En 1993, Ambros et al. ont rapporté que lin-4, un gène de C. elegans, ne codait pas pour une protéine mais pour un ARN d’environ 20 nucléotides dont l’invalidation affectait le développement du ver [ 1]. D’abord perçus comme une « bizarrerie » propre à C. elegans, des petits ARN sont maintenant décrits dans tout le phylum. De façon remarquable, certains d’entre eux sont très conservés au cours de l’évolution. Les membres de cette nouvelle classe d’ARN ont été collectivement appelés microARN ou miARN. On estime actuellement qu’il en existe au moins 500 chez l’homme (pour revue, voir [ 2– 5]). Les miARN sont majoritairement issus de transcrits produits par l’ARN polymérase II (Pol II) : il peut s’agir de transcrits autonomes (l’information génétique étant celle du miARN) ou de transcrits mixtes (comprenant une région codante et un miARN contenu dans un intron ou dans une région 3’ non codante). Cependant, une étude récente démontre que l’expression de certains miARN requiert l’ARN polymérase III, suggérant que la connexion entre les miARN et les éléments transposables (séquences Alu) est plus importante qu’initialement admise [ 6].
Les miARN sont synthétisés sous forme d’ARN précurseurs de grande taille dont la maturation fait intervenir deux RNases III, Drosha et Dicer (Figure 1) [ 7– 10]. En conjonction avec son partenaire DGCR8 [ 11, 12], Drosha convertit, dans le noyau, un transcrit primaire (pri-miARN) en une structure en épingle à cheveux irrégulière d’environ 70 nucléotides (pré-miARN). Une fois transféré dans le cytoplasme par l’exportine 5, le pré-miARN est pris en charge par Dicer qui façonne un intermédiaire de maturation dont un seul des deux brins formera le miARN mature (Figure 1) [ 13, 14]. Au cours de ce processus de maturation, les miARN interagissent avec des protéines spécifiques pour former un complexe ribonucléoprotéique stable dénommé RISC-miRNP (RNA-induced silencing complex-micro-ribonucleoprotein). Au sein de ce complexe, le miARN interagit avec des séquences complémentaires de la partie 3’ UTR des ARNm cibles. Les modalités d’action de RISC-miRNP sont encore mal comprises, mais semblent dépendre de la complémentarité du duplex miARN:ARNm mise en jeu et de la nature des protéines adaptatrices Argonautes qui le composent. Si cette complémentarité est totale, RISC-miRNP induit alors un clivage endonucléolytique au milieu de l’hybride miARN:ARNm entraînant la dégradation rapide de l’ARNm (Figure 1). En revanche, si cette complémentarité est partielle, l’inhibition de la traduction de l’ARNm cible est favorisée et la stabilité de la cible peut être affectée par un mécanisme de dégradation différent du clivage endonucléolytique [ 15, 16] (Figure 1), le raccourcissement de la queue poly(A) étant l’étape initiale de cette dégradation [ 17, 18]. Ces évènements post-transcriptionnels auraient lieu dans des structures cytoplasmiques dynamiques, appelées P-bodies ou GW bodies, vraisemblablement en réponse à la répression de la traduction [ 19– 21]. Les P-bodies contiennent une forte concentration de molécules impliquées dans la dégradation des ARNm, comme la déadénylase, le complexe de decapping Dcp1/2 et la 5’-3’ exonucléase XRN1 (revue dans [ 22]) (Figure 1). Plusieurs études démontrent que la formation des P-bodies peut être dépendante de l’expression de miARN, notamment celle du miARN let-7 [ 23– 25], et que leur déstabilisation, par ARN interférence contre l’un de leurs constituants (Lsm1), n’affecte pas la répression de la traduction induite par les miARN [21]. Cependant, si les P-bodies sont importants pour la voie des miARN, ils ne peuvent être restreints à cette seule activité puisqu’ils ont été initialement décrits chez S. cerevisiae, un organisme qui ne contient aucun des gènes de la machinerie de l’interférence ARN.
![]() | Figure 1.
Biogenèse des microARN. Les gènes des microARN (miARN) sont transcrits par une ARN polymérase II (Pol II) dans le noyau pour former des intermédiaires de biosynthèse de grande taille, les pri-miARN (primary miRNA), qui sont majoritairement cappés (7MGpppG) et polyadénylés (AAAA) et contiennent une ou plusieurs structures en épingle à cheveux. Les pri-miARN sont ensuite modifiés par une RNase III, Drosha en association avec son co-facteur DGCR8 (DiGeorge syndrome critical region gene 8 ou Pasha chez la drosophile), pour former des produits d’environ 70 nucléotides, les pré-miARN (precursor miRNA). L’exportine 5 et Ran-GTP permettent la translocation du pré-miARN dans le cytosol. Celui-ci est clivé par une seconde RNase III, Dicer, engendrant un duplex d’environ 20 nucléotides. Le miARN mature est alors transféré au complexe multiprotéique RISC-miRNP (RNA-induced silencing complex-micro-ribonucleoprotein). Une hélicase facilite la séparation du double brin du duplex et l’association de protéines Argonautes stabilise le brin monocaténaire du miARN au sein de RISC-miRNP. Le miARN mature contrôle négativement l’expression protéique et la stabilité de sa cible en se fixant sur une séquence complémentaire de la partie 3’-UTR de l’ARNm cible au niveau des polysomes. Le degré de complémentarité détermine le devenir de l’ARNm. Si cette complémentarité est totale, le miARN entraîne la dégradation de l’ARNm (coupure endonucléolytique) par Argonaute 2, alors qu’une complémentarité partielle inhibe l’initiation et/ou l’élongation de la traduction et peut aboutir à la dégradation exonucléolytique de l’ARNm dans des compartiments cytosoliques dynamiques, les P-bodies ou GW-bodies. Ces structures contiennent une forte concentration de molécules impliquées dans la dégradation des ARNm (désadénylase, Decapping complex hDCP1/2 et 5’-3’ exonucléase hXRN1). Le ciblage des duplexes miARN/ARNm dans les P-bodies ferait intervenir un composant structural des P-bodies, la protéine GW182. |