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Med Sci (Paris). 2009 March; 25(3): 221–223.
Published online 2009 March 15. doi: 10.1051/medsci/2009253221.

Déterminants cliniques et bactériens au cours des infections extra-intestinales dues à Escherichia coli

Françoise Jauréguy*

Service de Bactériologie-Virologie-Hygiène, Hôpital Avicenne, AP-HP, UFR Santé, Médecine, Biologie Humaine, Université Paris 13, 125, rue de Stalingrad, 93009 Bobigny Cedex, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Bactériémie, Escherichia coli, Infections à Escherichia coli, Interactions hôte-pathogène, Humains, Souris, Virulence

 

Escherichia coli constitue la majeure partie de la flore microbienne commensale aérobie du tube digestif de l’homme ; c’est également le bacille à Gram négatif le plus fréquemment responsable d’infections humaines. Celles-ci résultent de la rupture de l’équilibre qui existe entre la bactérie et l’hôte. Le pouvoir pathogène d’E. coli chez l’homme peut être extrêmement varié. D’un point de vue clinique, on distingue au sein de l’espèce les souches pathogènes intestinales et les souches pathogènes extra-intestinales.

Les souches pathogènes extra-intestinales sont regroupées sous la dénomination commune ExPEC (extraintestinal pathogenic E. coli) [ 1]. Les ExPEC sont incapables de produire des infections intestinales, mais peuvent coloniser le tractus intestinal. Ainsi, ce sont des pathogènes opportunistes retrouvés dans les selles des sujets sains avec une fréquence variable selon les individus et les populations humaines étudiées. Les ExPEC peuvent constituer à l’état commensal les souches prédominantes de la flore intestinale chez des hôtes sains (jusqu’à près de 20 %) [ 2]. L’acquisition digestive de souches ExPEC par l’hôte ne suffit donc pas à produire une infection, celles-ci doivent également avoir accès à un site extra-intestinal. La physiopathologie de l’infection par les ExPEC débute par la colonisation d’une muqueuse et par l’échappement aux systèmes de défenses de l’hôte, et se poursuit par la multiplication dans ce site, voire la dissémination vers d’autres sites, ce qui produit différents dommages chez cet hôte.

Les infections extra-intestinales à E. coli peuvent, chez l’homme, intéresser tous les âges et toucher tous les sites anatomiques. Elles comprennent des infections du tractus urinaire, des méningites (survenant le plus souvent chez le nouveau-né), diverses infections intra-abdominales, des pneumonies, des infections sur dispositifs intra-vasculaires, des ostéomyélites et des infections des tissus mous [1]. Des bactériémies à E. coli peuvent compliquer chacune de ces infections localisées [1].

Les bactéries à Gram négatif sont responsables de la majorité des épisodes de bactériémies et, parmi celles-ci, E. coli est l’espèce majoritaire, retrouvée dans 20-30 % des bactériémies totales [1]. Aux États-unis, 40 000 décès par an sont la conséquence d’une septicémie (sepsis) à E. coli, soit 17 % des sepsis [1]. Ainsi, les bactériémies constituent un problème majeur de santé publique par leur fréquence et leur gravité.

Relations entre phylogénie et virulence

Des études basées sur l’analyse du polymorphisme électrophorétique d’enzymes métaboliques (multilocus enzyme electrophoresis ou MLEE) ont montré que E. coli était une espèce clonale. Par la suite, des analyses phylogénétiques ont permis de classer l’espèce en quatre groupes phylogénétiques principaux : A, B1, B2 et D [ 3].

Généralement, les souches ExPEC appartiennent au groupe phylogénétique B2, et dans une moindre mesure au groupe D, alors que les souches moins virulentes ou commensales appartiennent aux groupes A et B1 [ 4]. De plus, des associations entre résistance aux antibiotiques, faible virulence et certains groupes phylogénétiques de E. coli ont été mises en évidence [ 5]. Ainsi, les souches des groupes A et B1 sont fréquemment résistantes à de nombreux antibiotiques, alors que la majorité des souches de groupe B2 y sont sensibles [5] (Figure 1).

Les souches responsables d’infections extra-intestinales possèdent des facteurs de virulence (VF) qui contribuent au franchissement par la bactérie des différentes étapes du processus physiopathologique : adhésion, invasion, et multiplication [2] (Figure 2).

L’adhésion aux cellules épithéliales est une étape clé dans le processus infectieux ; en effet, elle permet aux bactéries de pouvoir par la suite se multiplier et coloniser la muqueuse, étapes auxquelles succède la phase invasive, préambule de l’infection. La fixation de E. coli sur les cellules épithéliales dépend de l’expression à sa surface de protéines d’adhésion nommées adhésines, en particulier celles de morphologie filamenteuse : les fimbriae. Les propriétés d’adhérence spécifiques liées aux P-fimbriae constituent l’un des facteurs essentiels du pouvoir pathogène des E. coli uropathogènes. La prévalence des P-fimbriae (adhésines papG) est plus importante chez les souches responsables d’infections urinaires et de bactériémies [2]. D’autres fimbriae, comme les S-fimbriae (codés par l’opéron sfa) ou les F1C-fimbriae (codés par l’opéron foc) sont également impliquées dans la physiopathologie des infections urinaires [2].

Durant la phase d’invasion, la bactérie peut également sécréter des toxines responsables de lésions tissulaires importantes chez l’hôte et en particulier une hémolysine qui entraîne la lyse des hématies et provoque la formation de canaux sélectifs sur les surfaces membranaires [2]. Par ailleurs, cette toxine contribue à l’inflammation en stimulant la synthèse et la libération de cytokines pro-inflammatoires (interleukines, TNFα ou tumor necrosis factor). En provoquant la production d’anions superoxyde et de peroxyde d’hydrogène par les cellules, elle favoriserait la formation des lésions tissulaires.

Par ailleurs, la bactérie a besoin pour sa survie de nutriments indispensables et qui ne sont pas disponibles sous forme libre chez l’hôte. Le fer est l’oligo-élément essentiel qu’elle va capter par l’intermédiaire des sidérophores (FuyA, IucC, IroN), de petites molécules chélatrices des ions ferriques (Fe3+). Parallèlement, elle synthétise un récepteur spécifique sur sa membrane externe. Le complexe sidérophore-fer reconnaît spécifiquement ce récepteur dans l’espace périplasmique, créant un pore permettant le passage du complexe dans le périplasme et la libération des ions ferriques [2].

Enfin, la survie des bactéries dans l’organisme dépend de leur capacité à résister au système immunitaire. La résistance bactérienne à la lyse par le sérum serait le résultat des effets individuels ou combinés d’une capsule polysaccharidique, du LPS O (lipopolysaccharide O) mais également de protéines de surface. Les polysaccharides capsulaires, et notamment le sérotype K1 (codés par les gènes kpsMT) de certaines souches de E. coli, contribuent à la virulence en soustrayant les bactéries à la phagocytose et à la lyse par le sérum, par le blocage de l’activation de la voie classique du complément.

Certains VF sont fréquemment associés suggérant une co-sélection ou un lien génétique direct. Les gènes codant pour ces VF sont portés par des plasmides ou sont généralement organisés au sein du chromosome en larges régions appelées îlots de pathogénicité (PAI) [ 6].

Par ailleurs, chez la souris, un lien a été trouvé entre le groupe phylogénétique B2, la présence de VF et la létalité [ 7].

Virulence intrinsèque et déterminants de l’hôte

Si, chez l’homme, les VF présents chez la souche sont importants pour le développement d’une infection extra-intestinale à E. coli [2], la prédiction de la sévérité initiale de l’infection et son évolution ne peuvent reposer sur la seule étude de la virulence intrinsèque de la souche, et la prise en compte de facteurs liés à l’hôte, comme les comorbidités associées est également nécessaire [ 8, 9]. Chez les patients immunocompétents qui, en général, ont rarement été traités par des antibiotiques, les bactéries, qu’elles soient ou non résistantes aux antibiotiques, doivent posséder plus de VF pour surmonter les défenses de l’hôte. Au contraire, chez les sujets immunodéprimés, beaucoup plus fréquemment exposés à des antibiotiques et dont les défenses sont amoindries, la résistance aux antibiotiques confère un avantage sélectif à la bactérie, la présence de nombreux VF n’étant pas forcément nécessaire.

Les analyses des déterminants associés à la gravité d’évolution des bactériémies à E. coli montrent que les facteurs liés à l’hôte, plus que le groupe phylogénétique ou les VF des souches, se révèlent être les déterminants majeurs de l’évolution de la bactériémie. Une étude récente a comparé l’influence de ces déterminants et de la résistance aux antibiotiques des souches responsables sur la sévérité des infections extra-intestinales [ 10]. Les souches du groupe phylogénétique B2 étaient plus fréquemment associées à la présence de nombreux VF, à la sensibilité aux antibiotiques, à l’origine communautaire de l’infection, à la porte d’entrée urinaire et au statut immunocompétent des patients. Les souches appartenant aux groupes phylogénétiques A, B1 et D étaient plus fréquemment associées aux caractéristiques suivantes : rareté des VF, résistance aux antibiotiques, origine nosocomiale de l’infection, porte d’entrée non urinaire et statut immunodéprimé. Cependant, cette dualité B2-non B2 maintenant classique n’a pas été pas clairement associée à la sévérité du sepsis ni à son évolution [10, 11].

Ces résultats montrent que l’expression clinique de la virulence au cours des épisodes de bactériémies à E. coli n’est pas clairement associée à des déterminants cliniques ou à des caractéristiques des souches. Des études prospectives comprenant plus de patients et étudiant d’autres déterminants ainsi que la susceptibilité génétique de l’hôte aux infections à E. coli sont nécessaires pour estimer l’influence respective de ces déterminants sur la sévérité initiale, l’évolution d’une bactériémie, et, à terme, pour dégager les facteurs prédictifs de gravité utiles à l’élaboration de nouveaux schémas thérapeutiques.

References
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