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Med Sci (Paris). 2009 May; 25(5): 451–454.
Published online 2009 May 15. doi: 10.1051/medsci/2009255451.

La mPGES-1 : elle nous rend malades !

Émilie Pecchi,* Michel Dallaporta, Sylvie Thirion, André Jean, and Jean Denis Troadec*

Centre de recherche en neurobiologieneurophysiologie de Marseille, CRN2M, département de physiologie neurovégétative, UMR 6231 CNRS, USC INRA 2027, Université Paul Cézanne et Université de la éditerranée, Faculté des sciences et techniques de Saint-Jérôme, avenue Escadrille Normandie-Niemen, 13397 Marseille Cedex, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Réaction inflammatoire aigüe, Animaux, Anti-infectieux, Anti-inflammatoires, Antinéoplasiques, Acides arachidoniques, Cytokines, Systèmes de délivrance de médicaments, Régulation de l'expression des gènes, Humains, Comportement de maladie, Infection, Inflammation, Intramolecular oxidoreductases, Souris, Modèles biologiques, Tumeurs, Tumeurs expérimentales, Prostaglandines

L’infection, réaction de phase aiguë et illness behavior

Une infection par un pathogène induit au sein de l’organisme de profonds changements physiologiques et comportementaux, dont l’ensemble est connu sous le terme de « réaction de phase aiguë » (acute phase reaction). Subdivisée en composantes locale, systémique et centrale, la réaction de phase aiguë est le résultat de l’activation des cellules du système immunitaire inné qui reconnaissent les motifs moléculaires associés aux pathogènes. La composante locale est un processus dynamique, immédiat et transitoire. Elle se traduit cliniquement par les signes classiques de l’inflammation aiguë : rougeur, chaleur, tuméfaction et douleur. Ces effets résultent de la vasodilatation locale des capillaires sanguins, de l’augmentation de leur perméabilité aux protéines plasmatiques, de l’attraction, l’activation et la diapédèse des macrophages au niveau du foyer inflammatoire, et de la phagocytose des particules immunogènes et des débris cellulaires. En cas d’infection sévère, cette réaction inflammatoire peut s’étendre à l’ensemble de l’organisme, entraînant des modifications systémiques avec une activation de l’hématopoïèse, une augmentation de la sécrétion hépatique des protéines de phase aiguë, une augmentation de la lipolyse et de la protéolyse musculaire. Toutes ces modifications sont coûteuses en énergie et demandent à l’organisme de redéfinir ses priorités physiologiques afin de s’adapter efficacement à ces contraintes. Cette adaptation nécessite en particulier l’intervention du système nerveux central, qui coordonne la mise en place de la composante centrale de la réaction de phase aiguë. Outre la fièvre et l’activation de l’axe hypothalamo-corticosurrénalien, elle comprend également de profonds changements comportementaux regroupés sous le terme de « comportement lié à la maladie » (illness behavior) [ 1]. Les individus malades sont asthéniques, apathiques et incapables de se concentrer. De plus, ils montrent peu d’intérêt vis-à-vis de leur environnement et réduisent leur prise hydrique et alimentaire (anorexie inflammatoire).

Inhibition spécifique de l’activité COX-2 : espoirs déçus

La mise en place du illness behavior repose sur la modification de l’activité de structures cérébrales, responsables par exemple du maintien de la température corporelle ou de l’homéostasie énergétique, par des cytokines inflammatoires produites en périphérie en réponse à une infection ou une inflammation. Ainsi, au niveau central, la synthèse de la prostaglandine de type E2 (PGE2) à partir de l’acide arachidonique augmente de façon considérable lors d’une infection et son rôle causal dans la mise en place des symptômes du illness behavior a été établi voilà plusieurs années par différents groupes [ 2, 3, 13]. Une des stratégies thérapeutiques anti-inflammatoires parmi les plus anciennes consiste à bloquer la production de ces composés via l’inhibition des enzymes cyclo-oxygénases (COX) dont deux principales isoformes sont actuellement identifiées : COX-1 et COX-2. Tandis que COX-1, une enzyme constitutive, participe à la production de PGE2 nécessaire à l’homéostasie tissulaire, COX-2, dont l’expression est fortement stimulée par l’inflammation, est responsable de la synthèse de PGE2 en condition inflammatoire.

Les propriétés anti-inflammatoires et antipyrétiques des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) reposent en grande partie sur leur capacité à prévenir la production de prostaglandines en ciblant les enzymes COX. Mais leur faible sélectivité COX-2 versus COX-1 explique les effets secondaires de ces AINS. En inhibant la production de PGE2 dépendante de COX-1, ces composés perturbent l’homéostasie de certains tissus, dont la muqueuse gastro-intestinale, entraînant par exemple des troubles digestifs [ 4]. Pour limiter ces effets délétères, un effort a été entrepris au début des années 1990, afin de développer des inhibiteurs ciblant plus spécifiquement COX-2. Malheureusement leur utilisation n’est pas dépourvue d’inconvénients. En effet, bien qu’ils n’entraînent plus de perturbations majeures de la sphère gastro-intestinale, ils sont associés à un risque accru d’hypertension, d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral. Ces désordres cardiovasculaires semblent être sous-tendus par une altération de la balance entre deux prostanoïdes : la prostaglandine I2 aux propriétés anti-agrégante et vasodilatatrice et la thromboxane A2 possédant des actions opposées [ 5].

La mPGES-1 : actrice essentielle du « comportement lié à la maladie »

L’inhibition des enzymes COX étant invariablement associée à des effets secondaires, l’attention s’est alors focalisée sur les enzymes intervenant en aval des COX et catalysant la production d’un type spécifique de prostanoïdes. L’activité COX permet en effet la formation de PGH2, précurseur commun à tous les prostanoïdes. La PGH2 subit ensuite une isomérisation dépendante de l’enzyme terminale. Dans le cas de la PGE2, ce sont les prostaglandine E synthases (PGES) qui permettent l’isomérisation de la PGH2 en PGE2. Alors que l’activité PGES est décrite depuis les années 1970, l’identification des enzymes est relativement récente [ 6]. Actuellement les gènes de trois isoformes des PGES ont été clonés : ceux de la PGES cytosolique (cPGES) et des PGES microsomales de type 1 et 2 (mPGES-1 et -2). La cPGES et la mPGES-2 sont exprimées constitutivement et sont responsables de la synthèse de PGE2 nécessaire à l’homéostasie tissulaire en coordination avec COX-1. En revanche, la mPGES-1 est induite lors de stimulus inflammatoires et son expression est alors étroitement corrélée à l’expression de COX-2 et à la synthèse de PGE2. La caractérisation du rôle spécifique de ces enzymes PGES et plus particulièrement de celui de la mPGES-1 dans la mise en place des symptômes consécutifs à l’inflammation a considérablement progressé ces dernières années, au point que l’inhibition de la mPGES-1 apparaît aujourd’hui comme une stratégie anti-inflammatoire prometteuse.

L’absence d’inhibiteurs spécifiques de cette enzyme explique les difficultés de l’analyse du rôle de la mPGES-1 dans la symptomatologie liée à l’inflammation. Ce problème méthodologique fut contourné grâce à la création de souris transgéniques dont le gène codant pour la mPGES-1 (Ptges) a été invalidé [ 7]. En utilisant ces souris Ptges−/−, Engblom et ses collaborateurs ont montré que l’absence de cette enzyme suffit à prévenir la réponse fébrile normalement observée en réponse à l’injection de lipopolysaccharides bactériens [ 8]. La synthèse de PGE2 induite en réponse au LPS dans l’hypothalamus de ces animaux Ptges−/− est fortement atténuée par rapport à celle d’animaux sauvages. En accord avec ces résultats, une autre équipe démontra que les souris invalidées pour la mPGES-1 étaient également résistantes à la réponse fébrile induite par l’injection d’une cytokine inflammatoire, l’interleukine-1β (IL-1β) [ 9]. Parallèlement, notre laboratoire a démontré le rôle essentiel de cette enzyme dans l’anorexie observée lors d’une inflammation aiguë induite par une injection d’IL-1β [ 10]. De plus, nous avons également pu montrer l’implication de la mPGES-1 dans le syndrome anorexie/cachexie (inflammation chronique) qui se développe en réponse à l’implantation sous-cutanée d’une tumeur sécrétrice de cytokines [ 11]. Dans ces deux modèles, l’invalidation de la mPGES-1 abolit la réponse anorexique des animaux et limite ainsi leur perte de poids [10, 11]. Il est important de noter que cet effet sur l’appétit intervient alors que l’expression centrale de COX-2 est augmentée chez ces animaux et que l’expression constitutive des enzymes mPGES-2 et cPGES n’est pas modifiée [10, 11]. En accord avec ces résultats comportementaux, l’activation des structures cérébrales responsables du maintien de la température corporelle et de l’homéostasie énergétique en réponse à une inflammation périphérique est très diminuée chez les souris invalidées pour la mPGES-1 [ 12].

Conclusion

Au total, l’ensemble de ces données indique que l’inhibition de la mPGES-1 peut constituer une stratégie thérapeutique innovante permettant de limiter l’apparition des symptômes non spécifiques associés à la maladie comme la fièvre et l’anorexie. En limitant spécifiquement la synthèse de la PGE2 en condition inflammatoire, tout en conservant la synthèse des autres prostanoïdes dérivant de l’activité COX, des inhibiteurs spécifiques de la mPGES-1 devraient pouvoir exercer un effet anti-inflammatoire ciblé, dépourvu des effets secondaires rencontrés actuellement avec les AINS et les inhibiteurs spécifiques de COX-2.

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