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Med Sci (Paris). 2007 May; 23(5): 451–452.
Published online 2007 May 15. doi: 10.1051/medsci/2007235451.

Des mécanismes biochimiques aux impacts planétaires de la pollution atmosphérique  : un continuum de la recherche

Denis Zmirou-Navier*

Université Henri Poincaré (Nancy 1), Inserm ERI 11 (Évaluation et prévention des risques professionnels et environnementaux). Faculté de médecine, 9, avenue de la Forêt de Haye, 54500 VandÅ“uvre-les-Nancy, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Pollution de l'environnement, Dépollution de l'environnement, Humains, Recherche, Santé mondiale, Organisation mondiale de la santé

 

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) évaluait en 2004 à 2,4 millions de morts l’impact sanitaire annuel de la pollution de l’air à l’échelle du globe [ 1]. Elle précisait que les deux tiers de cette « charge » étaient supportés par les pays en développement d’Asie et que 1,6 million de ces morts étaient la conséquence d’une exposition à un air intérieur vicié, au sein même des maisons, du fait de l’usage, dans de mauvaises conditions, du charbon, du bois et de résidus de l’agriculture pour le chauffage et la cuisine. On ajoutera - le lien étant ici évident - que les femmes et les jeunes enfants sont les premières victimes de ces pollutions atmosphériques [ 2]. Dans ce numéro de Médecine/Sciences [ 3], Armelle Baeza et Francelyne Marano, et, dans un numéro précédent, Marcel Bonay et Michel Aubier [ 4], expliquent les mécanismes biochimiques et cellulaires par lesquels les particules atmosphériques et l’ozone, deux polluants majeurs, agressent les tissus des voies aériennes. Ces auteurs avancent que le développement récent des connaissances de ces mécanismes pourrait contribuer, pour une part, à expliquer l’augmentation de l’incidence de l’asthme observée, de manière générale, dans les pays les plus développés économiquement depuis une trentaine d’années, notamment chez les jeunes enfants [ 57]. Ils donnent aussi des clés pour comprendre la prévalence encore élevée de la bronchite chronique, cette maladie méconnue, en France et, bien plus encore, dans les foyers des pays en développement. Ce vaste pont qui réunit la cellule au monde n’est pas une figure de style. C’est le sens que revêt notre effort collectif de production des connaissances dans les sciences de la vie et de la santé. L’étude des effets biologiques et sanitaires de la qualité de l’air en est un bel exemple.

La pollution atmosphérique s’est profondément transformée depuis les années 1950-1960, dans les pays « avancés ». Les formes qu’elle y prenait alors se retrouvent, aujourd’hui, dans les grands centres urbains et industriels de pays émergeants : émissions massives de suies des imbrûlés de charbon et de pétrole, rejets de métaux, solvants etc. À cette pollution historique, là-bas, se conjuguent les effluents des pots d’échappement des véhicules motorisés dont le nombre explose pour répondre aux besoins énormes du transport des personnes et des marchandises au sein de mégapoles asphyxiées. Dans nos cités, ici, les indicateurs de la pollution liée aux activités industrielles et au chauffage résidentiel ont connu une évolution nettement favorable depuis 30 ans (baisse des « immissions1 » - ou concentrations dans l’air - du dioxyde de soufre, des poussières en suspension…). Cette décroissance se poursuit, bien que différemment selon les polluants. Après les mesures de maîtrise des émissions industrielles, les améliorations techniques apportées aux moteurs des véhicules et aux carburants, et plus récemment à l’échappement des gaz, sous la pression de réglementations plus contraignantes, se sont traduites par des réductions importantes des immissions de polluants redoutables tels que le plomb ou le benzène. Mais l’augmentation régulière du trafic résultant des choix opérés (ou non opérés) en matière de développement urbain et de modèle économique, ainsi que de nos aspirations à la libre mobilité, ont fortement contrarié ces progrès pour d’autres polluants : oxydes d’azote et particules fines baissent lentement et peu, et restent à des niveaux pour lesquels les nombreuses études épidémiologiques disponibles témoignent de conséquences sanitaires mesurables. L’ozone voit, quant à lui, ses concentrations croître régulièrement dans les zones affectées des périphéries urbaines ou dans les régions de fort ensoleillement, en raison du processus de sa photosynthèse à partir de la « soupe » de polluants émis notamment par le trafic. De surcroît, des disparités géographiques fortes subsistent, qui se traduisent par des inégalités sociales de santé attribuables à la pollution atmosphérique [ 8].

L’asthme est la maladie chronique la plus fréquente de l’enfant. Chercher une cause unique à l’augmentation de sa prévalence, qui atteint aujourd’hui 9% de la population française, est voué à l’impasse, tant les facteurs impliqués dans sa genèse sont variés. L’« hypothèse hygiéniste » avancée par Strachan en 1989 explique une part de cette croissance mais ne l’épuise pas [ 9]. Les rôles du tabagisme, actif ou passif, et des transformations considérables et rapides – à l’échelle de l’histoire de l’humanité – de nos sources d’approvisionnement alimentaire ont aussi été explorés [ 10]. Les mutations de la qualité de l’air inhalé par les habitants des grandes cités depuis 30 ans font de cet air un candidat sérieux à l’inscription sur la liste des causes. Il faut, pour comprendre cela, considérer l’important corpus de connaissance disponible aujourd’hui sur les processus inflammatoires induits par les particules ultrafines (corpuscules de l’ordre de la centaine de nm) issues des pots d’échappement des véhicules diesel, motorisation qui est dorénavant la règle pour le transport des marchandises et qui occupe une part croissante du parc des voitures individuelles. C’est à cette connaissance que nous permettent d’accéder les articles de A. Baeza et F. Marano [3], et de M. Bonay et M. Aubier [4]. Les travaux in vitro d’exposition de cellules à un flux de particules diesel, les expérimentations animales ou chez des sujets volontaires mettent en lumière les nombreuses transformations biochimiques et cellulaires induites dans les voies aériennes. La perturbation de l’équilibre entre pro- et antioxydants et la formation d’espèces réactives de l’oxygène jouent un rôle central dans ces processus inflammatoires, pouvant aller jusqu’à des remodelages tissulaires. M. Bonay et M. Aubier soulignent aussi la stimulation de la réponse allergique par les particules diesel, responsable d’une augmentation de la production de cytokines à profil Th2. Ce dérèglement de l’homéostasie redox pourrait également expliquer pourquoi l’exposition au long cours à des particules entraînerait des affections respiratoires chroniques et le développement de cancers bronchiques [ 11, 12]. Ces travaux ouvrent aussi des voies pour l’identification de sujets présentant une susceptibilité particulière, associée aux polymorphismes des systèmes enzymatiques antioxydants et du métabolisme des xénobiotiques [ 13].

Ne nous trompons pas de perspective, cependant. La pollution atmosphérique ne s’est pas aggravée au cours des dernières décennies, dans nos pays « avancés ». Elle s’est transformée, les grosses suies de combustion se sont mutées en nanoparticules que l’on sait mal mesurer. Surtout, nous disposons aujourd’hui de moyens considérablement plus performants (en métrologie environnementale, en toxicologie cellulaire et in vivo, en recherche clinique et en épidémiologie) pour en traquer les conséquences biologiques et sanitaires. C’est donc, malgré les imperfections qui demeurent, la plus grande précision de notre regard qui donne l’impression d’une situation dégradée. En réalité, plutôt que de considérer que la situation empire, il faudrait avoir peur rétrospectivement de l’importance de la menace à laquelle nous avons été exposés lorsque nous étions enfants, ou à laquelle ont dû faire face nos parents et grands-parents. Il n’est pas exclu, au demeurant, que cette exposition à la pollution historique des années 1950-1960 ait laissé des marques transgénérationnelles [ 14]. Les impacts sanitaires de la pollution atmosphérique avancés par l’OMS à l’échelle du globe sont à la mesure de cette pression sélective des milieux de vie dégradés. Cette leçon d’un passé - et, là-bas, d’un présent - peu prudents doit être apprise et inspirer les politiques scientifiques devant dorénavant accompagner (oserait-on dire précéder ?) le développement de nouvelles technologies, telles que les nanotechnologies, les nanoparticules qui en constituent des composants essentiels n’étant pas si éloignées, quant à leurs caractéristiques physiques, des particules nanométriques émises par les moteurs diesel [ 15].

La recherche sur les politiques publiques de santé, pour leur part, enseigne que s’écoule un temps souvent très long entre l’avancée des connaissances et leur traduction en termes de normes et règlements. Parce que les résistances au changement au sein même des communautés scientifiques sont fortes, mais surtout parce que les corporations de tous ordres veillent à réduire ou retarder l’impact que ces politiques pourraient avoir sur leurs intérêts. Les enjeux environnementaux en constituent une illustration manifeste, comme en témoigne l’écart considérable qui sépare les récentes recommandations de l’OMS sur la qualité de l’air [ 16] et les arbitrages sur le point d’être rendus par les instances politiques européennes sur les futures « normes » de qualité de l’air, au prétexte de ne pas nuire à la compétitivité des entreprises. Pourtant nettement plus avancées à cet égard, les décisions récentes de l’Agence américaine de l’environnement sont également décriées comme insuffisamment protectrices par les meilleurs spécialistes [ 17]. Mais ces retards et demi-mesures se paient au prix de maladies, de souffrances et de coûts médico-sociaux considérables. Doit-on s’étonner, dès lors, que le secteur des transports échappe encore largement, en Europe et ailleurs, aux efforts, même modestes, exigés des installations industrielles pour la réduction des émissions de gaz à effets de serre, autre et formidable menace planétaire ? Du stress oxydant au stress thermique, la cellule et la maison brûlent… et les décideurs continuent à regarder ailleurs.

 
Footnotes
1 On entend ainsi par émissions les quantités de polluants mesurées au niveau même de la source émettrice (pots d’échappement, cheminées…) et par immissions les concentrations de polluants mesurées dans l’air ambiant.
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