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Med Sci (Paris). 2008 November; 24(11): 903–905.
Published online 2008 November 15. doi: 10.1051/medsci/20082411903.

XenoMouse : un tour de force pour l’obtention d’anticorps humains chez la souris

Dominique Bellet,* Alain Pecking, and Virginie Dangles-Marie

UMR 8149 CNRS, IFR 71, Université Paris Descartes, Paris 5, Faculté des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques de Paris, 4, avenue de l’Observatoire, 75006 Paris, France
Laboratoire d’oncobiologie, Centre René Huguenin, 35, rue Dailly, 92100 Saint-Cloud, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Anticorps, Humains, Fragments Fab d'immunoglobuline, Chaines lourdes des immunoglobulines, Chaines légères des immunoglobulines, Souris, Souris transgéniques, Protéines recombinantes

L’avènement des anticorps humanisés

Lorsque, en juin et en septembre 2006, les autorités fédérales américaines (Food and Drug Administration, FDA) ont donné leur accord pour la mise sur le marché et l’utilisation en clinique du ranibizumab (Lucentis®) et du panitumumab (Vectibix®), ces annonces n’ont suscité qu’un intérêt modeste dans les journaux scientifiques ou dans la grande presse. L’utilisation en clinique de ces médicaments représente pourtant des premières mondiales : ils résultent en effet de l’humanisation d’anticorps par deux approches différentes. Le ranibizumab est une véritable innovation1 : c’est un fragment Fab d’un anticorps monoclonal humanisé d’isotype IgG1κ, où seules sont conservées les régions CDR (complementarity determining region) murines alors que les autres régions sont remplacées par des régions humaines [ 1]. Dirigé contre le VEGF (vascular endothelial growth factor), il est utilisé pour le traitement intraoculaire de la dégénérescence maculaire [ 2, 11]. Le panitumumab (Vectibix® ; Amgen), quant à lui, est le premier anticorps entièrement humain utilisé en clinique et produit par une souris transgénique, la fameuse « XenoMouse » [ 3]. C’est une immunoglobuline d’isotype IgG2κ qui se lie avec une forte affinité à l’EGFR (epithelial growth factor receptor), inhibant l’activation des cellules tumorales dépendante de l’EGF, d’où son indication dans le traitement des cancers colorectaux métastatiques exprimant l’EGFR [ 4].

Production d’anticorps humanisés chez la souris : la « xénomouse »

La « XenoMouse » est une souris transgénique qui exprime la grande majorité des gènes codant les immunoglobulines (Ig) humaines. Chez ces souris, la machinerie servant à la production d’Ig de souris est inactivée et « humanisée » avec la presque totalité des locus correspondant aux gènes codant les Ig humaines afin de permettre chez la souris la production d’une large diversité d’anticorps humains de forte affinité. Deux manipulations génétiques majeures ont été nécessaires à la construction de ces souris : (1) l’inactivation de la machinerie cellulaire servant à la production des Ig murines ; (2) l’introduction des locus correspondant aux chaînes lourdes et légères des Ig humaines (Figure 1), ce qui était loin d’être aisé puisque ces locus ont des tailles de plusieurs mégabases (Mb). Dans le cas de la « XenoMouse », ces manipulations ont été réalisées dans des cellules souches embryonnaires (cellules ES pour embryonic stem). Les gènes codant les chaînes lourdes et légères kappa (κ) ont été inactivés par délétion des séquences cis cruciales pour le réarrangement et l’expression des gènes d’Ig murines. La délétion de la région JH murine inhibe complètement la machinerie cellulaire permettant la recombinaison des chaînes lourdes et abolit la production d’Ig murines. La délétion de la région murine Ck inactive le locus murin des Igκ murines. Les croisements successifs des souris homozygotes JH et Cκ conduisent à des souches doublement inactivées chez lesquelles la production d’anticorps et le développement des cellules B sont complètement arrêtés. Cependant, ces souris possèdent toujours les facteurs transactivateurs nécessaires au réarrangement et à l’expression des gènes des Ig, et ont les éléments nécessaires pour l’introduction des locus des Ig humaines non réarrangées. Le véritable « tour de force » a ensuite été de transférer chez la souris de larges portions des locus correspondant aux gènes des Ig humaines pour préserver la diversité génique et la régulation de l’expression et de la maturation des anticorps. Le clonage de ces locus a été facilité par l’utilisation des chromosomes artificiels de levure (yeast artificial chromosome, YAC) qui permet l’isolement et la manipulation génétique de grands fragments d’ADN de la taille d’une mégabase. Ainsi 80 % du répertoire correspondant aux régions VH a été cloné et joint aux régions constantes humaines γ1, γ2 ou γ4 pour obtenir trois YAC différents produisant trois isotypes correspondant respectivement aux IgG1, IgG2 ou IgG4 humaines. Des YAC contenant les locus correspondant aux chaînes légères kappa (κ) ont ensuite été construits. Les YAC sont alors introduits dans des cellules ES par fusion de ces cellules avec des sphéroplastes de levures contenant les YAC. Le croisement des souris issues de cette fusion et exprimant les chaînes lourdes et légères des Ig humaines en présence d’Ig murines avec les souris doublement inactivées a conduit à trois différentes « XenoMouse » qui produisent des IgG1κ, IgG2κ ou IgG4κ. Ultérieurement, le locus entier correspondant aux chaînes légères lambda (λ) a été introduit dans les « XenoMouse » permettant d’obtenir des souches produisant à la fois des anticorps humains IgGκ et IgGλ dans un rapport 60 : 40.

L’immunisation de ces « xenomouse » avec de multiples antigènes, suivie de la production d’hybridomes, a montré que ces souris étaient capables de recombinaison des gènes d’Ig avec une maturation de l’affinité des anticorps, permettant ainsi d’obtenir la production d’anticorps monoclonaux humains de forte affinité pour l’antigène. Les essais cliniques réalisés avec le panitumumab ont montré que ces anticorps sont faiblement immunogènes chez l’homme avec la présence d’anticorps humains anti-panitumumab chez 0,3 % à 4,1 % des patients selon la technique de détection utilisée. Toutefois, chez les patients où ces anticorps anti-panitumumab étaient détectables, le risque de réactions d’hypersensibilité est faible [3]. En fait, il aura fallu plus de vingt ans pour qu’une souris produise un anticorps humain utilisé en clinique. En 1985, Georges Yancopoulos avait été le premier à introduire des éléments d’Ig humaines dans des cellules B murines [ 5]. Six années ont ensuite été nécessaires pour dériver les souches de souris et développer l’anticorps, puis 6 autres années pour le développement clinique.

Futures innovations : nanobodies et versabodies ?

Les fragments d’anticorps humanisés et les anticorps humains produits par les « XenoMouse » ne représentent probablement pas les ultimes innovations issues de l’ingénierie des anticorps. Au moment où ces molécules arrivent en clinique, il y a une certaine compétition entre les anticorps et les petites molécules chimiques dirigées contre les mêmes cibles. C’est par exemple le cas pour deux anticorps, le cetuximab (Erbitux®) et le panitumumab et deux petites molécules, le gefitinib et l’erlotinib, tous dirigés contre l’EGFR. Les anticorps ont une large surface de contact avec leur cible et une bonne reconnaissance de celle-ci mais une aire d’action (géographie) limitée à la surface membranaire. Un courant de recherche important existe cependant concernant l’expression intracellulaire de fragments d’anticorps pour cibler des protéines virales ou des protéines oncogéniques. À l’inverse, les petites molécules chimiques ont une géographie large puisque leurs cibles peuvent être intracellulaires mais leur surface de contact avec cette cible est plus petite. Il y a donc un intérêt grandissant pour des formes plus petites d’anticorps qui allieraient une large surface de contact avec la cible et une grande aire d’action allant de la surface cellulaire au domaine intracellulaire. De tels fragments existent déjà sous des formes mono- ou bispécifiques, tetrabodies, triabodies, diabodies ou fragments simples (scFv) (Figure 2). Plusieurs de ces fragments d’anticorps sont en phase préclinique ou testés dans des essais cliniques (pour une revue, voir [ 7]).

D’autres formes de fragments, les domaines simples VHH ou nanobodies, et les versabodies, sont dérivées des structures proches des Ig trouvées chez des animaux tels que le chameau, le lama, les serpents ou les anémones. L’intérêt de ces formes peu immunogènes serait qu’elles peuvent pénétrer à l’intérieur de la cellule ou être utilisables par voie orale. Des techniques d’ingénierie d’anticorps visent à modifier la région Fc, par exemple pour changer les propriétés des sites de liaison des anticorps au complément ou au récepteur pour la région Fcγ [ 8]. Récemment, des constructions complexes telles que les dual- variable domain immunoglobulin (DVD-Ig) ont également été réalisées [ 9].

Pour fabriquer ces nouvelles formes d’anticorps, les « outils » de production que sont les « XenoMouse » ou les librairies de phages pourraient également évoluer ou être remplacés par d’autres « outils ». Les librairies de phages, qui ont été les premiers « outils » à donner naissance à un anticorps entièrement humain approuvé en clinique, sont progressivement optimisées [ 10]. Cependant, depuis la mise sur le marché de l’adalimumab (Humira®) dirigé contre le TNFα et utilisé pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, aucun nouvel anticorps produit par les librairies de phages n’a reçu l’aval des autorités pour être utilisé en clinique. Les « XenoMouse » pourraient également être remplacées, car, si elle produisent des anticorps de forte affinité, elles sont, comme toutes souris chimériques, difficiles à élever. Alors, l’avenir est peut-être à la « Velocilmmune ». C’est tout du moins ce que doivent penser les scientifiques d’AstraZeneca puisque cette compagnie qui a pourtant accès aux « XenoMouse » a accepté d’investir 120 millions de dollars pour avoir accès aux « Velocilmmune ». Chez ces souris, les régions variables murines ont été remplacées par les régions équivalentes humaines des chaînes lourdes et légères. Ces souris transgéniques seraient indistingables des souris normales, se reproduisant comme ces dernières.

Finalement, les différentes évolutions techniques laissent entrevoir de nouvelles innovations.

Toutefois, un obstacle important devra être franchi, celui du coût des médicaments « biologiques » issus de ces techniques. A court ou moyen terme, il est prévisible que nos systèmes de santé, publics ou privés, pourront difficilement supporter les coûts élevés de ces nouveaux médicaments. Certes, on n’arrête pas un rêve qui marche… encore faut-il que le prix du rêve soit raisonnable.

 
Footnotes
1 L’innovation se distingue de l’invention en cela que la seconde peut être une idée brillante, mais que la première n’existe que si elle s’incarne. Dans le monde économique, on ne parle d’innovation que si celle-ci va jusqu’au marché ». D’après «Ce que je crois» d’Herve Sérieyx.
References
1.
Bellet D, Dangles-Marie V. Anticorps humanisés en thérapeutique. Med Sci (Paris) 2005; 21 : 1054–62.
2.
Narayanan R, Kuppermann BD, Jones C, Kirkpatrick P. Ranibizumab. Nat Rev Drug Discov 2006; 5 : 815–6.
3.
Jakobovits A, Amado RG, Yang X, Roskos L, Schwab G. From XenoMouse technology to panitumumab, the first fully human antibody product from transgenic mice. Nat Biotechnol 2007; 25 : 1134–43.
4.
Saltz L, Easley C, Kirkpatrick, P. Panitumumab. Nat Rev Drug Discov 2006; 5 : 987–8.
5.
Scott CT. Mice with a human touch. Nat Biotechnol 2007; 25 : 1075–7.
6.
Ehrlich P, Herta CA, Shigas K. Über einige verwendungen der naphtochinosuflsaure. Z Physiol Chem 1904; 61 : 379–92.
7.
Holliger P, Hudson PJ. Engineered antibody fragments and the rise of single domains. Nat Biotechnol 2005; 23 : 1126–36.
8.
Baker M. Upping the ante on antibodies. Nat Biotechnol 2005; 23 : 1065–72.
9.
Wu C, Ying H, Grinnell C, et al. Simultaneous targeting of multiple disease mediators by a dual-variable-domain immunoglobulin. Nat Biotechnol 2007; 25 : 1290–7.
10.
Sidhu SS, Fellouse FA. Synthetic therapeutic antibodies. Nat Chem Biol 2006; 2 : 682–8.
11.
Behar-Cohen F, Sennlaub F, Berdugo M. Espoirs thérapeutiques dans la dégénérescence maculaire liée à l’âge. Med Sci (Paris) 2007; 23 : 127–9.