Activité physique et prévention des chutes chez les personnes âgées

2015


→ Aller vers ANALYSE
Synthèse
En France, en cent ans, l’espérance de vie à la naissance a augmenté de 30 ans. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, tandis que l’espérance de vie à la naissance continue d’augmenter au même rythme, d’environ 3 mois par an, l’espérance de vie à 65 ans augmente encore plus rapidement, notamment chez les femmes. La conséquence de cette évolution est un vieillissement considérable de la population. En France, l’espérance de vie à la naissance est de 78,5 ans chez les hommes et 85 ans chez les femmes. Moins de 2 % d’entre elles pouvaient espérer fêter leur 90e anniversaire dans les conditions de mortalité de 1907 ; un siècle plus tard, près de 40 % peuvent espérer atteindre et dépasser cet âge. Le nombre de centenaires double environ tous les 10 ans en France comme dans les autres pays européens.
L’augmentation continue de l’espérance de vie aux âges élevés a conduit à s’interroger sur la qualité des années gagnées à ces âges où les maladies chroniques et les problèmes de santé s’accumulent, fragilisant l’individu : les prévalences des problèmes de santé, très faibles à 20 ans, doublent tous les 5, 10 ou 15 ans selon les pathologies et affichent des niveaux très élevés à 85 ans.
Ces situations de santé engendrent différents niveaux d’incapacité : altérations des fonctions motrices, sensorielles ou cognitives, qui à leur tour peuvent induire des difficultés à réaliser des activités du quotidien, voire conduire à des situations de dépendance requérant aides et assistance pour réaliser des tâches élémentaires.
Si entre 1995 et 2010 l’espérance de vie à 65 ans en France est passée de 20,9 à 23,5 ans (+ 2,6 ans) pour les femmes et de 16,2 à 18,9 ans (+ 2,7 ans) pour les hommes, l’espérance de vie sans limitation d’activité semble augmenter beaucoup moins vite, au moins depuis 2004 selon l’enquête européenne EU-SILC (European UnionStatistics on Income and Living Conditions) menée dans quelques pays de l’Union. Au-delà de 85 ans, plus des trois quarts des Français déclarent des limitations dans leurs activités.
Les chutes, événements fréquents dans la population des personnes âgées, s’inscrivent au cœur de ces questions. Elles reflètent une dégradation de l’état de santé et participent aussi grandement aux limitations fonctionnelles et à la perte d’autonomie. Elles peuvent être très coûteuses en termes de qualité de vie pour les personnes concernées mais aussi de coûts financiers liés à la prise en charge des chutes et de la dépendance qui peut en résulter.
Dans un contexte de vieillissement de la population, la prévention des chutes et la préservation de l’autonomie dans les activités quotidiennes sont primordiales et constituent des enjeux majeurs de santé publique.

Quelques définitions : personne âgée, fragilité, chute, chutes répétées, chutes graves, exercice physique, activité physique

La définition de la « personne âgée » retenue pour cette expertise repose sur le critère d’âge de 65 ans et plus. La population des personnes âgées constitue cependant un groupe très hétérogène d’un point de vue médical et fonctionnel, au sein duquel, on distingue schématiquement, trois catégories de personnes en fonction de leur état de santé :
• les personnes dites « vigoureuses » : en bon état de santé, indépendantes et autonomes ;
• les personnes dites « malades » : dépendantes, en mauvais état de santé en raison d’une polypathologie chronique évoluée génératrice de handicaps ;
• les personnes dites « fragiles » : à l’état de santé intermédiaire et à risque de basculer dans la catégorie des malades.
La fragilité peut se définir comme une diminution des capacités de réserves fonctionnelles et des capacités à faire face à un stress quelle qu’en soit la nature. La fragilité est associée à un risque élevé de perte d’indépendance.
Tout le monde sait intuitivement ce qu’est une chute. Pourtant, sa définition concrète et opérationnelle a fait l’objet de longues discussions. La définition qui semble faire consensus aujourd’hui est celle proposée par Hauer et coll. en 2006 : « perte brutale et totalement accidentelle de l’équilibre postural lors de la marche ou de la réalisation de toute autre activité et faisant tomber la personne sur le sol ou toute autre surface plus basse que celle où elle se trouvait ».
Les chutes répétées ont été définies par la Haute autorité de santé (HAS) comme la survenue d’au moins deux chutes dans des intervalles de temps s’étendant de 6 à 12 mois. Elles sont considérées comme un indicateur de mauvais état de santé et un marqueur de fragilité chez les personnes âgées. Les personnes chutant 2 fois ou plus dans l’année, sont plus à risque d’avoir des traumatismes que les « mono-chuteurs ». La littérature s’est intéressée à la chute répétée pour approcher au mieux la spécificité gériatrique de la chute.
Il est pertinent de classer les chutes selon la sévérité de leurs conséquences, la finalité première de toute action de prévention étant de prévenir les chutes « graves ». Cependant, dans la littérature, la définition ou la caractérisation des chutes graves est très variable d’un texte à l’autre, les chutes graves se retrouvant souvent sous l’intitulé « chutes justifiant une hospitalisation ou, plus largement, une intervention médicale ». On entend donc habituellement par chute grave toute chute ayant des conséquences traumatiques sévères, nécessitant une intervention médicale et/ou suivie d’une station prolongée au sol. Le terme de chute critique est parfois employé pour désigner les chutes suivies d’une station prolongée au sol, du fait de l’incapacité de la personne à se relever du sol.
L’activité physique regroupe à la fois celle liée aux activités professionnelles, celle exercée lors de tâches domestiques et de la vie courante (déplacements compris), l’activité physique de loisirs, et la pratique sportive. Le sport, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est un sous-ensemble de l’activité physique, spécialisé et organisé. Les exercices physiques peuvent être définis comme actions ou moyens pour améliorer ses performances physiques.

La fragilité est associée à un risque majoré d’événements péjoratifs de santé dont les chutes : après 65 ans, 15 à 20 % de la population vivant à domicile seraient fragiles

L’âge est un déterminant majeur de fragilité mais n’explique pas à lui seul ce syndrome. Si le concept de fragilité est reconnu par l’ensemble de la communauté scientifique, il n’existe toutefois ni de définition, ni d’outils de dépistage de la fragilité qui fassent consensus.
Pour porter le diagnostic de fragilité, deux modèles ont émergé de la littérature. Le premier modèle a conduit à la proposition des « critères de fragilité » dits « de Fried ». Le phénotype de fragilité repose sur cinq critères cliniques : amaigrissement (perte de poids ≥ 5 % par an) ; fatigue subjective (sensation d’épuisement en permanence ou fréquemment) ; sédentarité (moins de 1 à 2 marches par semaine) ; vitesse de marche réduite (difficulté à marcher 100 mètres) ; faible force de préhension. La personne est considérée fragile si elle présente au moins 3 critères, pré-fragile en présence de 1 ou 2 critères, et non fragile en l’absence d’observation de ces critères. Le second modèle propose un « indice cumulé de fragilité » reposant sur 92 déficits, symptômes ou situations cliniques.
D’autres outils composites comme l’Edmonton Frail Scale, qui inclut le Timed Up and Go Test et des tests cognitifs ont été développés. Cet outil simple peut être utile aux professionnels de santé pour repérer en routine les sujets fragiles.
Après 65 ans, 15 à 20 % de la population à domicile seraient fragiles. Au-delà de 85 ans, 25 à 50 % des sujets seraient fragiles.
La fragilité est associée à un risque majoré de mortalité et d’évènements péjoratifs, notamment d’incapacités, de chutes, d’hospitalisations et d’entrée en institution. La fragilité et les caractéristiques qui l’accompagnent, comme la sédentarité, la baisse de la force musculaire, la perte de poids sont des conditions pouvant favoriser l’ostéoporose, la chute et la fracture.
La prise en charge des déterminants de la fragilité peut réduire ou retarder ses conséquences. Ainsi, la fragilité s’inscrirait dans un processus potentiellement réversible. L’intérêt principal du syndrome de fragilité est qu’il ouvre des perspectives d’organisation de soins préventifs de la dépendance et d’évènements péjoratifs comme les chutes.

La chute est un évènement fréquent aux conséquences multiples et souvent graves

Environ une personne sur trois âgée de plus de 65 ans et une personne sur deux de plus de 80 ans chutent chaque année. Parmi les chuteurs, la moitié aurait fait au moins deux chutes dans l’année

La multiplicité des définitions des chutes ainsi que le manque de standardisation des études peuvent expliquer la variabilité de la prévalence et de l’incidence estimées des chutes. Ces disparités peuvent être à l’origine d’une difficulté d’interprétation des évaluations des stratégies interventionnelles proposées pour la prise en charge des chutes, ce qui peut freiner leur mise en application pratique.
Les données épidémiologiques sont difficiles à comparer d’une étude à l’autre et d’un pays à l’autre en raison des conceptions différentes des études, des caractéristiques variables des populations étudiées, de la multiplicité des définitions considérées et des différentes méthodes de recueils d’informations. Ainsi, les données reposant sur l’interrogatoire des personnes sur le nombre de chutes survenues au cours de l’année écoulée présentent le risque d’une sous-estimation en raison de la tendance des personnes à oublier leurs chutes, au moins quand elles n’ont pas eu de conséquences sérieuses.
En France, selon le Baromètre santé, en 2005, 24 % des personnes de 65 à 75 ans auraient chuté dans l’année écoulée. Selon l’édition 2010, plus d’une personne de la tranche d’âge 55-85 ans sur 5 (21,6 %) déclare avoir chuté au cours des 12 derniers mois. Selon d’autres études menées dans les pays occidentaux, 20 à 33 % des personnes âgées de 65 ans ou plus rapportent avoir chuté au cours de l’année passée. L’incidence des chutes et des chuteurs augmenterait avec l’âge : le pourcentage de chuteurs se situerait autour de 50 % parmi les personnes de plus de 80 ans. La moitié des chuteurs auraient fait au moins deux chutes dans l’année. Les taux d’incidence de chute par an chez les plus de 65 ans sont plus élevés chez les femmes que chez les hommes, cette différence s’observe principalement avant 90 ans.

Les chutes représentent la principale cause de traumatismes physiques chez les plus de 70 ans et ont des conséquences psychiques et sociales sur l’autonomie et la qualité de vie

En France, en 2009, selon l’enquête permanente sur les accidents de la vie courante, les chutes représentent 90 % des accidents de la vie courante recensés aux urgences chez les plus de 75 ans. Elles sont les premières causes de décès par accident de la vie courante, soit 9 412 décès causés par chute en 2008. Plus des trois quarts de ces décès par chute concernent des personnes âgées de 75 ans et plus. Le taux de mortalité augmente avec l’âge, notamment après 75 ans.
Chaque année, le nombre de chutes accidentelles suivies d’un recours aux urgences hospitalières est estimé à 450 000 chez les personnes âgées de 65 ans et plus, 330 000 chez les femmes et 120 000 chez les hommes, soit un taux de 4,5 chutes accidentelles pour 100 personnes. Dans 37 % des cas, elles donnent lieu à une hospitalisation en court séjour après passage aux urgences.
Dans la cohorte Safes (Sujets âgés fragiles, évaluation et suivi) qui s’est intéressée à 1 306 sujets de plus de 75 ans vivant au domicile et admis en hospitalisation après passage aux urgences, 81,1 % des personnes avaient des troubles de la marche et 50,6 % des troubles de l’équilibre. Six mois après le passage aux urgences, un des principaux facteurs de risque de mortalité était la présence d’un haut niveau de comorbidités. Le suivi à 3 ans de cette cohorte a montré que les facteurs influençant significativement la mortalité étaient outre la démence et la confusion, la présence de troubles de la marche.
Entre 20 et 60 % des chuteurs souffrent de traumatismes, dont 10 % d’entre eux de traumatismes sévères. L’incidence des chutes avec traumatisme augmente avec l’âge, elle est plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Les hommes présentent plus souvent des traumatismes crâniens, et les femmes des traumatismes des hanches ou du bassin.
Les données d’incidence des fractures suite à une chute, chez les plus de 65 ans, sont variables dans la littérature, l’incidence variant de 0,2 % à 6 %. Dans un tiers des cas, la fracture intéresse l’extrémité supérieure du fémur. En France, on estime entre 50 000 et 80 000 le nombre de fractures de l’extrémité supérieure du fémur chez les personnes âgées, par an. La très grande majorité de ces fractures du fémur sont consécutives à des chutes. En France, en 2007, selon une enquête de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), les patients hospitalisés pour une fracture de l’extrémité du fémur étaient à 76 % des femmes d’âge moyen 83 ans et 24 % des hommes d’âge moyen 80 ans. La fracture de l’extrémité du fémur est une des principales causes de mortalité chez les plus de 65 ans. Dans l’année qui suit l’accident, la mortalité est de 10 à 20 % plus élevée que celle de sujets de même âge et de même sexe.
D’autres fractures sont la conséquence de chutes comme les fractures du bassin, du bras, du poignet, mais aussi des vertèbres, ces dernières étant une cause majeure de douleur à long terme et pouvant entraîner une perte d’autonomie.
La gravité de la chute et ses conséquences en termes de morbi-mortalité ne sont pas seulement liées à la survenue de fractures. Ainsi, une incapacité à se relever avec un maintien prolongé au sol de plus d’une heure est un élément de mauvais pronostic en termes de mortalité : en effet, la mortalité à 6 mois des personnes passant plus de 1 heure au sol est multipliée par deux. Les principales complications de la station prolongée au sol qui en font la gravité sont les ulcères de décubitus, l’hypothermie, la rhabdomyolyse, les infections respiratoires.
Les chutes peuvent avoir bien d’autres conséquences graves que les conséquences traumatiques, en particulier des conséquences psychiques et sociales. Les chutes sont souvent responsables d’une perte de confiance en soi, d’une peur de chuter à nouveau, pouvant conduire à une restriction des activités, à une dégradation de la vie sociale et à une perte d’autonomie. La qualité de vie est ainsi affectée par la survenue de chutes. Les chutes sont une cause fréquente d’entrée en institution gériatrique.
La chute doit donc être considérée comme un marqueur fort de fragilité avec un risque de perte d’autonomie et d’institutionnalisation.

Bien que difficile à chiffrer, le coût financier des chutes est considérable

Le coût des chutes inclut les coûts humains, hospitaliers et médico-économiques sur un territoire de santé. Il peut s’agir du coût total pour la collectivité, du coût pour le système de santé, du coût de la chute ou du coût par personne qui chute.
Parmi les composantes du coût des chutes, il est possible de retenir : les urgences, l’hospitalisation, la médecine de ville, les soins de long terme, les soins infirmiers à domicile, les autres coûts médicaux et les coûts non médicaux. Selon la perspective retenue, l’inclusion des coûts sera plus ou moins exhaustive : la plupart des études étant conduites du point de vue d’un offreur de soins ou d’un financeur, ne retiennent que les coûts directs. Peu d’études sont conduites dans une perspective sociétale incluant à la fois les coûts directs et indirects.
La population prise en compte, le pays, l’année de calcul, la définition de la chute, le mode d’inclusion des victimes de chute ainsi que la prise en compte plus ou moins extensive des coûts sont autant d’éléments qui contribuent à l’hétérogénéité de l’évaluation du coût des chutes.
Les travaux sont essentiellement anglo-saxons et hétérogènes au regard des méthodes, des objectifs, des résultats et de la qualité de l’analyse économique. En tant que tels, ils ne sont pas transposables à la situation française et donc peu de données précises des coûts sont disponibles pour la France.
L’estimation du coût total des chutes donne lieu au calcul de deux indicateurs : la part du coût imputable aux chutes dans la dépense nationale de santé (et accessoirement le coût total des chutes au niveau national en % du PIB) et le coût par habitant de plus de 65 ans. Pour les études faisant appel à des données de prévalence, le coût des chutes est compris entre 0,85 % et 1,5 % du coût total des dépenses de santé soit entre 113 et 547 $ US par habitant. Les études s’appuyant sur des données d’incidence donnent des résultats plus élevés avec un coût des chutes compris entre 2,2 et 3,7 % de la dépense de santé et entre 396 et 896 $ US par habitant. Le coût des chutes par habitant est un peu plus élevé aux États-Unis qu’en Europe, il est plus important pour les tranches d’âge élevées et pour les femmes.
Le coût annuel par victime de chutes connaît des variations importantes selon le lieu de vie. À parité égale de pouvoir d’achat, aux États-Unis, il est estimé entre 2 044 $ et 3 136 $ (en $ US 2006) pour les chuteurs vivant à domicile, et à 6 859 $ pour ceux vivant en institution.
Le coût par chute donne lieu à des estimations tout aussi divergentes selon la gravité de la chute (sévère ou non), le lieu de la chute (indifférencié, en institution ou à l’hôpital), le repérage de la chute aux urgences, le lien de la chute avec la prise d’un médicament, la pathologie dont souffre le sujet âgé. Les différentes estimations du pourcentage des chutes entraînant une fracture renforcent ces divergences.
Quoiqu’il en soit, le constat de coûts élevés donne une mesure de l’importance du problème économique des chutes et de la part importante des hospitalisations consécutives aux fractures et justifie d’intervenir préventivement.

La physiologie de l’équilibre sollicite des ressources sensorielles et motrices

La fonction d’équilibration vise au maintien de l’équilibre lors de la station debout ou assise (équilibre statique) et lors des déplacements (équilibre dynamique). Le contrôle de l’équilibre statique et dynamique et de la posture s’élabore sur un ensemble de stratégies sensorielles et motrices (tableau Irenvoi vers). Il repose sur la coopération entre des systèmes sensoriels (capables de détecter les positions et déplacements du corps et des objets dans l’espace) et le système moteur par la mise en jeu des réponses musculaires qui fournissent les réactions posturo-cinétiques appropriées. Ce sont des tâches simples, assurées par des boucles de contrôles automatiques, nécessitant peu de ressources attentionnelles à l’exception de certaines situations difficiles (liées aux conditions environnementales ou en situations d’équilibre dynamique).

Équilibre, posture et marche sont affectés par les changements de la physiologie sensorielle et motrice liés au vieillissement

Pour obtenir la stabilisation posturale la mieux adaptée et l’orientation du corps la plus appropriée, le système nerveux central assigne des pondérations aux différentes informations sensorielles. Or, des changements physiologiques opèrent avec l’avancée en âge, affectant entre autres les fonctions sensorielles (visuelle, vestibulaire et somesthésique) et les réactions posturo-cinétiques via le système moteur (commandes motrices centrales et muscles) (tableau Irenvoi vers).

Tableau I Contributions sensorielles et motrices au maintien de l’équilibre et altérations au cours du vieillissement

Systèmes sensoriels
Capteurs
Participation au maintien de l’équilibre
Altération
Visuel
Rétine
Muscles oculomoteurs
Acuité visuelle
Sensibilité aux contrastes
Perception de la profondeur
Perception des objets dans l’environnement
Perception du mouvement dans l’environnement
Vestibulaire
Oreille interne
Orientation de la tête
Oui
Perception du mouvement de la tête
Stabilisation de la tête et du corps
Stabilisation des images sur la rétine
Somesthésique (proprioception et toucher)
Muscles
Tendons
Articulations
Peau
Orientation des segments corporels entre eux
Oui
Perception de la position des articulations
Perception du mouvement du corps
Perception du contact avec le sol
Sensibilité tactile
Systèmes effecteurs
Effecteurs
Participation au maintien de l’équilibre
 
Système musculo-squelettique
Commandes motrices
Muscles
Os
Temps de réaction
Force musculaire
Vitesse de contraction des muscles
Synergies musculaires (activation d’un groupe de muscles)
Oui
Densité osseuse (conséquences sur la gravité des chutes)
Résistance mécanique
Les changements de l’attitude posturale (orientation du corps par rapport à la verticale gravitaire) chez les personnes âgées pourraient être liés à une perception moins précise de la verticale posturale. C’est notamment le cas chez celles qui présentent une grande incertitude dans la détermination de la position de leur corps par rapport à la verticale.
Les modifications physiologiques liées à l’avancée en âge font que les pondérations aux informations sensorielles changent : de nombreuses études décrivent une dépendance accrue aux informations visuelles dans le maintien de l’équilibre ainsi qu’une importance particulière de la proprioception cervicale (informations fournies par les muscles, les tendons et les articulations du cou).
Les stratégies motrices mises en jeu pour maintenir l’équilibre et les paramètres de marche varient en fonction de l’âge. Ces changements concernent en particulier la réduction de la vitesse de marche avec une diminution de la longueur du pas et une augmentation de la durée de la phase préparatoire au mouvement. Les personnes âgées semblent adopter une marche plus prudente et moins coûteuse d’un point de vue énergétique qui constituerait une adaptation aux changements de capacités physiques. Ces adaptations sont basées sur les contraintes sensori-motrices ainsi que sur les expériences passées du sujet (activités physiques, entraînement de l’équilibre…) et les priorités individuelles (par exemple, éviter la chute). Cependant, il semblerait qu’au-delà de certaines limites, qui restent à définir, ces comportements posturaux (en particulier la réduction de la vitesse de marche) deviennent des facteurs de risque de chute.
Ce qui est observé avec l’avancée en âge est un déclin des capacités de compensation ou de correction pour retrouver l’équilibre. Chez le sujet âgé robuste, les réponses posturales sont proches de celles de sujets plus jeunes ; en revanche, le contrôle postural devient plus difficile lorsque toutes les modalités sensorielles participant normalement au contrôle de la posture, ne sont pas disponibles simultanément (par exemple dans l’obscurité), ou lorsqu’elles sont contradictoires (en situation de conflit sensoriel, par exemple en présence d’environnements visuels mouvants).

Avec l’avancée en âge, le maintien de l’équilibre nécessite plus de ressources attentionnelles

Les conséquences du vieillissement sur le maintien de l’équilibre ne résultent pas uniquement des changements physiologiques sensoriels et moteurs. Une perturbation de la gestion de l’attention ou de certaines fonctions exécutives1 contribue aux altérations de l’équilibre et de la marche. Ainsi, des conditions de double-tâche cognitive et posturale ou de perturbations extérieures inattendues qui nécessitent un partage des ressources attentionnelles normalement dévolues au contrôle de la posture, permettent de révéler des troubles posturo-locomoteurs. Des changements posturaux mis en évidence dans ces conditions constituent des signes d’alerte et permettent d’augmenter la sensibilité de la prédiction de la chute. L’analyse de la gestion de l’attention ou de certaines fonctions exécutives est à l’origine du développement d’une série de tests cliniques prédictifs de la chute.
Par ailleurs, les performances posturales et les stratégies d’équilibration ne dépendent pas seulement de la difficulté réelle de la tâche mais de la difficulté perçue par le sujet. Ainsi, la peur de tomber diminue la stabilité.

Les chutes résultent de l’intrication de multiples facteurs

Les chutes sont des évènements multifactoriels, résultant de l’intrication de facteurs prédisposants et précipitants.

Sédentarité

La sédentarité est un facteur de risque de chute. De nombreuses études épidémiologiques soulignent le lien entre un faible niveau d’activité physique et une augmentation du risque de chute. Les femmes qui ont peu d’activité physique (en extérieur) sont celles qui chutent le plus. Ne pas pratiquer un minimum d’activité physique est aussi un facteur de risque de fracture. Cependant, pratiquer une activité physique pour améliorer les performances motrices, le manque d’équilibre et la faiblesse musculaire suppose une exposition au risque de chute. Si la balance bénéfice/risque est complexe car évolutive dans le temps et propre à chaque individu, la majorité des données observationnelles témoigne d’une réduction du risque de chute à long terme chez les sujets actifs.

Sarcopénie, dénutrition, obésité

La sarcopénie désigne la diminution progressive de la masse musculaire liée au vieillissement, indépendamment des maladies et des carences d’apports alimentaires. On perd environ 50 % de sa masse musculaire squelettique entre 20 et 80 ans. Cette atrophie musculaire est associée à une perte de la force musculaire. La diminution des performances motrices et de la force musculaire serait davantage associée aux chutes que la diminution de la masse musculaire. En effet, la perte de masse musculaire est retrouvée associée au risque de chute dans les études transversales mais cette association ne se confirme pas dans les études prospectives.
Cette diminution musculaire associée à l’âge est aggravée par la sédentarité mais aussi par la dénutrition qu’elle soit endogène ou exogène. La prévalence de la malnutrition protéino-énergétique est de l’ordre de 10 % chez les personnes âgées vivant au domicile et de 30 à 60 % pour celles vivant en institution. En pratique clinique, il est observé que la sarcopénie et la dénutrition s’associent au cours du temps, contribuent à une diminution de la force musculaire et favorisent les troubles de l’équilibre, participant avec d’autres facteurs à majorer le risque de chute.
La prise en compte du facteur poids est complexe chez le sujet âgé : le poids peut rester stable et être faussement rassurant, voire augmenter, alors même que la composition corporelle se modifie avec augmentation de la masse grasse au détriment de la masse maigre.
L’obésité est également liée à un risque de chute plus important. L’obésité est connue pour faciliter l’apparition du diabète de type II, mais aussi des maladies cardiovasculaires et de l’arthrose. En France, l’enquête ObEpi 2012 a montré une proportion de personnes obèses plus importante (18,7 %) dans la population âgée des plus de 65 ans que dans la population française adulte (15 %). La masse grasse joue un rôle négatif sur le niveau d’activité physique. Il importe de lutter contre une surcharge pondérale importante, mais en s’adaptant à l’âge et au niveau de fragilité de l’individu.

Déficits sensoriels

La vision intervient pour planifier les déplacements et s’orienter, mais également dans le maintien de la posture, notamment quand la proprioception est déficiente. La presque totalité des sujets de plus de 65 ans a des problèmes d’accommodation, mais d’autres troubles visuels intéressant l’acuité visuelle, la perception des profondeurs, le champ visuel et la sensibilité aux contrastes affecteraient 10 % des 65-75 ans et 20 % des plus de 75 ans. Les altérations de ces différents composants de la vision sont susceptibles d’augmenter le risque de chute.
La perte d’acuité auditive, très fréquente chez le sujet âgé, est aussi un facteur de risque de chute. Une perte de 25 dB (équivalent d’un passage d’une audition normale à une audition modérément altérée) serait associée à un risque de chute multiplié par 3. Cette association entre la dégradation de l’audition et la prévalence des chutes pourrait provenir d’une détérioration des organes vestibulaires ou d’une perte des repères sonores qui contribuent à l’équilibre. Si l’attention est en partie mobilisée pour compenser la perte auditive (exemple dans la presbyacousie, forme la plus fréquente de surdité progressive), les ressources cognitives nécessaires à un bon équilibre seront insuffisantes et le risque de chute sera majoré. Ces données renforcent l’intérêt d’un appareillage précoce chez le sujet âgé quand cela est nécessaire.

Altération des fonctions exécutives et déclin cognitif

La plupart des études ont observé une association entre altération des fonctions exécutives et risque de chute. Les tests de double-tâche qui consistent en la réalisation simultanée d’une tâche physique et d’une tâche cognitive ont démontré qu’il existe un lien entre atteinte des fonctions exécutives et troubles de la marche (vitesse de marche ralentie, variabilité du temps d’oscillations augmenté).
L’existence d’un déclin cognitif constitue un facteur de risque de chute chez les patients même si les troubles cognitifs sont modérés (OR=1,72 ; IC 95 % [1,03-2,89]), voire légers, et ceci quelle que soit la pathologie responsable. Le risque augmente cependant avec la sévérité de la maladie. Chez le patient atteint de démence, l’usage de médicaments psychotropes augmente fortement le risque de chute.
Au cours de l’évolution de la maladie de Parkinson, des troubles moteurs (lenteur d’initiation des mouvements ou akinésie, tremblement, piétinement au démarrage de la marche) s’associent progressivement à des troubles non moteurs (anxiété, troubles cognitifs) qui participent aux troubles de la marche et aux chutes à un stade avancé de la maladie. Cependant, l’association de ces signes diffère d’un sujet à l’autre et au cours du temps. Chez les sujets parkinsoniens ou présentant une démence ou après un accident vasculaire cérébral, un antécédent de chute et la peur de tomber sont prédictifs de chute.

Dépression

Les sujets dépressifs ont une vitesse de marche réduite, une longueur de pas plus courte, un temps de double appui et un temps de cycle plus longs. La dépression apparaît comme un facteur de risque de chute synergique d’une autre comorbidité, dans la mesure où elle devient responsable de chute en présence de diabète, de polymédication, d’arthrose et de pathologie cardiovasculaire. Anxiété et dépression contribuent à diminuer l’attention, ce qui favorise les chutes. Par ailleurs, la prise d’antidépresseurs est associée aux chutes chez la personne âgée.

Hypotension orthostatique

L’hypotension orthostatique est un trouble de la régulation de la pression artérielle qui correspond à la diminution de la pression artérielle lors du passage en position debout. Elle est une cause fréquente de malaises, de syncopes et de chute chez la personne âgée, et doit être systématiquement recherchée. Les étiologies en sont diverses, morbides ou médicamenteuses, en particulier les traitements anti-hypertenseurs. L’hypertension artérielle est un facteur de risque vasculaire majeur dans la population âgée. Le traitement de l’hypertension artérielle permet de réduire le risque. Cependant, tous les traitements anti-hypertenseurs peuvent occasionner des effets indésirables tels que l’hypotension orthostatique.
De nombreuses recommandations soulignent que les bénéfices d’un contrôle de l’hypertension d’un sujet âgé doivent être considérés en regard des effets indésirables potentiels et notamment du risque de chute et d’hypotension orthostatique. Le risque de chute et de fracture semble particulièrement élevé lors de l’initiation du traitement de l’hypertension.

Incontinence urinaire

L’incidence et la prévalence de l’incontinence urinaire augmentent avec l’âge, elles sont probablement sous-estimées du fait du caractère tabou de l’incontinence. En population générale, la prévalence de l’incontinence urinaire est estimée entre 8 et 22 %, elle est supérieure à 20 % parmi les sujets de plus de 80 ans. Au domicile, 14 à 18 % des sujets de plus de 75 ans sont incontinents, et environ 50 % en institution, tous sexes confondus. L’incontinence d’effort et l’incontinence par impériosité urinaire sont plus fréquemment retrouvées chez les personnes qui chutent que chez celles qui ne tombent pas. Les personnes qui ont à la fois une incontinence urinaire et un vécu des chutes, signalent un retentissement sur leur vie sociale et ont des symptômes d’anxiété et de dépression avec la perception d’une moins bonne qualité de vie.

Autres comorbidités : ostéoporose, arthrose, troubles du sommeil

Les femmes ostéoporotiques ont un taux de chutes plus élevé et ont également moins de force. La cyphose dorsale qui a un impact sur les capacités d’équilibration, et la peur de tomber sont deux facteurs de risque de chute chez les femmes ostéoporotiques.
Les douleurs articulaires et l’arthrose sont aussi des facteurs de risque de chute. Les personnes âgées souffrant d’une arthrose des membres inférieurs ont un risque de chute supérieur (multiplié par 2,5) à celles sans arthrose.
L’insomnie ou la fragmentation du sommeil entraîne une baisse des performances physiques et sont associées à des chutes plus fréquentes.

Médicaments psychotropes

Chez les personnes âgées, le risque de chute est majoré lors de la prise de médicaments psychotropes (de l’ordre de 1,7 à 2 fois selon des méta-analyses récentes), notamment pour les hypnotiques, les antidépresseurs et les neuroleptiques. Le rôle de ces médicaments dans la survenue de chute est d’autant plus important que leur consommation est particulièrement élevée chez les sujets âgés. La France est le pays où la consommation de psychotropes par les personnes âgées, et singulièrement les femmes âgées, est la plus élevée.
De nombreux arguments physiopathologiques, cliniques, biologiques, expérimentaux et épidémiologiques confirment l’hypothèse d’un rôle des médicaments psychotropes dans la survenue de chutes. Le risque de chute est corrélé au nombre et aux doses de psychotropes consommés.
L’usage des médicaments psychotropes dans la population âgée est un des facteurs de risque de chute les plus accessibles à des actions de prévention, le rapport bénéfice/risque étant globalement défavorable dans cette population.
Les médicaments psychotropes contribuent au risque de chute par des mécanismes directs et indirects tels que la sédation, les sensations de vertiges, la baisse des performances cognitives et motrices, les troubles de l’équilibre, le parkinsonisme, les troubles visuels. Ils contribuent à la survenue d’hypotension orthostatique, perturbent l’organisation du sommeil, modifient la composition corporelle et favorisent la nycturie. La majoration du risque de sédentarité, de pneumopathie d’inhalation et d’évènements cardiovasculaires contribue à la fragilisation des sujets âgés et participe indirectement au risque de chute dans cette population.
Cette association entre consommation de médicaments psychotropes et risque de chute est particulièrement forte dans les populations vivant en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, la consommation de médicaments psychotropes y étant très élevée. On estime qu’un tiers de résidents sont traités par neuroleptiques et la moitié par benzodiazépines. Le lien entre risque de chute et prise d’antipsychotiques, de benzodiazépines ou d’antidépresseurs est bien établi dans cette population, de même que l’effet cumulé des associations de psychotropes et l’effet dose dans ces classes thérapeutiques. Le rôle des hypnotiques est moins bien établi.

Isolement, niveau d’éducation, environnement et mode de vie

Les caractéristiques du chuteur sous-tendent les circonstances et souvent les conséquences de la chute. Ces caractéristiques telles qu’un faible revenu, un niveau d’éducation peu élevé, un logement inapproprié, un réseau social pauvre ou une difficulté d’accès aux services sociaux, sont des facilitateurs de l’expression d’autres facteurs de risque de chute.
Disposer d’un faible niveau de ressources financières ou d’éducation peut constituer un frein à l’adaptation du domicile ou à la participation à des programmes de remise en forme physique. Si les retraités, dans leur ensemble, ont un pouvoir de consommation plus important que leur poids démographique, il convient de rappeler que 700 000 personnes touchent l’Allocation de solidarité aux personnes âgées.
Par ailleurs, la peur de chuter est plus présente chez les personnes vivant seules que chez celles vivant en couple. Or l’isolement s’accroît avec l’âge : plus de 25 % des personnes de 60 ans et plus vivent seules.
Depuis longtemps, on sait qu’existe une différence de prévalence des chutes entre les populations vivant à domicile et celles résidant en institution : le taux de chutes serait de 30 à 50 % supérieur chez les personnes en institution.
Chez les personnes les plus autonomes, en meilleure santé et les moins âgées, entre 42 % et 50 % des chutes surviennent à l’extérieur. Les personnes les moins actives chutent surtout chez elles.

La peur de chuter constitue un autre facteur de risque de chute

La peur de chuter est un facteur de risque de chute et conduit à la restriction d’activité

La peur de chuter fait l’objet de nombreuses définitions dans la littérature. Elle peut être considérée comme un sentiment d’insécurité, d’inquiétude et/ou d’anxiété à l’égard de la chute, être associée à un manque de confiance d’un individu dans sa capacité à éviter de chuter, ou à une absence de confiance dans son équilibre. D’une façon générale, la peur de chuter renvoie à la perception, à l’évaluation et aux sentiments associés au risque personnel de chute.
Les études prospectives révèlent que la peur de chuter, quelle que soit la dimension utilisée pour en rendre compte (crainte, sentiment d’efficacité personnelle à éviter de chuter ou confiance dans l’équilibre), est liée positivement à une augmentation du risque de chute, indépendamment des facteurs de risque objectifs et sociodémographiques : elle serait impliquée dans la fragilisation des personnes âgées.
Indépendamment de sa relation directe avec le risque de chute, la peur de chuter est associée à certains processus impliqués dans ce risque, telles que les variations des paramètres de marche (vitesse de marche, longueur du pas…), l’équilibre, les activités quotidiennes et le style de vie adopté.
Les personnes âgées ayant peur de chuter présentent une augmentation de la douleur physique perçue, une diminution de la santé mentale, un risque majoré de dépression, une altération du fonctionnement physique et un déclin de la capacité à réaliser des activités de la vie quotidienne, ce qui peut aboutir à l’institutionnalisation.
L’hypothèse la plus couramment évoquée pour expliquer ces relations, implique la restriction d’activité, c’est-à-dire l’évitement des activités liées à une crainte excessive de chuter. La restriction (ou l’évitement) des activités génère un déconditionnement physique avec une perte de masse musculaire. Par le biais de ces manifestations, ce processus de déconditionnement aboutit à une augmentation du risque de chute. Ce processus d’évitement des activités est également évoqué comme mécanisme explicatif de la relation entre la peur de chuter et la diminution de la qualité de vie.
Une ligne de recherche récente s’est développée postulant l’existence d’une relation directe entre la crainte de chuter ou le sentiment d’efficacité à éviter de chuter et les modifications de la posture et de l’équilibre, sans rôle médiateur de l’évitement des activités. L’exposition à des obstacles ou à des situations menaçantes telle que la marche sur un support surélevé, génère une augmentation de l’anxiété posturale et des modifications de l’équilibre d’autant plus marquées que les individus ont peur de chuter.

L’expérience de la chute entraîne une peur de tomber à nouveau et un manque de confiance

Chez les personnes âgées, l’expérience de la chute constitue un des facteurs les plus consistants de la peur de chuter. La peur de chuter est plus fréquente chez le sujet très âgé et chez les femmes, mais sans dépendance vis-à-vis du niveau de scolarité. Cependant, certaines études rapportent une peur de chuter chez des personnes âgées n’ayant jamais chuté, et sans risque objectif important : plus de la moitié des individus ayant peur de chuter n’ont jamais fait l’expérience de cet évènement ; à l’inverse, certains individus ne craignent pas de chuter malgré une expérience antérieure de chute.
Ainsi la peur de chuter est de déterminisme multifactoriel. Un mauvais état de santé et la présence de comorbidités contribuent à une augmentation de la peur de chuter. Les incapacités fonctionnelles illustrées par les limitations dans les activités quotidiennes sont des prédicteurs robustes d’une crainte accrue de chuter. De nombreuses études ont établi une relation entre une forte appréhension à l’égard de la chute et la présence de symptômes dépressifs chez les personnes âgées. La consommation de médicaments et la sédentarité sont des facteurs comportementaux associés à la peur de chuter.
Le névrosisme, l’un des 5 traits du modèle de la personnalité (névrosisme, extraversion, ouverture à l’expérience, agréabilité, caractère consciencieux), reflétant une tendance à l’instabilité émotionnelle et à percevoir la réalité comme étant menaçante, est associé à la peur de chuter, au-delà des chutes antérieures et des facteurs sociodémographiques. Globalement, les facteurs psychologiques, tels que les symptômes dépressifs et les traits de personnalité, pourraient expliquer la tendance à la surestimation des risques de chute observée chez certains individus présentant des risques objectifs faibles.
La crainte de chuter et le sentiment d’efficacité personnelle à éviter de chuter et à maintenir l’équilibre sont donc des construits plurifactoriels, déterminés par l’expérience des chutes, des facteurs sociodémographiques, physiques, cognitifs, comportementaux et psychologiques.

L’évaluation du risque de chute et le repérage des personnes âgées à haut risque peuvent être faits en routine

Les personnes âgées consultant principalement leur médecin généraliste, celui-ci est en première ligne pour repérer des personnes âgées à risque de chute et conseiller ses patients en fonction du niveau de risque. Il est important qu’il dispose d’outils de repérage sensibles, spécifiques, reproductibles et facilement utilisables en pratique clinique quotidienne (ne nécessitant pas de matériel particulier).
Selon les lieux d’exercice (domicile, hôpital, institution), quatre approches sont possibles :
• interrogatoire du patient sur ses antécédents de chute ;
• tests physiques mono-tâche (une seule épreuve d’équilibre ou de marche) et multitâches ;
• approche multidimensionnelle avec des outils composites et un repérage des principaux facteurs de risque de chute ;
• épreuves de double-tâche physique et cognitive.
L’interrogatoire du patient repose sur la question fondamentale : « Êtes-vous déjà tombé ? » dans l’année ou dans les 6 mois précédents. La connaissance d’antécédents de chute est un excellent prédicteur de nouvelles chutes avec un risque relatif variant de 1 à 4 selon les études. Cette approche est limitée en cas d’incapacité de la personne à se souvenir des chutes et par le non-repérage des sujets qui ne sont pas encore tombés.
Parmi les tests physiques mono-tâche, la station unipodale est parmi l’un des mieux validés et des plus simples : ne pas tenir 5 secondes sur une jambe s’est révélé un facteur indépendant de risque de chute grave. Par ailleurs, ce test pourrait être prédictif de fragilité et de perte d’indépendance. Le test de « lever de chaise » qui évalue la force musculaire (par la mesure du temps nécessaire pour se lever cinq fois de suite d’une chaise sans accoudoir sans s’appuyer ; seuil=11 à 15 secondes) est aussi prédictif de nouvelles chutes avec une sensibilité et une spécificité de l’ordre de 60 %, mais il n’est pas réalisable chez des sujets âgés très limités sur le plan fonctionnel. La mesure de la « vitesse de marche » présente une reproductibilité intra-individuelle et intra- et inter-observateurs excellente. Une revue de la litterature a montré qu’une vitesse de marche inférieure à 0,8 m/s serait prédictive de perte d’indépendance, de déclin cognitif, d’entrée en institution, de mortalité et de chute.
Parmi les tests physiques multitâches, le Timed Up and Go Test consiste à mesurer le transfert assis/debout, la marche sur 3 mètres et les changements de direction. Des sujets âgés ayant des antécédents de chute mettent en moyenne plus de temps que les autres pour réaliser la tâche. Le seuil à considérer ne fait pas l’objet d’un consensus : des valeurs seuils de 12 à 20 secondes ont été proposées.
Dans l’approche multidimensionnelle, le questionnaire Falls Risk for Older People in the Community Scale (Frop-Com) est un outil d’évaluation globale des risques de chute couvrant 13 facteurs de risque et leur attribuant un score de sévérité. Plus la note globale résultant de la somme des scores est élevée, plus le risque de chute est important. La reproductibilité intra-observateur et inter-observateurs est excellente.
Les épreuves de double-tâche physique et cognitive ne sont pas standardisées. Malgré les discordances entre les études, les changements observés pendant l’accomplissement de la double-tâche sont significativement associés à un risque de chute, en particulier chez les sujets âgés fragiles. Cependant, les épreuves de double-tâche ne sont pas supérieures aux autres tests pour prédire le risque de nouvelle chute.
Les études ne permettent pas de définir l’outil le plus performant pour repérer les sujets à haut risque de chute. Il est probable que l’outil « idéal » varie selon la population et le contexte de soins. La faisabilité pour le clinicien et l’acceptabilité pour le patient sont des critères de choix.
En pratique courante, le repérage des sujets âgés peut reposer sur la recherche d’antécédents de chutes et sur un test fonctionnel simple comme le Timed Up and Go Test. Quoique facile à pratiquer au quotidien, ce repérage est loin d’être réalisé comme il le devrait.

L’efficacité des interventions de prévention des chutes dépend de la population ciblée

La prévention des chutes chez les personnes âgées repose sur différents types d’interventions

La chute du sujet âgé étant le plus souvent d’origine multifactorielle, impliquant des facteurs médicaux, psychologiques, comportementaux et environnementaux, différents types de programmes de prévention des chutes ont été développés. On distingue habituellement trois types d’interventions : les interventions unifactorielles, les interventions multiples et les interventions multifactorielles.
Les interventions unifactorielles visent à corriger un seul facteur, par exemple, la vision, l’aménagement et l’équipement du domicile, la dénutrition, l’ordonnance de médicaments, ou le comportement du sujet (interventions cognitivo-comportementales ou éducation du patient). Cependant, la majorité des programmes d’interventions unifactorielles consistent en la réalisation d’exercices physiques avec ou sans évaluation individualisée du programme.
Les interventions multiples ciblent deux ou plus de deux facteurs de risque et les proposent à toutes les personnes du groupe d’intervention sans évaluation individuelle des risques.
Les interventions multifactorielles intègrent une évaluation individuelle du risque de chute et proposent ensuite une prise en charge individualisée en fonction des risques repérés. Les actions proposées diffèrent d’un patient à l’autre, mais comprennent presque toujours des exercices physiques et, selon les cas, la correction d’une hypotension orthostatique, la correction de troubles visuels, la révision des médicaments, notamment la réduction des traitements psychotropes, l’adaptation du domicile, l’ajout de suppléments vitaminiques ou nutritionnels, la prise en charge des problèmes podologiques, le diagnostic et le traitement d’une maladie de la mémoire et de la dépression.
Les programmes unifactoriels ou multiples sont plus faciles à mettre en place que les interventions multifactorielles, car ils ciblent moins de facteurs de risque, ne nécessitent pas d’évaluation initiale et comprennent des mesures identiques pour toutes les personnes. Les interventions multifactorielles qui comportent une évaluation initiale et une correction personnalisée, au plus près des facteurs de risque de chute observés chez chaque personne, s’intéressent le plus souvent à des personnes à haut risque de chute.

Les interventions unifactorielles reposant sur la pratique d’exercices physiques sont efficaces pour réduire le nombre de chutes et le nombre de chuteurs chez les personnes vivant à domicile

La plus importante revue systématique de la littérature (Cochrane Collaboration, 2012) a examiné l’effet de différents programmes d’exercice sur le taux de chutes (nombre total de chutes par unité de temps) et sur le risque de chuter (nombre de personnes qui font au moins une chute pendant la durée de l’intervention) chez les personnes âgées vivant à leur domicile ou dans des logements ou résidences (qui, de façon générale, n’offrent pas de services médicaux ou de rééducation in situ). Les résultats montrent que les programmes « multi-catégories » (reposant sur plusieurs types d’exercices), pratiqués en groupe, diminuent le taux de chutes de 29 % et le risque de chuter de 15 % (tableau IIrenvoi vers). Généralement, un programme multi-catégories associe à des exercices de stimulation de l’équilibre et de la marche, des exercices de renforcement musculaire. Les programmes d’exercices multi-catégories sont également efficaces lorsqu’ils sont pratiqués en individuel au domicile : le taux de chutes est diminué de 32 % et le risque de chuter de 22 %. Ces programmes d’exercices à domicile sont généralement mis en œuvre et suivis, au moins au départ, par des kinésithérapeutes ou d’autres types d’intervenants spécialement formés.

Tableau II Effets des exercices en groupe : exercices multi-catégories versus contrôle. Analyse en sous-groupes selon le risque de chute (d’après Gillespie et coll., 2012)

 
Nombre d’études
Nombre de participants
 
   
Rate Ratio(IC 95 %)
Taux de chutes
16
3 622
0,71 [0,63-0,82]
Sujets sélectionnés pour haut risque de chute
9
1 261
0,70 [0,58-0,85]
Sujets non sélectionnés
7
2 361
0,72 [0,58-0,90]
   
Risk Ratio(IC 95 %)
Nombre de chuteurs
22
5 333
0,85 [0,76-0,96]
Sujets sélectionnés pour haut risque de chute
12
1 430
0,87 [0,78-0,97]
Sujets non sélectionnés
10
3 903
0,85 [0,68-1,06]
Si l’on considère les interventions reposant sur une seule catégorie d’exercices pratiqués en groupe, seuls les programmes d’entraînement de l’équilibre et le tai chi chuan sont efficaces avec une réduction de 28 % du taux de chutes pour les programmes d’entraînement de l’équilibre et une diminution de 29 % du risque de chuter pour le tai chi chuan (tableau IIIrenvoi vers).
Les programmes d’exercices multi-catégories semblent être aussi efficaces chez les personnes à plus haut risque de chute (par exemple, sélectionnées à l’inclusion dans l’essai sur la base d’un antécédent de chute, d’un âge plus élevé ou de capacités d’équilibre et de marche diminuées) que chez les personnes non sélectionnées (tableau IIIrenvoi vers).

Tableau III Effets des exercices en groupe : tai chi chuan versus contrôle. Analyse en sous-groupes selon le risque de chute (d’après Gillespie et coll., 2012)

 
Nombre d’études
Nombre de participants
 
   
Rate Ratio(IC 95 %)
Taux de chutes
5
1 563
0,72 [0,52-1,00]
Sujets sélectionnés pour haut risque de chute
2
555
0,95 [0,62-1,46]
Sujets non sélectionnés
3
1 008
0,59 [0,45-0,76]
   
Risk Ratio(IC 95 %)
Nombre de chuteurs
6
1 625
0,71 [0,57-0,87]
Sujets sélectionnés pour haut risque de chute
2
555
0,85 [0,71-1,01]
Sujets non sélectionnés
4
1 070
0,58 [0,46-0,74]
La « dose » (combinaison fréquence/durée) d’exercices semble également importante à considérer. Une méta-analyse montre un effet sur la prévention des chutes nettement plus marqué dans les essais où la dose d’exercices était au minimum de 50 heures sur la durée totale de l’intervention. L’effet le plus important de l’exercice sur le nombre de chutes (diminution de 58 %) est obtenu lorsque les programmes comprennent une haute dose globale d’exercice et incluent des exercices stimulant fortement l’équilibre. De façon générale, on sait que les bénéfices de l’exercice sont rapidement perdus après l’arrêt du programme, ce qui implique idéalement la poursuite de l’entraînement physique aussi longtemps que possible pour le maintien des effets sur le long terme. Cependant, peu d’études ont suivi les participants au-delà de la période d’intervention qui excède rarement 12 semaines pour apprécier la durée de l’effet préventif sur les chutes et la persistance d’une activité par les participants.
La plupart des essais n’ont pas un effectif suffisant pour montrer un effet sur les évènements les plus graves dont l’incidence est relativement faible (faible puissance statistique). De plus, la définition des « chutes traumatiques » varie d’une étude à l’autre, rendant difficile la comparaison des résultats entre études et leur combinaison en méta-analyse. Les traumatismes les plus souvent considérés dans les études sont les fractures. Par ailleurs, certains facteurs comme la densité minérale osseuse qui influencent le risque de traumatisme, notamment le risque de fracture lors d’une chute, ne sont pas toujours considérés dans les études. Enfin, bien que les études épidémiologiques observationnelles aient trouvé une relation inverse entre le niveau d’activité physique et le risque de fracture de l’extrémité du fémur, certaines études ont rapporté une association positive entre le niveau d’activité physique ou le niveau de capacités physiques fonctionnelles et le risque de certains types de fractures et de traumatismes liés à une chute. Par exemple, les personnes âgées les plus actives et les plus « vigoureuses » ayant un risque moindre de chuter que les personnes plus « fragiles », ont cependant un risque plus élevé de souffrir d’un traumatisme lors d’une chute, peut-être en raison d’une tendance à s’engager dans des activités plus « à risque » et à tomber avec plus d’élan (et donc plus de force). Globalement, le risque de fracture est diminué (20 à 40 %) chez les sujets pratiquant une activité physique et ayant un mode de vie actif.
La récente revue Cochrane (2012), qui a examiné l’effet global des exercices sur la prévention des fractures, suggère que les programmes d’exercices visant à prévenir les chutes diminuent aussi significativement le risque de fracture (RR=0,34 ; IC 95 % [0,18-0,63] ; 6 essais). Une méta-analyse parue en 2013 suggère que les programmes comprenant des exercices d’équilibre et de renforcement musculaire diminuent l’ensemble des chutes traumatiques (c’est-à-dire celles ayant entraîné une blessure quelle qu’elle soit ou le recours à des soins médicaux) (RR=0,63 ; IC 95 % [0,51-0,77] ; 10 essais), y compris les plus graves (RR=0,57 ; IC 95 % [0,36-0,90] ; 7 essais). Ces programmes permettent également de réduire le taux de chutes menant à des fractures (RR=0,39 ; IC 95 % [0,22-0,66] ; 6 essais).

Les interventions multifactorielles sont efficaces pour réduire le risque de chute chez les personnes âgées vivant à domicile

Selon les derniers résultats publiés par le groupe Cochrane en 2012, les interventions multifactorielles auprès des personnes âgées vivant à domicile réduisent significativement le nombre de chutes de 24 % (RR=0,76 ; IC 95 % [0,67-0,86] ; 19 essais) mais pas le nombre de chuteurs (RR=0,93 ; IC 95 % [0,86-1,02] ; 34 essais), ni le nombre de fractures (RR=0,84 ; IC 95 % [0,67-1,05] ; 11 essais). Toutefois, la méta-analyse sur les interventions multifactorielles faite par l’Institut national de santé publique du Québec en 2009, indique une réduction de 31 % du nombre de chuteurs qui se blessent (RR=0,69 ; IC 95 % [0,53-0,90] ; 6 essais) et de 19 % du nombre de personnes ayant recours à des soins médicaux (RR=0,81 ; IC 95 % [0,68-0,95]) dans le cadre d’interventions actives (où les corrections des facteurs de risque sont effectivement réalisées) incluant au moins une évaluation du domicile, de l’ordonnance et un programme d’exercices physiques.
La prise en charge aura de bons résultats si la personne est motivée, comprend et partage les objectifs. Cette participation active de la personne âgée nécessite donc une approche éducative, comme le soulignent les recommandations émises par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes, 2005) et la Haute autorité de santé (HAS, 2005).

En établissement d’hébergement pour personnes âgées, les programmes d’activité physique et les interventions multifactorielles n’ont pas démontré leur efficacité dans la prévention des chutes

Le fait que les profils des personnes vivant en institution et les caractéristiques de leur environnement soient différents de ceux des personnes vivant à domicile, laisse penser que le type d’interventions à mettre en œuvre pour prévenir efficacement les chutes pourrait lui aussi être différent.
En institution gériatrique, les résultats des essais, qu’ils soient uni- ou multifactoriels, sont hétérogènes. Globalement, selon deux méta-analyses récentes, la prévention reposant uniquement sur la pratique d’exercices physiques n’a pas été trouvée associée à une réduction du taux de chutes (pour l’une, RaR=1,00 ; IC 95 % [0,74-1,35] ; 7 essais contrôlés randomisés ; 1 205 participants ; pour l’autre, RaR=0,93 ; IC 95 % [0,78-1,11]), ni à une diminution du risque de chuter (RR=1,03 ; IC 95 % [0,88-1,21] ; 7 essais contrôlés randomisés ; 1 248 participants).
De même, dans cet environnement, les études concernant les interventions reposant sur une approche multifactorielle visant à prévenir les chutes ne sont pas concluantes. Les méta-analyses les plus récentes concluent que les interventions multifactorielles globalement ne diminuent ni le nombre de chutes (RaR=0,78 ; IC 95 % [0,59-1,04] ; I2=84 %, 7 essais, 2 876 participants), ni le risque de chuter (RR=0,89 ; IC 95 % [0,77-1,02] ; I2=43 % ; 7 essais, 2 632 participants). Elles suggèrent néanmoins la possibilité d’un effet positif de ce type d’intervention sans le démontrer, le seuil de significativité n’étant pas atteint. Les interventions multifactorielles pourraient également réduire le risque de fractures bien que le seuil de significativité statistique ne soit pas franchi (RR=0,56 ; IC 95 % [0,30-1,03] ; I2=0 %, 4 études).

Pour les sujets fragiles et/ou à haut risque de chute, l’approche multifactorielle est la plus adaptée

Les données de la littérature suggèrent que les interventions multifactorielles ne seraient pas plus efficaces que les interventions mono-factorielles, notamment celles reposant sur des exercices physiques. Compte-tenu de la grande hétérogénéité des études, il n’est pas possible de déterminer à partir des données de la littérature les circonstances dans lesquelles les approches multifactorielles sont à privilégier.
Il est clair, cependant, que l’approche multifactorielle qui vise à reconnaître et corriger les facteurs de risque de chute et des facteurs de gravité en cas de chute permet de repérer et diagnostiquer différents problèmes de santé pouvant être à l’origine d’une perte d’autonomie : maladies de la mémoire, dénutrition, dépression... Elle permet donc la définition d’un plan de soins et d’aides global et coordonné pouvant réduire le risque de perte fonctionnelle au-delà du seul risque lié aux chutes. Cette approche est la plus adaptée aux sujets fragiles.
Il est aujourd’hui recommandé de différencier les personnes ayant un faible risque de chute (qui sont pour la plupart vigoureuses) et celles ayant un risque élevé (qui sont pour la plupart fragiles). Pour les premières, qui constituent la majeure partie de la population des personnes âgées, les interventions mono-factorielles sont les plus adaptées. En revanche, les personnes âgées à haut risque, ou qui ont fait plusieurs chutes ou au moins une chute grave (avec traumatisme ou station à terre prolongée après la chute) doivent bénéficier d’une évaluation multifactorielle et d’une prise en charge personnalisée.

L’entraînement de l’équilibre est la clé de voûte de tout programme d’exercices de prévention des chutes

Les programmes d’exercices physiques les plus efficaces sont ceux centrés sur le travail de l’équilibre

L’inclusion dans les programmes d’exercice offerts aux personnes vivant à domicile d’un entraînement spécifique de l’équilibre semble être un élément clé pour le succès du programme, et pourrait expliquer pourquoi des interventions apparemment très différentes, comme la pratique en groupe du tai chi et divers programmes d’exercices pratiqués en groupe ou au domicile ont une efficacité comparable et substantielle vis-à-vis des chutes. Globalement, les programmes qui incluent des exercices d’équilibre entraînent une réduction significative du risque de chute de l’ordre de 25 % tandis que les programmes n’incluant pas d’exercices d’équilibre n’ont pas d’effet significatif sur la prévention des chutes.
Les capacités d’équilibre de la personne doivent être stimulées de façon systématique et progressive en faisant varier le niveau de contrainte.
Une stimulation efficace de l’équilibre peut être obtenue de trois façons :
• en réduisant la « base d’appui » (par exemple, en se tenant debout les pieds joints, ou avec un pied juste devant l’autre, ou sur un seul pied) ;
• en effectuant des mouvements contrôlés de déplacement du centre de gravité (tendre le bras vers l’avant en position debout, en transférant le poids du corps d’une jambe sur l’autre) ;
• en diminuant le soutien apporté par les membres supérieurs (s’appuyer sur une table à l’aide d’un seul doigt plutôt qu’en posant la main entière).
La défaillance du contrôle de l’équilibre dynamique est fréquemment retrouvée dans les mécanismes de la chute chez le sujet âgé. La marche est en effet une activité d’équilibre dynamique, nécessitant le rattrapage permanent de l’équilibre en regard d’une base de sustentation qui se déplace. Outre son altération chez le sujet âgé parallèlement à celle de la fonction d’équilibration, la marche requiert une attention plus soutenue pour compenser la faiblesse de l’automatisme. Les interventions comprenant spécifiquement des exercices d’équilibre dynamique (rattrapage de l’équilibre en position debout, passage d’obstacles, exercices d’assis-debout, de double-tâche, de marche avec variations de vitesse et de direction) et du renforcement musculaire des membres inférieurs améliorent la vitesse de marche et les paramètres cinématiques.
Pour être considérés comme efficaces, les programmes d’exercices physiques visant à prévenir les chutes devront comporter entre autres ces différents types d’exercices renforçant l’équilibre.

Le renforcement musculaire et l’amélioration de l’endurance participent au maintien des capacités fonctionnelles et ont des effets complémentaires au travail de l’équilibre sur la prévention des chutes

Les exercices de renforcement musculaire ont des effets bénéfiques sur différents facteurs impliqués dans la prévention des chutes et des fractures : bénéfices sur la force et la puissance musculaires, l’endurance, la peur de tomber et la masse osseuse. Or le risque de fracture non vertébrale est conditionné par le risque de chute et une masse osseuse basse.
Chacun de ces paramètres est amélioré différemment selon le type d’exercices, son intensité, sa fréquence et sa durée, les effets étant plus ou moins rapidement suspensifs à l’arrêt du programme. Ainsi, pour améliorer durablement ces différents paramètres, les programmes d’exercices physiques devront comporter des exercices variés et conçus pour favoriser le maintien au long cours des personnes dans les programmes.

Renforcement musculaire

De nombreuses études montrent la possibilité d’une augmentation considérable de la force musculaire par certains exercices, ces exercices à haute intensité étant possibles même à des âges extrêmes. Le maintien de la force musculaire est l’un des éléments du maintien des capacités fonctionnelles après 65 ans.
Le renforcement musculaire par des exercices contre résistance améliore significativement la force musculaire, les capacités fonctionnelles (capacité à se relever d’une chaise, à monter les escaliers), la mobilité et diminue les douleurs arthrosiques, mais n’a pas d’effet isolément sur l’équilibre et la prévention des chutes. Les muscles de hanche et stabilisant le genou étant impliqués en cas de déséquilibre, un renforcement de ces muscles est cependant indiqué en complément des exercices améliorant l’équilibre chez les sujets à risque de chute. Par ailleurs, le renforcement musculaire a des effets généraux sur l’endurance (capacités aérobies) et sur la qualité de vie. Les bénéfices des exercices contre résistance nécessitent une intensité suffisante, et sont site-spécifiques, n’intéressant que les muscles sollicités. La rémanence des effets musculaires de ce type d’exercices est faible, nécessitant leur maintien au long cours pour des effets durables.
La puissance musculaire (niveau de force mobilisée en un temps donné) diminue davantage que la force musculaire avec l’âge : elle est un meilleur prédicteur de chute et de l’état fonctionnel. L’entraînement en puissance (répétitions de mouvements à vitesse élevée) a un effet supérieur au renforcement musculaire contre résistance sur la puissance, la force musculaire et les performances fonctionnelles. Comme pour les exercices contre résistance, les exercices visant à augmenter la puissance n’ont pas d’effet sur la vitesse de marche et l’équilibre, sauf peut-être pour les exercices en puissance à faible intensité.
La capacité à mobiliser de la force en cas de déséquilibre étant essentielle pour prévenir les chutes, les exercices de renforcement musculaire contre résistance et visant à augmenter la puissance musculaire doivent être proposés dans les programmes visant à prévenir la chute, de par leurs effets complémentaires au travail de l’équilibre.

Travail en endurance

L’avancée en âge s’accompagne également d’une baisse des capacités d’endurance, soit une diminution de l’aptitude aérobie d’environ 5 ml/kg.minute/10 ans (consommation maximale d’oxygène). Les activités physiques augmentant les capacités d’endurance améliorent les capacités fonctionnelles et réduisent la masse grasse. Une augmentation des capacités d’endurance (de 5 à 6 ml/kg.minute de la consommation maximale d’oxygène) pourrait repousser l’entrée dans la dépendance de 10 à 12 ans.
Comparés aux exercices contre-résistance, ceux améliorant les capacités d’endurance ont un bénéfice supérieur sur les capacités fonctionnelles. Si le renforcement musculaire et le travail en endurance ont peu d’effet sur l’équilibre, ils ont respectivement des effets positifs sur la mobilité et sur l’efficience des muscles sollicités en cas de déséquilibre. Le travail en endurance est indiqué en complément du travail de l’équilibre et du renforcement musculaire dans les programmes de prévention des chutes.
L’ensemble des programmes visant à améliorer l’équilibre, la force et la puissance musculaire, ou les capacités aérobies réduisent globalement la peur de tomber, qui est un facteur de risque de chute.

Prévention de la perte osseuse liée à l’âge

Environ 0,2 à 6 % des chutes sont compliquées de fractures, à l’origine d’une importante morbidité et mortalité. Les activités physiques en contexte de gravité (activités en position debout par opposition aux activités en milieu aquatique ou le vélo par exemple), à condition d’être effectuées sur une durée suffisante (supérieure à 1 an), vont avoir des effets bénéfiques sur la masse osseuse (notamment sur les os corticaux) en limitant la perte osseuse liée à l’âge, et ce d’autant qu’elles produisent des contraintes significatives sur les os. Si le soulever de poids ou les sauts ont l’effet ostéogénique le plus important, ces exercices sont difficiles à envisager chez les sujets âgés les plus fragiles. Dans cette population, les exercices devront être d’intensité adaptée pour ne pas conduire à des fractures par excès relatif de contrainte. Les effets des contraintes en milieu gravitaire sur la santé osseuse sont site-spécifiques et sont peu rémanents, nécessitant d’être maintenus au long cours.
L’effet des contraintes sur l’os est le plus important en phase d’acquisition de la masse osseuse ou modelage, c’est-à-dire lors de l’enfance et l’adolescence avec un pic d’efficience pendant la période péri-pubertaire et pubertaire. L’activité physique exercée par la suite permet de ralentir la perte de la masse et de la qualité osseuse.
Les exercices ayant des effets sur l’équilibre, la force musculaire, la puissance musculaire, les fonctions aérobies, la masse osseuse étant différents et l’entraînement devant être durable pour obtenir des effets significatifs, il est recommandé pour maintenir l’autonomie et prévenir les chutes, d’utiliser des exercices variés, d’intensité suffisante, et adaptés au profil des patients. Tenant compte de la spécificité d’action des exercices en fonction de leur type, intensité, fréquence, durée, il est conseillé d’incorporer différents types d’exercices dans les activités de la vie quotidienne. Au domicile ou lors d’une rééducation, les exercices peuvent être fondés sur des situations rencontrées dans le quotidien, de manière à améliorer le caractère translationnel des bénéfices de l’activité physique dans la capacité à effectuer les activités de la vie quotidienne.
Par exemple, le « programme d’exercices Otago » (PEO) est un programme d’entraînement de l’équilibre et de la force musculaire, destiné aux personnes âgées vivant à domicile. Il repose, d’une part, sur des exercices de musculation des jambes dont le rythme et l’intensité vont croissant (séances de 30 minutes, 3 fois par semaine) et, d’autre part, sur un programme de marche à l’extérieur du domicile des personnes (au moins deux fois par semaine). Ces exercices sont prescrits à chaque personne de façon adaptée à ses besoins avec une progression définie au cours de 5 visites par un kinésithérapeute. Le programme diminue de 35 % le taux de chutes et de traumatismes (modérés ou sévères) consécutifs à une chute. Il a la même efficacité (même réduction relative du taux de chutes) chez les personnes avec un antécédent de chute dans les 12 derniers mois que chez celles qui n’en ont pas. En revanche, il montre une efficacité plus importante dans la prévention des chutes traumatiques chez les participants âgés de plus de 80 ans que chez les participants plus jeunes (entre 65 et 79 ans). Le bénéfice absolu du programme, évalué en nombre de chutes évitées, serait plus important chez les personnes ayant un antécédent de chute en raison de leur risque de chute plus élevé.
Les sujets âgés fragiles doivent tout particulièrement pouvoir disposer de programmes au domicile, au plus près des activités de la vie courante. Le programme dit Life (Life style Integrated Functional Exercice) propose des exercices pouvant être effectués lors des tâches quotidiennes (enjamber des objets, porter son poids d’une jambe à l’autre, tourner et changer de direction...). Une étude montre une diminution de 31 % du taux de chutes par rapport au groupe témoin et une amélioration des capacités fonctionnelles, de l’équilibre, de la force musculaire au niveau des chevilles et de la confiance en soi.

L’activité physique participe au maintien de l’autonomie de la personne âgée

L’activité physique a un effet bénéfique sur le maintien des capacités cognitives

Les effets favorables de l’activité physique sur le maintien des capacités cognitives intéressent la prévention de la chute à deux titres : en raison des associations fortes entre la fréquence de la chute et les troubles cognitifs mais aussi en raison du rôle des fonctions cognitives dans le contrôle du mouvement et de la posture.
Chez les sujets âgés indemnes de troubles cognitifs, les études de cohortes, les études transversales et les études randomisées contrôlées indiquent que les effets de l’activité physique sur l’incidence des chutes pourraient faire intervenir d’autres fonctions que physiques. En effet, une bonne condition physique est associée à de meilleures fonctions cognitives, tout particulièrement les fonctions exécutives et la plasticité cérébrale. Une bonne fonction cognitive pourrait compenser en partie l’augmentation du temps de réaction chez les sujets sains âgés en cas de déséquilibre et serait associée à de meilleures performances dans des tâches faisant appel aux fonctions exécutives (marche en contexte d’attention divisée ou double-tâche).
L’activité physique aérobie ainsi que l’entraînement en résistance, d’intensité modérée ou élevée, améliorent la performance cognitive, la mémoire à court et long terme, le raisonnement verbal, les fonctions exécutives et la plasticité cérébrale, ainsi que les processus d’inhibition corticale. Certaines études transversales suggèrent un lien entre la fonction cardiorespiratoire et les capacités cognitives au cours du vieillissement.
Si le lien entre activité physique et cognition chez les sujets âgés sains est établi, il faut cependant considérer la difficulté à déterminer la part des facteurs liés au statut social et au niveau d’éducation dans les effets bénéfiques de l’activité physique sur la cognition.
Chez les patients présentant un déficit cognitif léger (MCI, Mild Cognitive Impairment), les programmes d’activité physique visant à améliorer la force musculaire, les capacités aérobies et les capacités fonctionnelles apportent les mêmes bénéfices sur ces paramètres que chez les sujets non déments, mais les effets sur les fonctions cognitives observés dans certaines études restent cependant discutés.
L’activité physique pourrait avoir un effet plus général de prévention du déclin cognitif et de restauration des structures cérébrales chez les personnes âgées quel que soit le degré d’altération. Un essai randomisé sur un an montre que les activités de type tai chi chuan avec des exercices cognitifs et de la coordination motrice pourraient différer l’entrée dans la démence des personnes atteintes de MCI.
Les mécanismes qui sous-tendent les effets de l’activité physique, loin d’être totalement élucidés, sont un centre d’intérêt important pour la recherche.

Toute une gamme d’activités physiques accessibles et bénéfiques aux personnes âgées montre leur efficacité, même si les liens ne sont pas directs avec la prévention des chutes

Une littérature abondante montre l’efficacité tant au plan physique que psychologique, particulièrement dans le cadre du vieillissement, de toute une gamme d’activités physiques accessibles aux plus âgés. On peut citer la pratique de la danse offrant des possibilités de stimuli qui apparaissent comme particulièrement pertinentes pour le public âgé tant sur le plan physique que psychologique. Plus récemment, dans la population des plus de 60 ans, la pratique des exercices aquatiques a démontré son intérêt sur l’amélioration des fonctions d’équilibration, et en particulier l’aquagym qui est devenue très populaire associant les bienfaits de l’eau chaude, du soulagement des contraintes articulaires et le caractère ludique. Le tai chi chuan, situé entre gymnastique douce et art martial, sollicite tout particulièrement la réalisation de changements posturaux coordonnés. Peu d’études se sont intéressées à la méthode Feldenkrais qui a pour objectif, la prise de conscience du mouvement et qui consiste à apprendre à ne plus faire des gestes de manière automatique mais à les exécuter en toute conscience en dosant ses efforts. Des effets de cette approche ont été retrouvés sur l’équilibre, la mobilité avec une amélioration sur la confiance en soi et la peur de tomber. Certains rééducateurs utilisent des exercices issus de la méthode en complément d’exercices traditionnels.
Les nouvelles technologies ont mis à la disposition de l’activité physique et de la rééducation de nouveaux outils pour favoriser le mouvement et le contrôle postural. Il peut s’agir de simples feed-back visuels connus depuis longtemps en rééducation ou de jeux vidéo favorisant l’interactivité ou encore l’utilisation de la réalité virtuelle. Des perspectives intéressantes apparaissent avec l’utilisation de jeux interactifs pour favoriser le mouvement et le contrôle postural dans la population âgée. Dans l’état actuel des connaissances, il faut rester prudent quant à leur efficacité. Un travail de recherche important reste à faire sur les contenus et la nature des interfaces proposées.
Ces activités améliorent l’autonomie fonctionnelle des personnes, ce qui est un objectif complémentaire de celui de réduire le nombre de chutes.

L’activité physique a des effets bénéfiques sur la qualité de vie chez le sujet âgé

Les conséquences de la chute étant particulièrement délétères sur la qualité de vie et l’estime de soi, les retentissements de l’activité physique sur la qualité de vie et le bien-être sont à considérer. La qualité de vie et le bien-être peuvent être évalués selon de très nombreux aspects tels que le bien-être émotionnel (anxiété, émotions, optimisme...), les perceptions de soi (compétences, estime globale de soi, image du corps, perception de sa condition physique...), le bien-être physique (douleur, perception des troubles somatiques, état de santé...) et le bien-être perçu (qualité de vie, bien-être subjectif, sens donné à sa vie...). Cette évaluation est difficile, les niveaux de preuve variant en fonction des volets étudiés. Cependant, les personnes âgées qui consacrent du temps à l’activité physique ont une meilleure perception de leur santé en général, de leur vitalité et de leur condition mentale et physique.
À la notion de qualité de vie est souvent associée la qualité du sommeil. Or les troubles du sommeil augmentent avec l’âge sous la forme d’insomnie, de réveils précoces… avec une prévalence de ces troubles entre 12 et 30 % chez les plus de 65 ans. Il est généralement admis que l’exercice physique améliore la qualité du sommeil.

L’engagement dans une pratique d’activité physique chez les personnes âgées dépend de nombreux facteurs

En France, une personne âgée de plus de 55 ans sur deux pratique une activité physique, mais il existe de fortes disparités selon le genre et le statut socioéconomique

Les études sur l’activité physique distinguent en général l’activité physique liée aux activités professionnelles, l’activité physique exercée dans le cadre domestique et de la vie courante (déplacements compris) et l’activité physique et sportive qui fait partie des activités de loisir. Le sport est considéré comme une activité physique spécifique qui se pratique selon des règles définies par les fédérations sportives.
Selon l’OMS en 2010, les personnes âgées devraient pratiquer au cours de la semaine, au moins 150 minutes d’activité d’endurance d’intensité modérée ou au moins 75 minutes d’activité d’endurance d’intensité soutenue, ou une combinaison équivalente d’activité d’intensité modérée et soutenue. L’activité d’endurance devrait être pratiquée par périodes d’au moins 10 minutes. Pour en retirer des bénéfices supplémentaires sur le plan de la santé, les personnes âgées devraient augmenter la durée de leur activité d’endurance d’intensité modérée de façon à atteindre 300 minutes par semaine ou pratiquer 150 minutes par semaine d’activité d’endurance d’intensité soutenue, ou une combinaison équivalente d’activités d’intensité modérée et soutenue. Les personnes âgées dont la mobilité est réduite devraient pratiquer une activité physique visant à améliorer l’équilibre et à prévenir les chutes au moins trois jours par semaine. En complément, des exercices de renforcement musculaire faisant intervenir les principaux groupes musculaires devraient être pratiqués au moins deux jours par semaine. Chez les sujets âgés présentant des incapacités, un modèle de programme hebdomadaire basé sur les niveaux de preuve pour chaque situation d’incapacité est recommandé.
En France, 53 % des plus de 50 ans pratiquent une activité physique et sportive. Cependant, l’âge joue un rôle décisif dans la pratique avec une rupture à l’âge de la retraite : 71 % de pratiquants pour la tranche d’âge des 55-59 ans versus 56 % pour les 60-65 ans et 25 % pour les plus de 75 ans. Les femmes ont moins de pratique que les hommes et les écarts s’accentuent avec l’âge : par exemple pour les plus de 75 ans, 16 % des femmes ont une pratique versus 40 % des hommes.
Par ailleurs, le statut socioéconomique joue fortement sur l’engagement sportif des personnes âgées : 36 % des sujets modestes de la tranche d’âge des 60-64 ans ne déclarent aucune pratique d’activité physique versus 17 % des personnes bénéficiant de hauts revenus ; pour la tranche d’âge des 70-75 ans, 56 % des personnes à faibles revenus versus seulement 28 % des seniors les plus aisés.

Les données de prévalence de l’activité physique chez les personnes âgées en France ne tiennent pas compte de la typologie de la population

Selon Toussaint (2008), l’hétérogénéité de la population âgée impose de distinguer :
• les « seniors valides » parmi lesquels on distingue trois catégories : les valides pratiquant une activité sportive (en excellente condition physique) dont la pratique est proche de celle des adultes jeunes ; les valides pratiquant une activité physique ou sportive de loisir non encadrée (en bonne condition physique) ; les valides sédentaires ;
• les sujets fragiles nécessitant une activité physique encadrée par un professionnel de l’activité physique et autre professionnel de la santé ;
• les sujets dépendants nécessitant également une activité physique encadrée.
La littérature fournit peu de données précises sur la pratique de l’activité physique selon qu’il s’agisse de sujets actifs, fragiles ou dépendants.
Les activités préférées des seniors sont le vélo, la marche, la natation et les activités comme le jardinage.
Une analyse par type de pratique confirme l’impact des caractéristiques socioéconomiques sur les disciplines choisies. Les personnes pratiquant la gymnastique d’entretien sont le plus souvent des femmes (82 % de pratiquantes), plutôt âgées (65 % des pratiquantes ont 50 ans et plus) et même souvent retraitées (46 % de ces personnes). C’est parmi les pratiquants de la randonnée pédestre que la part de cadres et professions intellectuelles supérieures est la plus élevée ainsi que pour la natation de loisir. La randonnée est très pratiquée par les retraités qui représentent près de 30 % des pratiquants de cette discipline. L’étude Suvimax réalisée en France chez les hommes et les femmes de plus de 45 ans montre effectivement que les activités préférées des seniors sont le vélo, la marche, la natation et parmi les activités de loisir les plus pratiquées, la marche et le jardinage.

L’engagement dans une activité physique chez les personnes âgées est plurifactoriel, dépendant de l’environnement urbain et matériel, de facteurs sociodémographiques, psychologiques et de l’état de santé

La connaissance des déterminants de l’engagement ou du non-engagement dans une activité physique chez les personnes âgées est nécessaire afin de cerner les leviers à activer pour promouvoir l’adoption d’un style de vie actif. L’analyse de la littérature démontre que cette pratique repose sur une pluralité de facteurs environnementaux, sociodémographiques, psychologiques et liés à la santé.
À partir d’une approche socio-écologique, des travaux ont établi une relation entre l’engagement (ou le non-engagement) dans une activité physique et l’accessibilité des lieux de pratique d’une part, et la qualité des infrastructures d’autre part. Le potentiel piétonnier tel que les aménagements urbains favorisant la marche, la sécurité du voisinage contribuent positivement à la fréquence de l’activité physique, alors que la distance des lieux de pratique et l’habitation en zone défavorisée limitent celle-ci.
La pratique d’une activité physique régulière chez les personnes âgées dépend aussi de facteurs sociodémographiques. La pratique décline avec l’avancée en âge, et la proportion d’individus atteignant les recommandations est moins fréquente chez les femmes et les individus vivant seuls. Le niveau de scolarité est reconnu comme étant une variable cruciale contribuant à la différenciation des niveaux de pratique lors de l’avancée en âge. Les individus ayant les niveaux de scolarité les plus élevés s’engagent le plus fréquemment dans l’activité physique. Dans la même perspective, les individus ayant les niveaux de revenus les plus modestes et ayant occupé un emploi à forte pénibilité physique pratiquent peu d’activité physique lors de l’avancée en âge.
L’état de santé est la barrière à la pratique d’une activité physique la plus citée par les personnes âgées. Une relation négative émerge entre le nombre de pathologies, les incapacités fonctionnelles d’une part et la fréquence de pratique d’autre part. De plus, les interférences à l’engagement liées à l’état de santé augmentent avec l’avancée en âge.
Des facteurs psychologiques sont également associés à l’engagement ou au non-engagement dans une activité physique chez les personnes âgées indépendamment de l’état de santé objectif et des facteurs sociodémographiques et environnementaux. Le manque d’intérêt, le stress et les troubles émotionnels seraient des barrières à la pratique. Inversement, une perception favorable de l’état de santé et du support social contribue positivement à la pratique.
Par sa relation avec la restriction des activités, la peur de chuter contribue négativement à l’engagement dans une activité physique. De plus, cette relation persiste indépendamment des facteurs sociodémographiques, de l’état de santé, de tests objectifs et de l’expérience de chutes. Inversement, une perception favorable des capacités d’équilibre est associée positivement à la marche. La prise de conscience du risque d’être confronté à des problèmes de santé liés à l’avancée en âge inciterait à la pratique d’activités physiques permettant de réduire ces risques.
Les croyances des individus sur l’avancée en âge sont susceptibles d’influencer leur engagement dans une activité physique. Plus précisément, des croyances négatives à l’égard de la pratique de l’activité physique lors de l’avancée en âge, représentant une adhésion à des stéréotypes négatifs sur le vieillissement, peuvent avoir des implications négatives pour la pratique. Inversement, une perception de l’avancée en âge comme étant une période de bénéfices et d’opportunités d’enrichissement et de développement contribue positivement à l’engagement, et compenserait l’influence négative des problèmes de santé. Une relation a ainsi été établie entre l’âge subjectif, l’âge que se donnent les individus, la motivation pour la pratique d’une activité physique et le comportement.
À partir de la théorie sociale cognitive, des recherches ont démontré le rôle du sentiment d’efficacité personnelle en tant que prérequis essentiel à l’initiation et au maintien de l’engagement. Les travaux menés dans le cadre de la théorie du comportement planifié et de l’approche des processus d’action en faveur de la santé ont permis d’identifier les variables sous-jacentes à la formulation d’intention de pratique, ainsi que les facteurs permettant le passage des intentions au comportement. Les recherches inscrites dans le cadre de la théorie de l’autodétermination ont contribué à la compréhension des variables motivationnelles explicatives de l’engagement, du non-engagement ou du désengagement de la pratique d’une activité physique, ainsi qu’à la définition des profils motivationnels des pratiquants âgés. Cette identification des facteurs psychologiques associés à la pratique à partir de ces cadres d’analyses est cruciale car ils permettent de guider les interventions en proposant des variables motivationnelles à activer et à renforcer afin d’amener les personnes âgées à adopter un style de vie actif.

Différentes politiques de prévention des chutes ont été récemment mises en place

Les politiques de prévention des chutes s’appuient sur les données de la littérature scientifique et les recommandations des sociétés savantes

En 2008, pour répondre à la directive européenne sur la prévention des accidents domestiques, la Commission de sécurité des consommateurs, associée au Conseil national de la consommation, à l’Institut national de la consommation et à Macif prévention, ont édité un Livre blanc sur la prévention des accidents domestiques en France qui énonce dix recommandations relatives à la prévention des chutes au domicile des personnes âgées :
• appréhender la prévention des chutes qui répond à un double enjeu, de santé publique pour une population vieillissante et de prévention de la perte d’autonomie ou de son aggravation ;
• mettre en place l’analyse multifactorielle des facteurs de risque de chute au moyen d’une labellisation ;
• faire jouer un rôle d’alerte aux professionnels agissant dans la proximité en leur permettant d’accéder à des formations qualifiantes ;
• promouvoir les aménagements du domicile des personnes âgées et favoriser les passerelles entre tous les acteurs concernés ;
• coordonner les programmes de prévention au plan local et faciliter les appels à projets et les réponses qui leur sont apportées au plan local ;
• diffuser plus largement les outils de communication de la prévention des chutes pour les rendre plus accessibles au grand public, aux professionnels et acteurs de terrain ;
• reconnaître le rôle pilote des conseils généraux, chefs de file de la prévention dans les départements, territoires pertinents de l’action sanitaire et sociale au plan local ;
• élaborer un plan national de prévention des chutes des personnes âgées à domicile, en cohérence avec l’existant ;
• inscrire cette proposition de plan national d’actions dans une perspective européenne ;
• promouvoir la prévention des chutes des personnes âgées auprès du réseau des villes-santé de l’OMS (2009).

La réussite d’un programme de prévention dépend de ses conditions de mise en œuvre : individualisation, professionnels qualifiés, lieux de pratique adaptés

S’il apparaît clairement qu’il y a nécessité de proposer des programmes personnalisés en fonction des caractéristiques de chaque personne, il semble également qu’il faille prêter attention aux conditions de mise en œuvre, que ce soit pour les professionnels qui vont accompagner les personnes âgées que pour les lieux d’intervention.
Le réseau européen ProFaNE (Prevention of Falls Network Europe) a proposé en 2005 les recommandations suivantes pour sensibiliser les personnes âgées aux activités physiques :
• encourager l’adhésion par la sensibilisation des personnes âgées, leurs familles, les soignants et les professionnels de la santé au fait qu’entreprendre des activités physiques spécifiques peut contribuer à améliorer l’équilibre et réduire le risque de chute ;
• promouvoir les avantages immédiats des programmes de prévention des chutes qui renvoient à une image de soi positive, une plus grande indépendance et une plus grande confiance ;
• encourager l’adhésion par l’utilisation d’invitations personnelles à participer (de préférence à partir d’un professionnel de la santé), par des reportages dans les médias pour illustrer l’acceptabilité sociale, la sécurité et les avantages multiples à participer. L’adhésion peut être encouragée par un soutien continu de la famille, des amis et des professionnels ;
• s’assurer que l’intervention répond aux besoins, aux préférences et aux capacités de l’individu. Une approche sur mesure, personnelle – même dans un contexte de groupe – peut grandement améliorer les chances des personnes âgées de s’engager dans un programme d’intervention ;
• encourager l’auto-gestion plutôt que la dépendance à des professionnels, en donnant aux personnes âgées un rôle actif : choix ou modification de l’intervention, choix entre différentes activités avec une supervision pour assurer la sécurité ;
• s’appuyer sur des méthodes validées pour la promotion et l’évaluation des processus qui maintiennent l’adhésion, en particulier sur le long terme : encourager de façon réaliste les croyances positives, aider à la planification et à la mise en œuvre de nouveaux comportements, favoriser la confiance en soi, et fournir un soutien par exemple.
En 2008 aux États-Unis, le National Center for Injury Prevention and Control a proposé des tableaux permettant de déterminer les professionnels pouvant mettre en œuvre telle ou telle partie de l’intervention auprès des personnes âgées. Tous les acteurs de santé doivent s’engager : éducateur sportif, professeur d’éducation physique, médecin, optométriste, infirmier, pharmacien, kinésithérapeute, ergothérapeute, travailleur social. Il s’agit d’une démarche collégiale des soignants de façon à orienter le patient chuteur dans le service approprié ou initialiser un suivi gériatrique. Les paramédicaux spécialistes de la rééducation et de la réhabilitation apportent leur contribution à la rééducation après la réalisation d’un bilan posturologique. Le monde associatif propose des activités physiques adaptées animées par des éducateurs sportifs et médico-sportifs, directement ou en relais d’une démarche thérapeutique médicale.
Le National Center for Injury Prevention and Control a également fait des suggestions sur les lieux où le programme peut se dérouler. Comme cités précédemment, les facteurs environnementaux sont des éléments clés pouvant interférer ou favoriser la pratique d’une activité physique chez les personnes âgées. Les lieux de pratique peuvent être aussi variés que : domicile, cabinet de kinésithérapie, cabinet médical, centre de loisirs pour seniors, centre sportif, foyers d’hébergement pour personnes âgées, hôpital, clinique ambulatoire.
Pour les personnes âgées vivant à domicile, les sociétés américaine et britannique de gériatrie recommandent une évaluation multifactorielle du risque de chute qui devrait être suivie par des interventions directes adaptées aux facteurs de risque identifiés, associées à un programme d’exercices appropriés. Une stratégie visant à réduire le risque de chute doit inclure une évaluation multifactorielle des facteurs connus de risque de chute et la gestion des facteurs de risque identifiés.
Concernant les personnes âgées vivant dans les établissements de soins de longue durée, les sociétés américaine et britannique de gériatrie recommandent les interventions multifactorielles pour réduire les chutes. Les programmes d’exercices physiques peuvent être bénéfiques pour réduire les chutes dans cette population, cependant, leur effet reste encore à prouver. Leur mise en œuvre requiert de la prudence en raison du risque de blessure.
En 2009, la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG) sous l’égide de la Haute autorité de santé a publié des recommandations pour la pratique clinique sur l’évaluation et la prise en charge des personnes âgées faisant des chutes répétées. Parmi les préconisations, on peut retenir : « Les interventions multifactorielles visant à prévenir la chute, quel que soit le lieu de vie de la personne âgée, et dont les grands principes sont : la pratique régulière de la marche sans que le nombre d’heures ni le rythme ne soient précisés ; l’utilisation d’une aide technique à la marche adaptée au trouble locomoteur ; la révision si possible de la prescription des médicaments, surtout lorsque la personne prend plus de quatre médicaments par jour et/ou des psychotropes ; la correction d’un facteur de risque de chute dit précipitant lorsque ce dernier est accessible à un traitement. ».

Les actions de prévention des chutes sont trop rarement accompagnées d’une démarche simultanée d’évaluation

En dehors des programmes d’intervention qui ont été évalués sur des expérimentations et dont les résultats sont publiés dans la littérature scientifique, on ne retrouve pas d’évaluation des plans nationaux. Cependant, tous les acteurs de santé s’accordent maintenant pour dire que la mise en place d’une action de santé publique sur la prévention de la chute doit d’emblée s’accompagner d’une démarche d’évaluation.
Au Royaume-Uni, le Conseil de la recherche médicale a élaboré un cadre pouvant servir à la mise en place de différents programmes, intégrant une phase d’évaluation illustrée par un programme complexe de prévention des chutes. Il se divise en quatre étapes :
• le développement : identifier les preuves existantes, identifier ou développer une théorie, mettre en place des procédures puis recueillir les résultats ;
• la faisabilité : étudier la faisabilité par une intervention pilote et procéder à des tests, estimer le recrutement et les abandons, déterminer la taille de l’échantillon ;
• l’évaluation : évaluer l’efficacité, les procédures, le rapport coût-efficacité ;
• la mise en œuvre : disséminer/propager l’intervention, évaluer les facilitateurs et les barrières, assurer la surveillance et le suivi sur le long terme.

Il existe un déficit d’études coût-efficacité des programmes de prévention des chutes basés sur l’exercice physique chez les personnes âgées

Les études coût-efficacité des programmes de prévention des chutes ont pour objectif de montrer que l’intervention de prévention est susceptible de faire faire des économies à la collectivité. Toutes les méta-analyses des 10 dernières années font état d’un réel déficit d’études coût-efficacité de qualité concernant la prévention des chutes par l’exercice physique chez les personnes âgées. Ces études coût-efficacité concernent principalement les personnes âgées vivant à domicile, très peu traitent de stratégies de prévention des chutes à l’hôpital ou en maison de retraite.
Plusieurs études mettent en évidence le caractère coût-efficace des interventions simples basées sur la promotion d’un type donné d’exercices physiques. D’une façon générale, les interventions multifactorielles comportant des exercices physiques ne sont pas plus coût-efficaces que les interventions simples.
Même si les études concernent des interventions de durée variable, reposant sur des exercices physiques variables en nature et en intensité, des objectifs différents, des populations n’ayant pas les mêmes caractéristiques (âges, état de santé…), et un mode de calcul des coûts également variable (coût de la mise en place du programme ou coût sociétal), les résultats économiques toutefois convergent mais apparaissent globalement positifs.
Des recherches restent nécessaires pour connaître les stratégies ayant le meilleur rapport coût/efficacité dans différents groupes de personnes âgées, distinguées par leur profil de fragilité et de risque de chute et en fonction de leur environnement (domicile, établissement en particulier), que les programmes incluent des exercices physiques seuls ou associés à des mesures visant d’autres facteurs de risque de chute. Les estimateurs de coût/efficacité devront renseigner sur différentes dimensions, non seulement le coût par chute évitée, mais aussi par année vécue supplémentaire ou en termes de qualité de vie gagnée, en particulier.

Copyright © 2015 Inserm