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Med Sci (Paris). 2005 April; 21(4): 353–355.
Published online 2005 April 15. doi: 10.1051/medsci/2005214353.

Acide lysophosphatidique : un nouveau lien entre plaquettes sanguines et métastases osseuses

Olivier Peyruchaud,* Ahmed Boucharaba, Jean-Sébastien Saulnier-Blache, and Philippe Clézardin

Inserm U.664 ; Université Claude Bernard Lyon 1 ; Faculté de Médecine Laennec, 69372 Lyon Cedex 08, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Plaquettes, Tumeurs osseuses, Humains, Lysophospholipides

 

La formation de métastases osseuses est une complication fréquente au cours du développement de nombreux cancers (sein, prostate, foie, reins, thyroïde). Les métastases osseuses sont souvent associées à une dégradation du tissu osseux qui est à l’origine de douleurs intenses, d’une élévation de la calcémie et de fractures pathologiques. Ces métastases sont en général très invalidantes et liées à une très forte morbidité [ 1].

Dans le cas du cancer du sein, les données cliniques et expérimentales actuelles indiquent que les cellules tumorales présentent dans la cavité médullaire produisent un certain nombre de facteurs - protéine apparentée à la parathormone (PTHrP), cytokines - qui stimulent l’activité des ostéoclastes dont la principale fonction est de dégrader l’os. Le tissu osseux étant un réservoir de facteurs de croissance tels que le transforming growth factor béta (TGFbéta) et les insulin like growth factors (IGF) [ 2], ces facteurs de croissance sont libérés de la matrice osseuse au cours de la résorption ; ils vont alors stimuler le développement des cellules tumorales ainsi que la production de PTHrP par ces cellules, ce qui va amplifier l’activité de résorption des ostéoclastes. La métastase osseuse est alors le siège d’un cercle vicieux dans lequel la résorption osseuse et le développement tumoral s’entretiennent mutuellement [ 3]. Les traitements actuels des patients ayant des métastases osseuses, utilisant des inhibiteurs puissants de la résorption osseuse (bisphosphonates), permettent de ralentir la progression de la destruction osseuse mais restent malheureusement inefficaces quant au développement des cellules tumorales présentes sur le site osseux et à l’évolution ultime de ces métastases [ 4]. L’ensemble de ces données indique que des facteurs endogènes autres que ceux libérés de la matrice osseuse stimulent la croissance des cellules tumorales sur le site métastatique.

L’acide lysophosphatidique (LPA) est un lipide biologiquement actif, présentant une activité de type facteur de croissance in vitro (stimulation de la prolifération, migration et invasion cellulaire) [ 5]. L’implication du LPA dans le processus cancéreux émerge à l’heure actuelle de certaines études. Cependant, son rôle est très mal défini [5]. Dans notre étude, nous présentons des évidences expérimentales démontrant que le LPA, produit par les plaquettes sanguines, stimule la progression des métastases osseuses induites par les cellules de cancer du sein [ 6].

Nous avons montré que l’activité mitogénique du LPA, sur une série de lignées cellulaires humaines de cancer du sein, était dépendante de la présence des récepteurs du LPA (LPA1, LPA2 et LPA3). À partir de la lignée cellulaire humaine MDA-BO2 [ 7], nous avons établi par génie génétique des sous-clones stables qui surexpriment le récepteur LPA1 de façon conditionnelle, grâce au système d’expression Tet-Off réglé par la tétracycline ou ses analogues (la doxycycline) qui agissent en tant que répresseurs du système d’expression. Nous avons observé que la surexpression du récepteur LPA1 sensibilise de façon spécifique les cellules MDA-BO2 à l’action mitogénique du LPA in vitro. In vivo, la surexpression de LPA1 dans ces cellules amplifie la croissance de xénogreffes sous-cutanées et augmente de façon dramatique la formation des métastases osseuses chez l’animal, en augmentant la croissance de la masse tumorale, la prolifération cellulaire et la destruction osseuse (Figure 1). Ces résultats indiquent que du LPA est produit in vivo localement dans l’environnement tumoral. Les lignées cellulaires utilisées dans cette étude ne produisent pas in vitro naturellement de LPA, ni même l’autotaxine, une enzyme qui permet la synthèse de LPA en présence de lysophosphatidyl choline [ 8]. Il est donc peu vraisemblable que les cellules MDA-BO2 produisent directement du LPA in vivo. L’origine de ce LPA restait à donc à déterminer. Nous avons montré qu’un candidat serait les plaquettes sanguines. En effet, les plaquettes produisent des quantités importantes de LPA dans l’organisme, lors de l’agrégation plaquettaire en réponse à une stimulation par la thrombine [ 9]. L’agrégation des plaquettes sanguines induite par les cellules tumorales joue un rôle important dans la dissémination métastatique de nombreux cancers [ 10]. Nous avons observé que nos lignées cellulaires de cancer du sein ainsi que des cellules tumorales ovariennes de hamster (CHO-béta3wt), qui induisent chez l’animal la formation de métastases osseuses [ 11], induisent l’agrégation des plaquettes sanguines et la production de LPA par les plaquettes activées. Nous avons montré que le LPA d’origine plaquettaire est actif sur les cellules tumorales en stimulant leur prolifération et la production des interleukines IL-6 et IL-8, qui sont deux stimulateurs puissants de la résorption osseuse. Par ailleurs, le blocage de la libération du LPA plaquettaire chez l’animal, en utilisant un inhibiteur des fonctions plaquettaires, l’épifibatide (Integrilin®), inhibe la progression des métastases osseuses induites par les cellules MDA-BO2 parentales ou surexprimant LPA1, et réduit également la progression des lésions ostéolytiques chez des animaux injectés avec les cellules CHO-béta3wt. Nos résultats permettent de proposer, qu’en plus du cercle vicieux qui s’établit entre les cellules de cancer du sein et les ostéoclastes, la métastase osseuse est le siège d’un second cercle vicieux au cours duquel les cellules tumorales stimulent la production de LPA par les plaquettes sanguines activées, LPA qui, à son tour, stimule directement la croissance tumorale et indirectement la résorption osseuse sous la dépendance des interleukines IL-6 et IL-8 (Figure 2). Ces résultats démontrent pour la première fois que le LPA joue un rôle important dans un processus cancéreux, au niveau de la progression des métastases osseuses et suggèrent que le LPA puisse être considéré comme une cible thérapeutique d’avenir dans le traitement des patients atteints de métastases osseuses.

 
Acknowledgments

Cette étude a été possible grâce au soutien du Comité de la Loire de la Ligue Contre le Cancer.

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