L’enquête menée en France en 2003 par l’Insee sur la santé et les soins médicaux dans la population française permet de distinguer trois situations d’incapacité selon leur gravité :
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les incapacités de type I correspondent à une limitation fonctionnelle résiduelle physique ou sensorielle, n’engendrant pas systématiquement de gêne dans les activités quotidiennes mais pouvant nécessiter des aménagements au domicile ou au poste de travail ;
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les incapacités de type II correspondent à des gênes dans les activités quotidiennes ou professionnelles ;
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les incapacités de type III correspondent à des gênes dans les activités élémentaires pouvant nécessiter une assistance : on parle alors de dépendance.
Toutes professions confondues, à 35 ans, les incapacités de type III ne touchent que 4,5 % des hommes et des femmes, celles de type II, 18,5 %, et celles de type I sont plus fréquentes : un tiers environ de la population. On constate que l’espérance de vie, avec et sans ces différents types d’incapacités, n’est pas la même selon le sexe, et surtout selon la catégorie socioprofessionnelle, en particulier pour les cadres et les ouvriers (Figure 1).
| Figure 1.
Espérance de vie à 35 ans sans et avec incapacité chez les cadres supérieurs et les ouvriers pour différents indicateurs d’incapacité. Hommes et femmes, France 2003.
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Non seulement l’espérance de vie est plus brève chez les ouvriers que chez les cadres, mais les années avec incapacité sont plus nombreuses chez les premiers. Pour les femmes, si - comme nous l’avons déjà mentionné - l’écart d’espérance de vie entre cadres et ouvrières n’est que de 2 ans, les incapacités de type I occupent 22 années chez les ouvrières contre 16 années chez les femmes cadres. À des âges plus élevés, les ouvriers et les ouvrières ont toujours une espérance de vie inférieure à celle des cadres et les incapacités de type I s’installent plus durablement dans les professions manuelles. Par exemple, à 60 ans, les incapacités plus sévères de type III occupent 16 % de l’espérance de vie des ouvriers et seulement 9 % de celle des cadres.
Le Tableau I fournit les résultats des données de toute la population divisée en 7 catégories socioprofessionnelles. Il est à noter que les professions intermédiaires, indépendantes et les agriculteurs ont une espérance de vie proche de celle des cadres supérieurs. Toutefois, chez les agriculteurs, les incapacités de type I pèsent sur une plus grande partie de l’espérance de vie : 37 % chez les hommes et 41 % chez les femmes. Quant à la catégorie des inactifs (ni retraités, ni chômeurs), l’espérance de vie est nettement plus faible chez les hommes car ils sont souvent hors du marché du travail pour des problèmes de santé, avec pour un tiers des incapacités de type III.
| Tableau I.
Espérance de vie totale et sans incapacité à 35 ans selon la catégorie professionnelle des hommes et des femmes en France en 2003. Le rapport (a/b) exprime la proportion de vie totale indemne d’incapacités. Le calcul repose sur : (1) les données des tables de mortalité ; (2) une enquête transversale sur la santé et les soins médicaux menée en France par l’Insee en 2003. Seules sont comptabilisées les personnes vivant à domicile sans tenir compte des personnes vivant en institution (dont le nombre est proportionnellement insuffisant pour modifier significativement les résultats). |
En conclusion, les catégories socioprofessionnelles ne profitent pas toutes également de l’augmentation de l’espérance de vie et les professions manuelles sont particulièrement touchées par les limitations fonctionnelles. Ce double désavantage doit être suivi pour analyser les causes de ces inégalités et tenter d’y remédier. Il importe de rechercher les facteurs liés au mode de vie et aux conditions de travail et de réévaluer à l’avenir leur pénibilité et leurs risques. Mais, comme le soulignent Pierre Aïach et Didier Fassin [1], « les inégalités sociales de santé sont l’aboutissement des disparités structurelles (ressources, logement, alimentation, emploi et travail, école et formation), qui caractérisent l’état de la justice sociale dans un pays ou un territoire à un moment de son histoire et de son développement économique ». Mais qu’en est-il aujourd’hui de la justice sociale en France ?