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Med Sci (Paris). 2009 April; 25(4): 325–327.
Published online 2009 April 15. doi: 10.1051/medsci/2009254325.

« Mort sur ordonnance » ou comment l’anticorps anti-CD3 utilise l’apoptose pour induire la tolérance

Sylvain Perruche* and Philippe Saas*

Inserm UMR645, Établissement Français du Sang Bourgogne Franche-Comté, Université de Franche-Comté, 1, boulevard Alexander Fleming, BP 1937, 25020 Besançon, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Antigènes CD3, Apoptose, Cytokines, Cellules dendritiques, Diabète de type 1, Humains, Tolérance immunitaire, Immunosuppression thérapeutique, Transfusion de leucocytes, Macrophages, Souris, Souris de lignée NOD, Souches mutantes de souris, Modèles immunologiques, Muromonab-CD3, Sous-populations de lymphocytes T

Anticorps thérapeutiques dans la prévention du rejet de greffe

La prévention du rejet de l’organe greffé après une transplantation repose sur deux stratégies successives : un premier traitement dit d’induction utilise les immunoglobulines anti-lymphocytaires polyclonales et permet une élimination transitoire des lymphocytes. Cette première étape est suivie d’un traitement d’entretien - qui sera pris durant toute la vie - basé sur l’utilisation d’immunosuppresseurs chimiques. Cette immunosuppression généralisée expose le receveur à de nombreuses complications, notamment infectieuses. Il est donc intéressant de développer des stratégies visant à établir un état de tolérance spécifique aux antigènes exprimés par l’organe greffé tout en conservant la possibilité de répondre aux autres antigènes auxquels nous expose notre environnement (notamment les pathogènes). Les anticorps anti-CD3 ont été utilisés initialement en transplantation comme traitement d’induction, puis abandonnés en raison de leurs effets secondaires liés en partie à leur origine animale. Des progrès technologiques ont permis ensuite l’obtention d’anticorps chimériques ou humanisés offrant une meilleure efficacité thérapeutique et une moindre toxicité et permettant d’envisager à nouveau l’utilisation d’anticorps monoclonaux en transplantation. Ainsi, les anticorps anti-CD25 chimériques1 (Basiliximab) ou humanisés (Daclizumab) sont proposés aujourd’hui dans le traitement d’induction après greffe de rein à la place des globulines anti-lymphocytaires polyclonales. Ces évolutions technologiques ont relancé la recherche préclinique et le développement d’essais cliniques utilisant les anticorps anti-CD3 notamment dans le diabète auto-immun [ 1].

Efficacite de l’anticorps anti-CD3 dans la prévention du diabète chez la souris

Lucienne Chatenoud et son équipe ont montré que l’administration d’anticorps anti-CD3 à des souris génétiquement programmées pour devenir diabétiques, si elle est faite dans les 10 premiers jours suivant l’apparition des symptômes, permet de prévenir la maladie [1]. Les facteurs impliqués dans cette prévention du diabète à long terme (malgré un traitement de courte durée) sont le TGF-β (transforming growth factor β) et les lymphocytes T régulateurs [ 2]. Notre étude publiée dans Nature Medicine au mois de mai 2008 [ 3] fait le lien entre ces éléments en identifiant les mécanismes à l’origine de la tolérance à long terme obtenue après une injection d’anticorps anti-CD3. En effet, l’anticorps anti-CD3 induit l’apoptose de la plupart des lymphocytes T qui sont ensuite éliminés par les cellules phagocytaires, comme les macrophages et les cellules dendritiques immatures. En réponse, ces cellules libèrent du TGF-β qui, à son tour, permet la conversion en lymphocytes T régulateurs des lymphocytes T CD4 émergeant après la déplétion secondaire à l’anti-CD3 (Figure 1). Le rôle pivot des cellules phagocytaires dans l’induction de tolérance par des anticorps anti-CD3 a été illustré dans un modèle expérimental de maladie auto-immune, l’encéphalomyélite auto-immune expérimentale [3]. Dans ce modèle, la déplétion des cellules phagocytaires par l’injection de liposomes toxiques pour ces cellules, prévient l’effet bénéfique de l’anticorps anti-CD3 [3]. Ces travaux amènent à reconsidérer la relation entre la mort apoptotique et la réponse immunitaire ; l’apoptose qui résulte de l’action de l’anticorps anti-CD3 serait le point clef dans l’induction de tolérance.

La mort apoptotique, une mort sous silence

L’apoptose est le mécanisme physiologique de mort cellulaire le plus fréquemment rencontré dans l’organisme. Par exemple, 100 billions de polynucléaires neutrophiles meurent chaque jour par apoptose sans pour autant activer le système immunitaire. Le processus rapide d’élimination des cellules apoptotiques participe à l’inhibition de la réponse immunitaire contre ces cellules mourantes [ 11]. Un défaut de ce processus d’élimination rapide serait à l’origine de certaines maladies auto-immunes [ 4]. L’élimination des cellules apoptotiques est assurée par des cellules adjacentes ou les cellules phagocytaires professionnelles. Elle s’accompagne de la libération de cytokines immunosuppressives comme le TGF-β [ 5, 6]. Cela conduit à la création d’un environnement immunosuppresseur transitoire (Figure 2). Un autre mécanisme impliquant les lymphocytes T CD4 régulateurs peut aussi participer au contrôle des réponses auto-immunes. Les lymphocytes T régulateurs dépendent du TGF-β pour leur développement, leur survie et leur fonction [ 7, 8]. Le TGF-β libéré durant l’apoptose favorise la génération de lymphocytes T régulateurs, mais le signal délivré par cette cytokine n’est cependant pas suffisant. Un engagement simultané du récepteur à l’antigène, ou TCR (T cell receptor) est aussi nécessaire [3, 7] (Figure 2). Les deux conditions n’étant pas toujours réunies, cela expliquerait que des lymphocytes T régulateurs ne soient pas systématiquement associés à l’adminstration d’anticorps induisant l’apoptose.

D’autres approches cliniques « exploitent » l’apoptose

Les données de la littérature suggèrent que les propriétés immunomodulatrices des cellules apoptotiques (Figure 2) interviennent dans d’autres approches thérapeutiques, comme la photothérapie extracorporelle ou la transfusion sanguine [ 9]. Dans ces deux cas, les produits administrés contiennent un nombre conséquent de leucocytes apoptotiques qui seraient à l’origine de l’effet immunomodulateur. Dans la photochimiothérapie extracorporelle, les propres globules blancs du patient, collectés par leucopherèse dans un circuit extracorporel, sont sensibilisés par un dérivé du psoralène, traités par radiations ultraviolettes, puis ces leucocytes apoptotiques sont réinjectés au patient. D’autre part, dans les produits sanguins labiles, les cellules apoptotiques correspondraient aux cellules sanguines contaminantes non désirées (leucocytes dans les concentrés de globules rouges). La transfusion au receveur de produits sanguins labiles du donneur a été utilisée en transplantation rénale pour tenter de réduire le rejet avant l’avènement des immunosuppresseurs chimiques. La déleucocytation pratiquée aujourd’hui pour prévenir les risques de contamination virale a diminué significativement le nombre de leucocytes apoptotiques présents dans les produits sanguins labiles, mais aussi l’efficacité immunomodulatrice de ces produits. Ces approches cliniques et les données expérimentales [1, 3, 9] renforcent l’idée d’une exploitation à des fins cliniques des propriétés immunomodulatrices de l’administration intraveineuse de cellules apoptotiques. Comment cette stratégie pourrait-elle trouver sa place dans l’arsenal thérapeutique ? Une étude clinique publiée récemment dans The Lancet rapporte les résultats de l’administration intramusculaire de cellules sanguines apoptotiques autologues chez plus de mille patients présentant des troubles cardiaques [ 10]. Malgré un bénéfice limité et un procédé d’induction d’apoptose discutable, cette étude confirme l’innocuité de l’administration de cellules apoptotiques qui pourrait rapidement trouver sa place comme produit de thérapie cellulaire.

 
Acknowledgments

Les auteurs remercient Wanjun Chen (Mucosal Immunity Unit, NIDCR, NIH, USA) pour son investissement dans ce travail et Béatrice Gaugler (Inserm UMR645) pour sa relecture.

 
Footnotes

Ce titre fait référence au film de Jacques Rouffio « Sept morts sur ordonnance » (1975) avec Michel Piccoli, Gérard Depardieu, Jane Birkin, Marina Vlady, Charles Vanel…

1 Basiliximab (Simulect, Novartis Pharmaceuticals) : anticorps chimérique dirigé contre contre la chaîne α du récepteur à l’IL-2 (CD25) obtenu par chimérisation d’un anticorps murin anti-CD25 avec les régions constantes de la chaîne lourde et la chaîne légère κ d’une IgG1 humaine. Daclizumab (Zenapax, Roche Pharmaceuticals) : anticorps monoclonal murin humanisé, comprenant les régions constantes des IgG1 humaines et la région complémentaire d’un anticorps monoclonal murin dirigé contre la chaîne α du récepteur à l’IL-2 (CD25).
References
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Chatenoud L. Les anticorps monoclonaux anti-CD3. Une première étape vers un traitement du diabète insulino-dépendant d’origine auto-immune. Med Sci (Paris) 2006; 22 : 5–6.
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Chatenoud L. Une étape vers la restauration de la tolérance immunitaire au soi dans les maladies auto-immunes humaines. Med Sci (Paris) 2007; 23 : 167–71.
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