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Med Sci (Paris). 2006 February; 22(2): 107–109.
Published online 2006 February 15. doi: 10.1051/medsci/2006222107.

Notre interglaciaire a-t-il un analogue dans le passé ?

Rachid Cheddadi,1* Jacques-Louis de Beaulieu,2 Jean Jouzel,3 Valérie Andrieu-Ponel,2 Jeanne-Marine Laurent,1 Maurice Reille,2 Dominique Raynaud,4 and Avner Bar-Hen5

1Institut des Sciences de l’Évolution, UMR CNRS 5554, 34090 Montpellier, France
2Institut Méditerranéen d’Écologie et de Paléoécologie, UMR CNRS 6116, Faculté des Sciences de Saint-Jérôme, Case 451, 13397 Marseille Cedex 20, France
3Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, CEA-CNRS, 91198 Gif-sur-Yvette, France
4Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement, CNRS, BP96, 38402, Saint-Martin d’Hyères Cedex, France
5Université Aix-Marseille III, FST Saint-Jérôme, LATP, 13397 Marseille Cedex 20, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Climat, France, Sédiments géologiques, Phénomènes géologiques, Géologie, Plantes, Temps

 

La période géologique du quaternaire récent a enregistré des changements climatiques importants et cycliques qui ont été principalement liés aux variations de l’orbite de la Terre. La théorie astronomique des paléoclimats (théorie de Milankovitch) décrit ces changements de l’insolation reçue par la Terre. L’impact a été important sur la végétation à différentes latitudes et longitudes. Durant les quatre derniers cycles climatiques (450 000 ans [450 ka] environ), la végétation en Europe occidentale a connu des situations extrêmes en termes de climats et de type d’écosystèmes. Les périodes glaciaires ont été dominées par une végétation herbacée et les périodes interglaciaires par des forêts. Les interglaciaires sont des périodes où la végétation se développe en quelque sorte de façon analogue à celle que nous connaissons aujourd’hui, avec une concentration atmosphérique de CO2 similaire, des calottes glaciaires très réduites, un niveau marin plus élevé et un climat comparable. La stabilité, la durée, et l’analogie des interglaciaires passés avec celui que vivons (dit Holocène) est toujours une question débattue, principalement en raison de l’impact des activités humaines en relation avec les gaz à effet de serre.

Ainsi, pour tenter de prévoir les impacts futurs du climat sur les écosystèmes il est essentiel d’étudier la relation « climat/végétation  » dans le passé en recherchant des analogues avec notre interglaciaire. En Europe, la dernière période interglaciaire (dite Eemien) a été plus intensivement étudiée que n’importe lequel des interglaciaires précédents. Cela est dû principalement à la disponibilité des sites contenant des données. Bien que l’Eemien semble différent de l’Holocène du point de vue de l’insolation, cet interglaciaire est encore considéré comme un excellent analogue. Des recherches [ 1] montrent que, durant le stade isotopique 11 (centré autour de 420 ka BP), l’orbite terrestre était presque circulaire et les changements saisonniers d’insolation liés à la précession étaient très faibles. En outre, elles ont indiqué que de tels changements de la configuration orbitale de la Terre se sont produits avec une périodicité d’environ 400 000 ans. Ainsi, en termes d’insolation, le stade isotopique 11 serait l’analogue le plus proche de notre interglaciaire ou Holocène.

Une séquence sédimentaire obtenue dans le Velay (Massif Central, France) nous a permis d’étudier le détail de la dynamique des écosystèmes durant les 450 derniers millénaires avec une attention plus particulière pour les périodes interglaciaires [ 2]. Cette séquence, prélevée dans des lacs situés dans la partie sud-est du Massif Central, représente le plus long enregistrement fossile disponible dans le domaine tempéré en Europe occidentale. Cet enregistrement couvre les quatre derniers cycles climatiques (plus de 400 ka) en continu.

Les données palynologiques du Velay ont été utilisées pour reconstruire la dynamique de la végétation (Figure 1) ainsi que les paléoclimats (Figure 2).

La comparaison des changements de végétation durant les quatre derniers cycles climatiques a été effectuée sur des groupes de plantes basés sur leurs affinités bioclimatiques (que nous appellerons BAG) et non sur des taxons séparément. Pendant les interglaciaires, trois BAG ont constitué plus de 70 % du contenu palynologique. Ces BAG sont des conifères (Figure 1A), des arbres tempérés latifoliés (Figure 1A) où les chênes à feuilles caduques sont les taxons dominants, et les arbres tempérés mésophiles (supportant une distribution des précipitations plus étalée dans l’année) avec le hêtre ou le charme qui dominent (Figure 1B). Pendant les périodes glaciaires, les groupes herbacés (dominés par les Gramineae, Armoise et Chenopodiaceae, Figure 1B) dominent le paysage.

Les précipitations annuelles (Pann) et les températures de janvier (Tjan) reconstruites (Figure 2) montrent une succession cyclique marquée d’interglaciaires chauds et humides suivis de périodes glaciaires sèches et froides (Figure 2A, 2B). Pendant les périodes interglaciaires, Pann dépasse 800 mm/an et Tjan est supérieure à 2 °C (climat comparable à l’actuel). Durant les périodes glaciaires, Pann est inférieure à 400 mm/an et Tjan oscille entre −10 °C et -15 °C. Les quatre cycles climatiques montrent également des similitudes évidentes durant les périodes dites de termination ou de transition glaciaire-interglaciaire. Les amplitudes de Tjan sont de l’ordre de 12 à 15 °C et Pann augmentent de 600 à 800 millimètres par an.

Ainsi, que nous indique l’enregistrement du Velay concernant les changements de végétation et de climat pendant ces cycles climatiques passés ?

Les Tjan et Pann montrent des similitudes durant les terminations (fin des glaciaires) TV à TI (Figure 2A, 2B) avec ceux des températures de surface reconstituées en Antarctique [ 3] (Figure 2C). Il faut signaler que sans marqueurs chronologiques précis, il est très difficile d’évaluer le déphasage ou le synchronisme entre ces deux enregistrements issus des deux hémisphères. Cependant, ces similitudes montrent bien qu’il y a des changements climatiques qui sont enregistrés de façon globale. Le fait que de telles similitudes ne soient pas observées durant les périodes glaciaires également pourrait être expliqué par des contraintes régionales superposées au signal global.

Ainsi l’impact des changements climatiques à long terme sur la végétation est modulé par des facteurs écologiques tels que la position des refuges glaciaires (voir [ 4]), les itinéraires de migration des taxons durant les périodes post-glaciaires, la composition des refuges, le nombre d’espèces en concurrence, et les taux d’extinction. Quelques régions en Europe telle que la péninsule ibérique, l’Italie, la Grèce, les Alpes, et les Balkans ont abrité un grand nombre d’espèces tempérées pendant les périodes glaciaires.

En analysant de façon plus détaillée uniquement les périodes interglaciaires (similaires à l’Holocène), nous pouvons remarquer de fortes similitudes (Figure 3A-3E) : (1) les conifères diminuent tandis que les arbres tempérés décidus prennent le relais au début de chaque interglaciaire ; (2) la diminution de la proportion des arbres décidus relayée par une augmentation des arbres mésophiles marque la fin des optimums climatiques de chaque interglaciaire ; et (3) la régression des deux derniers types d’écosystèmes (tempérés décidus et mésophiles), alors que les conifères augmentent de nouveau, indique la fin de chaque période interglaciaire (Figure 3A-3E).

Les coefficients de corrélation entre périodes interglaciaires montrent que les interglaciaires datés d’environ 320 ka, 220 ka et 120 ka étaient des analogues plus proches de l’Holocène que l’interglaciaire datant d’environ 420 ka. En termes de dynamique de végétation, l’Eemien centré autour de 120 ka BP a montré le coefficient de corrélation le plus élevé (0,97) avec l’Holocène.

Le sommet du sondage prélevé dans le Velay montre un développement des conifères et une diminution évidente à la fois des arbres tempérés décidus et des arbres mésophiles (Figure 3A). Ces changements d’écosystèmes ont marqué la fin des quatre derniers interglaciaires.

La configuration actuelle indique-t-elle la fin de notre période interglaciaire, tel que cela a été enregistré durant les périodes interglaciaires précédentes ?

Une différence importante, cependant, entre la situation actuelle et les précédents interglaciaires est l’impact direct et indirect croissant de l’homme sur les écosystèmes (Figure 3B-3E). Des études récentes ont montré l’importance de la concentration atmosphérique en CO2 dans la croissance du volume global de glace, en particulier aux inceptions glaciaires. En dépit de l’insolation décroissante depuis 11 ka (ce qui théoriquement devrait nous induire dans une période glaciaire), le taux de CO2 atmosphérique actuel reste au-dessus des valeurs enregistrées durant les précédentes inceptions glaciaires, ce qui a tendance à empêcher la croissance de la calotte glaciaire [1]. La discordance actuelle entre l’insolation, le volume global de glace, et le taux de CO2 atmosphérique n’a été enregistrée dans aucun des quatre derniers cycles climatiques.

References
1.
Loutre MF. Clues from MIS 11 to predict the future climate : a modelling point of view. Earth Planet Sci Lett 2003; 212 : 213–24.
2.
Cheddadi R, Beaulieu JL, Jouzel J, et al. Similarity of vegetation dynamics during interglacial periods. Proc Natl Acad Sci USA 2005; 12 : 13939–43.
3.
EPICA community members. Eight glacial cycles from an Antarctic ice core. Nature 2004; 429 : 623–8.
4.
Phillipon P, Cheddadi R. Des forêts venues du froid. La Recherche 2005; 385 : 44–7.