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Med Sci (Paris). 2008 January; 24(1): 4–6.
Published online 2008 January 15. doi: 10.1051/medsci/20082414.

Le virus du Sida au milieu du gué vingt-cinq ans après

Jean-Luc Darlix1* and Yves Lévy2*

1Laborétro Unité de virologie humaine, Inserm U758, IFR128, École Normale Supérieure de Lyon, 46, allée d’Italie, 69364 Lyon, France
2Service d’immunologie clinique, Hôpital Henri-Mondor, 51, avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 94010 Créteil Cedex, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Syndrome d'immunodéficience acquise, France, VIH (Virus de l'Immunodéficience Humaine), Infections à VIH, Humains, Conditions sociales

 

Au XXe siècle, la virologie s’est progressivement imposée comme un moyen unique pour comprendre l’immense complexité et la fragilité du vivant. À ce titre, la Rétrovirologie a été très féconde, commençant dès 1906 avec les premiers rétrovirus caractérisés, tel EIAV qui infecte les chevaux, et les virus oncogéniques ASLV présents chez les oiseaux. Ces découvertes ont suscité d’abord peu d’enthousiasme, avant d’apparaître comme des approches essentielles à l’analyse du vivant dans le contexte du développement des cultures de cellules et de la microscopie électronique. Nous avons assisté alors à un renouveau d’intérêt de la communauté scientifique pour ces virus et les maladies qu’ils provoquent en tant qu’agents infectieux très simples. Citons les découvertes de rétrovirus infectant les rongeurs (MLV) causant cancer, leucémie et dégénérescence du système nerveux central, et les petits ruminants (Visna/CAEV) chez qui l’infection virale provoque pneumopathie et arthrite.

Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, des découvertes et innovations majeures vont profondément marquer la recherche en biologie et médecine, citons la restriction d’hôte chez les bactéries et pour les enzymes de restriction conduisant à l’avènement de la biologie moléculaire, le clonage et l’amplification d’ADN, le séquençage et l’analyse structurale des macromolécules du vivant, avec, par voie de conséquence, une recherche planifiée et accélérée de nouvelles molécules médicaments et de nouveaux vaccins.

C’est dans ce contexte prodigieusement dynamique et novateur que les hypothèses et les découvertes se succèdent en rétrovirologie, comme celle du provirus par H. Temin - inspiré par l’étude des bactériophages - qui conduit à découvrir l’ADN polymérase ARN dépendante, ou transcriptase inverse (RT) [ 1, 2], une enzyme clé de la réplication des rétrovirus, et dont les utilisations en génétique, biotechnologie et médecine sont devenues incontournables ; c’est aussi la découverte remarquable des oncogènes et proto-oncogènes [ 3, 4] qui régulent le développement, la prolifération et la survie ou la mort des cellules, et qui a ouvert un immense champ dans les domaines de la recherche fondamentale et de la médecine.

Et l’humanité dans tout cela ? Plus on recherche ces virus, plus on en découvre présents, des oiseaux aux singes, y compris sous la forme dite de rétrovirus endogènes constituant une part importante du génome, de la levure à l’homme.

La découverte des rétrovirus humains HIV et HTLV

Deux coups de théâtre marquent le début des années 1980 : la découverte par une équipe américaine du premier rétrovirus humain causant une leucémie, le HTLV-1 (human T-cell leukemia/lymphoma virus type 1) [ 5], et en 1983 celle du HIV-1 (human immunodeficiency virus type 1), alors appelé LAV (lymphoadenopathy virus), causant le syndrome d’immunodéficience acquise ou Sida [ 6].

La découverte du VIH-1 (virus de l’immunodéficience humaine-1) fut le fruit d’une collaboration remarquable entre deux équipes, une de cliniciens, et une de chercheurs fondamentalistes à Paris. C’est en exploitant au mieux les dernières technologies de culture de cellules, de biologie moléculaire et de séquençage d’ADN, que les premiers clones moléculaires du VIH-1 voient alors le jour en France et aux États-Unis. Ces clones seront rapidement utilisés pour produire des réactifs indispensables au diagnostic de l’infection VIH-1, car elle se répand malheureusement très vite dans le monde.

Au fil des 25 ans passés, les innovations en biologie cellulaire, moléculaire et structurale, biochimie, et immunologie facilitent la production de réactifs spécifiques du VIH, rendant un jour possible ce qui était impensable la veille. Des efforts immenses ont été accomplis pour comprendre ce qu’est le virus du Sida, sans doute jamais à une telle hauteur pour un virus, par le biais d’agences comme l’ANRS en France, ou via des programmes dédiés, aux États-Unis et au Canada.

De ce fait, ces nouveaux savoirs sur le VIH-1, combinés aux analyses informatiques multifactorielles, couvrent un très large spectre, s’étendant de la physique à la sociologie, en passant par la chimie, la biologie, la médecine et la pharmacie. En raccourci, on peut dire que le VIH-1 est décortiqué, scruté, analysé, depuis l’échelle atomique jusqu’à la sociobiologie de l’infection au niveau mondial.

Peut-on résumer en quelques lignes les savoirs sur le virus du Sida, représentant plus de 56 000 articles et revues publiés à ce jour ? Et plus encore, face à une pandémie particulièrement meurtrière : quels sont les défis majeurs pour l’avenir ? Nombreux sont les enjeux, depuis le nécessaire décryptage de la façon dont le virus reste masqué dans des macrophages et certains lymphocytes T, jusqu’aux dimensions historiques et sociologiques afin de comprendre comment le virus a circulé dans des populations humaines avant que le Sida n’émerge.

Dans l’intimité du virus du Sida

Le VIH-1 est fait des trois composés essentiels du vivant, acides nucléiques, protéines et lipides, organisés en une structure générale globulaire de 110 nanomètres de diamètre, soit une simple nanosphère infectieuse. Les études structurales ont décrypté l’arrangement atomique des protéines majeures du virus, matrice, capside, nucléocapside, des enzymes virales, protéase, et transcriptase inverse, et en partie celui de l’intégrase, et des protéines de l’enveloppe du virus [ 7]. Mais on ne connaît que fort mal l’arrangement spatial de son génome, un ARN, et encore moins la dynamique structurale et les interactions nucléoprotéiques au sein du virus, ou nucléocapside, qui restent du domaine des hypothèses en attendant de nouvelles techniques pour les déchiffrer [ 8]. Le défi est de trouver des anti-viraux ciblant la nucléocapside, qui, combinés aux thérapies actuelles contre les enzymes virales, bloqueraient la réplication de toutes les souches virales.

L’enveloppe du virus commence à être connue dans sa globalité [7, 9], mais on est loin de visualiser sa dynamique qui permet au virus d’infecter une cellule via des interactions avec le récepteur CD4 et un corécepteur. Un autre enjeu majeur sera d’illustrer les différences antigéniques subtiles entre les enveloppes virales qui signent l’évolution du virus, et son échappement vis-à-vis des réponses spécifiques du système immunitaire. Ces données sont sans doute essentielles pour développer un vaccin efficace contre le VIH-1.

Un jeu de cache-cache entre le virus du Sida et son hôte

En tant que parasite, le VIH-1 exploite des cellules hôtes pour se répliquer, et quantités d’études de biologie et de génétique ont fouillé et continuent de fouiller les relations entre le virus-parasite et son hôte. Les cibles majeures du VIH-1 sont les cellules T régulatrices et les macrophages, et d’une certaine façon des cellules dendritiques et des monocytes agissant comme transporteurs du virus. Un autre aspect est que le virus joue à cache-cache avec les défenses de l’hôte en camouflant l’infection via la protéine virale NEF, pour éviter une réponse immune radicale [ 10], et en contrant des restrictions cellulaires comme l’enzyme APOBEC3G par les contre-mesures de la protéine virale VIF [ 11]. Une fois l’infection installée, le virus exploite des facteurs de l’hôte tel le facteur général de transcription LEDGF via l’intégrase pour intégrer la forme provirale du génome. Puis le virus intégré exploite les machineries essentielles de la cellule pour produire ses composants nucléiques et protéiques, et le trafic vésiculaire pour libérer de grandes quantités de particules infectieuses, qui vont être transmises directement à des cellules saines, et contribuer à disséminer l’infection et à la rendre chronique [11]. Les cycles viraux s’enchaînent, combinant efficacité et stratégies de camouflage, ce qui produit de grandes populations de virus, aux caractéristiques structurales et génétiques diverses - connues sous le nom de quasi-espèces - qui optimisent l’échappement du virus aux réponses anti-virales naturelles, et aux tri- et multithérapies.

Un défi supplémentaire est de transformer la nature des rétrovirus, de pathogènes en vecteur-médicaments. Commencée il y a 25 ans, l’aventure a pris une ampleur sans précédent avec la construction de lentivecteurs dérivés du virus du Sida, et de son cousin simien le SIV (simian immunodeficiency virus) (VIS, virus de l’immunodéficience simienne) [ 12]. Ces lentivecteurs (LV) sont devenus incontournables en génétique moléculaire et physiologie, et c’est pourquoi des firmes de Biotechnologie construisent d’énormes banques de LV couvrant tous les gènes humains pour explorer leur fonction. En 2007, les premiers essais de thérapie cellulaire utilisant des LV chez l’homme ont commencé [ 13] ; qu’en sera-t-il dans une génération ?

Le Sida révélateur d’enjeux majeurs des sociétés humaines

L’irruption du Sida a représenté un bouleversement pour la société et les médecins qui ont été amenés à prendre en charge les premiers patients infectés au début des années 1980. À cette époque, on découvrait et décrivait la maladie en même temps que les malades. Chaque nouvelle infection diagnostiquée était synonyme d’un pronostic effroyable sans aucune arme thérapeutique à proposer. Saluons ici les efforts immenses du corps médical, des chercheurs, des associations, et des entreprises pharmaceutiques qui ont su utiliser les progrès technologiques associés de la génétique, la virologie et la biologie moléculaire, pour rendre rapide et aisé le diagnostic de l’infection VIH, et son suivi y compris le typage des virus chez les personnes vivant avec le VIH. À ce tout s’ajoutent les progrès thérapeutiques de la dernière décennie, qui permettent à un grand nombre de contrer de façon très efficace la réplication du virus.

Même si ces progrès peuvent être jugés rapides, comment oublier les 25 millions de morts depuis le début de l’épidémie ; comment ne pas rappeler que la majorité des sujets infectés n’a toujours pas accès aux antiviraux efficaces, même si des progrès sont à noter.

Les médicaments antiviraux ont réduit la morbidité et la mortalité liées à l’infection. Leurs effets passent par le contrôle de la réplication virale et la préservation des lymphocytes T CD4 qui diminue le risque de développer des événements typiques du Sida [ 14]. Mais ces antiviraux ont également leurs effets négatifs comme des modifications de la répartition des graisses de l’organisme entraînant des modifications morphologiques difficiles à vivre pour les malades, des troubles métaboliques (diabète, hypercholesterolémie) et cardio-vasculaires [ 15].

Il est intéressant de noter que, 25 ans après l’identification du virus, les mécanismes de la déplétion T CD4 ne sont pas complètement élucidés. À côté d’un effet direct du VIH, l’activation chronique du système immunitaire est sûrement une cause majeure de la déplétion T CD4. Ainsi, si les antiviraux ont considérablement réduit la mortalité liée au Sida, la persistance d’une immunodépression chronique expose les patients à des risques accrus de cancers et de maladies inflammatoires des reins ou cardio-vasculaires. En France, en 2005, près de 35 % des décès des patients infectés par le VIH étaient secondaires à un cancer.

Un autre défi global, à l’heure du web et d’internet, c’est la prévention du Sida [ 16], et également d’autres infections transmises par voies sexuelle et sanguine, au moyen de l’éducation et des immenses richesses des savoirs, du niveau personnel à celui de la famille et des sociétés dans leur grande diversité. Il s’agit de répéter que l’épidémie progresse encore, notamment chez les jeunes qui n’ont pas connu les premières années de l’épidémie et qui sont moins sensibles aux messages de prévention. Près de 6 000 personnes ont découvert leur séropositivité en France en 2006, et 40 % d’entre elles s’étaient infecté dans les 6 mois précédant le test. Sur le plan de la prise en charge de la maladie, nous aurons à faire face aux facteurs de co-morbidité chez ces patients liés à la co-infection par les virus des hépatites (HCV et HBV) [ 17, 18], les virus HPV (human papillomavirus) associés à des cancers des voies génitales, les infections microbiennes comme la malaria et la tuberculose. Sur le plan de la recherche, il faut poursuivre l’effort de trouver de nouvelles molécules moins toxiques et accessibles à tous. La poursuite de la recherche d’un vaccin reste un enjeu majeur malgré les déceptions récentes. Cela souligne le défi de la mise au point d’un vaccin contre une infection rétrovirale qui, en 30-60 minutes est capable de franchir la barrière muqueuse et établir un réservoir viral laissant peu de temps au système immunitaire pour agir. Le succès viendra de notre capacité à penser différemment les mécanismes immunologiques de la protection et de changer de paradigme. Enfin, sur le plan éthique, on pourra difficilement se contenter des progrès lents de l’accès des traitements à tous ceux qui ont en besoin [ 19]. L’épidémie et le virus n’ont pas de frontières.

Les virus sont consubstantiels à la vie, nous en prenons maintenant conscience, et ils semblent nous interpeller pour que nous agissions de façon responsable, solidaire, altruiste et humaniste.

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