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Published online 2003 June 15. doi: 10.1051/medsci/20031967725.

C. elegans : des neurones et des gènes

Christelle Gally and Jean-Louis Bessereau*

Biologie Cellulaire de la Synapse, Inserm U.497, École Normale Supérieure, 46, rue d’Ulm, 75230 Paris Cedex 05, France
Corresponding author.
 

Le cerveau humain est un organe complexe qui contient 100 milliards de neurones et probablement mille fois plus de synapses. Pour identifier les mécanismes biologiques qui sous-tendent l’activité d’un tel système, les disciplines qui se sont individualisées au sein des neurosciences portent leur analyse sur des objets de différentes complexités, de la genèse du langage au fonctionnement des canaux ioniques. Relier ces niveaux de complexité reste néanmoins particulièrement difficile. Une approche complémentaire repose sur l’utilisation d’organismes simples et manipulables qui permettent de passer rapidement de la molécule au comportement. À la fin des années 1960, S. Brenner introduisit le nématode Caenorhabditis elegans comme système modèle dans le but d’identifier par une approche génétique les règles de fonctionnement du système nerveux [ 1]. Les résultats obtenus depuis le temps des pionniers montrent que le ver peut être utilisé de façon pertinente pour identifier de nouveaux gènes ou de nouvelles fonctions qui sont conservés chez les vertébrés dans des processus neurobiologiques, physiologiques ou pathologiques.

Pourquoi étudier le système nerveux d’un ver ?

C. elegans est un nématode non segmenté mesurant 1 mm à l’âge adulte, vivant dans la terre à l’état naturel. Plusieurs caractéristiques de sa physiologie en font un organisme particulièrement adapté à la neurobiologie: (1) il possède un système nerveux simple, constitué de 302 neurones dont le nombre et la position sont constants d’un individu à l’autre (Figure 1). Les neurones de C. elegans ont une morphologie généralement simple, avec un ou deux prolongements neuritiques. À partir de coupes sériées examinées en microscopie électronique, J. White et al. ont reconstitué l’ensemble de la connectivité du réseau neuronal [ 2]. Ce réseau est très reproductible d’un individu à l’autre bien qu’il puisse exister des variations interindividuelles du nombre des connexions formées entre les partenaires neuronaux. Le système nerveux de C. elegans contient environ 7000synapses chimiques, dont 2000 jonctions neuromusculaires et 600 jonctions communicantes (gap junctions). A titre de comparaison, une seule cellule pyramidale du cortex de mammifère forme plus de 10000 synapses; (2) C. elegans est transparent durant la totalité de son développement. Chaque neurone peut être identifié individuellement en microscopie optique d’après la position de son noyau dans l’animal. Avec un laser, il est ensuite possible de procéder à la photo-ablation d’un neurone ou d’un groupe de neurones pour évaluer leur fonction dans un comportement précis; (3) de profondes altérations du système nerveux ne sont généralement pas incompatibles avec le développement de C. elegans en conditions de laboratoire. Pour se nourrir, C. elegans aspire les bactéries présentes dans le milieu extérieur grâce à une pompe musculaire, le pharynx. Celuici est doué d’une activité myogénique intrinsèque et fonctionne en absence d’innervation. Pour se reproduire, C. elegans existe sous deux formes sexuées mâle et hermaphrodite. L’hermaphrodite peut s’autoféconder, ce qui permet à des animaux de donner une descendance même s’ils sont incapables de se déplacer et de s’accoupler. Ainsi, sur les 302 neurones présents chez C. elegans, seuls 3 sont absolument nécessaires à la survie de l’individu en condition de laboratoire: le neurone M4 qui permet la relaxation du pharynx, et la paire de neurones CANL et CANR qui contrôlent l’osmolarité du milieu intérieur. De ce fait, des mutations affectant profondément le développement ou le fonctionnement du système nerveux de C. elegans sont viables et analysables chez l’adulte.

Le séquençage du génome de C. elegans en 1998 a confirmé le haut degré de conservation qui existe à l’échelle moléculaire entre le système nerveux d’un nématode et celui d’un vertébré [ 3, 4]. Hormis le canal sodium sensible au potentiel, l’ensemble des familles de récepteurs et de canaux ioniques est détecté dans le génome de C. elegans. Pour de multiples gènes impliqués dans la neurotransmission tels que unc-25 qui code pour la glutamic acid decarboxylase (GAD, enzyme de biosynthèse du GABA), le génome de C. elegans ne contient qu’un seul gène alors qu’il existe plusieurs paralogues chez les mammifères [ 5]. Cette caractéristique permet de s’affranchir des problèmes de redondance et facilite l’analyse fonctionnelle des mutants. À l’opposé, quelques familles géniques semblent avoir été amplifiées durant l’évolution. Par exemple, le génome de C. elegans contient probablement une quarantaine de gènes codant des sous-unités de récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine alors que les mammifères n’en possèdent que 16! La raison d’une telle diversité de récepteurs au regard du faible nombre de neurones n’est pas comprise à l’heure actuelle.

Analyse de la croissance axonale : apport des cribles visuels

Dès que les neurones commencent à se différencier, des expansions neuritiques se développent et naviguent sur de longues distances pour atteindre les cibles à innerver. La simplicité et la reproductibilité du réseau neuronal alliées à la transparence de l’organisme font de C. elegans un système particulièrement adapté à l’analyse des mécanismes de la croissance axonale. Même si la tâche est d’une complexité très supérieure chez le mammifère par rapport au nématode, les composants élémentaires utilisés dans chacun des systèmes sont très conservés. Les premiers mutants de croissance axonale ont été identifiés par S. Brenner en 1974 sur la base d’anomalies de la locomotion (mutants Unc: uncoordinated) [1]. Par exemple, chez les mutants unc-5, unc-6 et unc-40, les migrations selon l’axe dorso-ventral sont anormales [ 6]. UNC-6 est une protéine de la famille des laminines qui est secrétée par des cellules ventrales. Le gradient de concentration ventro-dorsal est interprété via les récepteurs transmembranaires UNC-40 [ 7] et UNC-5 [ 8]. Les axones exprimant UNC-40 sont attirés ventralement alors que les axones exprimant UNC-5, seul ou en combinaison avec UNC-40, sont repoussés en direction dorsale. Dans le laboratoire de M. Teissier- Lavigne, les nétrines, qui sont les homologues de UNC-6, ont été identifiées chez le poulet par une approche biochimique [ 9]. DCC (deleted in colorectal cancer), l’orthologue de unc-40, était connu mais sa fonction dans le guidage axonal n’a été mise en évidence qu’après avoir démontré qu’il constituait un récepteur de la nétrine, sur la base des données génétiques obtenues chez C. elegans [ 10]. Les homologues de unc-5 ont été clonés chez le vertébré sur la base de similarités de séquence. Le système de signalisation par la nétrine s’est avéré particulièrement important chez le vertébré pour l’établissement des croisements de la ligne médiane par les axones commissuraux.

Si la perte de fonction de certains gènes est responsable de déficits massifs de la formation du câblage axonal qui s’accompagnent de phénotypes comportementaux facilement identifiables, d’autres gènes contribuent de façon plus fine à la mise en place de la connectivité axonale et leur mutation peut être phénotypiquement silencieuse. D’autres stratégies sont utilisées pour identifier de tels gènes. L’existence d’interactions génétiques entre les locus impliqués dans le même processus biologique peut être mise à profit. Par exemple, le groupe de J. Culotti a imaginé un crible de suppression pour identifier de nouveaux gènes impliqués dans les processus de migration dépendant de la nétrine. Le récepteur UNC-5 a été exprimé dans les neurones mécanosensoriels qui envoient normalement des axones latéraux ou ventraux. L’expression ectopique de UNC-5 dans ces neurones redirige leurs axones vers la corde dorsale. Un crible a été conduit pour identifier des mutants supprimant le phénotype lié à l’expression ectopique de unc-5 [ 11]. Cette approche a permis d’isoler un nouveau gène, unc-129, qui code pour une protéine de la famille du transforming growth factor β (TGF β) [ 12]. unc-129 est exprimé dans les muscles dorsaux et détermine probablement un gradient de concentration dorso-ventral qui se superpose au gradient ventro-dorsal de nétrine. Au cours du développement, les axones qui migrent dorsalement sont donc à la fois repoussés par la nétrine UNC-6 et attirés par UNC-129 (Figure 2).

La transparence de C. elegans permet également de visualiser in vivo les processus neuritiques en exprimant la green fluorescent protein (GFP) dans des neurones à partir d’un transgène [ 13] (Figure 2). Après mutagenèse, il est possible d’isoler des mutants chez lesquels la morphologie des axones est anormale et de cloner le gène muté, indépendamment de tout phénotype comportemental. Cette stratégie a récemment permis d’identifier le gène max-1 (motoneuron axon guidance) et son homologue humain hMAX-1. Malgré des anomalies de migration dorsale qui affectent 20 % des motoneurones, le phénotype fonctionnel ne se traduit que par des anomalies discrètes du déplacement vers l’arrière [ 14]. Ce gène pourrait moduler la voie de signalisation qui dépend du récepteur UNC-5.

À côté de ces approches de génétique « directe », il est possible d’invalider un gène d’intérêt pour évaluer sa fonction dans la mise en place du réseau axonal. Cette stratégie a été utilisée pour analyser la fonction de slt- 1, l’homologue du gène de drosophile slit [ 15]. Le gène slit code pour le ligand des récepteurs robo (roundabout) dont l’expression permet aux cônes de croissance de sélectionner un trajet longitudinal spécifique plus ou moins éloigné de la source de la protéine Slit exprimée par les cellules de la ligne médiane. Contrairement à la drosophile et aux vertébrés, C. elegans ne contient qu’un seul gène de la famille robo appelé sax-3 (sensory axon guidance). SLT-1 est fortement exprimé par les muscles dorsaux et repousse les axones qui expriment SAX-3. Ce gradient répulsif dorso-ventral est utilisé parallèlement au gradient attractif de nétrine lu par les neurones exprimant le récepteur UNC-40. SLT-1 contrôle également des processus de migration antéro-postérieure et de croisement de la ligne médiane. De façon inattendue, les mutants sax-3 ont des défauts de migration plus importants que les mutants slt-1, suggérant l’existence d’un deuxième ligand pour sax-3/robo ou le fonctionnement de SAX-3/robo indépendamment de son ligand.

La mise en place du réseau neuronal repose donc sur l’existence de gradients morphogènes qui sont lus différentiellement par les cônes de croissance en fonction des répertoires de récepteurs exprimés par chaque neurone. Pour traduire les signaux positionnels en modifications directionnelles, un groupe de gènes contrôle la dynamique du cytosquelette au niveau du cône de croissance. Enfin, des protéines d’adhérence permettent la formation et le maintien des faisceaux neuronaux. La mutation de ces gènes peut se traduire chez l’animal adulte par des anomalies morphologiques du réseau (pour revue, voir [ 16, 17]). Il est possible de filmer le comportement des cônes de croissance au cours du développement [ 18]. Ces techniques de vidéomicroscopie in vivo, alliées à la génétique et à la biochimie, devraient permettre de mieux comprendre les mécanismes de la croissance neuritique.

Visualiser la synapse in vivo : l’accès à la génétique d’une structure subcellulaire

Quand l’axone a atteint la cellule qu’il doit innerver, les synapses se différencient pour connecter le neurone et sa cible. Le petit nombre de synapses et la reproductibilité interindividuelle de la connectivité permettent d’analyser la synaptogenèse chez C. elegans avec la résolution d’une synapse unique. Ces caractéristiques ont permis d’identifier certains des mécanismes du contrôle génétique de la synaptogenèse et d’isoler de nouveaux gènes participant à la construction des appareils pré- et post-synaptiques.

Une modification de la synaptogenèse peut se traduire, au niveau de l’animal entier, par des anomalies comportementales, en particulier locomotrices. Cette stratégie a permis d’identifier les mutants unc-4 : les vers peuvent se mouvoir vers l’avant mais ne peuvent reculer. Chez C. elegans, le système moteur est subdivisé en deux modules « marche avant » et « marche arrière » (Figure 3). Chaque module est constitué de « neurones de commande » qui innervent une classe spécifique de motoneurones permettant un mouvement soit vers l’avant, soit vers l’arrière. Grâce à la microscopie électronique, il a été montré que chez les mutants unc-4, les motoneurones VA normalement impliqués dans la « marche arrière » ont une structure normale mais sont innervés par les interneurones qui commandent la « marche avant » [ 19]. unc-4 code pour un facteur de transcription à homéodomaine. Il est exprimé dans les motoneurones VA où il réprime l’expression de gènes propres aux neurones de la « marche avant » VB [ 20, 21].

Lorsque unc-4 est inactivé, les neurones de la « marche arrière » expriment un répertoire de gènes normalement réservé aux motoneurones de la « marche avant ». Il est probable que l’expression aberrante d’une ou de plusieurs molécules de surface induise la formation de connections inappropriées avec les interneurones de commande de la marche avant. Ces signaux restent, pour l’heure, à caractériser.

Plus récemment, la visualisation de synapses individuelles in vivo a permis d’identifier de nouveaux gènes directement impliqués dans la construction des synapses. Les expérimentateurs ont fusionné la GFP à la synaptobrévine SNB-1, une protéine intrinsèque des vésicules synaptiques. Ce marqueur permet de visualiser sous la forme d’un point fluorescent l’agrégat de vésicules synaptiques formé au niveau de chaque varicosité (Figure 4) [ 22]. En identifiant des mutants chez lesquels la distribution de la fluorescence est anormale, il a été possible d’identifier plusieurs gènes impliqués dans l’organisation des zones présynaptiques (pour revue, voir [ 23]). Ces gènes sont exprimés dans l’ensemble du système nerveux et leurs mutations affectent la structure des synapses de façon plus ou moins profonde en fonction des neurones considérés. Il est à noter que malgré ces altérations morphologiques, les mutants identifiés ont un comportement normal ou proche de la normale. Ces cribles visuels ne sont pas saturés et devraient permettre l’identification de nouveaux constituants de la synapse. En utilisant des variants de couleur de la GFP, il est possible de visualiser chez un même animal les zones pré- et post-synaptiques (Figure 4). Ces nouveaux outils sont utilisés pour isoler des gènes impliqués dans la reconnaissance entre les partenaires synaptiques et la formation des domaines postsynaptiques [ 24].

Quand les gaz de combat démasquent les dysfonctionnements de la transmission synaptique du nématode

Une fois différenciée, la synapse chimique va permettre le transfert de l’information entre deux cellules excitables. Au niveau présynaptique, la dépolarisation de la membrane axonale provoque l’ouverture de canaux calciques sensibles au potentiel. L’influx local de calcium provoque la fusion des vésicules synaptiques avec la membrane plasmique au niveau de la zone active et la libération du neurotransmetteur dans la fente synaptique. Par diffusion, le neurotransmetteur atteint la membrane de la cellule post-synaptique où il active des récepteurs spécifiques. Les vésicules présynaptiques sont recyclées localement par endocytose et rechargées en neurotransmetteur (Figure 5A). De nombreuses protéines impliquées dans la dynamique des vésicules ont été identifiées chez la levure ou chez les vertébrés par des approches biochimiques. C. elegans permet d’identifier de nouvelles protéines impliquées dans ces processus et d’analyser in vivo la fonction des composants isolés dans d’autres systèmes expérimentaux.

Des anomalies de la libération synaptique provoquent une perturbation globale du système nerveux et en particulier du système locomoteur. C’est sur la base d’un phénotype Uncoordinated qu’ont été identifiés unc-13 [ 25] et unc-18 [ 26] dont la perte de fonction entraîne une paralysie du ver. Les gènes de nématode ont permis le clonage de leurs homologues chez le vertébré, les gènes Munc. Il a été montré récemment que l’invalidation de Munc18-1 ou de Munc13-1 et -2 abolit totalement la libération des vésicules synaptiques chez la souris. L’analyse de mutants Unc permet donc d’identifier des composants essentiels de la libération synaptique mais, comme nous l’avons vu, de très nombreuses mutations peuvent être à l’origine de déficits locomoteurs.

Pour identifier de façon plus ciblée des gènes impliqués dans la libération synaptique des neurotransmetteurs, plusieurs laboratoires ont utilisé avec succès un crible de résistance à un neurotoxique, l’aldicarb. Cette drogue est un inhibiteur de l’acétylcholinestérase. Quand les neurones cholinergiques sont stimulés, ils libèrent de l’acétylcholine qui est très rapidement hydrolysée par l’acétylcholinestérase. Quand cette enzyme est inhibée, l’acétylcholine s’accumule dans la fente synaptique et l’hyperactivation des récepteurs de l’acétylcholine est létale (Figure 5B). Cette propriété est utilisée dans certains gaz de combat. En revanche, si la libération synaptique est inefficace, très peu d’acétylcholine est libéré par le neurone. Dans ce cas, le ver survit à l’inhibition de l’acétylcholinestérase car les quantités d’acétylcholine libérées dans la fente synaptique ne permettent pas d’atteindre des concentrations toxiques (Figure 5C). L’utilisation de l’aldicarb pour identifier des mutants de la transmission synaptique est très puissante car il s’agit de sélectionner les rares animaux qui survivent en présence de la drogue alors que le reste de la population meurt. Cette approche a permis d’identifier de nombreux gènes impliqués dans la neurotransmission [ 2729].

Depuis 1999, l’analyse électrophysiologique de la neurotransmission chez C. elegans a été rendue possible grâce au développement d’une nouvelle préparation permettant l’enregistrement de la transmission synaptique au niveau des jonctions neuromusculaires [ 30] (Figure 6). L’électrophysiologie permet de quantifier les anomalies de la neurotransmission chez les animaux mutés et de caractériser la nature du déficit. En combinant les mutations et en exprimant des protéines modifiées à partir de transgènes, il est possible d’analyser les interactions entre les constituants de la machinerie de libération synaptique et de tester in vivo les modèles échafaudés à partir de données biochimiques [ 31]. La combinaison de la génétique et de la physiologie permet également de caractériser les récepteurs et les canaux présents dans la cellule enregistrée. Par exemple, l’enregistrement des cellules musculaires a révélé l’existence de deux types distincts de récepteurs de l’acétylcholine aux jonctions neuromusculaires. Néanmoins, la réalisation d’enregistrements in vivo reste techniquement délicate et n’est pas adaptée à tous les neurones. Récemment, il a été possible de réaliser des cultures primaires de cellules embryonnaires de C. elegans qui se différencient in vitro en neurones et en cellules musculaires [ 32]. En utilisant des embryons transgéniques qui expriment la GFP dans une classe de neurones particuliers, il est possible d’identifier ces mêmes neurones au sein de la culture grâce à la fluorescence de la GFP. L’enregistrement électrophysiologique permet d’analyser l’expression et la pharmacologie des canaux et récepteurs présents dans ces cellules. Les cultures à partir d’embryons mutants permettront ensuite d’analyser l’effet fonctionnel d’une mutation.

Du comportement aux molécules

Dans le sol, C. elegans se trouve dans un milieu complexe et changeant où il doit trouver sa nourriture, fuir les parasites et les toxiques, rester à des températures compatibles avec son développement et éviter de pondre dans un environnement qui ne sera pas propice à la croissance de la nouvelle génération. Des comportements complexes ont été mis en place pour répondre à ces contraintes environnementales. Cependant, la simplicité du système nerveux de C. elegans permet d’identifier les cellules impliquées dans des processus intégrés et, au sein de ces cellules, d’extraire les composants critiques des voies de signalisation mises en jeu. Par exemple, C. elegans a un répertoire chémosensoriel très important. Il détecte plusieurs centaines de substances chimiques dont au moins une soixantaine de produits volatiles. Certaines de ces substances odorantes telles que le diacétyl ou la pyrazine sont attractives, d’autres comme la 2-nonanone sont répulsives. En utilisant un laser, il est possible de tuer spécifiquement un ou plusieurs neurones dans un embryon ou une larve. C. Bargmann et al. ont ainsi montré que les neurones sensoriels AWA et AWC sont responsables de la détection des odeurs attractives alors que les neurones AWB détectent les odeurs répulsives (pour revue, voir [ 33]). Un crible pour des vers ayant perdu la capacité de sentir le diacétyl mais toujours capables de sentir la pyrazine a permis d’identifier odr-10 (odor defective). Ce gène code pour un récepteur à sept hélices transmembranaires couplé aux protéines G, uniquement exprimé dans le cil de la paire de neurones AWA [ 34]. Un mutant odr-10 chez lequel on exprime la forme fonctionnelle de ODR-10 dans les neurones AWB n’est plus attiré mais repoussé par le diacétyl. La nature attractive ou répulsive de l’odeur semble donc codée par le type de neurone stimulé plutôt que par la nature moléculaire du récepteur activé. L’exposition au diacétyl de cellules de mammifères en culture exprimant ODR-10 entraîne une augmentation transitoire du calcium intracellulaire [ 35]. ODR-10 est le premier chémorécepteur lié aux protéines G dont le ligand ait été déterminé. L’analyse de mutants de l’olfaction a permis d’identifier, selon la même logique, les composants principaux de la cascade de signalisation intracellulaire situés en aval de ODR-10.

Les comportements de chémosensations ou de thermosensation sont plastiques. C. elegans est par exemple capable d’associer une température spécifique à la présence de nourriture (pour revue, voir [ 36]). Les animaux sont normalement cultivés en présence de nourriture à une température entre 15 et 25 °C. Transférés sur des boîtes sans nourriture où un gradient de température a été établi, les vers vont migrer et se déplacer sur l’isotherme correspondant à la température à laquelle ils avaient été cultivés en présence de nourriture. En revanche, si les animaux ont été antérieurement affamés, ils vont fuir la température correspondante. Il faut deux à quatre heures pour acclimater les vers à une nouvelle température. Les neurones sensoriels AFD et les deux paires d’interneurones AIY et AIZ sont nécessaires à la perception et au traitement de l’information thermique. ncs-1 (neural calcium sensor) code pour une protéine intracellulaire liant le calcium, conservée de la levure aux mammifères. L’inactivation de ncs-1 ou sa surexpression modifie l’association du stimulus thermique à la présence de nourriture [ 37]. C. elegans constitue donc un système simple qui permet d’analyser le traitement de l’information avec des outils génétiques. Le développement de nouveaux marqueurs de l’activité neuronale permettra peut-être à terme de visualiser en temps réel l’état du réseau au cours du traitement de l’information et de la production de comportements.

Conclusions

Malgré la distance évolutive qui sépare C. elegans et les mammifères, nous constatons qu’aux échelles moléculaire et cellulaire, la physiologie du neurone est très conservée entre ces organismes. Les outils génétiques disponibles chez C. elegans permettent d’extraire les éléments critiques des réseaux d’interactions mis en jeu dans des processus cellulaires ou comportementaux. La très grande simplicité de son système nerveux permet donc d’utiliser le ver comme un « tube à essai vivant » pour identifier de nouveaux gènes, analyser les voies moléculaires de signalisation et explorer la biologie cellulaire du neurone in vivo.

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