 2001), qui s’appuie sur le système de classification européen CIM-10. Une initiative américaine a introduit un guide diagnostique, le DM-ID (Diagnostic Manual-Intellectual Disability : a textbook of diagnosis of mental disorders in persons with intellectual disability, 2007) permettant au clinicien d’employer le système de classification DSM-IV-TR pour des situations spécifiques chez des individus avec DI. Ces adaptations ont l’avantage d’étayer des critères diagnostiques issus des systèmes de classification traditionnels, tout en offrant une procédure diagnostique adaptée aux besoins spécifiques des individus avec DI, notamment la prise en compte des données étiologiques au niveau biologique, psychologique, social et développemental.
Deux manquements significatifs persistent. Ces adaptations n’ont pas été utilisées dans des études épidémiologiques à grande échelle, ce qui fait que peu d’études épidémiologiques de qualité sont disponibles. Et peu d’attention est accordée aux spécificités des manifestations psychiatriques chez les enfants et les adolescents.
La grande diversité des tests utilisés pour mesurer la fréquence des troubles psychopathologiques chez les personnes avec DI et l’existence des facteurs de confusion, sociodémographiques notamment, incitent à être prudent dans l’estimation de ces troubles. Quoiqu’il en soit, la majorité des études portant sur des échantillons d’enfants, d’adolescents et d’adultes avec DI s’accordent à montrer une prévalence d’autres troubles du développement et des troubles psychiatriques plus importante que dans la population générale (TSA, TDAH, troubles anxieux, troubles de l’humeur ou troubles internalisés). Le risque de développer un trouble mental serait multiplié par 3 à 4 chez les enfants avec DI.
Le taux de troubles du spectre autistique dans les populations atteintes de DI serait compris entre 18 et 40 %, et la prévalence des TSA augmenterait avec la sévérité de la DI. La présence de TSA serait sous-estimée dans les populations adultes. Le diagnostic présente une difficulté supplémentaire du fait du recouvrement des symptômes, responsables d’un déficit dans le repérage de ces troubles. Par ailleurs, la co-existence DI-TSA pourrait augmenter le risque de troubles neurodéveloppementaux et affectifs.
La prévalence du TDAH chez les DI est également supérieure à celle estimée en population générale (de l’ordre X 8, soit entre 11-50 % chez les enfants et adolescents avec DI versus 5 % en population générale jeune). Ces taux sont généralement plus élevés dans la DIL. Chez les adultes avec DI, ce taux serait de 15 % pour 2-4 % en population générale adulte.
La prévalence des troubles du spectre psychotique (TSP) au sein des populations DI n’est pas beaucoup plus importante que celle rapportée dans la population générale. Chez les individus avec DI, les TSP peuvent initialement se présenter par le biais de signes cliniques moins typiques que dans la population générale, comme une intensité des symptômes négatifs et une sévérité de l’atteinte fonctionnelle. Des études plus récentes suggèrent qu’il est possible d’identifier les signes infra-cliniques qui marqueraient une vulnérabilité accrue au développement de TSP au cours de l’adolescence.
Parmi les troubles de l’humeur, l’expression de troubles bipolaires demeure, à l’heure actuelle, méconnue dans les populations avec DI. Sur la base des quelques travaux dédiés à cette question, la prévalence de ce trouble en lien avec la DI (0,9-4,8 %) semble comparable au taux retrouvé dans la population générale (3-5 %). Certains auteurs notent que dans le cas des troubles bipolaires chez les individus avec DI, l’atteinte fonctionnelle semble plus sévère que celles associées aux autres comorbidités psychiatriques dans les populations avec DI. Concernant les troubles dépressifs, les études anciennes rapportent une prévalence plus importante chez les populations avec DI qu’en population générale, cependant les études récentes suggèrent un taux comparable.
Les troubles anxieux seraient plus présents dans les populations avec DI : chez les enfants et adolescents, environ 9 % versus 3,5 %. Chez les adultes, cette prévalence varie entre 2 et 17 %, les études utilisant des outils plus récents l’estiment à 4 %.
En ce qui concerne les troubles de la personnalité en population générale, la pratique diagnostique est fortement débattue et la validité de ces diagnostics ne fait pas l’unanimité auprès des cliniciens. Cette ambivalence est accentuée lorsqu’il s’agit de pratiquer ce diagnostic auprès de populations vulnérables, comme dans les populations pédiatriques ou avec DI. Ainsi, la prévalence de ces troubles dans la population avec DI est difficile à estimer, même si dans les échantillons d’individus qui bénéficient d’un traitement psychiatrique au sein d’institutions de soins en santé mentale, on retrouve une très forte représentation de ces troubles. Ils sont associés à une forte comorbidité psychiatrique et une atteinte fonctionnelle sévère.
Enfin, les études actuelles suggèrent que les abus de « substances » sont en général moins fréquents chez les adultes avec DI. À noter cependant que cette problématique est tout aussi fréquente chez les jeunes avec ou sans DI. Elle est souvent associée à une comorbidité avec des troubles de la personnalité ou des troubles psychotiques. On retrouve généralement les abus de substances chez les individus avec une DI légère.
Concernant les médicaments psychotropes, il existe dans la littérature un manque de données empiriques sur les effets spécifiques de certaines molécules prescrites à des personnes avec DI. Seule la rispéridone bénéficie d’études cliniques randomisées et contrôlées. Ces dernières soutiennent l’effet bénéfique de cette molécule vis-à-vis des comportements agressifs chez les enfants, les adolescents et les adultes. Néanmoins, cette conclusion reste encore fragile en raison des limites méthodologiques des études en question, notamment l’inclusion de sujets avec TSA pour les études pédiatriques, une période de follow-up trop courte dans les études impliquant des adultes, et souvent peu de sujets.
On peut noter une absence de recommandations pour la prescription des psychotropes aux individus avec DI. Les traitements psychotropes (et en première ligne les neuroleptiques) prescrits chez les personnes avec DI, ne le sont pas directement en raison d’un trouble psychiatrique comorbide clairement diagnostiqué, mais plutôt de manière empirique et essentiellement face à des problèmes de comportement. Or, le manque d’études randomisées et contrôlées, prenant en compte les caractéristiques étiologiques de la DI du patient (et non simplement le comportement symptomatique, dans la plupart des cas l’agressivité) nécessite des recherches urgentes.
Malgré l’absence d’études contrôlées robustes, il est constaté une sur-prescription et une polymédication. En pratique, les patients avec DI sont polymédiqués, sans qu’une évaluation précise des bénéfices et risques de cette polymédication n’ait été réalisée. Même si les personnes avec DI constituent un groupe clinique très hétérogène, elles font l’objet d’un taux élevé de prescription de psychotropes.

Les personnes avec DI peuvent présenter des troubles graves du comportement, de type « comportement-défi »

Le terme « comportement-défi » (challenging behavior) est apparu dans les années 1980 et a peu à peu remplacé le terme de « trouble du comportement ». Sous ce vocable, sont englobées les personnes se posant comme « de véritables défis à l’organisation des structures d’accueil et à l’intégration communautaire, plus particulièrement dans la nature des services permettant de répondre aux besoins de la personne déficiente ». Ainsi, ce comportement qui peut se manifester par un comportement auto-mutilatoire, agressif (physique ou verbal) ou stéréotypé, n’est plus considéré comme uniquement un trouble inhérent à la personne avec DI mais bien comme le résultat d’interactions entre la personne et son milieu.
Trop peu d’études empiriques ont été menées sur les facteurs de risque, les causes du développement de comportements-défis et leur persistance. Ces comportements-défis sont davantage observés chez des personnes présentant une comorbidité, notamment des troubles psychopathologiques. Une sur-médication, l’abus d’alcool et de drogues, surtout présents chez l’adulte, aggravent les situations. Ce qui plaide pour une politique de prévention et d’intervention plus précocement dans le développement.
Une évaluation multidimensionnelle (médicale, environnementale et comportementale) est un pré-requis à toute intervention.
Les interventions proposées pour réduire, voire supprimer les comportements-défis sont nombreuses et très variées, ciblant la personne elle-même et son entourage. Mais celles-ci reposent sur des populations très réduites, ce qui rend difficiles les mesures d’efficience. Les méta-analyses concluent que les approches biologiques, psychothérapeutiques ou contextuelles sont susceptibles de réduire la fréquence des comportements-défis mais sans effets significatifs. La combinaison d’une approche axée sur une analyse comportementale d’une part et sur la mise en place d’apprentissages ciblés sur des compétences de traitement de l’information sociale et la maîtrise des émotions d’autre part pourrait être la voie la plus prometteuse.

Les problèmes de santé sont plus fréquents que dans la population générale, et pourtant sous-diagnostiqués et mal pris en charge

Les besoins de soins médicaux des personnes avec DI sont nettement supérieurs à ceux de la population générale. Trois registres étrangers d’adultes avec DI (Welsh Health Survey, Pays de Galles ; Éco-Santé, Québec ; étude cas-témoin, Pays-Bas) montrent que leurs problèmes de santé sont plus importants comparés à ceux de la population générale. Concernant l’état de santé des enfants avec DI, une étude de cohorte longitudinale anglaise rapporte au moins trois problèmes de santé chez 52 % des enfants avec DI versus 28 % chez des enfants sans retard de développement.
Certains problèmes de santé courants (bucco-dentaires, troubles sensoriels) sont plus fréquents, moins bien dépistés et soignés chez les personnes avec DI par rapport à la population générale. Concernant les soins dentaires, une revue de la littérature et des propositions de soins adaptés déjà publiées à l’occasion de l’audition publique de la HAS (2008) insistent sur la nécessité d’accompagnement des soins dentaires par des approches spécifiques (sédation vigile, approche cognitivo-comportementale). En France, de nombreux centres de soins dentaires régionaux s’organisent dans ce sens pour les soins d’enfants et adultes handicapés.
Peu études s’intéressent aux déficiences sensorielles chez les personnes avec DI. Quelques études rapportent des troubles de la vision fréquents et des pathologies ophtalmologiques variées, nécessitant un dépistage systématique et un suivi régulier. De même, selon certaines études, les troubles auditifs chez les enfants avec DI sont deux fois plus fréquents que dans la population générale. Chez l’adulte, l’intérêt d’une recherche systématique d’un trouble auditif a été largement démontré.
Les maladies coronariennes représentent la deuxième cause de mortalité chez les personnes avec DI, qui cumulent les facteurs de risque : hypertension, diabète, obésité, erreurs diététiques, peu d’exercice physique. Plusieurs études anglo-saxonnes et françaises ont relevé l’excès d’obésité parmi les personnes avec DI, y compris enfants et adolescents par rapport à la population générale. De nombreux déterminants de l’obésité (syndrome prédisposant, niveau socio-économique, alimentation, niveau d’activité physique, consommation de médicaments, etc.) sont à prendre en compte. Si le surpoids concerne un grand nombre de personnes avec DI, un sous-groupe présente une dénutrition chronique, en particulier chez les personnes polyhandicapées ou ayant des problèmes de déglutition.
D’autres pathologies chroniques (épilepsie, troubles du sommeil, troubles psychiatriques, certains cancers) sont plus fréquemment observées chez les personnes avec DI et contribuent à la demande de soins médicaux supplémentaires. L’épilepsie, qui affecte entre 0,5 et 1 % de la population générale, concerne entre 17 et 50 % des personnes avec DI selon les études. Sa prévalence augmente avec la sévérité de la DI (évaluée à 3 % chez les DIL, 15 % en cas de DI moyenne, elle serait de 30 à 50 % en cas de DI sévère à profonde) et dépend aussi de l’étiologie, certains syndromes ne s’accompagnant pas d’épilepsie, d’autres comportant une épilepsie pharmaco-résistante. Les erreurs diagnostiques sont fréquentes chez les patients avec DI. Le recours à des centres spécialisés avec enregistrement vidéo prolongé est parfois nécessaire.
Les troubles du sommeil chez les adultes avec DI varient de 8 à 34 % en relation avec la présence d’autres comorbidités. Ils sont également fréquents chez les enfants avec DI. Les causes sont multiples : troubles psychoaffectifs, apnées du sommeil, crises épileptiques, médicaments, perturbation de la structure du sommeil.
Certains cancers sont plus fréquents dans la population avec DI que dans la population générale, et leur diagnostic est retardé.
Le vieillissement présente certaines particularités chez les personnes avec DI et des risques de pathologie neurologique (démence) plus marqués pour certains syndromes (trisomie 21). L’avancée en âge des personnes handicapées nécessite un besoin en soins de plus en plus important comme dans la population générale, mais avec des conséquences plus sévères du fait des déficiences préexistantes. La maladie d’Alzheimer est une pathologie survenant plus fréquemment et plus tôt chez les personnes avec trisomie 21. Cependant, selon une étude menée dans une population présentant une DI, n’incluant pas la trisomie 21, l’apparition d’une démence à partir de 65 ans, serait 2 à 3 fois plus fréquente qu’en population générale, sans lien avec la sévérité de la DI. Cette précocité du vieillissement chez les personnes avec DI semble, de façon générale, surtout liée à des maladies spécifiques, à l’épilepsie, aux traitements médicamenteux, à l’environnement social et très souvent aux difficultés d’accès aux soins et à la prévention.
Plusieurs études ont montré un sous-diagnostic de tous ces problèmes médicaux. Les raisons d’un tel sous-diagnostic sont multiples : manque d’attention à leurs besoins de soins, incompréhension des campagnes d’éducation à la santé, peu de soutien pour encourager des choix médicalement sains, services de soins peu accessibles. Les obstacles à un accès aux soins des personnes avec DI sont liés à des facteurs personnels tels qu’une mobilité réduite, un problème de communication (hypoacousie, difficultés de compréhension et expression), des troubles du comportement, mais aussi à des facteurs environnementaux tels que l’accessibilité des locaux, le manque de temps et de formation des professionnels, que ce soit pour les soins courants ou les centres de santé mentale.
En lien avec les troubles de communication, l’expression de la douleur par les personnes avec DI est souvent difficile, se manifestant fréquemment de manière non verbale par des troubles du comportement. La douleur et la souffrance peuvent ainsi durer des semaines ou des mois avant qu’elles ne soient reconnues et donc traitées, retardant le diagnostic de pathologies graves ou urgentes. La diffusion de nouveaux outils cliniques d’évaluation de la douleur permet de remédier à cette situation.
Par ailleurs, les personnes avec DI ont des difficultés pour accéder à des soins essentiels liés ou non au handicap, difficultés très souvent citées par les familles. Les obstacles rencontrés par les personnes en situation de handicap dans l’accès aux soins primaires de santé sont aggravés du fait du lien existant entre handicap et précarité. Les personnes les plus vulnérables, dont celles présentant un polyhandicap, cumulent les facteurs de risque médicaux. Les pathologies sont souvent intriquées. Les causes de douleurs peuvent être multiples (dentaire, orthopédique, digestive).
La difficulté d’accès aux services de soins primaires provoque un excès d’hospitalisations en urgence et une augmentation de la durée d’hospitalisation des personnes avec DI par rapport à la population générale. Ceci est d’autant plus dommageable que les personnes avec DI sont très vulnérables dans ces situations et parfois victimes de discriminations. Cette qualité des soins insuffisante pour ces personnes est associée à un surcoût de dépenses de santé.

La santé des personnes avec DI peut être améliorée par une meilleure prise en compte du handicap, une coordination des soins et la formation des professionnels

Des adaptations des modalités de l’offre de soins sont nécessaires afin que la personne avec DI soit actrice de sa propre santé : signalétique, source d’information médicale, accompagnement humain, approche pluridisciplinaire, temps de recueil des symptômes, de l’examen clinique et d’éducation thérapeutique, coordination des soins. La majorité des établissements de santé ne sont pas organisés pour répondre efficacement à la demande spécifique de personnes en situation de handicap. Par ailleurs, le niveau de médicalisation des ESMS (Établissements et Services Médico-Sociaux) est très variable selon les établissements. Contrairement à d’autres pays européens, il n’existe pas en France, dans le champ de la DI, de référent de type « gestionnaire de cas », à la fois coordonnateur et organisateur des prises en charge autour d’une personne, qui puisse assurer le lien entre les problématiques de santé et celles liées au handicap. Les aidants naturels (parents, fratrie) doivent assurer cette fonction pour organiser les prises en charge, relayer les actions de prévention autour de la personne, coordonner l’intervention des professionnels. Or, les familles ont acquis une expertise dans le dépistage des symptômes, l’analyse des situations et les actions à engager, pas toujours reconnue. Enfin, les soins requis entraînent des surcoûts que les familles ont parfois du mal à assumer. Les personnels médicaux et paramédicaux sont majoritairement peu formés, l’enseignement du handicap étant très limité. En l’absence de données statistiques, on estime que seulement 1 à 2 % du cursus universitaire des médecins couvriraient ce domaine. Les praticiens sont pourtant demandeurs de formation spécifique sur le handicap. Le CNCPH (Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées) recommande que les acteurs de santé, le personnel médical, paramédical et le personnel administratif du secteur sanitaire soient formés et sensibilisés à l’accueil et à l’accompagnement des personnes handicapées.
Plusieurs expériences dans différents pays démontrent clairement l’impact bénéfique de bilans médicaux systématiques sur la santé des personnes avec DI. Selon une revue récente regroupant l’expérience de bilans de santé réalisés chez plus de 5 000 personnes avec DI, les taux de pathologies non connues diagnostiquées lors du bilan de santé allaient de 51 % à 94 %, avec 2 à 5 pathologies par patient et ces bilans de santé ont conduit à des actions thérapeutiques (oncologie, pose de pacemakers) ou de prévention (dépistage de troubles sensoriels et de cancer, vaccinations, soins dentaires) dans la grande majorité des cas.
Plusieurs gouvernements (Australie, Grande-Bretagne) ont pris des mesures fortes pour mettre en œuvre un bilan de santé annuel par le médecin traitant, avec actes bonifiés ou par les centres de soins primaires. Des centres Ressource pour personnes avec troubles des apprentissages (learning disability) ont été développés au Royaume-Uni. Ces centres Ressource proposent l’accès à un spécialiste quand les problèmes médicaux dépassent les compétences des centres de soins primaires, et accompagnent les médecins généralistes, les patients, les familles et autres professionnels. Les professionnels impliqués dans ces centres ressources sont des psychiatres, psychologues et infirmières. La coordination du parcours de soins ou case management, a été développée en France pour d’autres pathologies (Alzheimer, cancer), mais pas pour les personnes avec DI bien que la question d’une coordination de l’accès aux soins pour les personnes en situation de handicap ait été mise en exergue dans plusieurs rapports d’instances officielles telles que la HAS en 2009, le CNCPH en 2010. La pertinence de Référents du Parcours de Santé (RPS) en charge d’une fonction de coordination a été argumentée à plusieurs reprises, en particulier dans le rapport Jacob 2013.
Par ailleurs, certains syndromes présentent des problèmes médicaux spécifiques qui justifient un suivi médical particulier, comme par exemple pour la trisomie 21. Du fait des centaines de syndromes connus actuellement, l’analyse détaillée de la littérature concernant les spécificités syndromiques sort du cadre de cette expertise. Il est important de souligner l’existence d’Orphanet, site d’information sur les maladies rares dédié aux patients, familles, professionnels et au grand public, comportant des informations propres à chaque syndrome et des liens avec les professionnels et les associations. Par ailleurs, la mise en place en France de deux plans « Maladies Rares » depuis 2007, a permis la création de nombreux centres de références et filières maladies rares, pour accélérer la recherche, la formation et les soins, la filière DéfiScience étant plus particulièrement dédiée aux maladies rares du développement cérébral avec déficience intellectuelle.

Les théories neurodéveloppementales proposent un nouveau cadre particulièrement adapté à l’étude des fonctions cognitives

Le neuroconstructivisme propose de nouveaux cadres théoriques et méthodologiques dans la continuité des approches développementales, pour appréhender le développement atypique. Il s’affranchit des méthodes d’appariement de groupes qui reposent sur des comparaisons à âge mental (ou à âge chronologique) équivalent pour analyser les trajectoires de développement de populations « typiques » ou « atypiques » (l’âge mental ou l’âge chronologique sont utilisés comme des variables continues mises en relation avec une performance à une tâche donnée). Le neuroconstructivisme considère que les trajectoires développementales des personnes sont façonnées par des contraintes génétiques, neurologiques, comportementales et environnementales, en interactions constantes. Il insiste sur le rôle essentiel de l’activité7 qui contribue à dessiner les trajectoires développementales dès le plus jeune âge. Les structures neurologiques commencent à fonctionner avant d’être réellement matures et l’activité neuronale qui en résulte, qu’elle soit d’origine purement endogène ou qu’elle soit déterminée par des stimulations externes, joue un rôle fondamental dans le développement.
Historiquement, les théories cognitives se sont fondées sur une opposition entre les approches déficitaires et les approches développementales. Les premières attribuent les particularités cognitives de la DI à des déficits spécifiques touchant certaines fonctions cognitives importantes (la mémoire à court terme par exemple). Les secondes prennent le développement typique comme référence et insistent sur les similitudes du développement « retardé » qui se caractérise par sa lenteur et son inachèvement ultime. S’intéressant au changement, elles offrent une vision plus dynamique de la DI, quel que soit son degré de sévérité.
La mémoire de travail est supposée occuper une place centrale dans l’acquisition de nombreuses compétences telles que le langage, la lecture, le calcul, le raisonnement, etc. Elle a fait l’objet de nombreuses investigations chez les personnes avec une DI. Il est clairement établi que la mémoire à court terme, qu’elle soit verbale ou visuo-spatiale, est limitée chez les personnes avec DI. Si à âge chronologique équivalent, les performances des personnes avec DI sont toujours inférieures à celles des participants typiques, l’ampleur des difficultés rencontrées ainsi que leur origine restent à déterminer précisément. Les comparaisons à âge mental équivalent sont variables : elles donnent des performances tantôt inférieures, tantôt équivalentes à celles des enfants au développement typique. D’un point de vue structural, une labilité importante de la trace mnésique ne semble pas pouvoir expliquer les limitations qui pèsent sur l’empan. L’hypothèse d’une faible capacité de la mémoire à court terme est donc privilégiée. Du point de vue fonctionnel, il est tout à fait clair qu’un défaut d’utilisation de stratégies efficaces de mémorisation pèse sur la performance mnésique des participants avec une DI. On sait aussi qu’un apprentissage de stratégies cognitives (ou métacognitives) augmente la performance mnésique. Les effets peinent cependant à se maintenir dans le temps et se transfèrent peu ou pas à d’autres situations chez les personnes avec DI.
Un facteur essentiel dans l’augmentation des difficultés posées par un problème donné semble résider dans le niveau de contrôle cognitif que requiert la tâche à réaliser. Plus ce niveau augmente, plus l’écart avec des enfants typiques de même âge mental devient évident quelle que soit la modalité évaluée (verbale ou visuo-spatiale). Inversement, les tâches qui requièrent un très faible contrôle (ou une faible charge cognitive) peuvent être réussies à hauteur du niveau prédit par l’âge chronologique. Ces tâches mettent en jeu des activités automatiques (mémorisation de localisations spatiales) ou des apprentissages implicites. Basé sur la répétition de séquences, l’apprentissage implicite permet d’élaborer des représentations spatio-temporelles isomorphes aux situations rencontrées sans qu’aucune connaissance explicite ne soit élaborée. De fait, pour une situation donnée, les procédures implicites de récupération d’information donnent lieu à de meilleures performances que les procédures explicites.
Les fonctions exécutives sont aussi repérées comme étant particulièrement fragiles chez les personnes avec DI. Ces processus qui régulent et contrôlent l’activité peuvent être classés en trois grandes fonctions : updating (mémoire de travail), inhibition (de réponses automatiques ou dominantes), shifting (passer d’une tâche à une autre, ou d’un état mental à un autre). Une fois encore, si la comparaison à âge chronologique équivalent est sans appel, il est difficile de chiffrer avec précision l’ampleur des difficultés. Selon l’âge mental, il semblerait que les personnes avec DI aient un niveau comparable (et parfois inférieur) à celui d’enfants typiques.
Les résultats obtenus aux épreuves d’évaluation de la mémoire de travail ou des fonctions exécutives sont très variables en raison d’une forte sensibilité aux conditions d’évaluation (difficulté de la tâche, niveau de contrôle requis, aspects motivationnels, etc.) et d’une grande variabilité interindividuelle. On s’approche probablement des limites liées aux méthodes classiques d’appariement. Le recours aux analyses des trajectoires développementales, qui exploitent la variabilité interindividuelle, pourrait s’avérer nécessaire.
Les différentes théories cognitives inspirent, à des degrés divers, les méthodes pédagogiques. En prenant le développement typique comme modèle, les théories développementales offrent un cadre d’analyse utile à l’intervention. Elles l’orientent et permettent de définir des objectifs en graduant les niveaux de difficulté. Les travaux sur la mémoire de travail et les fonctions exécutives donnent lieu à des recherches qui entrent plus dans le champ de la rééducation, avec l’idée qu’un entraînement intensif pourrait améliorer le fonctionnement cognitif général. L’efficacité de ces interventions auprès de populations typiques fait encore l’objet de débats scientifiques animés. Par ailleurs, la faiblesse des transferts obtenus dans ces populations jette le doute sur leur intérêt pour les personnes avec DI. L’apprentissage implicite expose la personne de façon répétée à une règle sans consigne explicite, et sans introduire d’erreur ou de contre-exemple. Il pourrait fournir une méthodologie intéressante en considérant que les connaissances implicites peuvent guider l’apprentissage explicite ultérieur. Enfin, certaines méthodes d’éducation ou de remédiation cognitive donnent des résultats satisfaisants. Le choix de telle ou telle méthode doit reposer sur sa validation scientifique. Il faut être particulièrement attentif au critère de transfert des acquis dans des tâches ou des situations différentes de celles de l’apprentissage.

La prise en compte des comportements adaptatifs est essentielle pour le projet d’accompagnement de la personne

Au-delà de la problématique du diagnostic, la prise en compte du comportement adaptatif est essentielle, car celui-ci participe à la qualité de vie de la personne et de son entourage.
La littérature s’accorde aujourd’hui pour définir le comportement adaptatif comme une notion complexe reposant sur 3 concepts : les habiletés adaptatives conceptuelles (langage, lecture et écriture, argent, temps et concepts mathématiques), sociales (habiletés interpersonnelles, responsabilité sociale, crédulité, naïveté…) et pratiques (activités quotidiennes, habiletés occupationnelles, sécurité, santé, voyage/transport, utilisation du téléphone). Toutefois, il n’existe pas de définition universelle de ces trois concepts.
Vouloir définir les objectifs d’un projet d’interventions auprès de la personne suppose de connaître les points forts et les points faibles des compétences adaptatives du sujet qui peuvent être évaluées par des échelles. Conduire la personne handicapée vers une pleine participation dans notre société, en lui permettant d’accéder à une auto-détermination comme le veut la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, suppose une formation complète des personnes dans les divers domaines qui vont permettre l’émergence de comportements adéquats sur le plan social.
La mesure du comportement adaptatif suppose de prendre en considération plusieurs facteurs : l’âge du sujet, la sévérité de la déficience, le contexte particulier dans lequel se fait l’observation et l’environnement dans lequel se trouve le sujet, les perceptions qu’ont les parents et les professionnels sur les compétences de la personne, la motivation de la personne, la perception qu’a la personne d’elle-même et son estime de soi.
Par ailleurs, plusieurs questions se posent également sur le plan méthodologique : fiabilité des répondants, utilisation d’auto-questionnaire ou d’hétéro-questionnaire, validité et fidélité des outils, dimensions explorées par les outils utilisés, etc. Il semble assez évident qu’un regard croisé sur les compétences de la personne est à privilégier, autorisant une confrontation des perceptions, la formulation d’hypothèses quant à la non manifestation de telle ou telle compétence. Dans la pratique d’équipes pluridisciplinaires, les échelles de comportement adaptatif offrent l’opportunité de créer un langage commun. De même, les échanges avec les parents et la personne handicapée peuvent être facilités via des observations menées sur la base de tels outils et ce, en prenant en compte le fait que la personne exprime différemment ses compétences en fonction du contexte spécifique dans lequel il est observé.
Chez des personnes ayant des syndromes différents, il y a encore trop peu de données sur le développement des habiletés sociales et leur évolution, ce qui rend difficile voire impossible de définir un profil comportemental particulier. Un cadre théorique bien établi serait utile pour étudier l’impact des multiples interactions de la personne avec son entourage tout au long de son développement.

Chez l’enfant avec DI, l’acquisition du langage peut être favorisée par des interventions précoces et ciblées

La déficience intellectuelle est une variable causale majeure des difficultés langagières classiquement observées chez les personnes avec déficience intellectuelle. Toutes les composantes du langage sont concernées (phonologique, lexicale, morphosyntaxique et pragmatique). Le développement cognitif est, en effet, une condition nécessaire à l’acquisition du langage. Il fournit les connaissances infraverbales (espace, temps, etc.), les structures (mémoire de travail, mémoire à long terme), et les processus cognitifs généraux (par exemple, détection des régularités distributionnelles) nécessaires pour que l’enfant « déchiffre » et utilise le code linguistique parlé par son entourage. En impactant le développement cognitif, la déficience intellectuelle affecte donc l’acquisition du langage.
Des anomalies ou des troubles laryngés et oro-faciaux ainsi que des pertes auditives sont souvent associés à la déficience intellectuelle. Ils causent des difficultés phono-articulatoires qui affectent l’intelligibilité des énoncés et exercent un effet péjoratif « en cascade », notamment sur les acquisitions morphosyntaxiques.
La paucité des apports langagiers (c’est-à-dire le bain de langage) est un paramètre à prendre en compte. Ces apports sont cruciaux pour l’acquisition du langage, car ils facilitent la mise en œuvre des mécanismes généraux d’apprentissage. Compte tenu du lien entre conditions socio-économiques et prévalence de la déficience intellectuelle légère, il est permis de conclure que de nombreux enfants avec DI bénéficient d’apports langagiers suboptimaux qui limitent leurs acquisitions.
Les profils langagiers « spécifiques » constatés dans certains syndromes avec DI sont sous-tendus par des anomalies de structure et de fonctionnement des aires corticales impliquées dans l’acquisition du langage. Par exemple, ce sont les composantes phonologiques et morphosyntaxiques du langage oral qui sont les plus affectées chez les enfants avec une trisomie 21, alors que les enfants atteints du syndrome de Williams ou de l’X fragile rencontrent plus de difficultés sur le plan des compétences pragmatiques. L’appartenance à tel ou tel groupe étiologique donne une coloration au phénotype linguistique, mais sans que les différences concernent l’ensemble des composantes du langage. D’une part, des recouvrements de compétences langagières sont relevés d’un syndrome à l’autre. D’autre part, des similitudes notoires sont souvent mises en évidence quant aux modalités de développement des enfants typiques et ceux relevant d’entités cliniques associées ou non à une déficience intellectuelle (lésion cérébrale focale, trouble spécifique du langage, X fragile, trisomie 21, syndrome de Williams). Au final, si certains syndromes se caractérisent par un profil langagier spécifique, il existe des variabilités interindividuelles qui justifient une évaluation individualisée du langage.
Les retards langagiers causés par la DI ont d’importantes conséquences sur le devenir des personnes. En cas de déficience légère, c’est surtout la fonction idéique-représentationnelle du langage qui est affectée. Il en résulte des difficultés avérées, entre autres sur le plan du parcours scolaire, compte tenu de l’influence « en retour » qu’exerce le langage sur le fonctionnement cognitif en tant qu’outil ou médium de la pensée et comme « véhicule » d’acquisition de concepts et de représentations. Si la déficience est sévère ou profonde, l’expression verbale de la vie psychique de la personne est affectée, avec, pour corollaire, de l’inconfort, de la passivité, un manque d’autonomie et des troubles du comportement inhérents aux difficultés d’exprimer des états intérieurs, de formuler des choix élémentaires ou de verbaliser les demandes les plus simples relatives à la vie quotidienne. D’autres modalités de communication sont néanmoins possibles.
Les enjeux sont tels que des modalités d’intervention précoce associant les parents et fondées sur l’utilisation d’outils d’évaluation dûment validés donnent lieu à un nombre croissant de recherches. Les instruments d’évaluation du langage sont nombreux et diversifiés dans les pays anglophones, particulièrement aux États-Unis où on en dénombre plusieurs centaines. La situation est bien moins favorable dans les pays francophones en dépit des efforts consentis par des chercheurs et des praticiens pour développer des épreuves originales ou adapter des tests étrangers de qualité. L’examen de toutes les composantes du langage est à envisager lors du bilan langagier. À cet égard, le recours à une batterie de langage est commode pour mettre en évidence les forces et les faiblesses de la personne et, par là même, orienter les modalités d’action éducatives et déterminer la pertinence d’un suivi en orthophonie.
Des méthodes d’interventions variées existent. Elles peuvent être regroupées en fonction de leurs objectifs. Certaines sont centrées sur l’intelligibilité des productions verbales, un problème endémique chez beaucoup d’enfants avec une déficience intellectuelle, en particulier les enfants atteints de trisomie 21. Parmi les approches proposées, certaines donnent peu ou pas de résultats (glossectomie, plaque palatine, exercices oro-moteurs). D’autres occasionnent des effets plus tangibles comme la prévention et le traitement des pertes auditives, la rééducation phono-articulatoire.
Les interventions destinées à promouvoir la communication préverbale font l’objet d’un nombre croissant d’essais cliniques. L’idée est qu’en augmentant la fréquence, la lisibilité et la complexité des interactions fondées sur des gestes, des regards coordonnés et des vocalisations, l’enfant apprendra plus rapidement à communiquer verbalement. Il s’agit de l’amener à formuler des demandes (pointer un jouet du doigt pour l’obtenir, lever les deux bras vers l’interlocuteur pour être pris à bras, etc.) ou commenter des événements (par exemple : pointer le doigt en l’air, regarder son interlocuteur puis lever les yeux pour attirer son attention sur un bruit inattendu). Dans une logique comparable, des chercheurs préconisent le recours temporaire à des codes alternatifs (signes manuels/gestuels ou pictogrammes reliés à une synthèse vocale) dans le but d’enclencher le processus de communication. Ils font état de résultats encourageants.
Les modes d’intervention axés sur la communication verbale sont plus nombreux et mieux étudiés. On peut citer la modulation des apports linguistiques, les reformulations syntaxiques et sémantiques, l’éducation par le milieu, l’entraînement aux interactions réceptives ou la lecture dialogue. Ces approches consistent à enrichir, quantitativement et qualitativement, l’environnement verbal de l’enfant. Elles visent aussi à accroître sa motivation à communiquer. Un principe central de l’éducation par le milieu est, par exemple, d’éviter de devancer les demandes de l’enfant et d’aménager son environnement quotidien de manière à ce qu’il fasse l’expérience de la fonction instrumentale du langage oral. Ces différentes méthodes tirent leur légitimité d’études portant sur des enfants typiques issus de milieux sociaux variés ou d’enfants atteints de retard de langage. Celles portant spécifiquement sur des échantillons d’enfants avec déficience intellectuelle sont plus rares, mais donnent des résultats souvent probants. Les recherches à venir permettront d’identifier les plus efficaces selon l’âge, le degré de déficience intellectuelle, le niveau de langage et le contexte de vie de l’enfant.
En cas de difficulté ou d’impossibilité de parvenir à une communication verbale, les approches augmentatives et alternatives sont à envisager. Elles donnent des résultats très encourageants. Elles s’appuient sur des codes gestuels ou pictographiques dont on use en lieu et place du langage oral. De plus en plus souvent, des dispositifs électroniques munis d’un générateur de parole sont utilisés. Ils sont plus fragiles et coûteux, mais facilitent grandement les échanges entre l’enfant et ses proches. La mise en place d’un code de substitution était, initialement, surtout envisagée en cas de déficience motrice affectant gravement la production de la parole. Plusieurs critères étaient alors considérés, en particulier celui de la double dissociation. Dissociation entre les capacités cognitives et le niveau d’expression verbale de l’enfant d’une part, et dissociation entre ses capacités de compréhension et d’expression d’autre part. Ce critère, qui excluait d’emblée les enfants atteints de déficience intellectuelle sévère et profonde, n’est plus guère d’actualité. À présent, ce sont les besoins en communication plus qu’un profil psychologique qui sont mis en avant. En l’occurrence, le code de substitution est conçu comme une aide à la communication dont les recherches démontrent qu’il n’entre pas en concurrence avec l’acquisition et l’usage du langage oral. Considéré sous cet angle, les enfants avec déficience sévère ou profonde sont, comme leurs pairs infirmes moteurs cérébraux, éligibles aux codes alternatifs qu’il s’agit simplement d’adapter à leurs capacités. L’enjeu est de leur permettre de communiquer et de favoriser la transition entre la communication intentionnelle non symbolique et la communication symbolique. À cet égard, le recours à un code de substitution peut n’avoir qu’un caractère temporaire et être plus à même de promouvoir le développement du langage oral que les prises en charge orthophoniques « classiques ».

Les habiletés en numératie et littéracie, importantes pour l’autonomie au quotidien, peuvent être développées à tout âge

Comme pour toute autre personne, la maîtrise de la numératie8 et de la littéracie9 est cruciale pour la qualité de vie des personnes avec une déficience intellectuelle. La recherche dans le champ des apprentissages a montré que les personnes avec une déficience intellectuelle peuvent progresser à tout âge et que les effets dits « plateau » proviennent parfois davantage d’un manque d’offre de stimulation qu’ils ne seraient une conséquence de la déficience intellectuelle.
En lecture, comme dans la maîtrise des habiletés numériques, les données longitudinales disponibles indiquent qu’il ne faut pas sous-estimer la capacité de ces personnes à progresser. Des progrès peuvent être attendus au-delà de l’âge scolaire. Un tel constat justifie de soutenir les apprentissages tout au long de la vie.
Dans ces deux domaines, le niveau de performance atteint par un individu dépend principalement de ses aptitudes intellectuelles et des opportunités qui lui sont données de recevoir une instruction dans le domaine concerné. La marge de progression des élèves avec une déficience intellectuelle, sous l’effet des conditions éducatives actuelles, est peu étudiée. Les informations disponibles restent imprécises et difficilement exploitables en raison d’informations datées, d’une trop grande agrégation des résultats et/ou d’une absence de volonté politique de veiller au recueil régulier et exhaustif de ce type de données.
En ce qui concerne les mathématiques, identifier les formes d’interventions efficaces à l’intention des personnes avec une déficience intellectuelle est une opération rendue compliquée par de multiples facteurs (qualité des études, atomisation de la littérature, diversité des conditions d’administration et de mise en œuvre des interventions, diversité, hétérogénéité et définition imprécise du public concerné). Toutefois quelques constats peuvent être dégagés.
Il est possible de distinguer trois manières d’agir : intervention par approche directe (pédagogique ou neuroéducative) avec action ciblée sur les habiletés numériques, intervention au moyen d’une approche indirecte agissant sur les habiletés numériques par l’entremise d’actions sur d’autres fonctions et finalement approche ergonomique mettant l’accent sur l’aménagement de l’environnement.
Les approches ciblées d’origine pédagogique recourent à des modalités variées : enseignement explicite et structuré, approche constructiviste et instruction en contexte réel. L’enseignement explicite et structuré met l’accent sur le rôle actif de l’enseignant et la transmission explicite des savoirs, ainsi que sur l’organisation structurée de la matière à enseigner. Les contenus enseignés sont présentés, décrits et/ou explicités de façon détaillée. L’efficacité de l’instruction structurée est confirmée auprès du public avec DI par plusieurs études de bonne qualité ; toutefois, cette approche convient mieux à certains contenus d’apprentissage comme par exemple les faits numériques. On sait aussi que pour être efficace, elle doit s’accompagner de conditions favorables (opportunités suffisantes d’exercer les compétences, individualisation de l’enseignement, confiance de l’enseignant dans le potentiel de l’élève, etc.). L’approche constructiviste postule que l’expérimentation active de l’apprenant est source d’apprentissage et de réflexivité. Très étudiée dans la population typique notamment pour ce qui est de l’apprentissage du sens du nombre et des connaissances préscolaires, sa mise en œuvre auprès des personnes avec une DI est rare et le manque de littérature ne permet pas de se prononcer sur son efficacité auprès de ce public. L’instruction en contexte réel met l’accent sur l’apprentissage par immersion dans les situations de la vie quotidienne. Son profit pour le public avec DI est corroboré par quelques études.
Les sciences cognitives et les neurosciences proposent désormais un ensemble d’outils qui, solidement basés sur les modèles théoriques, visent une action ciblée sur la cognition numérique et contribuent à élargir les moyens d’intervention auprès du public avec une DI. Les approches cognitives ciblées cherchent à agir sur les fondements cognitifs de la compréhension numérique en prenant en compte les spécificités du fonctionnement cognitif de l’apprenant. Les habiletés visées sont les processus qui servent de socle à la construction des compétences numériques ultérieures (subitizing10 , estimation, ligne numérique, représentation symbolique). Ce type d’intervention, qui peut reposer sur des logiciels de jeux mathématiques, vise à entraîner et/ou à optimiser les processus déficitaires. Actuellement, cette intervention ciblée est surtout introduite sous forme de remédiation auprès d’enfants typiques aux prises avec une dyscalculie sévère. Son introduction auprès des personnes ayant une DI débute à peine. Le défi des années à venir consistera à en tester systématiquement l’usage, et à en vérifier la plus-value, pour les personnes concernées.
Les approches cognitives incarnées considèrent que les fonctions cognitives supérieures s’enracinent dans l’activité et l’expérience corporelle (et sensorielle). Leur action consiste à proposer des expériences corporelles en lien avec le concept enseigné. L’apport encourageant de ce type d’intervention, tout juste introduit auprès des enfants typiques, n’a pour l’instant pas été documenté pour le public ayant une déficience.
L’approche métacognitive (ou enseignement stratégique) est une approche indirecte qui vise à aider l’apprenant à prendre conscience de son propre fonctionnement cognitif, c’est-à-dire permettre à la personne concernée de « remédier à ses processus déficitaires par l’acquisition de stratégies cognitives ». Cette approche cherche à favoriser la construction et l’utilisation indépendante de stratégies d’apprentissage chez les apprenants. Plusieurs synthèses ou méta-analyses confirment des effets modérés ou importants de cette approche sur l’apprentissage scolaire des élèves typiques, quel que soit leur niveau scolaire en numératie et en littéracie. La littérature montre que les élèves avec des besoins éducatifs particuliers profitent autant, si ce n’est plus, de cette forme d’instruction que leurs pairs typiques. La prise en considération de la métacognition dans la planification de l’enseignement à l’intention des personnes avec une DI reste cependant assez rare et peu documentée, en particulier en ce qui concerne l’enseignement mathématique.
L’approche de remédiation cognitive est elle aussi une approche indirecte. Elle vise à renforcer et/ou à optimiser le fonctionnement des processus cognitifs généraux avec le postulat sous-jacent suivant : l’entraînement des fonctions cognitives (par exemple, mémoire de travail, attention, raisonnement, fonctions exécutives, langage, etc.) n’améliorera pas seulement l’aptitude sur laquelle porte l’entraînement, mais les progrès réalisés pourront se transférer à d’autres tâches (numératie, littéracie) que celles exercées. Une revue systématique des interventions cognitives conclut que ces mesures de remédiation, bien que possiblement prometteuses, en sont encore à leurs balbutiements dans le champ de la DI.
Enfin, l’ergonomie cognitive consiste à aménager l’environnement pour rendre les milieux et les informations accessibles, compréhensibles et utilisables par tous. Malgré des preuves encore peu nombreuses, l’ergonomie cognitive semble prometteuse, les parents, les enseignants et les autres professionnels, doivent être encouragés à rendre accessibles les informations numériques en jouant sur les différentes manières de représenter les quantités pour faciliter le décodage, le dénombrement, le calcul, la compréhension et l’utilisation des algorithmes, la production de la comptine numérique ou encore la résolution de problèmes.
En ce qui concerne les contenus mathématiques enseignés, seul un nombre limité d’études a jusqu’ici cherché à évaluer les effets d’interventions destinées à agir sur la compréhension et le sens du nombre. À l’inverse, l’apprentissage des procédures, c’est-à-dire l’entraînement de séquences d’actions permettant de résoudre un problème académique (calcul, opérations élémentaires, etc.) ou fonctionnel (manipulation de l’argent, etc.) constitue un objectif d’enseignement plus fréquemment étudié. L’apprentissage des procédures est important car il est à l’origine de l’automaticité qui permet d’accroître la vitesse et l’exactitude des réponses lors de la résolution d’opérations. Toutefois en raison de leur rôle capital, le sens du nombre, le raisonnement mathématique et les connexions concret-abstrait sont aussi des contenus de tout premier plan et il est indispensable qu’ils soient étudiés et entraînés de façon plus systématique. La littérature rapporte finalement que les personnes avec une DI sont rarement encouragées à développer des savoirs plus exigeants que les opérations et les connaissances de base, ce qui les pénalise pour leur insertion dans la communauté. Concernant les supports d’enseignement, les manuels traitant de l’éducation des élèves avec une DI n’abordent que rarement l’enseignement des mathématiques.
Être renseigné sur la nature exacte des difficultés numériques d’une personne constitue un point de départ indispensable à l’enseignement et à l’entraînement des habiletés numériques. Une évaluation complète et précise est préconisée pour faire apparaître le profil de forces et de faiblesses de l’individu. Deux types d’outils sont disponibles : les uns reposant sur les modèles théoriques développés en psychologie et neuropsychologie, adaptés à un public typique ; les autres reposant sur les performances mathématiques en référence à un plan d’étude donné. Dans certains cas, ces derniers sont parfois adaptés pour les publics avec des besoins éducatifs particuliers. L’évaluation suppose la prise en compte de l’ensemble des sous-composantes sous-tendant les habiletés numériques (subitizing, estimation de numérosité, ligne numérique, comptage, opérations simples, situations problèmes, etc.), ainsi que l’ensemble des processus cognitifs globaux qui sont impliqués dans la résolution des tâches numériques.
On dispose actuellement des connaissances de plus en plus précises sur le rôle des mécanismes cognitifs qui sous-tendent les compétences numériques dans le fonctionnement typique et atypique. Dans la population ayant une DI, les résultats des études syndromiques montrent que :
• le fonctionnement mathématique des personnes concernées n’est pas uniformément déficitaire. La littérature rapporte que certaines pathologies, par exemple le syndrome de Williams, la trisomie 21, le syndrome velo-cardiofacial, etc., tendent à affecter plus particulièrement certains processus et à en épargner d’autres et que ces désordres génétiques donnent lieu à des profils de compréhension mathématique particuliers ;
• un même profil cognitif peut se retrouver dans plusieurs syndromes.
Actuellement, la compréhension de ces profils de forces et de faiblesses ne concerne encore qu’un nombre limité de syndromes. La compréhension du fonctionnement des personnes ayant une DI idiopathique dans le domaine des mathématiques n’est pas aussi avancée que celle des populations atteintes d’un syndrome mieux délimité. Les auteurs s’accordent sur le fait que les données issues des études syndromiques peuvent aussi servir de modèles pour la compréhension des troubles dans d’autres conditions cliniques. Pour cette raison, il est nécessaire de ne pas cloisonner les corpus de connaissances.
En ce qui concerne la littéracie, on a longtemps considéré comme banal que les élèves ayant une déficience intellectuelle ne soient capables ni de lire, ni d’écrire à l’issue de leur scolarité. Actuellement, cette conception est battue en brèche ne serait-ce que par le rappel du droit de chacun à être participatif socialement. Dans un monde saturé d’écrit, dit « de l’information », la littéracie apparaît, en effet, comme un levier essentiel de la participation sociale. Par ailleurs, la dernière définition de la DI émanant de l’AAIDD (2010) fait un lien explicite entre le comportement adaptatif et les compétences conceptuelles qui comprennent précisément la littéracie. Elle remet en cause une conception dichotomique de l’apprentissage dans laquelle les apprentissages « pratiques-concrets » sont opposés aux apprentissages « conceptuels-abstraits ». Ce type de compréhension, erroné, s’accompagne de représentations néfastes et non justifiées (littéracie inaccessible en raison de l’impact de la déficience intellectuelle sur les capacités d’abstraction).
De nombreuses recherches se sont intéressées aux conditions facilitant l’entrée dans l’écrit des jeunes enfants avec des étiologies différentes. Il a, par exemple, été démontré que les enfants nés avec une trisomie 21 profitent davantage des entrées visuelles que des entrées auditives, ce qui a ouvert la voie à des méthodes d’apprentissage tablant sur cette force et visant à faire progresser les jeunes enfants à l’aide de programmes d’intervention précoce, structurés et intensifs. Le soutien à la littéracie passe aussi par le développement des compétences communicationnelles et de langage (augmentation du vocabulaire, reconnaissance de mots, compréhension et expérimentation du plaisir et de l’intérêt de partager au moyen d’intermédiaires tels qu’images, mots écrits, signes et mots prononcés, etc.). La conscience phonologique est un prédicteur important de performances en littéracie des jeunes enfants. Chez les enfants avec trisomie 21, cette acquisition pose des difficultés particulièrement importantes et des résultats de recherche vont dans le sens de donner un caractère davantage prédicteur de progression à l’étendue du vocabulaire expressif qu’au niveau de la conscience phonologique. L’intervention recommandée passe alors par le soutien à une extension du vocabulaire réceptif et par une approche logographique. L’efficacité de ces programmes est documentée dans plusieurs recherches qui montrent que les enfants ayant l’opportunité de les suivre parviennent notamment à reconnaître et à apprendre de nouveaux mots écrits. La littérature recommande du reste de prolonger les entraînements de la conscience phonologique après la petite enfance lorsque cela s’avère nécessaire. Les jeunes enfants avec trisomie 21 ou porteurs d’une déficience intellectuelle avec des atteintes de leur appareil phonatoire ou auditif font aussi souvent face à des difficultés dans leur production langagière et dans la compréhension de leurs interlocuteurs et il est primordial de ne pas décourager ces enfants dans leurs efforts de communication. Cette préoccupation est prise en compte dans les programmes mentionnés précédemment qui s’ajustent aux possibilités de l’enfant et lui offrent un bain de culture lui permettant de se construire une identité valorisée de partenaire d’échanges de symboles.
La période de la scolarité obligatoire est caractérisée par l’importance accordée à la construction de compétences en lecture, écriture et calcul, de plus en plus complexes au fur et à mesure de la progression des attentes du plan d’étude national, comme en témoignent les études PISA. En revanche, pour les élèves porteurs de DI, ils sont encore nombreux à suivre une scolarité sans obligation de résultats dans le domaine de la lecture. Aujourd’hui, en ce qui concerne les voies d’enseignement, les auteurs semblent unanimes dans un appel à en finir avec les approches décontextualisées et simplifiées. La source d’inspiration est à rechercher notamment dans les approches dites de « littéracie émergente »11 . La préoccupation à l’égard des conséquences de l’illettrisme dans la vie des personnes avec une DI conduit peu à peu à augmenter les ambitions en les faisant entrer dans les méthodes élaborées pour les enfants sans DI. S’il est vrai que la DI impacte des processus cognitifs complexes engagés dans l’apprentissage de l’écrit, il serait en revanche faux de penser fournir une aide en découpant la complexité de cet apprentissage et en le concevant comme une maîtrise successive de sous-compétences. En effet, ce mode d’enseignement modulaire passe par des tâches réalisées isolément (travailler le phonème et le graphème « a », faire une série de bâtonnets sur une feuille lignée, etc.) qui présentent l’inconvénient majeur de ne pas en véhiculer le sens qui doit être rendu accessible aux élèves avec une DI lors de chaque tâche proposée. Les méthodes recommandées sont holistes, elles seront efficaces à la condition de remplir certains critères : être intensives et structurées, permettre l’accès au sens, combiner toutes les composantes de l’apprentissage en littéracie (communication orale, conscience phonologique, système/code écrit, graphème-phonème, assemblage/segmentation, vocabulaire, compréhension, etc.), fournir des stratégies pour aborder, faire et extraire du sens du code, offrir des chances d’appliquer des connaissances apprises et rendre les liens explicites. Deuxièmement, l’élève avec DI doit pouvoir bénéficier d’un programme personnalisé qui tient compte de son niveau dans différentes composantes. Cela revient à mettre au centre la capacité des enseignants à travailler dans la zone proximale de développement et éviter ainsi de perdre son élève soit par des tâches dépassant ses compétences, soit par la démotivation engendrée par la répétition. Troisièmement, l’évaluation de la progression de chaque élève a toute sa place. Elle permet à l’enseignant de planifier son enseignement et donne à l’élève des balises sur le chemin à parcourir vers la maîtrise de compétences en littéracie. Enfin, la définition de la littéracie au sens restreint concerne l’apprentissage de la lecture et de l’écriture et il n’est pas souhaitable de les tenir à distance l’un de l’autre. Au contraire, il faut les considérer comme deux piliers des progrès en littéracie se renforçant l’un l’autre : en écrivant, on apprend à lire et vice et versa.
Le principe de non-discrimination des personnes avec une DI leur ouvre le droit à l’accès à la formation continue et à l’apprentissage tout au long de la vie. Même si la DI rallonge les temps d’apprentissage, il revient aux formateurs la responsabilité de ne pas fixer de limites a priori et d’offrir à ce public les stimulations nécessaires au maintien ou développement de nouveaux savoirs. La littérature montre que l’âge adulte peut être un moment propice à ce type d’apprentissage. Dans le domaine de la littéracie, comme dans d’autres domaines, la déficience intellectuelle impose des contraintes particulières et demande une persévérance, un engagement accru, des savoirs experts et des méthodes d’enseignement qui soient adaptées ou, du moins, adaptables moyennant un investissement raisonnable.

Les capacités d’autodétermination, fortement influencées par l’environnement, évoluent tout au long de la vie

L’autodétermination nécessite des habiletés et aptitudes chez une personne lui permettant d’agir directement sur sa vie en effectuant librement des choix non influencés par des agents externes indus. Quatre composantes sont essentielles pour qu’un comportement soit autodéterminé : la personne agit de manière autonome, les comportements sont autorégulés, la personne entreprend et répond aux événements selon l’empowerment psychologique et elle agit de manière auto-actualisée. Les comportements autodéterminés représentent donc un ensemble d’habiletés (comportement autonome et autorégulation) et d’attitudes (empowerment et auto-actualisation) qui ont besoin les unes des autres.
Les facteurs majeurs déterminant l’émergence de l’autodétermination peuvent être personnels (capacités individuelles liées aux situations d’apprentissage, au développement personnel et aux croyances ou perceptions) ou environnementaux (occasions fournies par l’environnement, les expériences de vie et les croyances ou perceptions). Le degré d’autodétermination s’inscrit dans un continuum et évolue dans le temps selon le développement des quatre composantes essentielles.
La reconnaissance du droit des personnes présentant une déficience intellectuelle à l’autodétermination et à disposer d’elles-mêmes, est un pilier fondamental de l’égalité des chances et de la qualité de vie.
Le but de tout accompagnement est de rendre la personne aussi indépendante que possible. La connaissance de soi et la conscience de soi se développent au travers d’expériences, d’environnements et de contacts avec des personnes signifiantes. Il existe des influences mutuelles entre la personne, ses perceptions et attentes, les croyances de l’entourage et les occasions fournies par l’environnement.
Les environnements qui n’offrent pas ou peu d’opportunités et/ou de situations susceptibles de favoriser l’acquisition des habiletés nécessaires à la prise de décisions et au choix, comme les environnements surprotégés, limitent le développement de l’autodétermination.
Compte tenu de l’influence importante de l’environnement, il est nécessaire pour favoriser l’autodétermination de s’intéresser à l’individu en relation avec le monde dans lequel il évolue et de former tant les personnes elles-mêmes que les professionnels et les parents.
Des outils spécifiques permettent d’évaluer l’autodétermination chez les personnes présentant un handicap : citons trois outils les plus utilisés et disponibles en langue française.
L’échelle d’autodétermination de l’ARC (Association for Retarded Citizens des États-Unis) composée de quatre sections correspondant aux quatre composantes essentielles de l’autodétermination, existe en deux versions, l’une pour adolescents, l’autre pour adultes. Cette échelle permet aux éducateurs d’identifier les forces et limites en termes d’autodétermination des personnes avec DI, et aux chercheurs, d’explorer la relation entre l’autodétermination et les facteurs qui la favorisent ou l’inhibent. L’échelle d’autodétermination du Laridi (Laboratoire de Recherche Interdépartemental en Déficience Intellectuelle) est une validation transculturelle de l’échelle d’autodétermination de l’ARC. L’échelle d’autodétermination de l’AIR (American Institutes for Research) aborde l’aptitude à l’autodétermination ainsi que les opportunités offertes. Cet outil permet d’évaluer et d’élaborer des stratégies visant à améliorer le niveau d’autodétermination. Cet outil qui existe en trois versions (version éducateur, version parent et version adolescents et jeunes adultes) présente de bonnes qualités psychométriques.
Les programmes s’adressant directement aux personnes sont très variés, allant d’une approche clinique ou encore de programmes liés à l’apprentissage visant une autodétermination globale, l’une de ses composantes spécifiques ou encore des apprentissages spécifiques. Seules l’autonomie ou l’autodétermination ont été étudiées dans cette expertise.
Les méthodologies applicables au développement de l’autonomie préconisent divers lieux : en classe, en situation réelle ou virtuelle. Si on prend l’exemple de l’apprentissage « traverser la rue », les trois méthodes apparaissent efficaces avec toutefois de meilleurs résultats après une instruction en situation réelle. Une importante littérature aborde l’autonomie dans des domaines spécifiques tels que la santé et le bien-être, la sécurité personnelle, la gestion du temps, les déplacements, les activités culinaires, etc.
De nombreuses techniques d’apprentissage se révèlent efficaces auprès des personnes avec déficience intellectuelle : instructions verbales et visuelles, incitations (picturales, auditives, tactiles), aides (picturales, auditives, tactiles), modelage, répétitions, feedback, jeux de rôles et simulation. Les technologies électroniques complètent ces techniques éducatives. Les technologies d’assistance adaptées permettent efficacement la gestion de comportements et un fonctionnement autonome et indépendant dans des usages multiples. Il résulte de l’utilisation de ces technologies, une bonne généralisation, c’est-à-dire sur différents lieux et dans différentes activités, plus d’initiative, une plus grande performance, une plus grande participation, moins d’incitations de tiers, une utilisation autonome d’horaires (maison, école), une rapidité accrue, plus d’étapes réussies de manière indépendante, un maintien des acquis après estompage des incitations sonores, etc. Il est toutefois nécessaire d’adapter le ou les systèmes d’apprentissage au fur et à mesure de l’évolution de l’apprenant ou du changement de tâche en recourant notamment à des procédures d’estompage, c’est-à-dire une diminution progressive des aides apportées.
Concernant les enfants, on considère généralement que les (petits) enfants n’ont pas encore le niveau de développement cognitif et émotionnel leur permettant d’agir de manière autonome et autorégulée. Cependant, il est extrêmement important, dès le plus jeune âge, de leur permettre des choix simples, de les impliquer dans des résolutions de problèmes en leur procurant de l’aide et dans des prises de décisions quotidiennes.
Il est bien reconnu que l’adolescence est une période déterminante pour l’avenir d’un individu. Aussi, il existe beaucoup de littérature, de recherches, d’outils spécifiques aux adolescents. On remarque toutefois que certains domaines restent à exploiter, notamment l’autodétermination des adolescents avec déficience sévère.
Ceux-ci pourraient effectivement être moins équipés pour entreprendre certains aspects du processus multidimensionnel. Ils bénéficient moins que d’autres d’opportunités fréquentes, intentionnelles et adaptées, leurs compétences sociales et problèmes de comportement sont susceptibles de limiter leurs opportunités d’autodétermination.
Pour un adulte, l’autodétermination mène à une plus grande indépendance et améliore de nombreux aspects, comme la vie professionnelle, la santé, le bien-être psychologique et la qualité de vie. Or, le style de vie peut limiter les opportunités permettant de se comporter de façon autodéterminée. Il est montré que les personnes vivant de manière semi-indépendante ont plus d’occasions de faire des choix et de prendre des décisions. Vivre en famille ou dans des petites structures où les accompagnants ne sont pas toujours présents, mène à plus de choix ; un planning centré sur la personne permet à la personne sévèrement déficiente d’atteindre un niveau d’autodétermination plus élevé ; les personnes sans aidants ont plus de contrôle sur leur propre vie ; les programmes et politiques de soutien à l’autonomie, l’individualisation et les routines mènent à une autodétermination plus importante.
La vie en institution des personnes âgées peut limiter les opportunités d’exercer leur autodétermination. Le soutien doit donc s’accroître. Quelques stratégies reposant sur une planification de l’intervention centrée sur la personne ou d’objectifs collaboratifs et impliquant l’équipe professionnelle et la famille sur les questions de santé, de bien-être, de travail après la retraite, des loisirs ou encore des finances… seraient bénéfiques. Les personnes vieillissantes font ainsi plus de choix, atteignent plus facilement leurs objectifs, se montrent plus satisfaites de leurs loisirs et, donc de leur vie.
Si un niveau cognitif limité peut nuire à la compréhension d’une réalité aussi abstraite que la fin de vie, et même si le faible niveau intellectuel limite souvent le repérage dans la chronologie des événements et entraîne des confusions et des méconnaissances quant aux circonstances et aux causes du décès, la réalité de la mort semble bien saisie. Il est extrêmement important de conserver des relations au passé, présent et futur, de tenir compte de la spiritualité, de respecter les souhaits et conviction des personnes avec déficience intellectuelle en fin de vie.
Les avancées dans le domaine de l’autodétermination sont indéniables, pour preuve les recommandations de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies. De même, des outils d’évaluation de l’autodétermination et des programmes d’intervention existent, mais trop peu sont encore socialement validés. Ils ne couvrent pas la diversité des tranches d’âge et/ou les types et sévérités des handicaps et de nombreux domaines restent à exploiter. Manquent pour les (futurs) professionnels psycho-médico-sociaux, les parents et les personnes elles-mêmes des activités de formation (continue) et le soutien nécessaire qui permettraient à tous d’intégrer les notions, les mécanismes, les techniques de l’autodétermination.

L’accompagnement adéquat des personnes repose sur une évaluation précise et répétée dans le temps des besoins de soutien

Les modèles de compréhension de la DI des dernières décennies prennent en compte le fonctionnement global de la personne handicapée en interaction avec le contexte dans lequel elle vit. La question centrale pour accompagner la personne n’est plus seulement d’établir un aperçu du déficit d’intelligence et du manque d’habiletés mais d’estimer et de développer d’emblée le soutien nécessaire afin de promouvoir une qualité de vie satisfaisante pour la personne, comparable aux conditions de personnes typiques du même âge et de même culture.
Cela ne diminue en aucune façon l’importance d’un diagnostic complet du fonctionnement y compris de l’intelligence, des habiletés adaptatives, de la participation sociale, de la santé, de l’étiologie et du contexte. L’accompagnement a pour objectif de résoudre les problèmes de fonctionnement afin de promouvoir la qualité de vie.
La définition d’un Plan de Soutien doit s’appuyer non seulement sur l’évaluation des domaines et l’intensité des besoins de soutien (différents outils existent pour cela), mais aussi sur les ressources mobilisables et sur des stratégies efficaces.
Ainsi, la pratique professionnelle clinique de l’accompagnement peut être organisée autour de 4 questions centrales :
• quels sont les problèmes et les forces du fonctionnement de la personne ? Évaluation (diagnostic) de l’intelligence, comportement adaptatif, situation sociale (relations, réseau social), santé et étiologie, facteurs environnementaux (physique, social, attitudes, budgets) et personnels (sexe, origine ethnique, âge, style de vie, habitudes, éducation, événements passés et présents de la vie, caractère) ;
• quels sont les besoins de soutien de la personne ? Évaluation de l’incongruence entre la compétence de la personne et les attentes de son environnement, prise en considération de son âge et de sa culture ; identification des expériences de vie de la personne et objectifs souhaités ;
• comment planifier le soutien ? Prioriser les besoins et les objectifs du soutien ; identifier les ressources de soutien requises ; développer des stratégies ; écrire un plan ; monitorage du plan ;
• quels sont les résultats des interventions de soutien ? À quel point ont été atteints les résultats personnels souhaités ; dans quelle mesure est-ce que la personne a profité du soutien offert ; comment a été améliorée la qualité de sa vie ?
Au niveau de l’évolution des politiques concernant le handicap, la « Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) » de 2006 présente un cadre universel et juridiquement obligatoire pour les législations nationales qui ont ratifié la Convention, telle que la France. Elle forme le cadre socio-politique et représente des valeurs essentielles de l’accompagnement, tout à fait compatibles avec la notion de qualité de vie. Elle précise implicitement la mission des disciplines et services professionnels pour contribuer à la valorisation du fonctionnement des personnes ayant une DI dans un esprit d’égalité sociale et à leur inclusion dans la société.
Les valeurs de développement de la qualité de vie portées par cette convention sont universellement reconnues et acceptées par la vaste majorité des nations comme cadre pour leur législation sociale. Cependant, on peut observer que les valeurs de cette politique ne sont pas encore suffisamment traduites dans la vie quotidienne des personnes, dans leurs activités (éducation, travail, lieux de loisirs, de culture, de sport ou de divertissement), dans leurs soins médicaux. Le passage d’une énonciation de droits à un exercice concret de ces droits ne représente pas seulement un défi pour le législateur, mais aussi pour les cadres et les professionnels opérant dans le secteur de la DI, voire pour l’ensemble de la société.
Les services d’accompagnement ont connu en Europe et aux États-Unis une évolution notable au cours du dernier siècle dans le sens d’une désinstitutionnalisation et du développement de petites unités dans la communauté. L’évaluation internationale de cette évolution montre que transférer la localisation du soutien de l’institution vers la communauté est une condition importante, mais pas du tout suffisante pour améliorer les résultats de l’accompagnement en termes de qualité de la vie. Bien que vivre dans la communauté soit nettement avantageux pour des personnes avec une DI légère ou modérée, les résultats sont moins concluants chez les personnes avec DI nécessitant des besoins de soutien intenses, ou ayant des problèmes de comportement ou encore un problème d’adaptation sociale. Dans ces conditions, la mise à disposition de services d’aide est nécessaire.
La question essentielle sur la qualité de l’accompagnement, est plutôt comment lier les personnes ayant une DI à leurs communautés ? Comment mettre en œuvre les valeurs de la Convention dans la vie des personnes avec une DI ? Comment promouvoir la position et la participation des personnes avec une DI dans la société ? Le problème essentiel sur la qualité de l’accompagnement est plutôt le degré de ségrégation des personnes avec une DI que le type ou la localisation d’établissement ou d’un service. L’évolution actuelle table sur la promotion des personnes en tant que telles où il ne s’agit pas de les « prendre en charge » mais de leur permettre de développer leurs capacités au sein de la communauté avec des aides appropriées.

La mesure de la qualité de vie permet d’orienter l’accompagnement et d’évaluer les interventions

La qualité de vie (QV) est définie comme un concept reflétant les conditions de vie souhaitées par une personne selon huit dimensions essentielles : le bien-être émotionnel, les relations interpersonnelles, le bien-être matériel, le développement personnel, le bien-être physique, l’autodétermination, l’inclusion sociale et les droits. Cette définition fait actuellement l’objet d’un consensus auprès des chercheurs.
Les nombreuses échelles permettant de mesurer la QV décrites dans la littérature contiennent des composantes objectives et/ou subjectives et diffèrent les unes des autres par la variabilité des domaines et indicateurs qu’elles utilisent. Deux types d’échelles d’évaluation existent : les échelles « génériques » évaluant la QV d’individus issus de la population générale et les échelles « spécifiques » s’adressant à des individus présentant une pathologie spécifique.
Des difficultés inhérentes à l’administration de ces outils aux personnes présentant une DI ont été mises en évidence. En effet, la qualité des réponses est fonction du degré de compréhension des questions posées et des capacités des personnes à y répondre. Ainsi, plusieurs stratégies ont été mises en place pour apprécier la validité des réponses : évaluation des capacités d’abstraction par le pré-test de Cummins ; échelle adaptée aux personnes avec DI comme la WHOQOL-DIS, échelles sollicitant l’entourage. Concernant ces dernières, les études montrent des résultats plus ou moins concordants entre la dyade personne/entourage, probablement pour des raisons méthodologiques, d’où la nécessité d’une standardisation des méthodologies et d’une réduction des biais.
Il existe peu de recherches sur l’évaluation de la QV des enfants et adolescents, en général, et encore moins pour les populations jeunes avec DI. Les parents et les professionnels de santé s’expriment le plus souvent au nom de l’enfant. Cependant, quatre échelles validées sont décrites dans la littérature : ComQol-S, KIDSCREEN-52, Peds-QL destinées à une population tout-venant et la CP QOL-Child destinée aux enfants ayant une paralysie cérébrale. Ces outils reposent sur des modèles de QV différents les uns des autres, renvoyant, par exemple, à une mesure du sentiment de bonheur (CPQOL), ou à une fréquence d’apparition d’un problème causé par le déficit de santé du jeune individu (Peds-QL). Il n’existe aucun instrument de mesure de QV adapté aux populations d’enfants avec DI.
Aucune échelle de QV destinée aux personnes vieillissantes avec DI n’est décrite dans la littérature alors qu’on constate une augmentation de l’espérance de vie de cette population. L’avancée en âge est pourtant associée à des événements qui influencent de manière significative la vie et sa qualité : disparition d’un proche, émergence d’une pathologie gériatrique.
La qualité de vie familiale a été récemment prise en considération par les professionnels en raison d’une part, de son évaluation dans la lignée des recherches sur la QV des personnes ayant une DI, et d’autre part surtout parce que de plus en plus de personnes vivent auprès de leur famille plutôt qu’en institutions et dans des services spécialisés. Cinq échelles sont couramment utilisées pour évaluer la QV familiale (the Quality of Life Questionnaire, the Family Quality of Life, the Beach Center Family Quality of Life Scale, the Family Quality of Life Questionnaire for Young Children with Special Needs, et the Latin American Quality of Life Scale), mais elles n’analysent pas suffisamment la dynamique familiale et présentent principalement des indicateurs relatifs à la QV individuelle.
Les échelles de QV ont permis de montrer en grande partie les facteurs et les caractéristiques personnels et environnementaux influençant le bien-être des personnes. La disponibilité des aidants naturels et l’établissement d’un programme individualisé centré sur la personne ont un impact significatif sur les résultats de la QV. Les opportunités d’indépendance comme la désinstitutionnalisation et exercer un emploi en dehors du milieu de vie s’avèrent de puissants moteurs pour améliorer le bien-être des individus. Les pratiques inclusives répondent également aux besoins des personnes fragilisées en augmentant leurs capacités d’autodétermination. Cependant, les personnes avec une DI sévère sont celles qui présentent le plus une QV moindre.
Les services accueillant des personnes ayant une DI ont de plus en plus recours à la mesure de la qualité de vie. Une telle mesure est bénéfique pour la personne en situation de handicap de différentes manières car elle permet : de centrer les professionnels et les services fournis sur l’individu lui-même ; de mesurer l’impact des services sur la vie de l’individu, incitant à la normalisation, et de mettre l’accent sur l’auto-détermination et l’empowerment, l’ensemble concourant à proposer un programme d’accompagnement de qualité.

Intervention et éducation précoces favorisent le développement

L’intervention précoce est définie comme un ensemble d’actions pluridisciplinaires destinées à des enfants âgés de 0 à 6 ans présentant des signes ou des facteurs de risque de troubles du développement, ainsi qu’à leurs parents. L’intervention précoce est nécessairement à multiples facettes et l’éducation se situe dans cet ensemble.
Les travaux existants montrent qu’il est capital de renforcer les compétences de l’enfant, de mettre l’accent sur ses capacités d’agir et d’être autonome, plus que sur ses « manques », mais aussi de revaloriser les parents dans leur propre rôle parental pour qu’ils parviennent à concevoir leur enfant comme enfant en développement et pas seulement comme enfant handicapé. L’attention et le soutien de professionnels qualifiés permettent alors de co-construire une « résilience assistée » dans le processus de parentalité, souvent rendu difficile à la suite de « l’annonce » du handicap.
De nombreux travaux ont été menés aux États-Unis sur les effets à plus ou moins long terme des programmes d’intervention précoce envers des enfants « désavantagés » socialement et des enfants avec retards de développement, dont des enfants avec DI, par exemple porteurs d’une trisomie 21. Pour ce syndrome, une méta-analyse a relevé les effets positifs d’une intervention précoce concernant l’amélioration cognitive, une meilleure adaptabilité, une amélioration de la motricité fine et de l’autonomie.
Les bilans critiques effectués ont mis en évidence des orientations plus efficaces correspondant à de « bonnes pratiques » : continuité des actions au-delà de la petite enfance, sous peine d’estomper les effets favorables ; aides au développement de compétences chez l’enfant (plus efficaces que la centration sur des déficits constatés) ; collaborations interprofessionnelles et travail en réseaux ; participation directe et valorisation des parents.
La formulation la plus répandue en France pour désigner les services et les pratiques d’intervention précoce visant les jeunes enfants en situation de handicap et les enfants avec DI est généralement celle de l’action médicosociale précoce, développée dans les centres du même nom (CAMSP, habilités pour les âges de 0 à 6 ans), qui ont un rôle de « pivot » essentiel entre des services en amont (dont les services hospitaliers) et les services en aval (dont les institutions éducatives). Ils ont un rôle de prévention, de dépistage, de traitement précoce, ainsi que d’accompagnement des parents, en liaison avec les institutions ordinaires de la petite enfance. Les CMP (Centres Médico-Psychologiques) et CMPP (Centres Médico-Psycho-Pédagogiques) jouent aussi un rôle important, accueillant sous forme de consultations et de traitement ambulatoires, enfants et adolescents, en principe âgés de 0 à 20 ans, ainsi que leurs parents lorsque se présentent des troubles psycho-affectifs, des troubles du comportement ou des troubles neurodéveloppementaux.
À l’âge scolaire, les jeunes enfants avec DI peuvent être accueillis dans des structures spécialisées polyvalentes ou dans des institutions éducatives destinées à tous. Les Services d’éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad) permettent de poursuivre l’accompagnement des enfants en relais des CAMSP, pour coordonner le suivi psychologique, éducatif et rééducatif, en partenariat avec les parents et l’école. Certains sont spécifiquement consacrés à des enfants atteints de trisomie 21 (pour des âges plus étendus, soit de 0 à 20 ans).
Dans les bilans critiques sur les services existants, un point essentiel est celui de la coordination des services, des mises en réseau de ressources pour répondre aux attentes de familles, dans le cadre d’une offre souple et diversifiée.

L’éducation inclusive pour l’accueil des enfants et adolescents avec DI doit s’appuyer sur la définition d’objectifs d’apprentissage personnalisés

Les débats de ces dix dernières années sur la scolarisation des enfants en situation de handicap se sont focalisés sur l’éducation dite « inclusive ». La littérature internationale témoigne de cette évolution qui succède à la fois à l’éducation spéciale et à l’éducation intégrative.
L’éducation spéciale repose sur une culture de la séparation ; l’intégration scolaire situe les élèves « intégrés » dans un statut de « visiteurs » dans l’école ordinaire, selon des modalités très diverses : présence en classe ordinaire, présence en classe spécialisée « annexée », temps partagés, éventuellement avec des temps en centres spécialisés extérieurs alors que l’inclusion scolaire les pose comme membres à part entière de la communauté scolaire. De manière plus prospective, de nombreux auteurs ou organismes internationaux définissent l’inclusion comme un processus de changement visant à vaincre les barrières aux apprentissages et à la participation de l’ensemble des apprenants. Le point central se concentre alors sur la capacité des systèmes éducatifs à répondre à la diversité des élèves.
La littérature internationale questionne ces orientations en comparant les effets résultant d’une éducation spécialisée versus ceux observés en inclusion scolaire, chez des groupes d’enfants avec besoins particuliers, et parfois avec DI. Les bilans et les méta-analyses d’études surtout développées aux États-Unis, montrent des résultats mitigés, mais ces bilans sont très critiques sur de nombreux points, comme la définition opérationnelle de l’éducation « inclusive », les failles des méthodologies utilisées, les critères retenus pour juger des effets, l’hétérogénéité et l’absence de description des populations étudiées, les personnels éducatifs ou aides impliqués, les pédagogies appliquées. Néanmoins, des enquêtes montrent que les enfants avec DI peuvent tirer avantage des situations inclusives, par exemple en alphabétisation ou en capacités adaptatives pour autant que soit défini pour eux un programme individualisé, poursuivant des objectifs similaires à ceux de la classe mais adaptés pour respecter le rythme des apprentissages. Les rares études ayant pour objectif de cerner les pratiques promouvant les relations positives entre pairs valides et handicapés (dont DI) indiquent que le tutorat peut y participer à condition que les activités soient structurées, dans un environnement adapté avec des soutiens.
Les inquiétudes sont nombreuses sur le fossé entre les orientations inclusives générales et les mises en pratique, spécifiquement pour enfants avec DI. Les professeurs se disent non préparés d’où la demande d’appuis. Le bilan de la littérature sur le rôle de « supports assistants » est contrasté : avis favorables pour l’aide apportée aux apprentissages mais aussi obstacle au processus d’inclusion et à l’autonomisation des élèves. L’interrogation sur la pertinence ou non d’accorder systématiquement une aide humaine supplémentaire dans les différents cas de scolarisation de personnes avec DI en milieu ordinaire reste très largement ouverte ainsi que sur la formation de ces aidants. Dans tous les cas, il s’agit d’éviter de faire une classe dans la classe mais au contraire, de permettre à l’élève avec DI de participer à toutes les activités.
En France, la loi du 11 février 2005, au nom d’une logique de parcours de formation et non plus d’une logique de filières institutionnelles, a énoncé la priorité à la scolarisation en milieu ordinaire, mais elle permet aussi une scolarisation dite « adaptée », hors du milieu scolaire ordinaire, par exemple en milieu médico-éducatif. Le bilan global de la loi montre une progression de l’accueil en milieu ordinaire, mais le fonctionnement actuel des institutions reste encore fortement marqué par l’instauration historique de deux voies différentes de scolarisation pour enfants et adolescents avec DI, en partie liées (mais en partie seulement) à la sévérité estimée des déficiences : la population des enfants et adolescents avec DI représente de l’ordre de 75 % la population des Instituts médico-éducatifs. Les orientations des enfants s’effectuent à partir de l’évaluation pluridisciplinaire de leurs « besoins » et en fonction du Projet Personnalisé de Scolarisation (PPS) qui est un des éléments du Plan de Compensation du Handicap (PCH). Le PPS définit les modalités de déroulement de la scolarisation mais aussi, dans une perspective pluridisciplinaire, les diverses actions qui l’accompagnent en termes pédagogiques, psychologiques, éducatifs, sociaux, médicaux et paramédicaux. Il doit aussi s’articuler au Projet Individualisé d’Accompagnement (PIA), conçu et mis en œuvre dans un établissement ou service médicosocial. Quelles que soient les orientations effectives, mais encore plus celles qui concernent le milieu scolaire ordinaire, ce sont des objectifs d’apprentissage qui doivent guider les pratiques envers les enfants et adolescents avec DI et non simplement des « accueils ». Cet ensemble implique donc une collaboration effective entre les différents types de professionnels, par exemple pour le fonctionnement des Unités d’Enseignement, qui, en principe, peuvent se situer aussi bien en milieu scolaire ordinaire ou rester dans un établissement médico-social, selon un modèle traditionnel d’implantation.

Les transitions entre la scolarisation et l’accès à l’emploi sont des périodes sensibles nécessitant la continuité de l’accompagnement

Des ruptures et des discontinuités sont constatées dans le parcours de vie des personnes avec DI, au sein du système scolaire et lors du passage d’une vie d’élève à une vie de jeune adulte. Au cours de la scolarité, elles se manifestent par la diminution progressive de la population atteinte de DI avec l’avancée dans le cursus pour une affectation en instituts spécialisés. En France, la population des enfants avec DI diminue d’environ de moitié entre la scolarité primaire et la scolarité secondaire. Ces ruptures impliquent d’autres relations sociales, de nouveaux enjeux qui peuvent constituer des difficultés nouvelles, voire des obstacles, pour les personnes.
La littérature scientifique internationale montre que les transitions entre la scolarisation et l’accès à l’emploi sont difficiles pour les personnes avec DI. Leur moindre qualification est un obstacle supplémentaire souvent mentionné (« double peine »). L’école est décrite comme préparant généralement mal à la sortie du système scolaire, ce qui est sans doute le cas pour tous les jeunes, mais plus sévèrement encore pour les jeunes avec DI qui connaissent de nouveaux défis et sont confrontés à de nouvelles barrières. Des capacités d’adaptation et d’autonomisation leur sont réclamées sans y avoir été préparés. De l’élève au travailleur, au-delà des transitions institutionnelles, ce sont des transitions identitaires qui sont en jeu.
Aux États-Unis, des formations éducatives et professionnelles ont été développées pour jeunes avec DI sous le titre générique de programmes « Éducation post-secondaire ». Ces programmes, développés à la sortie de l’enseignement secondaire, présents sur des campus de « collèges » ou d’universités, sont le plus souvent « mixtes » ou « hybrides », c’est-à-dire offrant la possibilité de participer à certaines classes communes à tous, dans des activités dites « inclusives », et de bénéficier aussi d’activités spécifiques, par exemple, pour les initiations à la vie ordinaire et les initiations professionnelles. Une revue de la littérature des études menées entre 2001 et 2011 montre une grande variété de ces programmes de transition : centrés sur les arts, les compétences sociales, la transition vers la vie adulte, l’apprentissage de la vie ordinaire, l’orientation professionnelle, etc. Parmi ces bilans, certains montrent des résultats positifs en termes d’apprentissages, de ressources pour l’emploi, d’interactions avec leurs pairs. Cependant, il convient de ne pas se limiter à la question de l’accès à l’emploi et à la productivité professionnelle, mais d’avoir une vision plus « holistique » des résultats escomptés et de tenir compte aussi du milieu de vie, des relations sociales, de la participation aux activités avec les autres. Des suggestions de bonnes pratiques résultent de ces analyses, parmi lesquelles : mettre en place des pratiques de transition validées sur le plan scientifique tôt dans la carrière scolaire de l’élève, positionner la personne comme acteur de son projet de vie et favoriser son autodétermination ; développer le rôle des parents et leur participation au processus de transition ; former les professionnels de l’école et autres professionnels en les rendant sensibles aux potentiels des personnes avec DI pour des apprentissages tout au long de la vie ; impliquer les milieux environnants dans la perspective de l’éducation inclusive, avec la promotion de projets innovants. Une étude comparative menée sur l’efficacité de politiques scolaires sur la transition école-formation professionnelle-emploi, c’est-à-dire sur l’impact de mesures d’éducation intégrative/inclusive dans quelques pays européens (Allemagne, Autriche, Espagne, Italie) a produit des conclusions mesurées et prudentes : il n’y a pas d’évidences en faveur de telle ou telle formule politique en matière de scolarité des jeunes en situation de handicap leur permettant une meilleure insertion professionnelle. À noter, les définitions du handicap varient selon les pays.
En France, plusieurs dispositifs spécifiques ont été mis en place. Les Unités localisées pour l’inclusion dites professionnelles (ULIS-PRO), généralement situées dans un lycée professionnel, sont destinées à prolonger les actions éducatives des Unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) et faciliter les passages vers l’emploi pour les jeunes en situation de handicap dont les jeunes avec DI. Leur visée est d’accompagner les jeunes avec DI dans un projet de formation et d’insertion, par exemple en utilisant les stages en entreprises. Un « projet personnalisé d’orientation » est requis au sein du « projet personnalisé de scolarisation ». Comme tout élève de lycée professionnel, le jeune avec DI doit disposer d’un livret personnalisé de compétences. Un des effets de ces dispositifs est le changement des représentations de soi par les jeunes vers la construction d’une nouvelle identité professionnelle. Les dispositifs médico-sociaux, les IMpro (Instituts Médico-Professionnels) qui accueillent des jeunes avec DI présentant des difficultés généralement plus importantes, sont également destinés à orienter professionnellement les jeunes, le plus souvent vers des structures d’emploi dites « protégées ».
Des dispositifs d’aide sont aussi fournis jusqu’à l’âge de 20 ans par les Services d’éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad). Certains de ces services sont précisément orientés vers l’insertion professionnelle (Sessad-pro) par exemple pour les âges de 16 à 20 ans.
Des dispositifs expérimentaux d’accès à l’emploi ont été mis en place en France, par exemple pour des jeunes avec trisomie 21 âgés de 16 à 26 ans dans une perspective d’ouverture aux dispositifs d’emploi ordinaire. Il s’agit de concevoir cette insertion comme une « suite logique » dans un parcours et d’assurer des accompagnements à tous niveaux, c’est-à-dire de tous les acteurs impliqués et non seulement des jeunes concernés : soutien aux familles, confrontées à leur propre transition dans leur perception de leur enfant ; soutien aux acteurs de formation ; soutien aux entreprises elles-mêmes. Toutefois, la limite de l’âge de 20 ans pour l’habilitation officielle de ces dispositifs est ici la rupture institutionnelle qui fait obstacle à la transition souhaitable. Le passage à l’emploi ne devrait pas signifier l’arrêt brutal de divers types d’aide (comme les rééducations orthophoniques ou psychomotrices) qui constituent un des volets de l’accompagnement.
La notion de transition peut devenir un instrument d’analyse du devenir des élèves en termes de nouvelles affiliations et de reconnaissance sociale, et ne plus se limiter à l’acquisition d’un emploi. Les observations des travaux de divers pays sur les phénomènes de transition pour les jeunes avec DI convergent et incitent à renforcer les orientations qui d’une part, mettent en valeur le rôle essentiel des facteurs environnementaux impliquant une diversité d’acteurs et d’autre part, accordent de l’importance aux transitions identitaires et aux niveaux d’aspiration des jeunes, dans une démarche émancipatrice d’empowerment.

L’emploi en milieu ordinaire de travail reste très difficile d’accès aux personnes avec DI

L’inclusion professionnelle et sociale, de même que l’ouverture du milieu de travail, sont des problématiques similaires à celles posées pour la scolarité. La perspective de plus en plus valorisée est celle des transformations des lieux d’accueil vers des modalités plus « inclusives » pour faciliter l’accès aux personnes avec DI et leur maintien dans l’emploi. En France comme à l’étranger, la question est souvent posée en termes de choix, entre, d’une part, des lieux traditionnellement dénommés « spéciaux », fréquentés majoritairement par des personnes avec DI (Centres d’aide par le travail, ateliers protégés, sheltered workshops) et, d’autre part, des lieux ordinaires de travail avec possibilités d’accompagnement (supported employment).
Dans cette dernière perspective, il s’agit de fournir de l’aide personnalisée et d’adapter les lieux de travail en milieu ouvert. Les entreprises peuvent être soutenues par des agences spécialisées, par exemple, grâce à un job coach (un assistant pour l’emploi). Deux types de concepts ont été de plus en plus associés à l’objectif de l’emploi accompagné : ceux de désinstitutionnalisation et d’inclusion sociale, le premier pouvant être considéré comme un des outils du second. Les organisations européennes préconisent la transition entre des approches dites « institutionnelles » ou résidentielles (institutional care), et des approches alternatives reposant sur les familles et la « communauté ». « Désinstitutionnaliser » consisterait en un processus visant à développer un ensemble de services de proximité en milieu ordinaire (« communautaire »).
Des bilans internationaux descriptifs font le point sur la situation européenne de l’emploi des personnes handicapées, mais sans descriptions suffisamment précises des populations concernées, comme les personnes avec DI. Parmi les pays européens, la France est un pays où les ateliers spécialisés continuent à jouer un rôle important dans la politique de l’emploi des personnes handicapées. Quant au travail accompagné, les données manquent encore en Europe pour donner une vision globale sur son extension. Il est à noter que pour accéder à ce type d’emploi, les personnes avec DI peuvent se trouver en concurrence avec des personnes « socialement exclues ».
D’autres études internationales comparent les différentes modalités de travail, protégé ou accompagné, pour personnes avec DI. Or, les effets des différentes modalités d’accueil se révèlent peu contrastés, par exemple pour l’estime de soi. En s’appuyant sur des enquêtes précises, une conclusion se dégage : le critère de la seule présence dans un lieu d’accueil, quel qu’il soit, ne suffit pas et il convient d’évaluer aussi les satisfactions subjectives, la qualité de vie des personnes, les interrelations avec les autres membres du groupe de travail. En d’autres termes, il faut préciser, en toutes circonstances, les conditions offertes par les lieux de travail : sont-ils accueillants et aidants ?
La France, contrairement à d’autres pays (comme la Grande-Bretagne) s’est dotée d’un dispositif de quotas d’emplois des personnes handicapées qui est actuellement de 6 % de personnes handicapées pour les entreprises de plus de 20 salariés. Pratiquement, une pluralité d’acteurs est impliquée pour faciliter l’emploi des personnes handicapées en milieu ordinaire : Pôle Emploi (service général), Cap Emploi (service spécialisé) et de nombreuses agences d’appui à l’emploi et des associations de défense des personnes handicapées. Concernant les personnes avec DI, la situation française est en grande partie commune à celle de nombreux pays avec une grande diversité des lieux de travail : entreprises ordinaires de travail avec un accompagnement éventuel des personnes ; « entreprises adaptées-EA » (ex-ateliers protégés) où les personnes ont le statut de salariés de droit commun ; « établissements et services d’aide par le travail-Esat » (ex-centres d’aide par le travail) où les personnes relèvent de la protection médicosociale. Les données statistiques sont très insuffisantes pour identifier la population des personnes avec DI dans la diversité de ces structures. On estime cependant que les Esat reçoivent environ 70 % de personnes avec DI, tout en soulignant deux risques majeurs, particulièrement pour les personnes avec DI : le maintien d’effets de filières, en continuité avec les dispositifs scolaires spécifiques (Clis12 , Ulis) ; le maintien des personnes dans le dispositif des Esat avec un statut dérogatoire de non salarié. Le souci de moderniser les Esat est pourtant bien présent, par exemple, pour être plus attentif aux besoins de formation des personnes accueillies et valoriser leur autonomie. En ce sens, de nombreuses expériences innovantes existent : passerelles entre établissements spécialisés et emploi en milieu ordinaire, reconnaissances des compétences des personnes (« différent et compétent »). Elles constitueraient des voies pour faire accéder les personnes au droit au travail, à condition qu’évoluent les attitudes et les comportements des partenaires impliqués dans les milieux ordinaires de travail vis-à-vis des personnes avec DI.

Le besoin de soutien de la famille est toujours singulier et évolue tout au long de la vie

La littérature a beaucoup décrit l’impact de l’annonce d’un handicap d’un enfant à ses parents. D’abord considérés comme nécessairement très perturbés voire comme étant en situation pathologique, les parents sont aujourd’hui reconnus avec leurs compétences à faire face à cette situation toujours douloureuse et conduisant à une perte de repères. Les capacités de résilience et d’adaptation doivent donc être prises en considération par les professionnels. L’impact de l’annonce d’un diagnostic d’un trouble du neurodéveloppement est très différent d’une famille à l’autre, tant les situations sont variables. La littérature met en évidence de multiples conséquences sur l’état de santé mentale des parents, mais insiste aussi sur l’impact des systèmes de soutien social et leur adéquation.
Par ailleurs, les personnes avec DI vivent de plus en plus hors milieu institutionnel, ont un certain nombre de droits liés à leur autonomie et leur autodétermination, et leur espérance de vie augmente, ce qui nécessite pour les familles d’envisager le moyen et le long terme. Nombre d’études s’intéressent à la manière dont les familles négocient le passage à la vie adulte et comment elles vont faire face aux nouvelles questions qui se posent dans le vieillissement des personnes.
Être proche aidant d’une personne avec troubles du comportement (comportements-défis ou troubles d’ordre psychiatrique) ou une épilepsie sévère, est complexe et engendre davantage de stress lié aux difficultés des soins à donner à la personne. À cet égard, des spécificités peuvent exister en fonction d’une situation liée à un syndrome particulier.
Il est donc essentiel de penser le soutien dans le cadre d’un parcours de vie, toujours singulier, non seulement de parents, mais de tout un système familial. En effet, les divers sous-systèmes du système familial connaissent des évolutions différentes. Si la fratrie a fait l’objet de plusieurs travaux, le vécu et le rôle des grands-parents commencent à être pris en considération.
La qualité de vie doit être préservée non seulement pour la personne avec DI mais aussi pour tous les membres de la famille, la qualité de vie de la personne étant liée à la qualité de vie de ses aidants proches. Les études utilisant un outil d’exploration de la qualité de vie de la famille (le Family Quality of Life Survey traduit, mais pas encore validé en langue française) montrent en général que les parents d’un enfant avec DI obtiennent essentiellement de l’aide au sein même de la famille élargie et parviennent à résoudre de multiples soucis liés à la vie quotidienne, mais manquent de soutien externe, d’informations utiles, de conseils applicables. Il s’ensuit que les scores liés à la santé personnelle des parents d’une part et à leurs opportunités de loisirs et de ressourcement d’autre part, s’en ressentent. Il est à noter que le sentiment d’une bonne qualité de vie est différent pour chacun des membres de la famille. Par ailleurs, si la présence d’un syndrome particulier peut révéler un impact quelque peu différent sur la qualité de vie d’un système familial (certains syndromes génétiques pouvant affecter plus lourdement l’ensemble du système familial), il semble que ce soit essentiellement les politiques menées en faveur des personnes en situation de handicap qui vont influer sur la qualité de vie des familles.
Une série de situations sont à prendre en considération : familles monoparentales, familles en situation de précarité socio-économique, familles immigrées, parents plus âgés, ce qui pose la question de ce qu’une organisation sociale solidaire pourrait proposer à ces situations, non de manière ponctuelle, mais tout au long de la vie, en fonction des besoins propres à chaque famille.
De manière générale, les auteurs concluent qu’il s’agit de penser l’accordage parents-professionnels dès l’annonce d’une déficience, d’établir un partenariat dans lequel les compétences et expertise des parents soient effectivement reconnues, de faire une analyse des besoins particuliers de chacune des familles en prenant en compte les ressources déjà mobilisées et celles qui sont mobilisables, d’offrir un soutien attentif, mais non envahissant qui laisse les choix d’orientation les plus ouverts possible et qui permet une diversification des ressources spécialisées comme non spécialisées. Il convient aussi d’offrir une approche davantage pragmatique axée sur des questions à résoudre au quotidien, ainsi que des possibilités de répit respectant ainsi le besoin de ressourcement de chaque membre de la famille.
De nombreux programmes d’intervention sont décrits dans la littérature surtout anglo-saxonne et une tentative d’évaluation de l’efficience de ces programmes est amorcée. Cependant, les revues de la littérature et les méta-analyses disponibles soulignent que la plupart des études portent sur de très faibles échantillons et que plusieurs facteurs liés à l’environnement, les caractéristiques des personnes impliquées et la nature des stimuli renforçateurs ne sont pas pris en considération. Parmi ces programmes, le Triple P-Positive Parenting Program se distingue : il est intéressant, car il propose une approche globale et graduelle du soutien à donner à la famille et s’inscrit dans une démarche de santé publique pour toutes les familles, avec ou sans enfant porteur d’une déficience intellectuelle.

La prévention des situations de négligence, maltraitance et abus implique un ensemble de mesures articulées dans une approche systémique

La définition actuellement retenue de la maltraitance comprend non seulement les abus physiques, mais également les abus émotionnels et psychologiques, le manquement aux droits fondamentaux et les restrictions abusives d’action et de décision. Elle ne restreint pas le concept d’abus aux actes commis par des personnes physiques mais considère que l’auteur peut aussi être une personne morale (dispositif ou institution). Une prise en charge très inadaptée, de même que l’indifférence de la société à l’égard de certains besoins fondamentaux, peuvent ainsi être considérées comme des réalités abusives, un abus pouvant résulter de négligences autant que d’actes intentionnels.
La plupart des études sur la prévalence de la maltraitance ont été menées aux États-Unis. Dans les autres pays, y compris en Europe, l’ampleur du phénomène reste mal connue.
Une grande étude américaine indique une prévalence de la maltraitance de l’ordre de 27 % chez les enfants et adolescents avec une DI. Elle est 3,7 fois supérieure à celle de la population typique pour ce qui est de la négligence, 3,8 fois supérieure pour ce qui est des abus émotionnels et des abus physiques et 4 fois supérieure en ce qui concerne les abus sexuels.
Chez les adultes, la prévalence moyenne des abus, tous types d’abus confondus, établie à partir de trois études seulement, est estimée à 6,1 %.
Le harcèlement se définit comme un enchaînement de comportements hostiles, dénigrants et/ou menaçants, exprimés par un ou plusieurs individus à l’endroit d’une ou de quelques personnes. Il se manifeste par des comportements directs – physiques (bousculer, pousser, frapper, etc.) ou verbaux (menacer, insulter, se moquer, etc.) – ou par des attitudes et des pratiques indirectes (exclure, mettre à l’écart, marginaliser, etc.). L’exposition des personnes avec une DI au harcèlement est désormais clairement établie. Le harcèlement touche toutes les gammes d’âge, mais en particulier les adolescents.
Les conséquences des abus et de leur ampleur sont insuffisamment renseignées. Les abus physiques et sexuels sont les seules formes de mauvais traitements dont l’impact a été étudié. Différentes équipes rapportent d’importantes perturbations psychologiques – comme le stress post-traumatique, la dépression majeure, la perte d’estime de soi ainsi que des sentiments de colère ou de culpabilité intense – suite à ce type d’abus. Depuis une vingtaine d’années, le modèle éco-systémique appréhende la maltraitance comme le produit d’un ensemble de facteurs de risque et de protection impliquant non seulement les caractéristiques psychologiques et personnelles de la victime et/ou de l’auteur, mais également les conditions liées aux contextes culturels et sociétaux immédiats et plus distaux. Ce modèle permet de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents et d’identifier les facteurs de risque de façon plus exhaustive afin d’envisager la prévention.
La prévention primaire a pour objectif de prévenir l’apparition des abus. Elle vise à réduire les facteurs de risque et à augmenter les facteurs de protection. Les mesures de prévention passive ont pour objet de sécuriser l’environnement : législation concernant les établissements médico-sociaux et surveillance, actions visant à faire évoluer les attitudes sociales à l’égard des personnes avec une DI, formation des professionnels, etc. La sensibilisation des personnes elles-mêmes à des comportements d’autoprotection est un autre moyen de prévention.
Concernant la prévention secondaire, le repérage des situations d’abus implique de renforcer la capacité de l’entourage à identifier les signes d’appel. Le signalement par les personnes elles-mêmes est rare. En cas de présomption d’abus, les procédures d’investigation sont plus complexes à mener en raison de certaines caractéristiques souvent associées à la déficience intellectuelle, comme par exemple la difficulté de la personne à structurer le récit qu’elle fait d’événements, etc. La littérature montre, cependant, que moyennant des aménagements dans la procédure d’audition, les personnes avec une DI sont susceptibles de fournir des renseignements très fiables sur les faits qui se sont produits.
En prévention tertiaire, les mesures ont pour but de soustraire les victimes à la situation d’abus et de les aider à retrouver leur bien-être et leur état de santé initial. Actuellement, les programmes thérapeutiques spécifiques destinés à prévenir ou à atténuer les conséquences psychologiques des abus chez les personnes avec une DI sont encore rares.

Une approche éco-systémique permet d’ajuster la place des professionnels autour de la personne en situation de handicap

Conformément au modèle conceptuel de Bronfenbrenner, tout au long de son cycle de vie, chaque individu est l’épicentre d’un système enchevêtré d’environnements interreliés, en évolution constante. Pour assurer son bien-être et mener à bien son rôle, il importe que le professionnel prenne conscience des influences en vigueur, adapte et s’adapte aux conditions de l’environnement (figure 1). L’ontosystème comprend notamment les caracteristiques, les compétences, les croyances, les valeurs du professionnel. Le microsystème concerne l’environnement immédiat de l’individu, les personnes avec lesquelles il interagit régulièrement. Pour les professionnels, les microsystèmes peuvent inclure les relations avec les parents, les bénéficiaires, les collègues et leurs caractéristiques respectives (confiance, engagement, reconnaissance, partenariat, empathie, compréhension). Le mésosystème comprend les relations mutuelles entre deux ou plusieurs microsystèmes au sein desquels l’individu évolue. Pour le professionnel, le mésosystème, ensemble des microsystèmes, s’articule autour de la communication, de la réciprocité, de l’égalité de pouvoir entre les differents intervenants et de la clarté de leurs rôles respectifs. L’exosystème émet l’hypothèse que le développement d’une personne est profondément affecté par les perturbations émanant d’environnements au sein desquels l’individu n’a pas d’interaction directe et inversement. Il repose sur la latitude, les soutiens octroyés au professionnel. Finalement, le macrosystème implique les ressources disponibles et octroyées (termes et conditions de travail, turn-over, salaire…) ainsi que les règles de fonctionnement de la structure et les politiques en vigueur. Ces interconnexions peuvent s’avérer aussi décisives pour le développement que les événements relevant d’un environnement précis au sein duquel l’individu intervient directement. Le chronosystème se définit comme des temporalités de vie, chaque système présentant une temporalité spécifique en interrelation avec celle des autres systèmes ce qui permet une analyse évolutive de la situation vécue par le sujet.
Figure 1 L’intervenant au cœur des systèmes selon Disley et coll. (2009)
Le professionnel se trouve au cœur de systèmes en interrelation. Il doit constamment s’adapter aux influences et changements de son environnement, des personnes qui y évoluent et inversement. L’intervenant est invité à entamer, à maintenir le dialogue avec la personne en situation de handicap et son entourage. Cette relation nécessite de perçevoir la personne en situation de handicap comme un sujet doté de capacités à poser des choix et à éprouver des préférences. La communication établie entre les différents sujets confère à chacun une place d’acteur de sa propre existence, de son système tout en respectant celui d’autrui. Cette alliance est indubitablement associée à la qualité des services fournis et à la qualité de vie des individus qui y évoluent.
Néanmoins, si l’établissement d’un partenariat est encouragée par de nombreux auteurs, le contexte de soins quotidiens ne se montre pas toujours propice au développement de relations d’attachement (turn-over, politique de rendement…). Par ailleurs, certaines perceptions et attitudes témoignées par le personnel peuvent influer positivement ou négativement le bien-être des résidents. À titre d’exemple, il a été montré que l’insécurité éprouvée par un bénéficiaire peut se solder par une diminution du fonctionnement adaptatif et l’augmentation de troubles du comportement. Aussi, un excès ou un manque de confiance du personnel en ses compétences est considéré comme potentiellement à l’origine de conséquences aversives pour les bénéficiaires. A contrario, lorsque cette confiance est justement dosée, l’espoir est positivement corrélé avec la qualité de vie, le bien-être et une adaptation au stress perçu par la personne avec DI.
Il a également été fréquemment montré que les personnes déficientes intellectuelles connaissent beaucoup plus de problèmes de santé, essentiellement curables, que la population générale. La qualité de la communication entre le professionnel et l’usager peut influer sur l’état de santé de ce dernier. La communication orale de la personne étant souvent réduite voire absente, celle-ci manifeste alors sa problématique par le biais de modifications comportementales. Si le professionnel ne parvient pas à interpréter correctement ces troubles, les symptômes observés peuvent être confondus avec des troubles psychiatriques.
Par ailleurs, le professionnel peut être tiraillé entre d’une part l’autodétermination et d’autre part la connaissance de choix susceptibles d’entraîner une influence négative sur la qualité de vie du bénéficiaire.
La théorie de l’équité, basée sur un processus de comparaison entre son ratio d’inputs (apports) et d’outcomes (résultats, récompenses) et celui d’un référent, peut expliquer certaines de ces pratiques ou, a contrario, certainsrenoncements de l’intervenant. En effet, lorsque le personnel perçoit de l’équité entre ce qu’il donne (éducation, expérience, traits de personnalité, habiletés intellectuelles, compétences…) et ce qu’il obtient en retour (salaire, statut symbolique, avantages sociaux, promotions, reconnaissance…), ce dernier éprouve un sentiment de satisfaction et de justice. En revanche, dans le cas contraire, une perception négative peut occasionner des tensions et des comportements aversifs (réduction de l’implication, démission…) susceptibles d’altérer la qualité de vie de l’ensemble des sujets présents dans la structure.
Pour remédier à ces situations, le soutien du manager, les discussions d’équipe et la formation continue semblent des solutions constructives et opérationnelles. En effet, cette mutualisation des expériences, des connaissances et des conceptions peut aider le professionnel à analyser les dynamiques en vigueur, à clarifier son rôle ainsi qu’à mieux comprendre les caractéristiques et attentes du public accompagné. Cet accompagnement peut prendre diverses formes telles que l’organisation de debriefings au sein de l’équipe, de coaching utilisant la vidéo et les feedbacks verbaux. Quelle que soit la méthodologie usitée, les intervenants insistent néanmoins sur l’importance d’ancrer les notions à assimiler aux expériences pratiques de terrain de manière à faciliter le transfert et la généralisation des expériences. Une dernière perspective renvoie au développement d’un programme de mentorat où les travailleurs seniors, plus expérimentés, transmettent leur savoir aux générations suivantes.

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