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Med Sci (Paris). 2004 February; 20(2): 135–139.
Published online 2004 February 15. doi: 10.1051/medsci/2004202135.

Spécification des neurones moteurs spinaux des vertébrés supérieurs : une conversation à deux

Sophie Chauvet,* Éric Dessaud, and Odile de Lapeyrière

Inserm U.382, Institut de Biologie du Développement de Marseille Cnrs-Inserm-Université de la Méditerranée, Campus de Luminy, Case 907, 13288 Marseille Cedex 09, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Humains, Motoneurones, Système nerveux, Phénomènes physiologiques du système nerveux, Vertébrés

 

Le système nerveux des vertébrés est composé du système nerveux périphérique et du système nerveux central comprenant lui-même le cerveau et la moelle épinière (ME). Il assure des fonctions très diverses comme le traitement des informations sensorielles et cognitives ou la genèse des comportements et de la motricité. Toutes ces fonctions nécessitent la différenciation et la mise en place d’un grand nombre de types cellulaires à des positions très spécifiques. Par exemple, le contrôle de la motricité nécessite l’établissement de connexions sélectives entre les neurones sensoriels proprioceptifs, les neurones moteurs (motoneurones, MN) et leurs cibles musculaires. La compréhension des mécanismes qui spécifient l’identité et la mise en place des neurones moteurs est particulièrement importante car elle permettrait d’envisager dans l’avenir de pallier les problèmes survenant au cours du développement ou dans des maladies neurodégénératives. En effet, dans des maladies comme la sclérose amyotrophique latérale, la dégénérescence partielle des neurones moteurs a des conséquences fonctionnelles graves.

Les mécanismes qui interviennent dans le développement des neurones moteurs spinaux des vertébrés commencent à être particulièrement bien décrits. Nous ne reviendrons pas ici sur les mécanismes précoces du développement des neurones moteurs (pour revues, voir [ 13]), mais nous présenterons les mécanismes de spécification des différents sous-types de neurones moteurs spinaux (comment leur diversité est acquise au cours du développement), c’est-à-dire l’ensemble des signaux extrinsèques ou intrinsèques qui permettent à ces cellules d’acquérir leur spécialisation.

Organisation des neurones moteurs dans la moelle épinière

Parmi les MN spinaux, on distingue les MN viscéraux qui innervent les ganglions du système sympathique et les MN somatiques innervant les muscles squelettiques ; seuls ces derniers sont l’objet de cet article. Les MN somatiques se localisent dans la partie ventrale de la moelle épinière (Figure 1B) selon une organisation spatiale très précise qui peut être définie selon trois axes, dorso-ventral, rostro-caudal et médio-latéral (Figure 1A) [ 2, 4, 5]. Ils sont organisés en deux colonnes longitudinales : la colonne motrice médiane (MMC) et la colonne motrice latérale (LMC), chacune subdivisée en une partie médiane (m) et une partie latérale (l). Les MN de la MMC médiane (MMCm) s’étendent tout le long de l’axe rostro-caudal et innervent les muscles axiaux du dos. Ceux de la MMC latérale (MMCl), situés au niveau thoracique, innervent les muscles de la paroi du corps. La colonne motrice latérale se trouve aux niveaux brachial et lombaire. Les MN de la LMC médiane (LMCm) innervent les muscles ventraux des membres et ceux de la LMC latérale (LMCl) innervent les muscles dorsaux des membres (Figure 1A).

Peu après leur sortie du cycle cellulaire, les MN post-mitotiques commencent à exprimer les facteurs de transcription à homéodomaine de la famille LIM. Des études menées chez le poulet ont permis d’identifier quatre facteurs Lim (Islet 1, Islet 2, LIM1 et Lhx3) dont l’expression combinatoire, appelée « code Lim », permet d’identifier les différents types de colonnes motrices (Figure 1A) [ 6, 7].

L’invalidation des gènes Lim a montré l’importance de ces facteurs de transcription dans la spécification de l’identité des MN et le guidage axonal. En effet, Islet-1 est nécessaire à la formation des MN et ceux-ci sont absents lorsque ce gène est muté [ 8]. En l’absence de Lim1 exprimé dans la LMCl, les MN projettent dans les muscles dorsaux mais aussi ventraux des membres [ 9]. Lim1 contrôlerait ce guidage axonal en contrôlant l’expression de EphA4, un récepteur des éphrines [ 10]. De plus, tous les MN spinaux expriment transitoirement les facteurs Lim, Lhx3 et Lhx4, et seuls ceux de la MMCm les expriment plus tardivement. Dans des embryons déficients pour Lhx3 et Lhx4, les MN se développent, mais sont localisés plus dorsalement [ 11]. Inversement, l’expression ectopique de Lhx3 dans les MN de type LMC les convertit en MN de type MMC [ 12].

Au sein des colonnes motrices, les MN sont organisés en « groupes », chaque groupe innervant un seul et même muscle. Cette organisation a été clairement identifiée chez le poulet en injectant dans les différents muscles de la peroxydase de raifort qui est transportée de manière rétrograde le long de l’axone jusqu’au corps cellulaire des MN [ 13] ; ce type d’expérience a permis une représentation somatotopique de l’innervation des muscles. Différents groupes de MN peuvent être distingués grâce à l’expression de facteurs de transcription de type Ets : Pea3 et Er81 (Figure 1B) ou forkhead (TWH, thymocyte winged helix) [ 14, 15].

Spécification des neurones moteurs

Depuis longtemps, les chercheurs ont essayé de comprendre les mécanismes spécifiant ces différents groupes de MN, leur identité et la projection de leurs axones vers la bonne cible. Des signaux internes à la ME sont importants. Les MN de la LMCm quittent le cycle cellulaire avant ceux de la LMCl ; ils expriment l’enzyme RALDH2 permettant la synthèse de l’acide rétinoïque, essentiel aux MN de la LMCl pour coordonner leur position, leur nombre, leur identité et la cinétique de leur différenciation [ 16]. L’intervention de signaux externes au tube neural a aussi été prouvée, notamment chez le poulet : la greffe de tube neural thoracique en position cervicale (Figure 2A, C), ou de mésoderme paraxial brachial (tissu situé sur les flancs du tube neural) en position thoracique change le devenir des MN (Figure 2B, C) [5], qui ne présentent plus les caractéristiques de MN thoraciques mais celles du phénotype brachial.

La croissance axonale des MN vers la cible appropriée dépend de l’expression de molécules leur permettant de répondre spécifiquement à des signaux de guidage extrinsèques. Des MN déplacés le long de l’axe antéropostérieur par rotation d’une partie du tube neural, sont capables de modifier leur trajectoire pour envoyer leurs axones vers leurs cibles, quitte à pénétrer dans le membre en position anormale (Figure 2D-F) [13]. De façon similaire la rotation des bourgeons des membres montre que les cônes de croissance des MN répondent à des signaux de guidage. Quand les MN sont déplacés sur des distances relativement grandes, leurs axones vont le plus souvent se diriger vers leurs cibles appropriées. Il existe donc des signaux produits par les membres auxquels les MN peuvent répondre différemment. Ces signaux sont soit attractifs soit répulsifs.

Va-et-vient entre la périphérie et le tube neural

La périphérie n’a pas seulement un rôle attractif ou répulsif, elle est aussi capable d’influencer plusieurs aspects du développement des MN. En effet, l’ablation d’une patte entraîne la perte d’expression de certains facteurs de transcription de la famille Ets par les MN. L’induction de l’expression des gènes correspondants coïncide avec l’arrivée des axones à la base des membres, et, en l’absence de Pea3, les MN qui expriment normalement ce facteur n’innervent pas correctement leur cible, et leurs corps cellulaires n’atteignent pas leurs positions caractéristiques dans la LMC. Pea3 contrôle donc l’arborisation terminale et le positionnement final des corps cellulaires des MN [ 1719]. Ces expériences ont permis de montrer que la périphérie délivre un signal qui est nécessaire à la spécification des MN et à l’expression des gènes Ets (Figure 2) [13, 15]. Il restait à déterminer comment la périphérie pouvait contrôler l’expression de facteurs de transcription dans les MN. Le GDNF (glial derived neurotrophic factor) joue un rôle déterminant : l’expression de GDNF est restreinte à certains muscles spécifiques et dans un mutant nul pour GDNF, l’expression de Pea3 est absente dans la plupart des MN [ 20]. Ceci conduit à un mauvais positionnement des groupes de MN et à une mauvaise innervation de leurs muscles cibles (Figure 3A, B). En fait, le recrutement des MN exprimant Pea3 se fait de manière séquentielle. Dans un premier temps, le GDNF induit l’expression de Pea3 dans les MN en position caudale. Puis ces MN, sous l’influence du HGF (hepatocyte growth factor), induisent l’expression de Pea3 dans les MN situés en position rostrale [ 21]. GDNF et HGF sont donc des facteurs sécrétés en périphérie qui contrôlent, dans certains MN, l’expression de Pea3 qui, à son tour, contrôle l’expression des gènes responsables de la position des corps cellulaires ainsi que du trajet des axones (Figure 3C).

À chaque étape de développement des signaux extrinsèques et intrinsèques interviennent dans la spécification des MN [7, 22]. Les facteurs extrinsèques activent une cascade de facteurs de transcription qui conduit à la spécification des MN. Une bonne connaissance de ces voies de différenciation est nécessaire avant d’envisager l’utilisation de cellules souches dans le traitement des maladies neurodégénératives. Une première étape a été franchie récemment : des cellules souches embryonnaires de souris ont été soumises à un protocole induisant leur différenciation en MN ayant une identité cervicale et appartenant à la MMC [ 23]. Ces MN, implantés dans des tubes neuraux de poulet, sont capables de coloniser la moelle épinière embryonnaire en tant que MN, d’étendre leurs axones et de former des synapses présentant toutes les caractéristiques de synapses neuromusculaires fonctionnelles. Bien qu’encourageants, ces résultats ne sont qu’un tout premier pas vers des thérapies cellulaires utilisant des cellules souches différenciées en MN car il reste à maîtriser tous les signaux qui permettront d’obtenir un type bien précis de MN.

 
Acknowledgments

Les auteurs remercient l’ensemble des membres de l’Unité 382. Les travaux de notre laboratoire ont été soutenus par l’AFM.

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