Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2008 April; 24(4): 431–433.
Published online 2008 April 15. doi: 10.1051/medsci/2008244431.

Actualités médico-financières

Sybil Gilgamesh1 and Johann-Chrysostomos Kaprank2

1Institute of Human Primatology, Nancy, France
2Institute Coach-In, Paris, France

MeSH keywords: Encéphale, Économie, Humains, Modèles moléculaires, Neurologie, Tomographie par émission de positons, Évaluation des risques

 

« Science sans phynance n’est que ruine de l’âme »

Nous sommes en mesure de donner aux lecteurs de Médecine/Sciences la primeur d’un important projet de réforme des programmes des Universités. Celui-ci, émanant conjointement des Ministères des Finances et de l’Éducation Nationale, a reçu l’aval unanime de tous les Présidents des Universités, pourtant désormais autonomes. Il s’agit de ne plus conserver comme disciplines en sciences humaines et médicales que l’Économie et les Neurosciences et de les fusionner en une seule matière, la Neuroéconomie (URL : http//neurophynancedough.org). Les mémoires de master et de thèse seront publiés à la fois en version papier dans le magazine Neuron et sur la toile sur le site Bloomberg (www.bloomberg.com/). Pour être validés, ils devront concerner des travaux subventionnés par les grandes banques internationales, et comporter des conflits d’intérêt manifestes, preuve de la pertinence des sujets abordés et de la probité de leurs auteurs.

Cet important changement dans l’orientation des Sciences françaises vise à mettre le système universitaire français en conformité avec les nouvelles directives européennes. Celles-ci viennent d’être édictées dans l’urgence, à la suite des graves événements qui ont très récemment ébranlé le monde de la finance et le village global lui-même.

Trois facteurs ont été déterminants dans le choix de cette réforme
1. La naissance d’une approche moléculaire de la prise de décisions à risque
Dès 2005, Kuhnen et Knutson ont montré par imagerie cérébrale que la prise de risque met en jeu les circuits dits de récompense, où le nucleus accumbens 1 (Figure 1) joue un véritable rôle de chef d’orchestre, alors que les décisions raisonnables ou même les comportements timorés proviennent de la région antérieure de l’insula [ 1]. Les individus soumis de manière répétitive à des situations de stress où des choix rapides permettent de gagner ou de perdre des sommes considérables acquièrent plus ou moins vite un comportement addictif. Etant soumis à d’énormes décharges locales de dopamine, leur nucleus accumbens réagit en diminuant les récepteurs à la dopamine d’une manière proportionnée au degré d’addiction (Figure 1). Ces résultats ont été rapidement confirmés par les travaux du groupe de Damasio [ 2].
2. La convergence de la Science et de la Finance
Une étroite collaboration s’est vite établie entre les neurobiologistes et les banquiers, qui y trouvent leur compte chacun pour des raisons différentes. Les premiers voient dans ce modèle un remarquable moyen d’enrichir leurs connaissances sur l’organisation fonctionnelle du cerveau. Les seconds acquièrent un remarquable moyen de s’enrichir personnellement grâce à un meilleur encadrement de l’activité stressante de leurs traders. Ceux-ci sont, on le sait, des super-cerveaux2,, capables d’appréhender en temps réel les tendances de toutes les places boursières de la planète, et de tenter des coups capables de faire engranger par les banques qui les emploient des bénéfices astronomiques, avec à la clé l’appât pour eux-mêmes de recevoir in fine leur part du butin sous forme de « bonus » et de stock-options. Cette convergence entre intérêts cognitifs et intérêts lucratifs a fait l’objet d’un passionnant entretien publié dans la revue Risques 3 [ 4] entre deux personnalités de grand renom : un neurobiologiste (Jean-Pierre Changeux) et un économiste (Christian Schmidt).
3. L’affaire J. K. et le drame de la Société Géniale
« Ce matin-là quelqu’un devait avoir calomnié monsieur K car, sans qu’il n’eût rien fait de mal, il fut arrêté ». Les lecteurs auront reconnu le début d’un célèbre roman de Kafka, dont le héros est un certain Joseph K. [ 5]. Telles sont aussi les initiales du jeune trader, employé de la fameuse banque Société Géniale, qui défraye la chronique depuis le 24 janvier 2008 pour avoir risqué et perdu au jeu de la bourse plusieurs milliards d’euros (le chiffre exact n’est pas connu avec précision, mais on n’est pas à 109 € près) [ 6, 7]. Pourtant ici s’arrête la similitude, car, notre J. K. n’est pas dans une situation kafkaïenne : d’une part il sait de quoi on l’accuse, d’autre part, malgré sa mise en examen, il ne risque aucun procès. En effet, une expertise médicale approfondie, étayée sur une exploration utilisant les méthodes les plus récentes de la neurobiologie et de la génétique moléculaire, vient de conclure à son irresponsabilité. Sachant que ses fonctions l’exposaient à un très fort risque d’addiction, les experts l’ont d’abord soumis à une exploration par imagerie cérébrale (PET scan et résonance magnétique fonctionnelle) qui a montré une extinction complète des récepteurs dopaminergiques au niveau du nucleus accumbens (Figure 1, image C), signe pathognomonique de l’addiction sévère [ 8]. En outre, informés des travaux du réseau collaboratif qui a permis d’identifier en 2007 le gène de la darwinine [ 10], les experts ont fait procéder à une exploration du gène DAR chez le sujet J. K. Celle-ci a révélé une mutation de type LOF, sur l’un des deux allèles, entraînant une haplo-insuffisance caractéristique du syndrome CFMS 4.

On conçoit dès lors le bien-fondé de la réforme proposée. Le nouveau cursus médical empêchera que pareille mésaventure ne se reproduise, puisque les futurs médecins auront appris à utiliser le CAC (Casque Accumbens en Continu), appareil permettant de dépister par imagerie cérébrale les tendances addictives des individus. Dès à présent la Médecine du Travail envisage de soumettre les élèves en dernière année de l’École Polytechnique à une visite médicale systématique comportant imagerie médicale et exploration du gène DAR, et de les astreindre au port obligatoire du casque CAC lors de leurs stages sur les grandes places boursières. Celles-ci continueront néanmoins à être équipées de pompes à phynance, appareils sanitaires conçus par la Ubu-King Company Inc, et utilisés depuis 1896.

Avec les considérables économies réalisées par les Universités, et les bénéfices énormes que vont engranger les banquiers désormais rassurés sur le comportement de leurs futurs traders 5, on peut être assuré que la Société en Général s’acheminera vers le Bonheur. Car celui-ci fait naturellement partie des préoccupations des économistes (voir l’ouvrage très remarqué de Richard Layard [ 11] et sa recension élogieuse dans le très sérieux magazine The Economist [ 12]). Désormais, le Bonheur n’est plus dans le pré, il n’est même plus dans la corbeille car NYSE Euronext l’a remplacé, et, pour le trouver… « cours-y vite, cours-y vite, il va filer » [ 14].

 
Footnotes
1 Aussi appelé « aire de Bouton ». Notons que cette même structure est essentielle dans l’obtention de l’orgasme, comme l’ont démontré les travaux de Komisaruk [3] (voir aussi le site http://naccumbens.org/asm).
2 Ils sont généralement recrutés à la sortie des grandes écoles.
3 Magazine de l’Association française des sociétés d’assurances.
4 Craving-for-Money Syndrome [7, 10].
5 Idéalement ils devraient pouvoir être remplacés par des robots. C’est la voie de recherche dans laquelle s’est engagée une nouvelle start-up (Cybertrade). Si l’on parvient à remplacer les « quants » par des robots, les professeurs de mathématiques de l’École Polytechnique qui encouragent leurs plus brillants élèves, dits « crânes d’œuf » à négliger les carrières minables de chercheurs ou d’ingénieurs au profit des excitantes et lucratives perspectives du poker financier, n’auront plus qu’à se « repentifier » (pour la compréhension du jargon, voir [13]).
References
1.
Kuhnen CM, Knutson B. The neural basis of financial risk taking. Neuron 2005; 47 : 767–70.
2.
Shiv B, Loewenstein G, Bechara A, et al. Investment behavior and the negative side of emotion. Psychol Sci 2005; 16 : 435–9.
3.
Komisaruk BR, Whipple B, Crawford A, et al. Brain activation during vaginocervical self-stimulation and orgasm in women with complete spinal cord injury: fMRI evidence of mediation by the vagus nerves. Brain Res 2004; 1024 : 77–88.
4.
Changeux JP, Schmidt C. Refondation de l’analyse des risques à la lumière des neuroscience (Entretien). Risques 2007; n° 71. http://www.ffsa.fr/webffsa/risques.nsf/html/Risques_71_0004.htm
5.
Kafka F. Le procès. Collection Folio. Paris : Gallimard, 1997 : 384 p.
6.
Davet G, Delhommais PA, Michel A. « Je voulais vous faire la surprise ». Le Monde 6 février 2008.
7.
Anderson J. Craving the high that risky trading can bring. New York Times 7 février 2008. http://www.nytimes.com/2008/02/07/business/worldbusiness/07trader.html
8.
Dalley JW, Fryer TD, Brichard L, et al. Nucleus accumbens D2/3 receptors predict trait impulsivity and cocaine reinforcement. Science 2007; 315 : 1267–70.
9.
Les centres de plaisir chauffés au rouge. In : Le cerveau à tous les niveaux. Site de l’Université McGill. http://lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_03/d_03_cr/d_03_cr_par/d_03_cr_par.html
10.
The International Alt/Self Map Consortium. A same gene for altruism and selfishness in Primates. Med Sci (Paris) 2007; 23 : 440–4.
11.
Layard R. Happiness: lessons from a new science. New York : Penguin Press, 2006 : 320 p.
12.
The economics of happiness. The Economist 13 janvier 2005.
13.
Chiquelin JJ. Brève rencontre avec Nicole El Karoui, Mamie Maths. Le Nouvel Observateur 28 février 2008, n° 2260. http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/scripts/print.php
14.
Fort P. Le bonheur est dans le pré. Paris : Père Castor Flammarion, 2000.