Les épidermolyses bulleuses sont des génodermatoses liées à la mutation de plusieurs types possibles de gènes dont les produits sont indispensables au maintien de la solidarité entre le derme et l’épiderme. Selon le niveau où survient le clivage dans la zone de jonction dermo-épidermique, on parle de formes intra-épidermiques, jonctionnelles et dermolytiques ou dystrophiques. Dans les formes jonctionnelles, le décollement intervient au niveau de la pars lucida de la membrane basale. La symptomalogie des épidermolyses bulleuses jonctionnelles est en pratique toujours sévère. Les bulles cutanées, disséminées, sont observées dès la naissance, souvent associées à des vastes décollements cutanés et muqueux. La cicatrisation des lésions est difficile, lente, de mauvaise qualité. Il existe très souvent des surinfections cutanées pouvant évoluer vers la formation de croutes purulentes. La maladie peut être létale dans les six premiers mois, ou bien être compatible avec une survie prolongée, alors toujours compliquée de délabrements cutanés récidivants. La transmission de ces maladies est autosomique récessive. Parmi les gènes impliqués, on trouve ceux codant les trois branches (α, β, γ) de la laminine 5, un constituant de la membrane basale.
Les premiers essais de correction ex vivo du défaut caractéristique des épidermolyses bulleuses jonctionnelles par transfection ou transduction d’un transgène thérapeutique datent de 1996 [ 1– 5]. Ces études ont toutes démontré qu’il était possible par transfert de gènes d’améliorer les propriétés d’adhérence cellulaire et l’efficacité de formations des colonies des kératinocytes de patients. C’est maintenant un premier essai clinique qui vient d’être décrit par une équipe italienne associant différents laboratoires et dirigée par Fulvio Mavilio, Graziella Pellegrini et Michele De Luca, de Modane et Venise [ 6]. Cette étude a été financée par l’Association Française de Lutte contre les Myopathies. Le malade chez lequel l’essai a été réalisé a 36 ans et est hétérozygote composé pour un allèle nul et une mutation ponctuelle du gène LAMB3 codant la branche β3 de la laminine 5. Comme cela est habituel, les premiers signes cliniques sont apparus dès la naissance, ils sont caractérisés par des bulles cutanées qui se développent de manière spontanée ou après des lésions minimes, souvent compliquées d’infections. Le corps de cet homme est couvert de lésions bulleuses extensives, de croutes infectées séparées simplement par quelques zones plus modérément atteintes. La première difficulté à résoudre fut de prélever chez ce patient des kératinocytes susceptibles de croître et de se diviser en culture. En effet, seule une sous-population des kératinocytes est dotée des propriétés d’auto-renouvellement caractéristiques des cellules souches et requises pour promouvoir une culture à long terme de ces cellules, ou holoclones [ 7]. Or, du fait des lésions cutanées et de la stimulation d’une régénération intense, la peau du malade semblait globalement déplétée en de tels progéniteurs. En fait, seules des biopsies de la paume de la main (1,5 cm2) se révélèrent contenir une proportion d’holoclones et permirent de ce fait d’établir la culture et d’amplifier la population.
Ces kératinocytes furent transduits à l’aide d’un vecteur viral dérivé du virus de la leucémie de Moloney dans lequel un ADN complémentaire complet été placé sous le contrôle du LTR (long terminal repeat). Une moyenne de deux séquences rétrovirales s’intégra dans pratiquement 100 % des cellules clonogéniques. Une concentration pratiquement normale du messager de la laminine 3β, et de la protéine elle-même, fut détectée dans les kératinocytes transduits. L’expression du transgène persista également à un niveau constant tout au long de la culture cellulaire.
Le malade subit alors sous anesthésie locale une ablation de l’épiderme pathologique de la région antéro-supérieure des deux jambes, remplacé par des greffons de feuillets kératinocytaires d’une surface de 55 cm2. Un total de neuf greffons permit ainsi de couvrir environ 500 cm2 sur les deux jambes. La prise de la greffe fut parfaite, aboutissant à la formation d’un épiderme d’aspect normal un an après l’intervention.
Compte tenu des observations de transformation maligne chez trois des jeunes malades atteints d’immunodéficience combinée et traités par thérapie génique en France [ 8, 9], les auteurs s’efforcèrent de détecter des stigmates d’évolution clonale des greffons génétiquement modifiés. En fait, l’étude des sites d’intégration des rétrovirus recombinants apportait la preuve de la nature polyclonale de la population corrigée puisqu’une moyenne de trente événements indépendants d’’intégration était observée par 0,1 cm2, et paraissait stable au cours du temps. Ce premier essai s’avère, de la sorte, positif. Compte tenu de l’étendue des lésions chez le malade, il sera nécessaire de multiplier les greffes afin de recouvrir, progressivement, l’essentiel de la surface corporelle. Les auteurs pourront alors, soit procéder comme indiqué ci-dessus, soit, plus vraisemblablement, partir de biopsies de la région corrigée.
Toute forme confondue, les épidermolyses bulleuses affectent environ 500 000 personnes à travers le monde. Il va de soi que la lourdeur de l’opération décrite par les équipes italiennes ne fait pas de ce protocole thérapeutique une méthode simple permettant d’envisager une application de masse. Il n’empêche, sous réserve d’une observation à long terme des malades traités, il s’agit là de données extrêmement encourageantes pour une affection dont la réalité pathologique et le vécu psychologique sont effroyables.