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Med Sci (Paris). 2003 August; 19(8-9): 834–839.
Published online 2003 August 15. doi: 10.1051/medsci/20031989834.

Voies de signalisation de l’insuline : mécanismes affectés dans l’insulino-résistance

Jacqueline Capeau*

Inserm U.402 et Service de Biochimie et hormonologie, Hôpital Tenon, Faculté de médecine Saint-Antoine, Université Pierre-et-Marie- Curie, 27, rue Chaligny, 75571 Paris Cedex 12, Paris, France
Corresponding author.
 

L’insuline joue un rôle anabolique majeur au niveau de l’organisme, dans la mise en réserve et l’utilisation des substrats énergétiques, qu’ils soient glucidiques ou lipidiques: entrée de glucose, synthèse de glycogène et lipogenèse, inhibition de la glycogénolyse, de la néoglucogenèse et de la lipolyse. Elle exerce également des fonctions pléïotropes sur le métabolisme protéique (augmentation de la synthèse et inhibition de la protéolyse), la croissance, le contrôle de l’apoptose et le développement (Figure 1) [ 1]. L’ensemble de ces effets résulte de la liaison de l’hormone à un récepteur spécifique présent à la surface de toutes les cellules de l’organisme, mais exprimé surtout dans ses trois tissus cibles, le foie, le muscle et le tissu adipeux.

Le récepteur de l’insuline (RI)

Il appartient à la famille des récepteurs de facteurs de croissance qui possèdent une activité tyrosine kinase dans leur domaine intracellulaire. Il constitue le chef de file de la famille des récepteurs formés de quatre sousunités, dont l’autre membre important est le récepteur de l’IGF1 (insulin-like growth factor de type 1). Le RI est formé de deux chaînes α extracellulaires reliées par des ponts disulfure à deux chaînes β transmembranaires. On peut considérer le récepteur comme un hétérodimère préassocié dans la membrane. Chaque sous-unité α possède un domaine complet de liaison de l’hormone situé de part et d’autre d’une séquence riche en cystéines permettant l’établissement de ponts disulfure structurant ce domaine. Cependant, une seule molécule d’insuline, en se liant avec une haute affinité sur les deux sous-unités α, va permettre d’activer complètement le récepteur. Les sites vacants ne peuvent alors être occupés qu’avec une basse affinité par une autre molécule d’insuline, du fait de l’encombrement stérique du domaine de liaison par la première molécule, et ne participent pas à l’activation du récepteur.

Le récepteur IGF1 a une structure similaire à celle du récepteur de l’insuline et une homologie de l’ordre de 50%. La liaison de l’IGF1 sur le RI, ou l’inverse, se fait avec une affinité 100 à 1 000 fois plus faible. Cependant, les concentrations circulantes en IGF1, 100 fois supérieures à celles de l’insuline (l’IGF1 étant stocké dans le sérum sur des protéines de liaison), pourraient activer le RI [ 2]; de même, dans des situations pathologiques d’insulinorésistance extrême, des concentrations en insuline très élevées peuvent activer le récepteur IGF1. Enfin, alors que les hépatocytes et les adipocytes expriment une grande quantité de RI et peu de récepteurs IGF1, les myocytes expriment les deux, et la présence de récepteurs hybrides en quantité importante a été montrée dans ce tissu [ 3] : ces récepteurs auraient des caractéristiques de liaison assez proches de celles des récepteurs de l’IGF1.

Le RI est codé par un gène unique. Sa synthèse est sujette à un épissage alternatif qui aboutit à un récepteur possédant (forme longue, B) ou non (forme courte, A) une séquence correspondant à l’exon 11 et codant 12acides aminés à l’extrémité carboxy-terminale de la chaîne α. L’expression de ces deux isoformes est différente selon les tissus, le rôle physiologique de cette expression différentielle restant mal compris. De façon intéressante, l’isoforme A du RI, exprimée majoritairement pendant la vie foetale, serait capable de lier l’IGF2 avec une bonne affinité et représenterait le récepteur de ce facteur de croissance pour les tissus foetaux [ 4]. Dans les processus tumoraux, au cours desquels une sécrétion autocrine d’IGF2 est souvent observée, l’isoforme A serait également mise en jeu. Dans la dystrophie musculaire de Steinert, la résistance musculaire à l’insuline a pu être corrélée à une expression quasi exclusive de l’isoforme A, moins efficiente que l’isoforme B pour transmettre le signal de l’hormone [ 5].

Les deux sous-unités β ont chacune un domaine transmembranaire donnant au récepteur une mobilité latérale. En l’absence d’insuline, les sous-unités α exercent une contrainte inhibitrice et maintiennent le récepteur en configuration inactive. La liaison de l’hormone permet un rapprochement des deux sous-unités β et l’activation du récepteur. Chaque sous-unité β porte un domaine à activité tyrosine kinase intracellulaire possédant une boucle régulatrice qui occlut le site catalytique tyrosine kinase et le maintient à l’état inactif. Lors de l’activation du récepteur, la liaison de l’ATP sur son site consensus permet le dépliement de cette boucle et sa transphosphorylation (c’est-à-dire la phosphorylation d’une sous-unité β par l’autre) sur des résidus tyrosine (résidus 1146, 1150 et 1151). Le domaine tyrosine kinase est alors complètement activé et peut ainsi phosphoryler d’autres tyrosines présentes sur les chaînes β, conduisant à une autophosphorylation du récepteur, mais aussi sur des protéines substrats. La phosphorylation de la tyrosine 960 de la chaîne β, notamment, va jouer un rôle clé dans l’ancrage ultérieur des protéines substrats sur le récepteur; cette phosphorylation n’est toutefois pas toujours mise en évidence [2, 6].

Transmission du signal insulinique

La transmission du signal insulinique dans la cellule met en jeu des modules protéiques de reconnaissance présents sur les protéines substrats et capables de les positionner à proximité du récepteur activé. Au moins 9substrats intracellulaires communs aux récepteurs de l’insuline et de l’IGF1 ont été identifiés. La première famille, qui compte 4 membres, est celle des IRS (insulin receptor substrate); ses principaux représentants, IRS1 et IRS2, jouent des rôles complémentaires dans la signalisation de l’insuline [ 7]. L’une des principales voies de la signalisation insulinique est celle de la phosphatidyl- inositol 3 (PI3) kinase (Figure 2). L’effet de l’insuline sur le transport du glucose, qui représente sans doute l’un des effets les mieux étudiés de l’hormone, illustre la complexité du signal de l’insuline. Celle-ci est capable d’induire la translocation, d’un compartiment intracellulaire vers la membrane plasmique, de vésicules contenant les transporteurs GLUT4, présentes dans les cellules musculaires et les adipocytes [1, 2, 8]. Ce processus met en jeu, à côté de la voie PI3 kinase, plusieurs autres voies de signalisation (Figure 3). Cette complexité permet de comprendre comment le signal insulinique peut être spécifique visà- vis du transport du glucose: en effet, différentes hormones ou facteurs activant la PI3 kinase, mais incapables d’activer les voies annexes, ne peuvent induire un tel effet sur le transport de glucose. Il existe à côté de la voie PI3 kinase une autre voie importante de signalisation par l’insuline, la voie MAP kinase, qui est commune à de nombreux facteurs de croissance et permet, in fine, d’activer l’expression génique et la prolifération (Figure 2). Les voies PI3 kinase/PKB et MAP kinase sont interconnectées entre elles et participent à l’activation l’une de l’autre.

Contrôle négatif du signal de l’insuline:dégradation de l’hormone et du récepteur, déphosphorylation des tyrosines

La fin du signal insuline implique la dégradation de l’hormone après internalisation des complexes insulinerécepteur dans les endosomes. La majorité des récepteurs est recyclée au niveau de la membrane, tandis que d’autres sont dégradés. Dans les conditions physiologiques, les récepteurs nouvellement synthétisés permettent de restaurer un nombre normal de récepteurs sur la cellule. En présence d’un hyperinsulinisme persistant, en revanche, les cycles d’internalisation/recyclage peuvent aboutir à une diminution du nombre de récepteurs à la surface, processus de down regulation participant de façon secondaire à l’installation d’un phénomène de résistance à l’insuline.

La déphosphorylation des résidus tyrosine du récepteur et des protéines IRS requiert des tyrosine phosphatases (PTPases) : les phosphatases PTP1B, cytosoliques, et LAR (leukocyte common antigen-related molecule), membranaires, ont été impliquées dans ces processus, notamment PTP1B, présente sur les récepteurs intracellulaires en cours d’endocytose [2]. Une augmentation de l’activité PTPase dans les muscles des patients diabétiques a été observée, qui participerait à la résistance de ces tissus à l’insuline. Des inhibiteurs de ces enzymes apparaissent ainsi constituer des outils thérapeutiques prometteurs.

Résistance à l’insuline : rôle des phosphorylations en Ser/Thre

La phosphorylation des résidus sérine ou thréonine semble jouer, vis-à-vis du récepteur et des protéines IRS, un rôle antagoniste de celui de la phosphorylation des seuls résidus tyrosine, intervenant probablement de façon majeure dans les mécanismes de résistance à l’insuline. Cette phosphorylation des résidus sérine ou thréonine permettrait de mettre fin à l’activation physiologique du récepteur, son exacerbation en pathologie ayant en revanche un rôle déletère induisant une résistance à l’hormone.

Plusieurs études se sont récemment intéressées à la phosphorylation sur Ser/Thr des protéines IRS1 et 2, qui découplerait ces protéines du récepteur et arrêterait la transduction du signal insuline [6]. De nombreux signaux sont capables d’induire cette phosphorylation, tels les acides gras libres, le diacylglycérol, les acyl- CoA et le glucose, mais également des cytokines inflammatoires comme le TNF (tumor necrosis factor) α ou l’IL (interleukine) 1β et même l’insuline, tous agents responsables de résistance à l’insuline. Parmi les enzymes capables de phosphoryler les IRS en Ser/Thr, on trouve la PKC ζ, la kinase IKK β (inhibitor of nuclear factor κB kinase), la MAP kinase et surtout la Jun kinase (JNK), qui semble particulièrement intéressante. Ainsi, en phosphorylant la sérine 307 de l’IRS1 murin (sérine 312 chez l’homme), la JNK empêche l’interaction du domaine PTB de IRS1/2 avec la tyrosine 960 phosphorylée du RI et induit un état de résistance à l’insuline (Figure 4). Cette kinase est activée par l’insuline elle-même, ce qui pourrait expliquer l’insulinorésistance associée aux états d’hyperinsulinisme [ 10], mais aussi par le TNFα et les acides gras libres sécrétés par le tissu adipeux, qui sont impliqués dans la résistance à l’insuline en pathologie [7, 11, 12]. L’élévation des acides gras libres résultant d’une lipolyse accrue en cas de résistance à l’insuline de ce tissu pourrait conduire à une accumulation de diacylglycérol et d’acyl- CoA dans les muscles et le foie, conduisant à une activation de la PKC θ et à une phosphorylation de l’IRS1 sur Ser/Thr, inhibant ainsi le signal insuline, notamment pour le transport du glucose dans le muscle [ 13]. Les anomalies des taux d’adipocytokines, leptine et adiponectine, aggraveraient cette accumulation en inhibant l’oxydation intramitochondriale des acides gras dans ces tissus [ 14, 15].

D’autres mécanismes sont également impliqués dans la régulation négative du signal insuline: la déphosphorylation des phosphoinositides par des lipide-phosphatases comme PTEN (phosphatase and tensin homolog deleted on chromosome ten) et SHIP (Src homology 2 domain-containing inositol 5 - phosphatase) réversent le signal PI3 kinase. Certaines protéines sont capables de se lier au récepteur et de bloquer la transmission du signal, comme les membres de la famille GRB7, 10 et 14 (cette dernière utilisant la protéine ZIP (protein kinase C ζ interacting protein) et la PKC ζ pour rétrocontrôler le RI) [ 16] et les protéines de la famille SOCS (suppressor of cytokine signaling), impliquées dans la régulation négative de la signalisation par les cytokines. La régulation de la quantité des protéines substrats IRS qui sont dégradées après ubiquitination va également contrôler la réponse à l’insuline.

Conclusions

Au total, le signal insuline emprunte dans la cellule des voies multiples interconnectées les unes aux autres, rendant compte de la pléïotropie et de la spécificité du signal qui va concerner non seulement le métabolisme énergétique, mais aussi la croissance et la différenciation cellulaires. Dans les situations pathologiques de résistance à l’insuline, le tissu adipeux joue un rôle important en raison de l’action des adipocytokines et des acides gras libres qu’il sécrète, qui vont bloquer la transmission du signal en différents points, notamment au niveau des protéines IRS jouant un rôle central dans l’activation, mais aussi dans l’inhibition des signaux hormonaux.

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