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Med Sci (Paris). 2006 January; 22(1): 68–70.
Published online 2006 January 15. doi: 10.1051/medsci/200622168.

Les maladies chroniques, une urgence planétaire

Dominique Labie*

Département de génétique, développement et pathologie moléculaire, Institut Cochin, 24, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Maladie chronique, Coût de la maladie, Personnes handicapées, Humains, Qualité de vie, Santé mondiale

 

L’année 2005 marque le cinquième anniversaire d’un projet global de santé de l’OMS, le MDG (Millenium development goals) qui affichait trois finalités : réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, et prévenir l’extension du Sida et autres maladies infectieuses telles que tuberculose et paludisme. Ce sont là des causes majeures de mortalité, surtout dans les pays en développement. Différentes évolutions - démographie, vieillissement de la population, urbanisation, mondialisation - ont vu leur importance relative se modifier, ou plutôt ont fait ressortir celles d’autres causes de mortalité : maladies cardiovasculaires, accidents vasculaires cérébraux (AVC), déficits respiratoires, cancers, diabète [ 1].

Les prévisions en 2005

Une distribution globale des 58 millions de décès prévus en 2005 permet de grouper trois causes principales : (1) les maladies transmissibles, les conditions périnatales, et les déficits nutritionnels ; (2) les maladies chroniques non transmissibles ; (3) les causes accidentelles. Or, la proportion relative de ces trois catégories a déjà changé, et une projection sur l’année 2015 démontre une modification encore plus importante. À un niveau mondial, ce sont aujourd’hui les maladies cardiovasculaires qui sont la cause principale de mortalité. Une étude, menée à Oxford (Royaume-Uni) sur plus de 2000 accidents vasculaires aigus a, par exemple, montré que 19/20 d’entre eux sont des accidents coronariens, la quasi-totalité des autres étant des AVC avec une minorité d’accidents périphériques [ 2]. Une autre étude pluricentrique, coordonnée par des chercheurs de l’université de Harvard (États-Unis) a analysé les causes de cancers dans le monde en les rattachant aux facteurs de risque [ 3]. Les résultats sont interprétés selon l’âge, le sexe, et divisés en 13 sous-régions proposées par l’OMS et la Banque mondiale selon une évaluation potentielle des risques [ 4]. Le recensement épidémiologique montre que sur 7 millions de décès annuels par cancer, 2,43 millions (35 %) sont liés à des risques qui pourraient être modifiés, majoritairement dans des pays en cours de développement. Ces risques touchent environ deux fois plus d’hommes (1,6 millions) que de femmes (0,83 million). Tous ces chiffres font peur et expliquent un regain d’intérêt pour la prévalence de ces pathologies, leurs conséquences socio-économiques, ainsi que la volonté de trouver d’abord les moyens réalistes pour les prévenir, puis les prendre en charge. Une série de quatre articles a récemment évoqué ce problème dans le Lancet. Cette série est étoffée par d’autres articles ciblés sur la question des maladies chroniques.

Une évaluation de l’OMS

Comme toujours, dans ce type de travail, il faut d’abord établir un état des lieux [ 5]. Malgré une insuffisance d’informations en provenance de certains pays, les services de l’OMS ont pu déterminer les causes de décès dans le monde, en même temps que le déficit en termes d’années de vie normale en bonne santé (disability-adjusted life years, DALY) (Figure 1). À ce niveau mondial, les maladies cardiovasculaires seules égalent en proportion (30 %) l’ensemble des décès attribuables aux causes du groupe 1, proportion largement dépassée par l’ensemble des maladies chroniques. Les causes accidentelles ne représenteraient que 9 % des décès. Les conséquences socio-économiques sont du même ordre : les pertes d’activité mesurées en DALY frappent davantage une population de 30-59 ans que celle qui a plus de 60 ans. Une projection sur l’année 2015 montre que cette répartition va encore évoluer vers une prévalence accrue des maladies chroniques comme causes de décès. En répartissant les divers pays tels qu’ils sont classés par la banque mondiale en quatre groupes selon les revenus par habitant, on constate que cette évolution reste vraie pour tous, quoique naturellement en proportions variables, la prévalence des maladies chroniques s’imposant d’autant plus que le revenu est plus élevé (Figure 2). La finalité d’un programme ciblé serait, par un gain de 2 % par an environ sur 10 ans, l’économie de 36 millions de morts prématurées, dont 28 millions dans des pays pauvres ou en cours de développement. L’évolution qu’on a pu observer dans des pays riches montre que, par la réduction de facteurs de risque, il s’agit là d’un but qui n’est pas hors de portée. Cette évolution demandera, cependant, des approches concertées, à un niveau individuel, sociétal, mais aussi macroéconomique. Les risques sont connus : le tabac, l’alimentation mal équilibrée, le manque d’activité physique. Mais d’autres facteurs sont liés à l’urbanisation ou aux conditions de travail. La collaboration de diverses ONG pourra s’avérer bénéfique.

Le projet d’un effort planifié et réaliste

Une action planifiée et par étapes est ensuite proposée qui se veut réaliste, et donc applicable dans les différentes situations de santé publique [ 6]. Les auteurs ont d’abord voulu, par quelques données fondamentales, rectifier des opinions erronées. Les maladies chroniques ne sont plus une spécificité des sociétés d’abondance. On peut les prévenir et offrir à une population de vieillir en bonne santé. Une action préventive ne demandera pas plusieurs générations pour s’avérer efficace. Une telle action est possible à un coût relativement bas, comparé à celui que demandent les maladies infectieuses. Ils insistent aussi sur la nécessité de tenir compte de chaque contexte socio-économique.

Le Vietnam, par exemple, est un pays dont l’économie est en croissance rapide, mais qui connaît encore la malnutrition chronique des enfants, un taux élevé de mortalité maternelle et néonatale, beaucoup de maladies infectieuses, en même temps qu’il est confronté à une montée des maladies cardiovasculaires ou des cancers. À Hanoi, 15 % des adultes présentent un excès de poids, à Ho Chi Minh Ville, on compte 7 % de diabétiques. C’est dans ces conditions qu’il faudra procéder à une action progressive, à la fois nationale, sectorielle et individuelle, et informer les milieux professionnels concernés. Il faudra, selon les pays, identifier le(s) risque(s) majeur(s), définir comment le(s) contrôler au mieux dans les 5-10 ans qui viennent dans des conditions réalistes, vérifier l’efficacité des mesures adoptées. Là encore, on peut considérer l’exemple du Vietnam. Une coordination centrale interprofessionnelle a permis d’éviter une fragmentation des projets qui, une fois adoptés au niveau ministériel, sont ensuite testés dans des provinces pilotes. À l’échelle individuelle, il s’agit toujours de réduire la consommation de tabac, de mieux équilibrer l’alimentation, et de maintenir une activité physique.

Les études suivantes se sont focalisées sur deux régions particulièrement importantes, qui par leur démographie et un développement rapide permettent de mieux appréhender les problèmes et les résultats. Il s’agit de l’Inde et de la Chine.

Comment l’Inde cherche-t-elle à répondre à la menace des maladies chroniques [ 7] ? Dans une période qu’on peut considérer comme de transition en ce qui concerne la santé et les services de santé, les maladies chroniques représentent déjà 53 % des causes de décès, et économiquement 44 % des DALY. La prévalence des maladies cardiovasculaires est très importante dans les agglomérations urbaines. Les ravages du tabac s’exercent sur toutes les couches de population, à l’origine de nombreux cancers, surtout chez les plus pauvres. On constate aussi une augmentation des cas d’hypertension et de dyslipidémie, encore mal recensés et insuffisamment traités. Cette montée rapide de toutes les maladies chroniques devrait s’accentuer dans les 20 ans à venir. Elle a justifié des mesures prises au niveau national. Un programme de détection et de protocoles de traitement des cancers existe depuis 1975, réparti en 13 registres régionaux. En avril 2003 a été adoptée une loi cherchant à contrôler l’usage du tabac : interdiction de fumer dans les lieux publics, information, interdiction de vente aux mineurs ou à proximité d’établissements éducatifs, contrôle de fabrication et étiquetage des produits. L’Inde rejoint là les pratiques de pays développés. Enfin, un programme intégré de prévention des maladies cardiovasculaires et du diabète est en cours d’installation. La coordination, les ressources nécessaires, sont évidemment un problème majeur à l’échelle du sous-continent.

Peut-être plus difficile encore est le problème de la Chine définie parfois comme le centre mondial de la pollution atmosphérique [ 8]. La presse nous apprend fréquemment des accidents écologiques majeurs de l’industrialisation trop rapide de la Chine, un dernier cas est encore survenu récemment. Que fait la Chine pour la prévention des maladies chroniques [ 9] ? Liées sans doute au mode de développement, leurs proportions dépassent celles qui ont été notées en Inde : les maladies chroniques seraient cause de 80 % des décès et entraîneraient 70 % des DALY (Figure 3). Les cancers viennent loin en tête, il y a 300 millions de fumeurs, 160 millions d’hypertendus, dont beaucoup sont traités. L’obésité menace actuellement 20 % des enfants et adolescents (7-17 ans) présentent une surcharge pondérale. Les problèmes nutritionnels, diabète, obésité, sont majoritairement le fait des grandes agglomérations urbaines (Figure 4). Le défi est énorme au niveau du pays, des programmes de contrôle commencent tout juste à enregistrer certains progrès, comme une diminution de l’usage du tabac, dans des zones limitées. Il semble cependant qu’une prise de conscience soit en train d’émerger, et que des mécanismes de surveillance et d’intervention ont été prévus et vont se développer.

Le problème, on le voit, s’avère donc mondial, et les différences s’atténuent plus vite qu’on ne l’attendait. Il est désormais essentiel que la prise de conscience en soit universelle.

References
1.
Fuster V, Voûte J. MDGs : chronic diseases are not on the agenda. Lancet 2005; 366 : 1512–4.
2.
Rothwell PM, Coull AJ, Silver LE, et al. for the Oxford Vascular Study. Poppulation-based study of event-rate, incidence, case fatality, and mortality for all acute vascular events in all arterial territories (Oxford Vascular Study). Lancet 2005; 366 ; 1773–83.
3.
Danari G, Vander Hoorn S, Lopez AD, Murray CJL, Ezzari M, and the comparative risk assessment collaborating group (cancers). Causes of cancer in the world : comparative risk assessmennt of nine behavoural and environmental risk factors. Lancet 2005; 366 : 1784–93.
4.
Ezzari M, Lopez AD, Rodgers A, Vander Hoorn S, Murray CJL, and the comparative risk assessment collaborating group. Selected major risk factors and global and regional burden of disease. Lancet 2002; 360 : 1347–60.
5.
Strong K, Mathers C, Leeder S, Beaglehole R. Preventing chronic diseases : how many lives can we save ? Lancet 2005; 366 : 1578–82.
6.
Epping-Jordan JE, Galeo G, Tukuitonga C, Beaglehoke R. Preventing chronic diseases : taking stepwise action. Lancet 2005; 366 : 1667–71.
7.
Reddy KS, Shah B, Varghese C, Ramadass A. Responding to the threat of chronic diseases in India. Lancet 2005; 366 : 1744–9.
8.
Watts J. China : the air pollution capital of the world. Lancet 2005; 366 : 1761–2.
9.
Wang L, Kong L, Wu F, Bai Y, Burton R. Preventing chronic diseases in China. Lancet 2005; 366 : 1821–4.