II. Jeux vidéo/Internet et jeux de hasard et d’argent

2014


ANALYSE

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Influence du marketing et de la publicité des opérateurs de jeux de hasard et d’argent1

En France, un certain nombre de mesures régissant la communication commerciale relative aux jeux de hasard et d’argent ont été mises en place. L’article 7 de la loi du 12 mai 2010 stipule que : « Toute communication commerciale en faveur d’un opérateur de jeux d’argent et de hasard légalement autorisée est : 1) Assortie d’un message de mise en garde contre le jeu excessif ou pathologique, ainsi que d’un message faisant référence au système d’information et d’assistance prévu à l’article 29 ; 2) Interdite dans les publications à destination des mineurs ; 3) Interdite sur les services de communication audiovisuelle et dans les programmes de communication audiovisuelle présentés comme s’adressant aux mineurs ; 4) Interdite dans les services de communication au public en ligne à destination des mineurs ; 5) Interdite dans les salles de spectacles cinématographiques lors de la diffusion d’Ĺ“uvres accessibles aux mineurs. ».

Stratégies publicitaires et marketing déployées autour des jeux de hasard et d’argent et leur impact

Marketing et publicité des opérateurs de jeux de hasard et d’argent

Les différentes mesures législatives adoptées en France et dans d’autres pays permettent de limiter l’exposition des mineurs à la promotion des jeux de hasard et d’argent mais ne peuvent cependant pas la supprimer totalement. Les programmes ou supports destinés à un public large, englobant tant les mineurs que les non mineurs, ne sont en effet pas touchés par ces restrictions de même que le contenu des publicités. De plus, d’autres moyens de promotion, dits hors médias, existent et sont de plus en plus utilisés par l’industrie du jeu (sponsoring, publicité sur le lieu de vente…).

Sponsoring

Le sponsoring est une forme de publicité indirecte qui s’avère très efficace pour créer et développer des attitudes positives envers une marque, un lien émotionnel et une relation basée sur le partage de valeurs communes (Maher et coll., 2006renvoi vers). Actuellement, 7 des 18 équipes de football de ligue 1 anglaise sont sponsorisées par une entreprise de jeux de hasard et d’argent ; en Australie, ce sont 14 des 16 équipes de football qui sont concernées. En France, La Française des Jeux se présente comme le premier partenaire du sport français. Différents partenariats ont été signés avec les Fédérations Françaises de Rugby, de Basket-ball, de Handball, de Volley-ball et de Tennis, ainsi qu’avec la Ligue de Football Professionnel. La Française des Jeux finance depuis 1997 l’équipe cycliste à son nom et le centre de formation associé. Le groupe Partouche, premier détenteur de casinos sur le territoire français, est le premier sponsor de l’équipe de football Lilloise (le Losc) et détient 40 % de son capital depuis 1998. Ce groupe vient récemment de signer un accord de partenariat avec l’équipe de football montpelliéraine. Cette stratégie est également suivie par le groupe Lucien Barrière, numéro 2 des casinos, qui est notamment sponsor de l’équipe des Girondins de Bordeaux et se présente sur son site Internet comme « un acteur engagé dans le monde sportif et culturel ».
Peu d’études ont été réalisées concernant les effets de ces activités de parrainage auprès des adolescents. La plupart des recherches ont été réalisées sur des étudiants âgés d’environ 20 ans. Sur cette classe d’âge, Gwinner et Eaton (1999)renvoi vers ont montré que le sponsoring sportif permettait d’accroître l’attractivité d’une marque en créant un effet d’identification à la marque du joueur ou du supporter. On peut supposer que le même phénomène se produit sur des publics plus jeunes très sensibles aux leaders d’opinion sportifs.
La démonstration des effets potentiellement néfastes du sponsoring de produits dangereux auprès des jeunes a conduit au développement de réglementations strictes en la matière dans le cas du tabac ou de l’alcool. De telles réglementations restent encore relativement rares dans le cas des jeux de hasard et d’argent (Lamont et coll., 2011renvoi vers). Au Royaume-Uni, des mesures visant à protéger les jeunes du sponsoring ont été prises. Le Gambling Act interdit l’apposition de logos et/ou de matériels promotionnels liés à l’industrie du jeu sur les marchandises destinées aux jeunes (Office of Public Sector Information, 2005renvoi vers). De même, les sponsors provenant du domaine des jeux de hasard et d’argent ont interdiction de présenter dans leurs publicités des joueurs de moins de 25 ans.

Publicité sur le lieu de vente

La publicité sur le lieu de vente a pour vocation d’atteindre les consommateurs directement sur le lieu d’achat afin d’attirer leur attention sur la marque et de favoriser les achats impulsifs.
La reconnaissance des effets potentiellement néfastes de ce type de publicité dans le cas du tabac a conduit à son interdiction dans de nombreux pays tels que l’Australie, le Canada, l’Irlande ou encore la Nouvelle Zélande (Monaghan et coll., 2008renvoi vers). Ces effets ont été montrés dans une étude sur la loterie. Des chercheurs canadiens ont ainsi montré qu’une majorité des adolescents qu’ils avaient interrogés reconnaissait avoir vu des affiches dans les magasins et que cela augmentait leur intention d’acheter des tickets de loterie (Felsher et coll., 2004renvoi vers).

Internet et promotion du jeu en ligne

Ces dernières années, le jeu en ligne a connu une très forte croissance. Cette expansion semble liée à de nombreux facteurs tels que : la possibilité de jouer et de parier 24 h/24 et 7 jours sur 7 ; le volume des jeux et joueurs disponibles (dans le cas du poker en ligne notamment) ; l’existence de sites de pratique permettant de jouer sans investir d’argent et le pouvoir de la publicité et du marketing qui présentent les jeux en ligne comme accessibles et excitants (McMullan et Kervin, 2012renvoi vers).
Une étude a montré que 93 % des adolescents ayant accès à Internet ont été exposés à des pop-up faisant la promotion du jeu et 61 % ont reçu des spams sur les jeux en ligne (Derevensky et coll., 2007renvoi vers). Une autre étude révèle que les adolescents sont conscients que ces publicités leur sont destinées (Derevensky et coll., 2009renvoi vers). Il a également été montré que de nombreux joueurs en ligne commencent à jouer suite à une exposition publicitaire (Griffiths et Barnes, 2007renvoi vers).
McMullan et Kervin (2012)renvoi vers ont analysé le contenu de différents sites de poker en ligne et des publicités qui en faisaient la promotion. Ils aboutissent à la conclusion, à l’instar des publicités pour les jeux diffusées dans les médias de masse (télévision, radio…), que les messages promotionnels sur les sites Internet véhiculent des discours très positifs sur le jeu :
• association entre la présence d’argent, le gain, le déni des pertes et l’investissement continu dans le jeu ;
• association entre faire confiance à ses compétences et sa propension à oublier ses pertes ;
• association entre la normalisation du jeu, la fabrique de mythes, les pensées erronées et les probabilités réelles de succès et de mobilité sociale.
Monaghan et coll. (2008)renvoi vers pointent du doigt l’existence de connexions promotionnelles entre les sites dits de pratique, c’est-à-dire où les consommateurs jouent sans investir d’argent, et les sites de jeux de hasard et d’argent classiques où les joueurs engagent leur argent. En effet des liens présents sur les sites gratuits dirigent directement vers les sites payants et des messages promotionnels invitent les joueurs à concrétiser leurs compétences en jouant à la version payante du jeu.
Le développement des jeux en ligne étant encore très récent, les réglementations en la matière restent limitées et hétérogènes. En France, la loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne a donné lieu à la création de l’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux en Ligne)2 . Cet organisme est chargé de délivrer des agréments et de s’assurer du respect des obligations par les opérateurs, de protéger les populations vulnérables, de lutter contre l’addiction, de s’assurer de la sécurité et de la sincérité des opérations de jeux, de lutter contre les sites illégaux et de lutter contre la fraude et le blanchiment d’argent. Cette loi invite également les opérateurs de jeux autorisés à limiter l’accès des mineurs à leurs sites en indiquant l’interdiction aux moins de 18 ans et en demandant la date de naissance du joueur au moment de son inscription et lors des connexions subséquentes3 .

Effets du marketing et de la publicité des opérateurs de jeux de hasard et d’argent

Les recherches réalisées sur les effets du marketing et la publicité des opérateurs de jeux de hasard et d’argent sont pour l’instant moins nombreuses que les études menées sur le tabac et l’alcool. Néanmoins, des conclusions intéressantes se dégagent des travaux publiés sur la question.
Les jeunes sont fréquemment exposés aux publicités de jeux de hasard et d’argent à la télévision, sur Internet, dans les magazines ou encore sur les panneaux d’affichage (Derevensky et coll., 2007renvoi vers ; Lemarie et Chebat, 2013renvoi vers). Certains chercheurs estiment que ces expositions répétées conduisent à la normalisation des comportements de jeu en général. Les jeux de hasard et d’argent sont aujourd’hui perçus comme faisant partie de l’expérience de vie normale d’un enfant ou d’un adolescent (Korn et coll., 2003renvoi vers ; McMullan et Miller, 2009renvoi vers ; Lemarie et Chebat, 2013renvoi vers).
En étudiant le contenu de 920 publicités de loteries diffusées dans les provinces du Canada Atlantique, McMullan et Miller (2009)renvoi vers aboutissent à la conclusion que « ces qualités tangibles et émotionnelles concernant le gain, le fait de gagner et d’être un gagnant que l’on retrouve dans les publicités portant sur le jeu sont spécialement conçues pour inviter les jeunes à développer une orientation positive envers les produits de loteries, orientation qui à son tour, renforce la consommation précoce du jeu ». Selon ces auteurs, les publicités du jeu véhiculent un « ethos du gagnant », les fondements de ce qu’ils appellent la « dream culture » et les messages promus exploitent certains facteurs qui contribuent au développement des comportements de jeu à risque, notamment :
• véhiculer l’idée que pour gagner, devenir un gagneur, il faut investir de façon continue dans le jeu ;
• mettre en avant la simplicité et l’importance du gain sans faire état du nombre élevé de perdants ;
• s’appuyer sur des mythes (devenir millionnaire en un jour), des croyances erronées (le jour de chance) sans évoquer les probabilités réelles de succès ;
• favoriser une conscience élevée de l’existence même des produits du jeu.
D’autres chercheurs ont mis en avant la relation entre les comportements de jeu excessif et la mémorisation des publicités du jeu. Amey (2001)renvoi vers rapporte ainsi que 89 % des 1 500 personnes interrogées âgées de 15 ans et plus se souviennent avoir vu ou entendu des publicités du jeu au cours de la dernière année et que ceux qui jouent le plus souvent sont également ceux qui rapportent avoir vu le plus de publicités (93 % des joueurs réguliers contre 83 % des joueurs occasionnels et des non-joueurs). Des résultats similaires ont été constatés sur des étudiants : ceux qui disent avoir vu plus de publicités du jeu que la moyenne ont une attitude plus positive envers le jeu, plus d’intention de jouer et jouent davantage que la moyenne (Lee et coll., 2008renvoi vers). On peut cependant noter que ces résultats restent ouverts à discussion : ces joueurs jouent-ils plus parce qu’ils sont plus sensibles ou plus exposés aux publicités du jeu, ou sont-ils sont plus attentifs aux publicités et donc se les rappellent-ils davantage parce qu’ils jouent plus que la moyenne (Korn et coll., 2003renvoi vers) ?
Certains chercheurs demandent directement aux joueurs ayant des problèmes de jeu s’ils considèrent que les publicités du jeu les incitent à jouer davantage. Il en ressort que des joueurs problématiques rapportent que les publicités du jeu, d’une manière ou d’une autre, les poussent à jouer (Grant et Kim, 2001renvoi vers ; Binde, 2009renvoi vers).
Une autre façon d’analyser l’influence des publicités commerciales sur les attitudes et les comportements à l’égard du jeu est d’effectuer un rapprochement entre dépenses publicitaires et ventes de billets de loterie. De telles études restent cependant relativement rares (Binde, 2007renvoi vers). L’une d’entre elles a été réalisée par Ping Zhang (2004)renvoi vers dans trois États américains. L’auteur conclut à l’existence d’un lien entre le budget publicitaire investi et les ventes de billets de loterie : une augmentation de 1 % des dépenses de publicité augmenterait les ventes de 0,1 % à 0,24 %.
En conclusion, comme pour les produits du tabac et de l’alcool, de nombreuses stratégies publicitaires et marketing sont déployées pour attirer l’attention de la population, et notamment des jeunes en dépit de l’interdiction de pratique des jeux de hasard et d’argent qui est faite aux mineurs. Dans le souci de protection des jeunes, il convient d’informer le public le plus largement possible, mais également d’en appeler à la responsabilité des annonceurs, des agences, des régies et des médias.

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