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Med Sci (Paris). 2008 August; 24(8-9): 731–734.
Published online 2008 August 15. doi: 10.1051/medsci/20082489731.

Profils de méthylation de l’ADN dans les cellules normales et cancéreuses

Michaël Weber*

Institut de Génétique Moléculaire, CNRS UMR 5535, 1919, route de Mende, 34293 Montpellier Cedex 5, France
Corresponding author.
La méthylation de l’ADN entre dans l’ère « omics »

Le séquençage des génomes a apporté de nombreuses informations sur les processus qui régissent le développement et les pathologies. Cependant, il existe des mécanismes de régulation supplémentaires (dits épigénétiques) qui se surimposent à la séquence d’ADN et participent au développement normal et à la tumorigenèse [ 1]. Parmi ces marques épigénétiques, la méthylation de l’ADN est la seule qui affecte directement la molécule d’ADN. Chez les mammifères, cette modification touche les cytosines dans le contexte de dinucléotides CpG. Ces CpG ne sont pas répartis de manière égale dans le génome, mais sont enrichis dans les « îlots CpG » que l’on retrouve dans 60 % des promoteurs chez l’homme et la souris. La méthylation de l’ADN est une marque répressive, c’est-à-dire que la méthylation d’un îlot CpG est généralement incompatible avec l’activité transcriptionnelle. Elle a été impliquée dans des phénomènes tels que l’empreinte génomique parentale [ 2] (→), l’inactivation du chromosome X et la répression des éléments répétés du génome [ 3]. L’absence des enzymes de la famille des DNA méthyl-transférases (DNMT1, DNMT3a et DNMT3b) induit une mort précoce des embryons chez la souris, ce qui démontre que la méthylation de l’ADN est essentielle pour le développement chez les mammifères. Cependant son rôle dans la régulation du génome est encore mal compris et a fait l’objet de nombreux débats [ 4].

(→) Voir l’article de A. Heinkel et R. Feil, page 747 de ce numéro

Ce manque de connaissances reflète en partie des limitations techniques pour identifier « en aveugle » les cibles de la méthylation. La méthode d’analyse classique est celle du séquençage après traitement au bisulfite, mais celle-ci est difficilement applicable à l’échelle du génome. C’est pourquoi de nombreux groupes ont tenté de développer de nouvelles méthodes d’analyse à grande échelle. Parmi ces méthodes, nous avons développé MeDIP (methylated DNA immunoprecipitation) dont le principe est que l’ADN est fragmenté par sonication puis immunoprécipité avec un anticorps qui reconnaît la 5-méthylcytidine [ 5]. Cette fraction méthylée peut ensuite être hybridée sur n’importe quel type de microarray (Figure 1A). D’autres méthodes existent qui isolent l’ADN méthylé avec des protéines MBD (methyl-CpG binding domain) ou des enzymes de restriction sensibles à la méthylation. À l’avenir, l’utilisation des technologies de séquençage à haut débit est également très prometteuse (Figure 1B). En particulier l’application du séquençage à haut débit après traitement au bisulfite permettrait d’identifier des profils de méthylation avec une résolution jusqu’au nucléotide. Cette approche a récemment été validée chez Arabidopsis [ 6] et devrait rapidement être adaptée aux génomes complexes de mammifères.

Profils de méthylation de l’ADN dans les cellules normales

L’avènement de ces nouvelles technologies à grande échelle a permis d’élucider la distribution de la méthylation de l’ADN dans le génome humain. En accord avec les premières études effectuées sur certains locus, il a été montré que la majorité de la méthylation se trouve dans les régions codantes (exons, introns), intergéniques et les éléments répétés [5, 7]. La méthylation de l’ADN y joue un rôle de protection de l’intégrité du génome en inhibant l’activation d’éléments mobiles et en maintenant la stabilité du génome. Cependant, le rôle de la méthylation de l’ADN dans la régulation des promoteurs, dont 60 % contiennent des îlots CpG, est encore obscur. Pour apporter des éléments de réponse, nous avons utilisé MeDIP sur des fibroblastes humains primaires en combinaison avec des microarrays d’oligonucléotides à haute densité qui couvrent tous les promoteurs (plus de 24 000) du génome humain [ 8]. Nous avons comparé la méthylation avec l’activité des promoteurs, mesurée par la présence de l’ARN polymérase 2 sur les mêmes microarrays. Cette étude montre que la méthylation de l’ADN n’est pas un mécanisme de répression par défaut car la majorité des promoteurs restent non méthylés même lorsqu’ils sont inactifs. Seuls 5 % des îlots CpG sont méthylés dans les fibroblastes mais pas dans les cellules germinales, ce qui montre que la méthylation de l’ADN contribue à la régulation d’un nombre restreint de gènes au cours du développement. Parmi les îlots CpG méthylés dans les cellules somatiques, un grand nombre contrôle des gènes spécifiques des cellules germinales, ce qui suggère qu’une des fonctions de la méthylation de l’ADN est de réprimer le programme germinal (en particulier méiotique) dans les cellules somatiques (Figure 2). Ces résultats sont compatibles avec le modèle selon lequel la méthylation permet de réprimer certains gènes clés de manière permanente pour stabiliser les identités cellulaires.

Perturbations des profils de méthylation de l’ADN dans les cellules cancéreuses

À l’inverse des mutations génétiques, les marques épigénétiques sont réversibles et dynamiques, ce qui peut conduire à des dérégulations associées à certaines pathologies [ 9] (→).

(→) Voir l’article de S. Laget et P.A. Defossez, page 725 de ce numéro

Pour la tumorigenèse, il est maintenant établi que des perturbations des profils de méthylation de l’ADN jouent un rôle au moins aussi important que l’accumulation de mutations génétiques [ 10]. L’importance de la méthylation est illustrée par le fait que la surexpression, ou l’absence, des enzymes DNMT module l’apparition de tumeurs dans des modèles de cancer in vivo chez la souris [ 11]. Il y a d’une part des changements de méthylation localisés au niveau de certains promoteurs, en particulier l’inactivation de gènes suppresseurs de tumeurs par méthylation des îlots CpG, que l’on retrouve dans tous les types de cancers (Figure 2). À l’inverse, la déméthylation de certains promoteurs clés peut contribuer à déstabiliser les phénotypes cellulaires. Nos travaux suggèrent que cela pourrait être le cas notamment pour les gènes spécifiques des cellules germinales qui sont méthylés dans les cellules somatiques [8], et fréquemment rééxprimés dans les cancers (ils constituent la famille des gènes cancer-testis specific) [ 12, 13] (→) (Figure 2).

(→) Voir l’article de S. Rousseaux et al., page 735 de ce numéro

Par ailleurs, les cellules cancéreuses présentent des changements de méthylation à plus grande échelle. En comparant les profils de méthylation dans des lignées de cancer du côlon et des cellules non transformées, nous avons identifié des régions de plusieurs mégabases hypométhylées dans les cellules cancéreuses [5]. De telles régions hypométhylées ont aussi été récemment observées dans les cellules de cancer du sein [ 14]. En plus de ces régions, les éléments répétés du génome sont également fréquemment hypométhylés dans les cellules cancéreuses [ 15]. Les conséquences de ces hypométhylations à grande échelle sont encore mal connues, mais il est probable qu’elles affectent la stabilité du génome et favorisent les recombinaisons.

Quels mécanismes perturbent la méthylation de l’ADN ?

Une des enjeux majeurs est d’identifier les mécanismes qui induisent ces perturbations des profils de méthylation associées à la tumorigenèse. Les scientifiques du domaine débattent notamment pour savoir si ces perturbations sont acquises par sélection d’événements aléatoires ou si elles sont dirigées par des oncogènes. Une étude récente favorise plutôt la seconde hypothèse. Cette étude suggère que l’oncogène Ras induit directement la méthylation de gènes cibles via le recrutement de plusieurs effecteurs épigénétiques [ 16]. Une autre piste de recherche très prometteuse est la possible influence de l’environnement sur les profils de méthylation. Par exemple, une étude récente montre qu’une exposition à de faibles doses de polluants (bisphénol A) au cours du développement peut induire des anomalies épigénétiques liées à une augmentation de la fréquence de certains cancers chez la souris [ 17].

Conclusion

Nous sommes encore loin de comprendre comment les perturbations de l’épigénome participent à la tumorigenèse, et plusieurs questions importantes sont sans réponse. Combien de gènes sont méthylés anormalement dans les cellules cancéreuses ? Les perturbations épigénétiques sont-elles différentes selon le type de tumeur ? Quels sont les mécanismes qui perturbent l’épigénome ? Dans l’avenir, l’utilisation des nouvelles techniques d’analyse à grande échelle appliquées à des modèles de cancer permettra d’apporter de nouveaux éléments de réponse.

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