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Med Sci (Paris). 2008 June; 24(6-7): 577–578.
Published online 2008 June 15. doi: 10.1051/medsci/20082467577.

Méthodes alternatives pour l’étude de la diversité génétique rétrovirale simienne

Sébastien Calvignac*

4, rue Jayet, 69007 Lyon, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Cercopithecus aethiops, Variation génétique, Haplorhini, Macaca mulatta, Rétrovirus simiens, Virus de l'immunodéficience simienne

 

Beaucoup de vertébrés sont infectés par des rétrovirus. Notre espèce ne fait pas exception et quelques-uns de ces parasites sont même devenus tristement célèbres pour être des pathogènes de l’homme : les virus de l’immunodéficience humaine (VIH-1 et VIH-2) et le virus T-lymphotropique humain (HTLV-1). L’étude de la diversité génétique des genres auxquels appartiennent ces virus humains, commencée il y a plus de vingt ans, a permis de mettre en évidence leur origine simienne (et souvent africaine) ainsi que certaines des modalités de leur évolution [ 1, 2]. La synthèse de M. Peeters et al., publiée dans ce numéro (→), décrit d’ailleurs en détail la phylogénie des SIV, et ce en quoi celle-ci nous éclaire sur l’histoire évolutive des VIH [2]. Pendant longtemps, l’étude de la diversité génétique rétrovirale a eu pour base l’analyse d’échantillons sanguins, ce qui posait un problème majeur aux investigateurs, pris en tenaille entre la nécessité d’obtenir des informations sur les phénomènes naturels - et donc tenus d’analyser des échantillons provenant d’individus sauvages - et la difficulté d’obtention de tels échantillons - presque tous les primates africains étant strictement protégés [2]. Parce qu’on peut trouver des rétrovirus partout, cette difficulté a récemment pu être contournée.

(→) p. 621 de ce numéro

Des rétrovirus dans les fèces

Il a en effet été démontré que les fèces, substrat ordinaire de l’écologie moléculaire [ 3], contiennent des virions dont le génome ARN peut être amplifié par RT-PCR [ 4]. Bien que cette découverte date déjà de 2002, les utilisations les plus spectaculaires qui en ont été faites sont très récentes. Ce n’est ainsi qu’en 2006 que Keele et al., analysant 599 échantillons fécaux prélevés sur 10 sites camerounais différents, ont pu apporter la preuve définitive qu’une seule des sous-espèces de chimpanzés (Pan troglodytes troglodytes) était le réservoir naturel à l’origine de l’émergence des VIH-1 des groupes M et N [ 5]. À l’occasion de cette étude, ils décrivent en effet 16 nouveaux SIVcpzPtt (la souche de SIV infectant spécifiquement les chimpanzés de la sous-espèce troglodytes) phylogénétiquement proches des VIH-1 des groupes M et N et démontrent que la prévalence de l’infection dans certaines des communautés étudiées (jusqu’à 35 %) est tout à fait compatible avec une transmission du virus à l’homme [5]. Ces résultats, rendus possibles par l’échelle sans précédent de l’échantillonnage réalisé, sont d’autant plus impressionnants que jusqu’alors aucune séquence de SIVcpzPtt n’avait pu être isolée d’individus sauvages ! La question de l’origine des VIH-1 du groupe O, qui, eux, ne trouvaient pas de parenté proche parmi les rétrovirus infectant les chimpanzés du sud du Cameroun, a été réglée de la même manière, via le recours à un vaste échantillonnage non invasif [ 6]. S’appuyant sur l’analyse de 591 fèces, Van Heuverswyn et al. détectent en effet chez un autre grand singe, le gorille des plaines (Gorilla gorilla gorilla), des virus très proches des VIH-1 du groupe O (virus qui sont nommés en conséquence SIVgor) [6]. Le fait que dans les analyses phylogénétiques, les SIVgor et VIH-1 du groupe O soient « nichés » dans le groupe des SIVcpzPtt, plaide cette fois en faveur d’une transmission du chimpanzé au gorille puis du gorille à l’homme ou de manière indépendante du chimpanzé à l’homme et au gorille [6]. Les chimpanzés de la sous-espèce troglodytes seraient donc la source quasi proximale de toutes les infections humaines [6]. Ces avancées spectaculaires dans la compréhension de l’origine de l’infection par VIH-1, autorisées par l’utilisation d’un substrat plus facile d’accès que les individus eux-mêmes, offrent de belles perspectives d’avenir à l’emploi des fèces en rétrovirologie.

Des rétrovirus dans les musées

Parce qu’on trouve des rétrovirus même où l’on ne les attend pas, il se pourrait aussi que l’étude de leur diversité nous amène jusque dans les musées. L’essentiel des collections muséales est en effet constitué de spécimens capturés dans la nature. L’intérêt de ces spécimens est d’autant plus grand que les transmissions de VIH-1 et VIH-2 ont sûrement eu lieu dans la première moitié du siècle dernier [ 7, 8], période au cours de laquelle les collections se sont considérablement enrichies. Mais cet intérêt potentiel ne fait bien sûr sens qu’à la condition que l’amplification d’ADN proviral à partir d’os ou de peau soit possible. Or, les SIV et STLV-1 étant, comme les VIH et HTLV-1, des virus au tropisme réduit (ils infectent surtout quelques types cellulaires sanguins : macrophages, cellules dendritiques et lymphocytes T), on s’attend à ce qu’un nombre très faible des cellules présentes dans un os ait effectivement été infectées par un rétrovirus et donc contiennent une copie provirale du génome rétroviral. Sachant la difficulté à amplifier à partir de restes anciens des séquences nucléaires - pourtant nettement plus nombreuses que les séquences provirales attendues [ 9, 10] -, l’amplification d’ADN proviral à partir d’ossements semblait relever jusqu’à il y a peu de la gageure, notamment du fait du risque élevé de contamination par des rétrovirus actuels. L’évaluation même de la faisabilité de l’obtention de séquences provirales à partir de tels substrats semblait difficile, un résultat négatif pouvant aussi bien refléter l’absence d’infection que l’impossibilité à amplifier la cible provirale. Tirant avantage de la très haute prévalence de l’infection par SIV et STLV-1 (souvent supérieure à 50 %) au sein du complexe d’espèces Chlorocebus sp. (singes verts de l’Ancien Monde), nous avons tout récemment analysé les restes de 6 individus et démontré que dans des conditions de manipulation particulièrement stringentes, l’amplification de courtes séquences provirales à partir d’ossements de singes vieux de presque cent ans était possible [ 11]. Même si de telles expériences présentent encore des difficultés considérables, il y a donc fort à parier que l’analyse paléogénétique d’échantillons muséaux devrait à son tour bientôt permettre de mieux comprendre le contexte rétroviral de la transmission interspécifique de SIVcpzPtt à l’homme.

L’émergence de ces nouveaux substrats - fèces et spécimens osseux - ouvre de nouvelles voies à l’investigation de la diversité génétique et de l’évolution des rétrovirus, et sans doute plus particulièrement à l’étude des Deltarétrovirus (par exemple, STLV-1) et Lentivirus (par exemple, SIVcpzPtt) simiens. Ils sont partout, alors profitons-en !

 
Acknowledgments

Tous mes remerciements vont à Ambre Spencer et Jean-Michel Terme dont les remarques judicieuses ont beaucoup amélioré une première version de ce texte.

References
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Taberlet P, Waits LP, Luikart G. Noninvasive genetic sampling: look before you leap. Trends Ecol Evol 1999; 14 : 323–7.
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Keele BF, Van Heuverswyn F, Li Y, et al. Chimpanzee reservoirs of pandemic and nonpandemic HIV-1. Science 2006; 313 : 523–6.
6.
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Lemey P, Pybus OG, Wang B, et al. Tracing the origin and history of the HIV-2 epidemic. Proc Natl Acad Sci USA 2003; 100 : 6588–92.
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11.
Calvignac S, Terme JM, Hensley S, et al. Ancient DNA identification of early 20th century simian T-cell leukemia virus type 1 (STLV-1). Mol Biol Evol 2008; 25 : 1093–8.