L’article reproduit ci-dessus (en collaboration avec le groupe de presse Sciences Art & Facts) fournit un éclairage biologique à des comportements jusqu’ici considérés comme étant du strict domaine de la spiritualité, touchant à une transcendance de l’espèce humaine irréductible à la froide matérialité de la Biologie. Il représente un exemple typique de la démarche behaviouriste anglo-saxonne, désormais engagée dans un réductionnisme post-Darwinien, souvent dénoncé pour les dérapages auxquels a donné lieu la sociobiologie de Wilson [ 1]. Il n’en demeure pas moins que l’argumentaire est impressionnant, et les résultats d’une grande pertinence. Ceux-ci sont troublants à plus d’un titre. D’abord parce que le nucleus succumbens, siège exclusif de production de la darwinine, est précisément situé au niveau du pSTC (posterior superior temporal cortex), que des travaux d’imagerie fonctionnelle viennent justement de désigner comme le siège des pulsions altruistes [ 2]. Ensuite parce que le déterminisme moléculaire mis en jeu pour moduler les tendances sociétales des individus, - c’est-à-dire une combinatoire de mutations LOF et GOF portant sur un seul gène, plaisamment dénommé DARWIN -, est d’une extraordinaire simplicité. En réalité celle-ci n’est qu’apparente car on commence à peine à mettre à jour les multiples interactions que la darwinine engage avec d’autres partenaires protéiques. En particulier la synaptobrévine qui est selon toute vraisemblance activée par la darwinine (voir l’article du Consortium IASP reproduit dans les pages précédentes, p. 440 à 444), est elle-même un antagoniste de la prédatine [ 3]. Ils sont aussi dérangeants, car, comme les auteurs l’indiquent brièvement, entre les comportements extrêmes étudiés, c’est-à-dire d’un côté Mère Teresa, et de l’autre Steven Cohen, le célèbre « golden boy » de Wall Street dont les gains nets en 2005 ont été de 1 milliard de dollars (d’où la dénomination SCS pour Steven Cohen Syndrome) [ 4– 7] ou certains PDG [ 8, 9], se situent 99% des individus manifestant un gradient de tendances altruistes/égoïstes. Ainsi, pour la première fois, la génétique mendélienne par essence particulaire (« discrète », dirait-on en Franglais) rend compte d’un gradient continu de tendances comportementales, grâce à un mécanisme de variations quantitatives autorisées par le jeu subtil de mutations LOF et GOF. Voilà de quoi inquiéter non seulement les ennemis irréductibles de la sociobiologie, mais aussi les tenants d’une « humanitude » transcendante [ 10]. Enfin, ce modèle biologique devient franchement inquiétant si l’on considère que la tentation sera grande de vouloir manipuler pharmacologiquement les penchants des individus, avec la louable intention de rendre les hyper-égoïstes un peu plus soucieux d’autrui, et les fanatiques de la charité un peu plus sensibles aux impératifs du réalisme économique. De là à vouloir instaurer une société « vertueuse », il n’y a qu’un pas. À cet égard, on ne saurait trop rappeler la géniale analyse que fit Bernard Mandeville [ 11] des méfaits d’une société sans vice, dans une Fable calquée sur le modèle de La Fontaine (voir Encadré) Cette non-viabilité d’une société sans vice n’est pas sans rappeler la fragilité des animaux axènes, c’est-à-dire débarrassés de toute flore microbienne saprophyte.
Il appartiendra aux éthiciens de s’emparer du problème et de nous dire quelle est la proportion optimale de prédateurs (golden boys) et de sans-logis (SDF) pour le meilleur marché d’un monde où le remplacement d’Homo sapiens sapiens par Homo raptor economicus paraît inéluctable.