Handicaps rares : Contextes, enjeux et perspectives

2013


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Synthèse

La notion de handicaps rares a été introduite dans la politique du handicap en France pour prendre en compte les personnes ne bénéficiant pas d’accompagnement adapté au regard de la spécificité de leurs besoins

En France, la notion de « handicaps rares » est officiellement introduite en 1986 à l’article 3 de la loi sur les institutions médico-sociales (loi n° 75-535). Cette notion trouve son origine dans un problème qui émerge dès les années 1960-1970, celui de la prise en charge des personnes atteintes de deux handicaps ou plus.
En effet, dans les années 1950-1960, un important secteur médico-social s’est développé pour prendre en charge les personnes présentant un handicap. Il est constitué d’établissements spécialisés, principalement gérés par des associations, mais fonctionnant avec des fonds publics (alimentés par la Sécurité sociale). Le développement de ce secteur fait apparaître une nouvelle problématique : un certain nombre d’enfants atteints de deux handicaps ou plus sont refusés par ces établissements, et il n’existe pas de prise en charge adaptée pour eux. Ce problème est soulevé d’une part, par des professionnels qui se rassemblent dans une association, le Comité d’étude, de soins et d’action permanente (Cesap), et d’autre part, par les parents concernés qui fondent le Comité de liaison et d’action des parents d’enfants et d’adultes atteints de handicaps associés (Clapeaha). Ces deux associations ont pour objet de réfléchir à la situation de ces enfants et de proposer des actions permettant l’amélioration des prises en charge. Ces enfants sont, à cette époque, désignés par plusieurs termes tels que « enfants multihandicapés », « atteints de handicaps associés »… S’ils constituent un groupe très hétérogène et quantitativement important, ils partagent un point commun : l’absence d’une prise en charge médicale, sociale, éducative, réellement adéquate, répondant aux besoins de chaque personne et de son entourage.
En 1975, la politique française du handicap est formalisée à travers deux lois : la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées (loi n° 75-534) et la loi sur les institutions médico-sociales (loi n° 75-535). Celle-ci organise et structure le secteur médico-social qui s’était mis en place, sans résoudre, voire en accentuant la problématique des enfants et adultes ne bénéficiant pas d’accompagnement adapté.
Dans les années 1980, cette problématique prend une nouvelle dimension dans le contexte de la décentralisation et de la déconcentration administrative. En 1986, une loi (n° 86-17 du 6 janvier 1986 adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matière d’aide sociale et de santé) transfère une partie des compétences en matière d’aide sociale et de santé aux départements et aux régions, notamment la programmation et la planification des structures de soins et d’hébergement dans le champ du handicap. La notion de « handicaps rares » est alors introduite pour distinguer, dans la population hétérogène d’enfants et d’adultes pour lesquels il n’existe pas de prise en charge adaptée, ceux dont la prise en charge relève d’une planification départementale ou régionale (notamment les personnes atteintes d’un polyhandicap1 , notion définie dans un texte légal en 1989) et ceux pour lesquels, parce qu’ils sont atteints d’un handicap « rare », la prise en charge relève d’une planification nationale. Se pose alors la question de définir et de déterminer ces « handicaps rares ». Suite au rapport Bordeloup (1994), deux critères sont retenus pour caractériser les handicaps rares : un taux de prévalence faible d’une combinaison de déficiences et la nécessité de recourir à des techniques de prise en charge très spécifiques. Combiner ces deux critères est nécessaire pour définir les handicaps dont la prise en charge relève d’une planification nationale : par exemple, une situation de handicap dont la prévalence est faible, et ne nécessitant pas une prise en charge particulière ou complexe, ne justifie pas une planification nationale. Il en est de même pour un handicap requérant une technique particulière mais dont la prévalence est élevée. Ces deux critères servent de base pour définir, en 1996 (groupe de travail « handicaps rares » de la Direction générale de l’action sociale), une liste de cinq catégories de « handicaps rares » : « personnes sourdaveugles, personnes aveugles multihandicapées2 , personnes sourdes multihandicapées, personnes dysphasiques, personnes ayant un handicap mental ou moteur ou sensoriel associé à de graves problèmes somatiques ».
L’arrêté du 2 août 2000 relatif à la définition des handicaps rares (art D. 312-194) donne la définition suivante « Sont atteintes d’un handicap rare les personnes présentant l’une des configurations de déficiences ou de troubles associés, dont le taux de prévalence n’est pas supérieur à un cas pour 10 000 habitants et relevant de l’une des catégories suivantes : 1° l’association d’une déficience auditive grave et d’une déficience visuelle grave ; 2° l’association d’une déficience visuelle grave et d’une ou plusieurs autres déficiences graves ; 3° l’association d’une déficience auditive grave et d’une ou plusieurs autres déficiences graves ; 4° une dysphasie grave associée ou non à une autre déficience ; 5° l’association d’une ou plusieurs déficiences graves et d’une affection chronique, grave ou évolutive, telle que : a) une affection mitochondriale ; b) une affection du métabolisme ; c) une affection évolutive du système nerveux ; d) une épilepsie sévère ».
La notion de « handicaps rares » a été un outil permettant de prendre en compte certaines personnes pour lesquelles n’existait pas de prise en charge adaptée. Elle a permis d’enclencher une double réflexion : l’une, autour de l’identification de ces personnes, et l’autre, autour des spécificités des prises en charge que ces personnes nécessitent. Il semble important de garder cette problématique de départ et de considérer la dimension variable et évolutive de la notion de « handicaps rares » d’une part dans sa capacité à rendre visibles des personnes invisibles, exclues, résistantes aux prises en charge existantes et d’autre part, dans sa capacité à interroger et transformer les modes de prise en charge existants.

Le terme de handicaps rares n’a pas d’équivalent stabilisé dans le contexte international

À partir des années 1970, sous la pression de mouvements de personnes handicapées, principalement en Angleterre et en Amérique du Nord, la façon de concevoir le handicap a connu une véritable révolution. Au modèle individuel traditionnel qui explique le handicap par les déficiences et les incapacités de la personne, est opposé le modèle social. Celui-ci conçoit le handicap, non plus à partir des caractéristiques individuelles, mais comme la conséquence de barrières physiques, économiques, sociales et politiques qui font obstacle à la participation sociale et à la pleine citoyenneté des personnes concernées. Cette différence de conception a des implications majeures en termes de droits et de traitement social des personnes handicapées. La politique publique fondée sur le modèle individuel privilégie une approche médicale du handicap qui vise la prévention et le dépistage des déficiences, la rééducation des incapacités et la réadaptation de la personne handicapée aux normes sociales. Le modèle social met l’accent sur la responsabilité de la société dans la privation de droits, de choix de vie, dans la production de discriminations à l’égard des personnes handicapées. Ce modèle vise l’accessibilité, l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
À partir de la décennie 1980, le mouvement international des personnes handicapées reçoit le soutien des Nations Unies qui amorcent un tournant décisif en matière de droits des personnes handicapées. Prenant leur distance vis-à-vis du modèle individuel du handicap et convaincues de la portée du modèle social, les Nations Unies engagent une série d’actions qui aboutissent en 2006 à l’adoption de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées.
Cette évolution conceptuelle articulée aux Droits de l’Homme constitue le contexte dans lequel l’Organisation mondiale de la santé entreprend, dans la fin des années 1990, la révision de la Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps (CIDIH ou CIH)3 . À l’issue du processus de révision, une nouvelle classification est adoptée par l’Assemblée mondiale de la santé en 2001 : la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF). Intégrant modèle individuel et modèle social, la CIF revendique un modèle biopsychosocial. Elle conçoit le handicap comme une restriction de participation sociale résultant de l’interaction entre les caractéristiques propres à la personne (dont les déficiences et limitations d’activité) et les facteurs environnementaux. Le schéma conceptuel de la CIF comporte quatre dimensions en interaction les unes avec les autres : fonctions organiques et structures anatomiques, activités, participation et facteurs environnementaux.
En ce qui concerne les politiques nationales, l’influence du modèle social a également été importante. La non-discrimination, l’égalité des droits et des chances, d’accès à tout pour tous, sont devenues des principes politiques communs guidant l’action des pays, mais que chacun adapte en fonction de son histoire et de son contexte social. Chaque pays a créé, au long de son histoire, dans le champ du handicap, les catégories politiques adaptées à son action. Par exemple, l’« Agenda 22 » défini par les autorités suédoises à partir des « 22 règles standards pour l’égalisation des chances des personnes handicapées » (1993) offre une méthodologie pour traduire concrètement ces règles en combinant adaptation de la société et prise en compte des besoins de chacun. Dans le contexte national suédois, la notion de « handicaps rares » ne semble pas utile dans la mesure où il est fait une place aux besoins particuliers de chacun, quelle que soit sa situation de handicap.
Malgré les différences entre politiques nationales, le développement d’une réflexion internationale autour de la notion de handicap et de ses modèles théoriques a permis à certains acteurs d’initier un débat autour de la problématique des « handicaps rares ». Celle-ci a été introduite au début des années 2000, dans le travail du Forum européen des personnes handicapées, via la question des personnes lourdement handicapées. Le Forum européen des personnes handicapées a produit deux documents (2000 et 2007) pour sensibiliser l’Europe et les pays membres à la spécificité des personnes rassemblées ici sous le terme « personnes ayant un handicap de grande dépendance » (terme utilisé dans la version française) ou « persons with complex dependency needs » (dans la version anglaise), spécificité qui suppose une réflexion et des actions pour traduire et concrétiser les droits généraux pour ces personnes. Enfin, émerge l’hypothèse que la mobilisation associative et politique créée autour d’un autre concept, celui de maladie rare, peut influer sur l’évolution de la notion de « handicaps rares ».

La notion de handicaps rares questionne les modèles conceptuels du handicap qui sous-tendent les définitions réglementaires françaises

Au cours des vingt dernières années du XXe siècle, le modèle social du handicap se confirme dans les instances internationales et européennes (ONU, OMS, Commission européenne, Conseil de l’Europe), dans les milieux universitaires anglo-saxons et au sein des mouvements de personnes handicapées. Cependant, la politique du handicap en France reste ancrée dans le modèle individuel et réadaptatif. Dans le cadre du dispositif législatif dont la France s’est dotée (loi n° 75-534 et loi n° 75-535), l’identification des personnes handicapées et les critères d’éligibilité aux prestations et aux orientations en milieu spécialisé se fondent sur la nature et la gravité de la déficience. Ces deux lois mettent en place une politique catégorielle du handicap : l’octroi des droits aux personnes et leur orientation vers certains établissements se font à travers une procédure médico-administrative qui catégorise les personnes en leur attribuant un taux d’incapacité (essentiellement basé jusqu’en 1993 sur la déficience de la personne).
À partir des années 2000, la législation française relative aux personnes handicapées évolue, visant à mettre en conformité la politique nationale du handicap avec les principes internationaux et européens en matière de droits des personnes handicapées, à travers la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, puis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette nouvelle loi-cadre indique clairement le changement de cap que les pouvoirs publics entendent donner à la politique du handicap. Cependant, si la définition du handicap, selon la loi de 2005, admet que l’expérience du handicap est plurifactorielle, elle rapporte in fine le handicap à la déficience, traduisant par-là l’intention des pouvoirs publics de réaliser un compromis avec la loi de 1975 (n° 75-535) toujours en vigueur, qui fonde la politique catégorielle du handicap et régit les établissements spécialisés en référence à la déficience.
Mais, depuis l’introduction en 1986 de la notion de « handicaps rares » dans la loi relative aux institutions sociales et médico-sociales, la définition juridique de cette forme de handicap pose un problème récurrent. La diversité des associations de déficiences et la complexité des limitations d’activité que recouvre cette notion, l’expertise requise pour les diagnostiquer, la haute technicité nécessaire pour accompagner les personnes qui en sont atteintes, le nombre limité de ces personnes et leur dispersion géographique sont autant de caractéristiques qui, conjuguées, échappent à la logique administrative qui structure l’organisation territoriale et les missions de l’équipement spécialisé par type de déficience.
De 1996 à 2003, plusieurs définitions du « handicap rare » se succèdent dans les textes législatifs et réglementaires. Ces définitions ont d’abord décrit le « handicap rare » en associant deux critères : faible taux de prévalence de certaines configurations de déficiences et technicité des expertises requises pour identifier les besoins et y répondre. Elles se sont ensuite réduites à des listes de déficiences associées. Il reste que, dans les deux cas, le « handicap rare » est toujours défini en fonction des critères d’agrément de l’équipement médico-social : déficiences et technicité de l’offre de soin, selon le modèle individuel du handicap. L’accent reste mis sur la dimension de la déficience, en dépit de l’évolution conceptuelle internationale et de la définition générale légale du handicap donnée par la loi du 11 février 2005 qui reconnaissent que le handicap est une réalité multidimensionnelle, dont la déficience n’est qu’une des composantes. La représentation que l’on peut se faire de l’expérience vécue par les personnes et leurs familles que permettrait une approche plus systémique et davantage axée sur les caractéristiques de l’environnement social, reste absente de ces documents. Seuls les rapports des Centres nationaux de ressources handicaps rares mettent en lumière tous les facteurs environnementaux qui retentissent, souvent de façon dramatique, sur la vie des personnes et de leurs proches.
Par ailleurs, les questions relatives aux droits de ces personnes, la difficulté d’imaginer leur place et leur statut dans notre société, demeurent au centre des réflexions les concernant. Il apparaît évident qu’une réflexion approfondie quant à la reconnaissance effective de leurs droits fondamentaux doit être menée à tous les niveaux : les décideurs politiques et administratifs, les divers professionnels spécialisés, les éducateurs et enseignants, les formateurs et bien entendu, les familles concernées.

L’identification des situations et l’évaluation des déficiences et des capacités des personnes sont complexes et varient selon les configurations de handicaps

L’identification des situations de handicaps rares ainsi que l’évaluation des capacités et des limitations des personnes restent difficiles à appréhender en raison de la complexité des configurations, certaines déficiences pouvant être masquées par d’autres. Cette évaluation rencontre fréquemment des obstacles liés à la communication ou à des troubles du comportement ainsi qu’à la rareté des systèmes objectifs d’évaluation.
Cette difficile question de l’identification des situations de handicaps rares peut être illustrée dans le cas des troubles envahissants du développement associés à une épilepsie ou à des déficiences sensorielles. Si ces associations sont reconnues, elles font l’objet de peu d’études publiées. Il s’agit de situations mal diagnostiquées et peu évaluées.
L’étude de l’association entre autisme et épilepsie ou autisme et déficience sensorielle est complexe comme en témoigne l’hétérogénéité méthodologique des travaux publiés. Cette hétérogénéité porte tant sur les critères diagnostiques de l’épilepsie ou les modalités d’évaluation des déficits sensoriels que sur la symptomatologie autistique elle-même ou des troubles associés à l’autisme. Dans ce contexte particulier, l’une des atteintes peut gêner le repérage de l’autre. Ainsi, les « absences » et les crises partielles d’épilepsie sont plus difficiles à repérer cliniquement dans le contexte d’un autisme. De même, comme le montre une étude récente, l’âge de diagnostic de l’autisme serait significativement plus élevé chez les enfants présentant une épilepsie que chez ceux ayant un trouble du spectre autistique sans épilepsie, suggérant un développement plus tardif de l’autisme chez ces enfants ou que le diagnostic d’épilepsie fasse écran au diagnostic d’autisme.
Dans son rapport publié en 2010 sur l’autisme et les autres troubles envahissants du développement, la Haute autorité de santé recommande une recherche attentive des pathologies associées, en particulier l’épilepsie et les déficiences auditive et visuelle. Néanmoins, les troubles et les déficits des individus avec autisme et l’inadéquation de certains outils rendent souvent difficiles l’évaluation et le diagnostic de ces troubles. De la même façon, les outils diagnostiques développés dans l’autisme ne sont pas adaptés aux caractéristiques développementales des enfants avec un déficit visuel ou auditif et les examinateurs manquent souvent d’expérience dans la communication avec l’enfant ayant un déficit sensoriel.
Quant à l’évaluation des déficiences et des capacités des personnes souffrant de polyhandicap, dans ce cas comme dans celui des handicaps rares, les situations sont complexes à tous points de vue et très changeantes en fonction de l’environnement de la personne, des occasions d’expériences et des opportunités d’apprentissage qui leur sont offertes, de l’accessibilité à des services adéquats, de la perception qu’ont les aidants des capacités préservées des personnes.
Récemment, des chercheurs se sont préoccupés de développer des outils d’évaluation permettant ainsi de mettre en évidence les capacités latentes et de guider les interventions. Malgré la sévérité de leur état clinique, les personnes polyhandicapées ont des capacités émotionnelles préservées et ont par ailleurs, comme tout être humain, des capacités d’apprentissage, en particulier dans le domaine du développement sensori-moteur. De même, un courant de recherche a été initié sur l’évaluation de la qualité de vie de ces personnes et de leurs aidants proches.
À l’inverse des configurations précédentes, la maladie de Huntington, qui est une maladie rare bien définie, rencontre peu de difficultés dans l’évaluation des déficiences et des capacités, mais elle pose néanmoins de nombreux problèmes de prise en charge.
La maladie de Huntington est une maladie neurodégénérative entraînant des troubles psychiatriques, cognitifs et moteurs. Une des particularités de cette maladie est son caractère génétique autosomique dominant. L’identification et l’évaluation des symptômes et des déficiences des patients atteints de la maladie de Huntington sont bonnes et reposent sur de nombreux outils construits grâce à une recherche internationale fournie et bien organisée. Cette recherche internationale est basée sur une expérimentation destinée à mettre au point les outils de mesure de chaque composante de cette pathologie.
La maladie de Huntington constitue ainsi un cas exemplaire de partage mondial de données avec l’utilisation et le développement d’outils communs. Le lien entre l’évaluation des déficiences et l’adaptation à l’environnement et à la vie quotidienne reste cependant à développer. Outre la compréhension des mécanismes sous-jacents aux troubles des patients, l’un des objectifs de la communauté internationale est la mesure de l’efficacité des interventions thérapeutiques à tous les stades de la maladie.

La Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé constitue aujourd’hui un cadre de référence qui permettrait de caractériser les handicaps rares

Pour appréhender la question des handicaps rares, la CIF présente l’intérêt de constituer un outil d’observation et de description de situations de handicap. Sa capacité à décrire et mettre en rapport, dans une conception interactive, les composantes d’une situation de handicap mériterait d’être testée dans le cas des « handicaps rares » : déficiences, limitations d’activité mais également compétences des personnes (la classification permettant de prendre en compte les capacités à réaliser des activités), réalisations effectives d’activités dans des environnements donnés en prenant en compte les obstacles et les facilitateurs de ces environnements, tels que par exemple, les modalités de médiation, de soutien et d’accompagnement disponibles ou qui font défaut, les compétences de l’entourage et les évolutions, ou à l’inverse les régressions de la participation qui en résultent.
Sur la base de descriptions de situations et de la notion d’interaction individu-environnement dans les termes de la CIF, la définition du handicap rare, actuellement limitée aux seules déficiences, pourrait être enrichie des autres composantes qui définissent une situation de restriction de participation sociale.
Des outils d’évaluation fonctionnelle issus de la CIF existent qui permettent d’appliquer le modèle social à l’évaluation des besoins et à l’élaboration de projets de vie des personnes handicapées, comme le Geva4 ou les ICF Core sets. La méthodologie de l’ICF Core set consiste à sélectionner des catégories de la CIF dans chacune de ses dimensions, propres à décrire une forme particulière de handicap. Mise au point et validée par le centre collaborateur allemand de l’OMS, elle a été appliquée depuis 2005 à plus de trente situations de handicap ou conséquences de maladies. Le Geva a pour objectif à la fois de permettre l’exploration de l’ensemble des facteurs personnels, des activités et de la participation à la vie en société de la personne, l’analyse des informations recueillies pour définir un plan personnalisé de compensation, de favoriser l’harmonisation des pratiques entre les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et de constituer une source de données pour le système d’information sur le handicap. Outil réglementaire à l’usage des MDPH, le Geva mériterait d’être expérimenté et adapté pour les situations de handicaps rares.

Nommer et définir un handicap, fut-il hétérogène, contribue à le reconnaître

Les manières de considérer, de soigner, d’éduquer et d’accompagner certaines personnes ont évolué pour aboutir à une définition qui s’est affinée et à une reconnaissance de leurs besoins spécifiques. Ainsi, la surdicécité, connue depuis le XIXe siècle, est un exemple qui a suscité de nombreuses réflexions et évolutions autour de la situation complexe qu’elle représente. Jusqu’à la moitié du XXe siècle, les textes concernent des individus bien identifiés, voire connaissant une certaine célébrité, ne présentant pas d’autre déficience que les deux déficiences sensorielles et capables d’apprendre les systèmes de communication adaptés à la surdicécité (langue des signes tactile, dactylologie et braille). Dans la deuxième moitié du XXe siècle, on commence à s’intéresser à des catégories autrefois négligées comme les enfants ayant souffert d’une embryopathie rubéolique : leur double déficience sensorielle s’inscrit dans un contexte complexe (prématurité, problèmes de motricité fine, comportements stéréotypés, retard mental, cardiopathies…)5 . Il s’agit de prendre en compte un cadre de déficience intégrant des dimensions motrices et sensorielles plus nombreuses et plus complexes que la simple surdicécité. Le monde de la surdicécité s’est progressivement élargi pour prendre en compte la situation des personnes devenues sourdaveugles, dont le profil de développement diffère des sourdaveugles de naissance. Dans les deux cas, ces personnes doivent faire face à des problèmes de communication, d’accès à l’information et de mobilité liés, directement ou non, à l’effet de leurs déficiences sensorielles sur les interactions avec le milieu.
Il en résulte une évolution de la définition de la surdicécité, s’orientant progressivement vers des formulations à caractère plus fonctionnel. L’organisation Sense, au Royaume-Uni, propose la définition suivante : « on considère qu’une personne est sourdaveugle si la combinaison d’une déficience visuelle et d’une déficience auditive entraîne des difficultés pour la communication, l’accès à l’information et la mobilité » (critères fonctionnels)… « Une personne qui ne présente qu’une déficience visuelle ou auditive peut utiliser la voie sensorielle valide pour compenser la perte de l’autre ; alors qu’une personne sourdaveugle ne dispose ni d’une vision ni d’une audition suffisantes pour faire cela » (critères d’exclusion).
Le caractère spécifique de la surdicécité a conduit à la recommandation d’écrire « surdicécité » ou « sourdaveugle » sans trait d’union, pour bien marquer qu’il s’agit d’une situation plus complexe que la simple addition de déficiences (usage validé par DeafBlind International). Le 1er avril 2004, une déclaration écrite (1/2004) a été adoptée par le Parlement Européen appelant les États de l’Union à reconnaître la surdicécité comme handicap spécifique.
La notion de polyhandicap est apparue dans les années 1970 pour désigner des personnes présentant une déficience neuro-motrice associée à une déficience intellectuelle sévère à profonde et fréquemment à d’autres déficiences comme une épilepsie ou une déficience sensorielle. Dans les pays anglo-saxons, le concept de « profound intellectual and multiple disabilities ou PIMD » prévaut, et l’on évoque l’idée d’un « PIMD Spectrum » mettant en évidence la grande hétérogénéité de cette population.
Le fait d’avoir nommé et défini une population de « personnes polyhandicapées » a permis aux parents d’avoir un « diagnostic », de se regrouper en associations et de mieux identifier les professionnels et services spécialisés pouvant assurer une prise en charge. De même, des chercheurs se sont préoccupés d’une population mieux définie comme entité nosographique, permettant d’accroître les connaissances sur les caractéristiques de fonctionnement de ces personnes sévèrement déficientes.
Ainsi, en regard de la notion de handicaps rares, notion qui de toute évidence est difficile à cerner, le profil de la personne polyhandicapée apparaît, à première vue en tous cas, comme mieux défini, même s’il s’agit d’une population très hétérogène.

Les données épidémiologiques disponibles portent principalement sur des associations de déficiences sensorielles

Répondre à la question de la quantification à l’échelle d’une population de situations rares est par essence complexe. La définition réglementaire du handicap rare (JO n° 186 12 08 2000, art. 1er) analyse trois types de rareté : rareté des publics (avec une prévalence n’excédant pas 1 cas pour 10 000 habitants), rareté des combinaisons de déficiences (en suggérant une liste d’associations de déficiences sévères), rareté et complexité des technicités (soulignant le haut niveau d’expertise requis pour la prise en charge et sa faible disponibilité au niveau local). La difficulté de prise en compte des multiples facettes de cette définition explique en grande partie le déficit de connaissances épidémiologiques dans le champ du handicap rare.
Dans l’objectif de fournir des estimations de prévalence, le seuil en deçà duquel on considère la situation comme rare a pour intérêt évident de faciliter une analyse reproductible de la littérature scientifique. Dans le champ du handicap rare, ce seuil pose toutefois des difficultés quant à son application à des combinaisons de déficiences souvent difficiles à définir et décrire dans leur complexité. La notion de masse critique de cas, utilisée dans le champ des maladies rares, répond à des objectifs différents de mise en place et d’évaluation de politiques territoriales en réponse aux besoins des personnes concernées. Appliquer un taux de prévalence de 1 pour 10 000 à la population française reviendrait à considérer comme handicap rare toute situation touchant au plus 6 000 personnes sur le territoire national.
Définir le handicap rare par une combinaison de déficiences sévères, sans faire état des dimensions sociales et environnementales, constitue une approche limitante compte tenu des évolutions conceptuelles des dernières décennies observées dans le champ du handicap. Cependant, prendre en compte la totalité des dimensions proposées dans la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (OMS, 2001) dans des enquêtes épidémiologiques reste complexe en l’absence d’outils validés et largement diffusés pour mesurer de manière reproductible le retentissement des déficiences. La définition actuelle, qui propose une liste d’associations de déficiences et de troubles sévères, reste donc davantage opérationnelle au plan épidémiologique, bien que sa mise en œuvre soit rendue compliquée par l’absence de définition de la sévérité des conditions listées. Par ailleurs, cette liste ne devrait avoir qu’un caractère illustratif pour laisser place à des évolutions potentielles en fonction des connaissances ou des progrès médicaux.
Le caractère parcellaire des données épidémiologiques sur le handicap rare en France est lié au nombre limité de sources de données (médicales ou administratives) en mesure de fournir des dénombrements à l’échelle d’un large territoire. La faible couverture géographique des bases de données populationnelles comme les registres des handicaps de l’enfant (Registre des handicaps de l’enfant de Haute-Garonne, Registre des handicaps de l’enfant et observatoire périnatal de l’Isère et des deux Savoies), l’inadéquation au champ du handicap rare des modalités d’échantillonnage des enquêtes Handicap (enquête Handicap-incapacité-dépendance ou enquête Handicap-santé-ménages), la difficulté pour les MDPH de repérer des situations qu’elles ont une faible probabilité de rencontrer et d’évaluer l’adéquation de la réponse institutionnelle aux besoins très spécifiques de ces personnes, sont probablement les explications principales à ce déficit.
L’exhaustivité et la continuité de l’enregistrement des déficiences neuro-développementales sévères par les registres des handicaps de l’enfant en France (par exemple, exploitation du RHE31, le registre de Haute-Garonne, voir tableau) permettent de disposer d’estimations de prévalence pour quelques grandes catégories de combinaisons de déficiences avec une précision acceptable. Une analyse plus fine des associations de déficiences ou pour des périodes plus courtes (l’analyse porte ici sur 17 générations) reste délicate en raison des effectifs très faibles liés à la taille des populations couvertes. Les résultats doivent par ailleurs s’interpréter au regard des caractéristiques des populations et des politiques de prises en charge déployées sur les départements concernés. La mise en place de registres ou de bases de données populationnelles européens ou internationaux paraît indispensable pour disposer d’une assise de population adaptée à l’étude de groupes de patients de taille aussi limitée.

Effectifs par combinaison de déficiences et prévalence pour 10 000 enfants de 8 ans résidant en Haute-Garonne, nés entre 1986 et 2002 (Source : RHE31, Exploitation : Arnaud C, Delobel M, Klapouszczak D)

Combinaison de déficiences
Effectifs
Prévalence [IC 95 %]a p. 10 000
Auditive sévère + visuelle sévère
2
0,1 [0,01-0,3]
Visuelle + autres déficiences sévères
34
1,5 [1,1-2,2]
Auditive + autres déficiences sévères
9
0,4 [0,2-0,8]
Épilepsie sévère + autres déficiences sévères
124
5,6 [4,7-6,7]
Total
169
7,7 [6,6-8,9]

a IC : Intervalle de confiance

La littérature internationale rapporte, pour l’essentiel, des données de prévalence concernant des handicaps rares dont l’étiologie est précisée et qui relèvent également du champ des maladies rares. À titre d’exemple, on peut citer le syndrome de Usher6 (prévalence de 1,8 à 6,2 p. 100 000) ou la maladie de Huntington (prévalence moyenne estimée à 1 p. 100 000). Si le focus est mis sur des associations de déficiences sévères, c’est principalement dans le champ des associations de déficiences sensorielles que l’on dispose d’études permettant de calculer des fréquences en population. La surdicécité, malgré la diversité des étiologies, correspond à une entité relativement bien définie à la fois par une combinaison de déficiences (visuelle et auditive) et un retentissement sur la vie quotidienne (difficultés pour la communication, l’accès à l’information et la mobilité). La prévalence estimée varie entre 0,5 et 2,5 p. 10 000.
À l’inverse, peu de données publiées permettant d’estimer des prévalences de l’association entre les troubles envahissants du développement et l’épilepsie. L’épilepsie est une condition souvent associée aux troubles envahissants du développement puisque sa fréquence varie dans cette population de 5 à 40 % selon les études. On peut par ailleurs estimer à 30 % environ la proportion de sujets présentant un trouble du spectre autistique dans les rares cohortes de sujets épileptiques. Bien que la méthodologie de ces études ne soit pas toujours parfaitement adaptée à un calcul de prévalence, ces quelques données convergent toutefois pour suggérer que l’association autisme-épilepsie n’est pas rare au sens de la définition basée sur le seuil de 1 cas pour 10 000.
Dans ces études épidémiologiques, comme dans l’ensemble des publications, l’impact épidémiologique du vieillissement des populations présentant des handicaps rares congénitaux ou développés dans l’enfance lié à de meilleures prises en charge et celui lié à l’apparition de situations complexes de handicaps dans des populations âgées en nombre croissant, restent très peu abordés. Être en capacité de mesurer ces évolutions constitue un enjeu majeur de l’épidémiologie des handicaps rares dans les années à venir.

La France a mis en place un dispositif organisationnel original avec les Centres de ressources nationaux handicaps rares

En 1996, suite aux travaux du groupe de travail « handicaps rares », a été défini le dispositif organisationnel nécessaire à la prise en charge des « handicaps rares ». Celui-ci repose notamment sur la création de « Centres de ressources nationaux handicaps rares ». Trois centres de ressources sont créés et financés à partir de 1998 :
• le centre Robert Laplane pour enfants, adolescents et jeunes adultes présentant l’association d’une déficience auditive et d’autres déficiences, et pour enfants dysphasiques multihandicapés ;
• le centre La Pépinière pour enfants et adultes déficients visuels avec handicaps associés ;
• le centre du Cresam7 pour enfants et adultes sourdaveugles ou sourds malvoyants.
Ces centres de ressources constituent un dispositif original. Ils sont conçus comme des plateaux techniques rattachés à un établissement médico-social ou sanitaire, mais mobiles et déployant leur action sur l’ensemble du territoire national, à la demande des familles, des professionnels ou à leur propre initiative. Leur mission se décline selon trois axes : intervention sur des situations singulières, conseil technique auprès des professionnels, constitution de savoirs sur les handicaps rares. La structuration de ces centres en équipes pluridisciplinaires, issues et adossées à des établissements anciens, mais amenées à intervenir dans une diversité d’établissements, a permis à ces équipes d’acquérir des expertises très spécialisées. Ces expertises se situent à l’articulation de savoirs issus de la recherche scientifique et de savoirs et savoir-faire issus de l’action sur le terrain. Par ailleurs, ces expertises sont rares. Les actions et interventions menées par les centres de ressources nationaux sont d’une nature particulière car les professionnels experts interviennent pour évaluer des situations singulières et proposer des techniques d’accompagnement et d’aide personnalisée sans les mettre eux-mêmes en œuvre : ils transmettent aux professionnels de terrain les capacités et savoirs nécessaires pour le faire. Les professionnels des centres nationaux de ressources, du fait de leur positionnement particulier, à la fois proche et à distance des situations, jouent un rôle de traducteurs, entre les savoirs théoriques et les connaissances empiriques, entre les différents acteurs impliqués dans une situation particulière, les personnes elles-mêmes, les professionnels internes ou externes à un établissement, les familles, mais aussi plus largement, entre les acteurs locaux et les pouvoirs publics.
Depuis 2011, un Groupement national de coopération handicaps rares a été créé avec pour mission de formaliser et mettre à disposition les connaissances sur les handicaps rares.

L’accompagnement des personnes est confronté à la multiplicité des dimensions individuelles et sociales et à l’évolution des situations

Les personnes qui présentent un handicap rare sont souvent en situation de dépendance tout au long de leur vie. Chaque situation ne peut se résumer à une addition de difficultés. Les dispositifs d’aide doivent prendre en compte toutes les dimensions d’ordre individuel, familial, sociétal, économique, en considérant qu’elles interagissent de manière complexe, systémique et évolutive.

L’accompagnement de la surdicécité s’est construit sur les influences réciproques entre la recherche médicale, l’expérience des sujets et de l’entourage proche

La connaissance des caractéristiques somatiques liées à une maladie entraînant des doubles déficiences sensorielles telles que la rubéole, a permis d’orienter le travail d’intervention, et réciproquement, les observations faites en milieu naturel ont donné des pistes pour les investigations à caractère médical. Ainsi, les stratégies d’intervention nécessitent :
• une connaissance des caractéristiques générales de la maladie ;
• une connaissance du mode d’expression de la maladie pour un sujet donné ;
• la reconnaissance des stratégies adaptatives dans lesquelles s’engagent les sujets ;
• l’ouverture et la créativité nécessaires à l’exploration de voies nouvelles et ajustées d’accompagnement.
La qualité des interventions repose donc sur la capacité des proches, des aidants et des professionnels à intégrer des connaissances générales sur la maladie et des données individuelles en termes de stratégie adaptative.
Les modes de vie des personnes sourdaveugles varient selon l’origine ou l’évolution des déficiences. Dans le cas des surdicécités congénitales, le mode de prise en charge est très majoritairement institutionnel. Pour les enfants, le maintien en milieu ordinaire est privilégié afin de favoriser leur intégration. Cependant, des centres spécialisés demeurent dans de nombreux pays (développés ou non) une alternative à l’accueil en milieu scolaire ordinaire quand celui-ci s’avère inadéquat. La très grande majorité des adultes sourdaveugles de naissance vit dans des lieux d’accueil, spécialisés ou non, parfois associés à des dispositifs permettant une forme de travail. En France, il s’agit de Maisons d’accueil spécialisées, de Foyers d’accueil médicalisés ou d’Établissements ou services d’aide par le travail (Esat). L’organisation interne cherche habituellement à concilier deux contraintes contradictoires : le droit légitime à décider de sa propre vie (empowerment) et la grande dépendance liée à la gravité des déficiences.
La plupart des personnes devenues sourdaveugles tendent à continuer à vivre dans leur cadre. Certaines ont recours à des modes d’accueil institutionnel plus favorables sur le plan de la communication et du lien social. Par ailleurs, les personnes ont besoin d’interventions individuelles (par exemple, aides techniques et/ou humaines, programmes d’apprentissage ou de réadaptation).
Dans le contexte de la surdicécité, l’évaluation des interventions reste limitée et porte sur des appareillages (implantation cochléaire), des outils visant à résoudre des problèmes techniques spécifiques : cartes de communication, aménagement des classes d’enseignement et des salles d’examen… Par ailleurs, le bouillonnement des pratiques éducatives et de réadaptation opère lui aussi un processus de sélection des méthodes qui repose plus sur le compagnonnage professionnel et l’imitation de modèles que sur des critères a priori objectifs.
Pour les personnes sourdaveugles, l’élément essentiel de la qualité de vie est l’autodétermination qui repose en grande partie sur la présence de partenaires de communication. L’autodétermination exige des compétences techniques (communication, mobilité), une connaissance de l’environnement, une attitude personnelle positive (estime de soi), et des ressources (éducation, technologie, entourage affectif). Les compétences des partenaires de communication sont de trois ordres :
• technique (adaptation aux profils communicatifs individuels, connaissance de l’histoire de vie de la personne) ;
• attitude (capacité à comprendre les conduites adaptatives et les potentiels de la personne, capacité à s’adapter aux occasions) ;
• théorique (sur la surdicécité, l’interaction sociale, la formation du sens et le langage).
Les personnes sourdaveugles qui ont le mieux réussi à garder le contrôle de leur propre vie et à agir dans la cité, ont pu le faire grâce à des médiateurs (professionnels ou non) capables de les mettre en lien direct avec le monde extérieur sans interférer dans leurs décisions.

Les associations autisme-épilepsie, autisme-surdité et autisme-cécité sont complexes et encore difficiles à prendre en charge

On note une grande pauvreté de la littérature dans les domaines de la prise en charge, des modalités d’accueil et du devenir de ces personnes. Des travaux soulignent l’importance d’une prise en charge multidisciplinaire tenant compte des particularités tant de l’autisme que de la déficience sensorielle ou de l’épilepsie.
Les consultations médicales et les hospitalisations peuvent être plus fréquentes chez les patients avec autisme et épilepsie associée, l’épilepsie semblant un motif d’hospitalisation notable ainsi qu’une source de morbidité. Il convient d’être attentif aux particularités de la prise en charge : modalités d’accueil, prise en compte des difficultés de communication tant verbales que non verbales, nécessité de développer un partenariat avec les familles et les aidants afin d’établir des stratégies de communication efficaces pour les enfants.
Par ailleurs, deux études anglo-saxonnes rapportent le manque de sensibilisation et de connaissance des aidants sur l’épilepsie et soulignent l’importance de leur formation, en particulier sur l’identification des crises, la conduite à tenir en cas d’urgence et les services accessibles localement.
Il est aussi noté des difficultés d’orientation dans des lieux de prises en charge adaptés. Une publication française souligne l’existence de périodes de rupture dans la prise en charge, notamment entre l’adolescence et la vie adulte, en particulier liées au manque de structures proches du domicile des parents.
Très peu d’études se sont intéressées à l’évolution de ces situations et au devenir à long terme des patients avec autisme et épilepsie. Les données disponibles portent essentiellement sur la mortalité. L’épilepsie semble un facteur de mauvais pronostic dans l’évolution de l’autisme tant sur le plan du fonctionnement cognitif et des comportements adaptatifs que de la symptomatologie autistique. Chez les sujets avec autisme, l’évolution de l’épilepsie paraît moins bonne que chez les sujets issus de la population générale ; la rémission de l’épilepsie est moins fréquente. En outre, comme dans la population générale, une surmortalité des sujets avec épilepsie est retrouvée chez les sujets avec autisme.

La prise en charge confrontée à l’évolutivité des déficiences est particulièrement bien illustrée dans la maladie de Huntington

La maladie de Huntington touche environ 6 000 patients en France sans compter les sujets porteurs de gènes dont la maladie n’est pas déclarée. Sa prise en charge est particulièrement difficile du fait de l’association de troubles multiples, cognitifs, moteurs et psychiatriques et de la nature même des troubles (troubles de la relation, inflexibilité, agressivité…) conduisant à la désinsertion sociale des patients. Débutant en moyenne entre 35 et 45 ans, les difficultés du quotidien pour le patient atteint de la maladie de Huntington s’aggravent au fur et à mesure que la maladie progresse : difficultés pour conduire, travailler, s’organiser. Les relations avec l’entourage se détériorent, ce qui conduit à un isolement progressif des patients. Les conduites auto- et hétéro-agressives augmentent. Les patients finissent par perdre toute autonomie, ils deviennent grabataires et déments justifiant alors l’accueil dans des structures spécialisées ou le recours à des aides à domicile lorsque le cadre s’y prête. Le décès intervient environ 15-20 ans après l’apparition de premiers symptômes. L’adaptation de la prise en charge des patients requiert une expertise spécifique.
En France, cette prise en charge des patients a été fortement améliorée grâce à la création du Centre de référence maladie de Huntington (arrêté ministériel du 19 novembre 2004). Ce centre, suivant les directives du Plan national maladies rares (2005-2008), a permis l’optimisation de l’accès aux soins pour les patients (activité de consultation pour le suivi ou pour avis ponctuels, dépistage et diagnostic, assistance téléphonique pour les professionnels de santé, les familles et les patients, coordination de réseaux). Le Centre de référence offre une expertise pour l’ensemble du territoire, accueille tous les patients en déshérence quelle que soit leur origine géographique, et structure nationalement l’accès aux soins. Il a créé le Réseau du centre de référence et des centres de compétences suivant les nouvelles directives du Plan national maladies rares (2011-2014). Treize centres de compétences sont maintenant distribués sur toute la France (couverture territoriale) et liés au Centre de référence national par une charte de partage de connaissances et de pratiques.
Malgré cette structuration, certaines difficultés demeurent : celles liées à l’organisation du système de santé et celles liées plus spécifiquement aux caractéristiques de la maladie de Huntington.
En effet, les patients, du fait de leurs troubles cognitifs et comportementaux ont tendance à s’exclure de leur environnement et du système de soin. Le système de prise en charge doit donc être proactif et anticiper les situations de ruptures, ce qui est rendu possible par l’absence de tarification à l’activité du Centre de référence. Ceci a permis dans le cadre du Plan national maladies rares, de développer des séjours temporaires dans des structures de moyen séjour et des maisons d’accueil spécialisées, réduisant les situations de ruptures et les hospitalisations aiguës dans les services de médecine de court séjour. Bien que le recours à ces structures permette de passer un cap, il ne résout pas le problème particulièrement important et assez spécifique de la maladie de Huntington constitué par le manque de structures bénéficiant des compétences et des équipements pour accueillir des patients qui présentent à la fois des troubles cognitifs, moteurs et des troubles du comportement. Les hospitalisations en structures de soins aiguës sont inadaptées pour répondre à ces difficultés et interviennent encore souvent pour répondre à l’épuisement des familles, aux ruptures de prise en charge et se prolongent parfois faute d’accès à des lits d’aval. Ces structures devraient uniquement permettre de régler un problème aigu (hématome sous-dural après une chute, fracture, déshydratation…) ou s’intégrer dans un suivi longitudinal avec évaluation des patients afin d’orienter la prise en charge. L’absence de recours à des structures de long séjour s’explique par des motifs structurels comme l’absence de structure d’accueil accessible dans le voisinage familial, l’absence de place disponible ou encore le refus du patient ou de la famille, faute de moyens. Les remboursements des hospitalisations en France dépendent en effet du type de structure d’accueil, les hôpitaux de court-séjour dépendant de la Cnam alors que la plupart des structures de séjours prolongés dépendent du Conseil général et des familles.
Le maintien à domicile est une alternative possible mais impose de couvrir l’ensemble des prestations nécessaires à l’état du patient, ce qui reste difficile du fait des variations régionales en termes de services à domicile et des modalités tarifaires de rémunération des professionnels de santé.
La prise en charge des patients présentant la maladie de Huntington, pour être optimale, nécessiterait plusieurs conditions : une prise en charge multidisciplinaire mais globale ; la fluidification des financements entre le système de soins (Assurance maladie) et d’aide (solidarité nationale) qui permettrait de diminuer les hospitalisations non justifiées en service de soins aigus ; la prise en charge, le soutien et la formation des aidants ; le développement de structures mixtes neurologiques et psychiatriques.

La grande dépendance des personnes présentant un polyhandicap sévère nécessite une évolution des dispositifs d’aides vers une plus grande adéquation et une meilleure cohérence

Les enfants polyhandicapés ont d’abord fait l’objet d’une approche médicale et thérapeutique afin de prévenir des déficiences secondaires liées à leur état lésionnel, ce qui leur a permis de vivre de plus en plus souvent jusqu’à l’âge adulte.
Les personnes présentant un polyhandicap sévère sont très dépendantes de l’environnement humain et matériel et ont une vulnérabilité importante tant au niveau de leur santé physique qu’au niveau de leur vécu psychique.
Certes, les prises en charge ne sont pas encore aujourd’hui toutes adéquates et l’on constate des vécus familiaux très perturbés, avec très souvent un besoin de reconnaissance de la pénibilité de l’aide à apporter et une demande de solutions plus aisées à mettre en place pour toutes les activités de la vie quotidienne, pour les déplacements, pour le logement…
Divers facteurs comme les ressources financières de la famille, le statut social des parents ou encore les capacités de résilience de chaque membre de la famille, interfèrent également dans le devenir de ces situations complexes.
Plutôt que de créer un service spécialisé supplémentaire, il semble important que diverses mesures transversales soient prises afin de valoriser les initiatives existantes, de coordonner les ressources et de prévenir le risque d’épuisement des familles comme des professionnels de première ligne.

La compréhension des possibilités langagières et communicationnelles est une question centrale pour l’accompagnement des personnes présentant un handicap rare

D’une façon générale, la recherche dans le champ des handicaps rares doit affronter plusieurs types de difficulté : le petit nombre de personnes, l’hétérogénéité des profils, les obstacles à la communication et à la participation des sujets. La mise au point d’un cadre méthodologique capable de prendre en compte les contraintes éthiques et scientifiques reste donc à faire. Malgré cela, les travaux existants fournissent des informations utiles pour la compréhension des obstacles, notamment à la communication et des stratégies adaptatives mises en place par les personnes en situation de handicap et leurs proches.
Dans le domaine du langage et de la communication, les études disponibles sur les spécificités des handicaps rares peuvent être analysées à partir des questions suivantes :
• quelles sont les possibilités de communication des personnes présentant une association de déficiences telles que rencontrées dans les handicaps rares ?
• quelles sont les spécificités du développement du langage verbal et non verbal en fonction du type de handicap ?
Quatre ensembles de données ont été analysés dans les études disponibles :
• les dispositifs et techniques développés pour pallier les déficiences langagières ;
• les modes de communication corporels mis en place ;
• l’interaction et le contexte (prise en compte de l’interlocuteur et de la situation d’énonciation) ;
• les capacités de dire, lire et écrire.
Il est possible de distinguer trois situations d’atteinte du langage et de la communication dans les handicaps rares :
• les troubles des entrées du langage dans lesquels les déficiences du langage et de la communication sont liées à des déficits des équipements de base nécessaires au développement du langage. Leurs déficits bloquent le développement du langage mais n’impliquent pas de perturbation dans l’organisation de ce développement qui peut, via la mise en place d’équipements palliatifs, se dérouler normalement. Les profils pouvant être concernés, chez les enfants et les adultes, sont la surdicécité, la surdité ou la cécité associée à des troubles moteurs sévères ;
• les troubles développementaux du langage où le développement du langage est touché dans son organisation et sa structuration. Il s’agit de rétablir une structuration du langage qui est intrinsèquement déficitaire malgré des équipements de base fonctionnels (systèmes visuel et auditif). Les profils pouvant être concernés, chez les enfants et les adultes, sont la dysphasie, l’autisme, les déficiences sensorielles associées à des déficiences intellectuelles, les syndromes de Down, Wolf-Hirschhorn, Rett, Charge ;
• la perte du langage acquis. Il s’agit ici uniquement de locuteurs adultes pour lesquels l’atteinte vient perturber un fonctionnement langagier acquis sans déficits. Les profils pouvant être concernés sont la surdité, la cécité, l’aphasie dans le cadre de la maladie de Huntington, le syndrome de Usher, le syndrome de Wolf-Hirschhorn.
L’importance des données disponibles sur le langage dans le cadre des handicaps rares est variable d’un profil à l’autre et prédomine concernant les enfants atteints de surdicécité.

Le développement des possibilités de communication nécessite de reconnaître et de soutenir les aptitudes des personnes dans un contexte d’interaction

La surdicécité a fait l’objet d’études s’appuyant sur des procédures participatives prenant pour base la dynamique des interactions communicatives. Plutôt que de se focaliser sur les déficiences, certaines études s’appuient sur la participation des sujets pour identifier des compétences hors normes et montrent, par exemple, que l’encodage tactile de l’information semble plus efficace chez les sourdaveugles que dans la population ordinaire. Un courant de recherche en linguistique s’intéresse à la langue des signes tactile dont elle étudie la gestion des tours de parole et certaines différences morphologiques avec la langue des signes visuelle. Certains travaux vont au-delà de la description et ont pour objectif de proposer des stratégies visant à optimiser la communication entre les personnes sourdaveugles et les autres.
D’autres travaux se sont intéressés aux processus de communication et se sont focalisés non sur l’individu isolé mais sur les interactions entre personnes sourdaveugles et partenaires. Ils présupposent que la compétence communicative ne peut être évaluée qu’au niveau de l’échange, la compétence de la personne déficiente ne pouvant se révéler que sur le fond de la compétence adaptative du partenaire.
Dans le cas de la surdicécité avec troubles associés chez l’enfant, des supports/outils (équipements techniques, codes tactiles essentiellement) qui pallient les déficits sensoriels de l’enfant ont été développés. La communication est essentiellement tournée vers les besoins du quotidien en interaction avec des interlocuteurs non déficitaires (famille et soignants).
Dans le cas de la surdicécité avec troubles associés chez l’adulte, on constate l’existence de dispositifs et techniques qui se rapprochent de ceux réalisés pour les enfants. On note toutefois, dans le cas de l’adulte, une conception d’outils voués à un usage au sein d’un environnement non spécifiquement adapté. La communication est essentiellement tournée vers les besoins du quotidien avec des interlocuteurs non déficitaires, et mobilise une riche palette du langage (niveau prosodique mais aussi lexical et sémantique). Les données se rapportant à ces adultes soulignent l’existence d’une approche adaptative qui consiste à parvenir à adapter les personnes à l’environnement « normal » plutôt que de chercher à adapter l’environnement à ces personnes.
Pour les enfants souffrant de cécité et de troubles moteurs et/ou intellectuels, la communication peut être assistée d’équipements techniques et les aspects pragmatiques du langage sont relativement préservés. On observe une capacité à utiliser la symbolique à travers la mobilisation d’objets qui matérialisent et symbolisent une expérience vécue. Ces objets peuvent être manipulés au cours du processus de communication en vue de pouvoir exprimer une riche palette d’états, de sentiments, sensations ou jugements. La communication ainsi mise en place se réalise tant avec les adultes environnants qu’avec les pairs, ce qui ouvre une palette d’interlocuteurs large pour ces enfants.
Pour les adultes souffrant de surdité et de troubles moteurs et/ou intellectuels, un dispositif spécifique (Picture it) permet de développer les interactions avec l’environnement soignant et de développer la dimension pragmatique de la communication en s’appuyant sur des images qui représentent des mots. On constate une riche mobilisation du corps dans la communication avec un recours aux expressions faciales mais aussi un recours aux jambes qui viennent compenser la difficulté de mise en œuvre de la motricité fine (mains). On observe un recours à l’usage d’objets qui représentent une expérience partagée et « figée » permettant de véhiculer un sens circonscrit par la personne concernée et son interlocuteur.
Dans le cas des polyhandicaps, depuis une dizaine d’années, l’accent a été mis sur la mise en place de moyens de communication et d’interaction avec l’entourage ainsi que sur l’aménagement de stimulations sensorielles mises à leur portée dans des environnements naturels ou dans des milieux spécifiquement aménagés.
La communication chez des enfants atteints de polyhandicaps et troubles associés ne s’illustre pas dans le champ du « dire, lire, écrire », mais s’ancre essentiellement dans les situations du quotidien avec une attention spécifique à l’expression des sentiments et sensations. Un des freins majeurs au développement de leurs capacités communicatives est le déficit dans l’attention conjointe, cette dernière permettant de poser un objet ou cadre commun de référence, socle crucial dans la construction du langage et dans son usage. L’une des voies abordées dans plusieurs études pour dépasser ce déficit est l’élaboration de symboles utilisés dans des jeux ritualisés qui permettent de créer un espace de communication qui soit partagé.
Dans le cadre des handicaps rares caractérisés par une dégénérescence et une perte progressive du langage, les études soulignent la faiblesse du mode de communication corporel et du recours aux modalités non verbales, comme dans le cadre de la maladie de Huntington. Dans cette maladie, on note des difficultés marquées en ce qui concerne la gestion du changement, de la nouveauté et du champ de l’implicite et de l’inférence. De ce fait, la mise en place de scripts dont l’usage est fixé, stable et donc facilitateur de communication est mise en exergue dans plusieurs travaux.
Par ailleurs, dans la maladie de Huntington, les troubles du langage apparaissent parfois avant que la maladie ne soit manifeste. Les troubles du langage et de la cognition sociale participent sans doute aux difficultés relationnelles des patients et ainsi, à leur désinsertion familiale et sociale. Ils ont par exemple des troubles de la compréhension des phrases complexes et des troubles de la théorie de l’esprit (d’inférence des pensées d’autrui).
L’ensemble des données converge quant à l’importance à accorder à la dimension interactionnelle de la communication avec une prise en compte des différents types de situations de communication et d’interlocuteurs ainsi que des visées communicatives en jeu dans les échanges langagiers.
Cette dimension revêt un impact non négligeable sur les dispositifs techniques mis en place pour consolider la communication chez les personnes présentant un handicap rare : il semble qu’on assiste à un développement fort d’équipements à dimension sociale. L’objectif est de pallier les déficits en prenant en compte l’insertion sociale des personnes, ce qui amène à ne plus considérer les personnes en situation de handicaps rares comme isolées mais comme partie prenante dans la communauté et la société.

La scolarisation des enfants présentant un handicap rare suppose un système inclusif capable de répondre aux besoins éducatifs de chacun

La loi du 11 février 2005 ainsi que la Convention des Nations Unies pour les droits des personnes handicapées reconnaissent à toute personne handicapée le droit d’être éduquée en milieu ordinaire, indépendamment de sa déficience et de la sévérité de celle-ci, et les personnes présentant un handicap rare ne sauraient en être exclues. Ce droit affirme qu’en tant que sujet de droit, toute personne handicapée doit pouvoir partager son quotidien avec ses pairs non handicapés et qu’il appartient au système éducatif de placer tout élève à égalité de chances en termes d’accès, de réussite et d’affiliation et ceci indépendamment de sa particularité. Il demande ainsi au système éducatif d’admettre que tout enfant dispose de capacités d’apprentissage, fussent-elles complexes à développer, et de considérer l’enfant présentant un handicap rare comme un apprenant se spécifiant au premier chef par des besoins éducatifs auxquels il convient de s’adapter et non comme un enfant malade se singularisant par des problèmes de santé.

Le mode de scolarisation des enfants à besoins éducatifs particuliers dépend des conceptions de l’éducation et du handicap

Malgré l’absence de données fiables, il semble que les élèves à besoins éducatifs particuliers soient scolarisés de manière croissante en milieu ordinaire, y compris celles et ceux présentant un handicap rare, même si les formes de scolarisation peuvent varier selon les pays. En effet, si certains pays, comme par exemple le Canada, la Norvège ou le Mexique, scolarisent majoritairement les enfants présentant un handicap rare dans les mêmes classes que les autres élèves, d’autres, comme les États-Unis, l’Espagne ou la Suède, privilégient la scolarisation en classes spécialisées alors que la Belgique, les Pays-Bas, la France ou l’Allemagne privilégient la scolarisation en milieu spécialisé.
Ces disparités suggèrent qu’à déficience égale, les modes de concrétisation du droit à l’éducation varient selon les conceptions qui entourent les systèmes éducatifs et du handicap. Ainsi, la réceptivité à la diversité des profils éducatifs semble plus marquée, et ceci y compris dans l’enseignement supérieur, dans les pays où l’inculcation des apprentissages n’est pas la mission exclusive ou première des établissements scolaires. L’acquisition des savoirs y est moins disciplinaire qu’organisée autour de projets pédagogiques pouvant mobiliser les apports des différentes disciplines, où les enseignements valorisent la diversité et les relations afin que chaque élève développe ses potentialités et sa personnalité et où les relations entre enseignants et élèves sont fondées sur la confiance et l’échange. La réceptivité à la diversité des profils éducatifs est bien moins marquée dans les pays où l’école est avant tout un lieu où l’on inculque une culture générale, où les établissements scolaires sont des lieux d’apprentissage séparant l’instruction de la vie scolaire et où les enseignements ciblent prioritairement l’acquisition de connaissances disciplinaires. Cette conception est plus propice à une conception essentialiste du handicap associant déficience et inéducabilité ou inadaptation scolaire, moins favorable au développement d’une logique de projet soucieuse de la diversité des profils éducatifs et de l’accompagnement de chaque élève tout au long de parcours éducatifs et rend la présence d’élèves présentant un handicap rare plus difficile.
Aussi la concrétisation du droit à l’éducation des enfants présentant un handicap rare suppose des systèmes inclusifs d’éducation associant excellence scolaire et bien-être de chaque élève et s’attachant à rendre accessible l’environnement éducatif. Cette « accessibilisation » des systèmes éducatifs suppose un cadre juridique et règlementaire responsabilisant les acteurs des systèmes éducatifs en interdisant toute forme de discrimination liée au handicap. En rendant les établissements scolaires légalement responsables des discriminations que peuvent expérimenter les élèves, le Royaume-Uni a incité les établissements à inclure la question de l’accessibilité et l’ouverture à la différence dans leurs politiques d’établissements. La Norvège, pour sa part, en associant l’inaccessibilité à une forme de discrimination, a incité les établissements à voir dans l’accessibilité un enjeu et une responsabilité collective. Rendre accessible l’environnement éducatif suppose également la mobilisation de soutiens techniques, humains, financiers permettant d’une part, aux établissements scolaires, de satisfaire aux exigences d’accessibilité et d’autre part, aux enfants présentant un handicap rare, d’être à égalité de chances avec les autres élèves par l’intermédiaire de technologies leur conférant des possibilités de communication ou encore de kinésithérapeutes ou d’auxiliaires de vie scolaire facilitant leur orientation ou leur mobilité. Cette « accessibilisation » suppose une approche écologique du handicap reliant le handicap des élèves à l’aptitude des systèmes éducatifs à répondre à la diversité des besoins éducatifs (et non à la déficience comme le propose la traditionnelle perspective diagnostique), et promouvant des systèmes scolaires faisant de la diversité un moyen d’optimiser la qualité de l’enseignement pour tous et la réussite de chacun.
Cette « accessibilisation » des environnements éducatifs est essentielle à l’exigence d’innovation que présuppose la présence d’élèves bousculant les règles, les connaissances, les repères et les routines régissant les processus éducatifs et requérant le développement de stratégies éducatives complexes. Cette capacité d’innovation suppose une évaluation des besoins éducatifs de l’enfant suffisamment précise pour offrir une image aussi exacte que possible de ses capacités, des moyens à mobiliser et des méthodologies à mettre en œuvre. Elle demande des postures professionnelles fondées sur le développement cognitif de l’élève et considérant à ce titre, leurs besoins sensoriels et biologiques et offrant un cadre structurant suffisamment souple pour adapter les interactions aux contextes et associer dimensions scolaires, sociales et comportementales. Elle requiert l’organisation des enseignements reposant sur une logique de projet favorable à la création de liens émotionnels, au développement de conditions propices aux apprentissages. Elle nécessite aussi une approche holistique à même d’appréhender la complexité des situations, et d’organiser la scolarisation dans un projet individualisé de transition capable d’organiser le processus éducatif autour du parcours de vie de l’enfant et à faire de la transition entre les différents espaces éducatifs, une des composantes de leur politique d’établissement.
Les réformes entreprises ces dernières années en France peuvent impulser des évolutions significatives en organisant par exemple les enseignements autour de l’acquisition d’un socle commun de compétences, en incitant les établissements scolaires à placer les trajectoires individuelles au cœur de leurs préoccupations ou encore en créant des unités d’enseignement mobilisant les acteurs du milieu ordinaire et du milieu spécialisé autour de parcours personnalisés de scolarisation fondés sur l’acquisition de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être.
Ces évolutions ne sauraient toutefois faire oublier que la capacité d’innovation des acteurs se heurte à l’heure actuelle aux lacunes des modes de formation des enseignants et des acteurs du secteur médico-social. Il faut noter aussi l’absence d’outils d’évaluation fiables nécessaires à l’adaptation des pratiques ainsi que le manque d’outils de planification et de pilotage des processus éducatifs, les difficultés que peuvent connaître les projets personnalisés de scolarisation à considérer les apprentissages scolaires, les conditions facilitant les interactions entre les enfants présentant des déficiences multiples et ceux ne présentant aucune déficience. Ces difficultés sont d’autant plus importantes que l’absence de données fiables et internationalement comparables prive les acteurs des repères nécessaires pour penser leurs pratiques et l’enfant dans ses aptitudes et subordonnent la concrétisation du droit à l’éducation à leur volontarisme, à leurs sens de l’engagement, au risque de perpétuer les résistances.

Des approches éducatives ajustées aux situations complexes existent

À partir des années 1960, des enfants présentant des configurations de déficiences plus complexes telles que la surdicécité, ont été progressivement admis par les dispositifs d’éducation, ce qui a entraîné d’importants changements sociologiques (on a affaire à des groupes plutôt qu’à des individus isolés) et pédagogiques. Il a fallu concevoir des approches éducatives ajustées à la gravité et à la complexité de la configuration de déficiences et aux défis posés par des comportements pouvant parfois faire penser à des troubles psychiatriques.
Mais, établir des normes pour définir les conditions d’aménagement des classes d’enseignement et des salles d’examen pour les personnes sourdaveugles scolarisées est difficile du fait de l’hétérogénéité du groupe.
Concernant les enfants sourds avec autisme ou autres troubles envahissants du développement (TED), un programme éducatif identifiant précocement les difficultés et prenant en compte, à la fois, l’autisme ou les TED et la surdité, est indispensable pour la mise en place d’une intervention adaptée. Des défauts d’orientation d’enfants sourds avec autisme, sans programme spécifique, ont conduit à des expériences éducatives désastreuses en raison d’erreur diagnostique et/ou de manque de classe appropriée. L’ouverture de structure permettant une prise en charge multidisciplinaire et tenant compte des difficultés spécifiques de ces enfants, a démontré son efficacité. Ces enfants, après une prise en charge d’une durée moyenne de 4 ans, ont suffisamment progressé pour trouver une orientation, en dépit de la lourdeur de leur polyhandicap initial. Ce type de structure reste à développer sous forme soit d’externats ou soit d’internats proches du domicile des parents, permettant d’étendre la durée des apprentissages. De même, la scolarisation d’enfants ayant une déficience visuelle avec autisme dans des établissements spécialisés pour enfants avec une déficience visuelle a permis à ces enfants « autiste-aveugles » de développer leur langage et d’augmenter leur QI, tout en réduisant la composante autistique.
Des travaux récents montrent que les personnes polyhandicapées peuvent avoir des potentialités d’apprentissage qu’il convient de soutenir, de nourrir et de développer. La complexité de leurs difficultés exige que cette éducation puisse se faire au sein d’une équipe pluridisciplinaire : il ne doit pas y avoir d’opposition entre soins et éducation ; les enfants polyhandicapés constituent une population très hétérogène et le risque est grand d’exclure de l’enseignement de nombreux enfants considérés à tort comme inéducables. Pour de nombreux parents, l’école est une voie de normalisation et d’intégration pour leur enfant. Aussi, pour permettre la réalisation d’un projet éducatif ambitieux (en termes d’épanouissement individuel, d’apprentissages cognitifs et de socialisation), les équipes doivent être soutenues dans leur réflexion et aidées de manière adéquate, en leur donnant les ressources et les moyens nécessaires, définis par une politique globale et volontariste des pouvoirs administratifs, des politiques de santé et d’éducation.

Les familles sont quotidiennement confrontées à des difficultés sur le plan pratique, psychologique et social

La littérature scientifique évoque très peu la famille dans le cas spécifique du « handicap rare », et traite davantage du polyhandicap, multihandicap ou surhandicap. Les travaux ciblant l’enfance évoquent essentiellement les questions relatives à l’annonce du handicap, aux soins, démarches, diagnostics et processus d’intégration scolaire et d’orientation en établissements.
La situation de handicap rare et de polyhandicap est source de nombreuses difficultés pour les familles et ces difficultés peuvent s’aggraver avec l’âge de la personne. Elles peuvent résulter de plusieurs facteurs : aggravation de la situation clinique et des déficiences, rupture dans les prises en charge, insuffisante disponibilité des ressources et des aides adaptées en raison de la rareté de l’atteinte et de sa méconnaissance par les professionnels, et parfois absence de diagnostic ou bien orientation inadaptée, lourdeur et complexité de la prise en charge, difficultés de communication. D’autres facteurs comme les ressources financières de la famille, le statut social des parents ou encore les ressources de chacun des membres de la famille et du groupe famille, interfèrent également dans le devenir de ces situations complexes.
Les familles peuvent être confrontées à la difficulté du diagnostic et du pronostic, voire à l’errance diagnostique en raison de l’association de plusieurs troubles et la méconnaissance par les praticiens de syndromes rares. Cette difficulté de diagnostic suscite parfois colère, sentiment d’impuissance et génère une grande solitude pour les familles.
La multiplicité des déficiences peut entraîner une augmentation du nombre de soins à dispenser au sujet. Ceci peut nécessiter de multiples consultations de spécialistes, parfois éloignés du domicile parental. Aussi, la vie de la famille comprenant un enfant atteint d’un handicap rare, comme pour d’autres handicaps complexes, est étroitement dépendante des services spécialisés ou généraux qui acceptent d’aider le sujet et qui ont les compétences pour le faire. Il est à noter que les soins de santé « ordinaires » peuvent être rendus complexes par la difficulté de communiquer, d’évaluer la douleur et sa cause. Le rôle des parents qui connaissent bien l’enfant et ses modes d’expression est important pour guider le praticien.
La diversité des problèmes existant dans une même famille confrontée au handicap, suscite exceptionnellement la mise en place d’un plan global de soins, mais fait souvent intervenir un patchwork de services, souvent déconnectés les uns des autres.
Dans tous les cas, cela impose une disponibilité importante de la famille. Dans ce contexte, les ressources économiques et relationnelles (familiales, amicales et sociales) dont la famille dispose pour faire face aux multiples consultations, hospitalisations, maladies de leur enfant atteint d’un handicap complexe sont déterminantes.
Il est à noter que les travaux scientifiques s’intéressent de manière quasi exclusive aux mères, laissant encore dans l’ombre le vécu, les souhaits des pères, frères et sœurs et grands-parents.

Les besoins des familles ne sont pas suffisamment évalués

Les évaluations, pas toujours systématisées, de la nature de l’aide à apporter à ceux qu’on appelle « les aidants naturels » font l’objet d’un intérêt récent. Dans le cadre de la politique inclusive et de la raréfaction des accueils en internat avant l’adolescence, les familles doivent davantage gérer au quotidien les soins de leurs enfants ou adolescents. Il est admis que mieux les familles seront soutenues, plus facilement elles accepteront d’assumer au quotidien les soins et l’éducation de leur enfant dans le cadre d’un externat ou d’un service à domicile. Par ailleurs, il n’est pas rare qu’un enfant accueilli dans un établissement se trouve sans solution à l’âge adulte et donc retourne vivre dans sa famille.
Le rôle positif des associations est souligné concernant la connaissance des demandes des familles et l’évaluation de ce qui leur est proposé. Les associations jouent aussi un rôle important de propositions concernant les aides et le soutien aux familles.
Il apparaît que ce sont surtout les mères qui bénéficient de l’aide et du soutien des professionnels et ce sont elles qui, le plus souvent, évaluent leur efficacité.
Les familles veulent être écoutées, reconnues comme compétentes et partenaires, disposer d’une information plus accessible, pouvoir bénéficier de temps de répit. Les aides directes aux familles recensées proposent : des séjours de répit, une aide ponctuelle à domicile, une aide financière, un soutien psychologique individuel ou en groupe, une reconnaissance de la pénibilité de l’aide à apporter, de la formation et de l’information.
L’aide spécialisée proposée aux familles n’est pas de même nature ni de même intensité dans la petite enfance, l’enfance, à l’adolescence et à l’âge adulte. Pour les adultes, le personnel des établissements spécialisés est moins qualifié que celui des établissements pour enfants. Par exemple, le nombre d’éducateurs spécialisés, de rééducateurs, de psychologues est moins important dans les MAS (Maisons d’accueil spécialisé), dans les foyers à double tarification que dans les établissements pour enfants. Cette involution du nombre et de la qualification du personnel dans les établissements mais également à domicile, conduit la famille à se sentir moins soutenue, au moment même où des problèmes majeurs peuvent émerger avec la puberté et l’avancée en âge. Par ailleurs, si les établissements pour enfants jeunes incluent systématiquement le soutien et l’accompagnement des familles dans leur projet, ce n’est pas le cas pour les adolescents et les adultes.
Notons que lorsque les parents vieillissent, la place des frères et sœurs auprès de la personne handicapée prend une importance centrale.

La manière de concevoir et de mettre en œuvre l’aide aux familles a beaucoup évolué

Aujourd’hui, la famille est davantage considérée. L’accent est mis sur les compétences, sur le « savoir », le « savoir-être », le « savoir-faire » des parents et également sur l’analyse de leurs ressources personnelles et celles de leur environnement. La manière de penser le soutien est désormais formulée en termes de formation et de mise en compétence de la famille pour favoriser son adaptation mais aussi soutenir le développement de ses capacités à pallier les manques, les indisponibilités des professionnels, comme en témoignent les travaux sur les aidants familiaux.
Plus récemment encore, l’accent a été mis sur la nécessaire prise en compte de la diversité des micro-environnements autour du système familial et la manière dont ils interagissent entre eux (école, travail, lieux de loisirs…).
Il faut noter le rôle important joué en France par les associations de parents et d’amis de personnes handicapées tant sur le plan économique (elles gèrent les établissements) que sur le plan de la recherche et de l’innovation en matière de dispositifs éducatifs, de soins, d’aides techniques et aussi dans la valorisation des capacités de création et d’adaptation des familles.
Enfin, les travaux font davantage état des souffrances de familles qu’ils n’analysent les processus créatifs, originaux qu’elles développent et qui pourraient permettre d’ouvrir des pistes de modalités d’accompagnement plus en adéquation avec les spécificités du vécu des familles.
Concernant le partenariat parents/professionnels, tous les écrits soulignent la nécessité d’une co-construction de l’intervention par les professionnels et les familles et associant si possible, les personnes handicapées. Ce partenariat peut aussi concerner la formation (organisation de formations associant professionnels et familles), la conception d’établissements ou de services ou encore le partenariat dans la recherche.
De par leur position respective, soignants et membres de la famille acquièrent, au contact de la personne handicapée, des connaissances différentes car ils vivent des moments différents de la vie de la personne et dans des conditions différentes. Dans cette dynamique de réflexion, il est conseillé de concevoir des espaces de rencontre entre familles et professionnels pour un échange d’informations et une prise en charge co-pensée et co-créée.
Les parents rapportent souvent que les établissements et les structures de service ont parfois des difficultés à prendre en compte les spécificités et la complexité des besoins de leur enfant. La rareté et la complexité imposent que les équipes puissent créer des conditions pour le soin, l’éducation, l’accompagnement de ces personnes qui n’est pas toujours possible, faute de personnel, de formation…
Du fait de la complexité particulière et/ou de la rareté du handicap (par exemple, une déficience sévère associée à une épilepsie avec une marche autonome, l’autisme associé à une cécité avec une mobilité réduite), celui-ci peut être considéré comme non prioritaire quel que soit l’endroit car « hors agrément ». Cette situation peut conduire la famille à devoir confier l’enfant à un établissement qui lui signifie d’emblée qu’il n’est pas forcément adapté. Dans ce contexte, la créativité de l’équipe et celle de la famille devront être soutenues et mobilisées. Il s’agit dans ce cas, avec l’aide des professionnels spécialisés, de la famille et les spécificités du lieu d’accueil d’imaginer des adaptations d’espace, de pédagogie, de fonctionnements inédits uniquement pour cet enfant. Il n’est pas rare que par la suite, ces adaptations servent à d’autres enfants.

La transmission entre générations de certaines pathologies complexifie le vécu des familles

Dans certains cas, la rareté et l’importance de la pathologie interrogent l’inscription de la personne en situation de handicap dans la chaîne des générations. Que cette transmission soit réelle (génétique) ou imaginaire, dans tous les cas, elle implique de manière plus ou moins importante les ascendants, les descendants, ceci parfois sur plusieurs générations. Cette transmission a des conséquences à court, moyen et long terme sur la vie des familles. Lorsque ce qui est ainsi transmis ne peut être intégré psychiquement, cela constitue une sorte d’héritage négatif aux effets potentiellement pathologiques pour le sujet et le groupe familial.
Une des particularités de la maladie de Huntington est que cette maladie génétique autosomique dominante constitue un handicap avant même qu’elle ne soit manifeste. Le diagnostic de maladie de Huntington implique non seulement le patient mais aussi sa famille (apparentés génétiques mais également conjoints et compagnons). Les descendants deviennent « sujets à risque ». Les conjoints sont confrontés au fardeau que constituent la maladie du patient et la transmission potentielle à la descendance. Ces aspects font que le rôle des descendants et des conjoints dans la prise en charge de patients n’est pas comparable à d’autres maladies non génétiques. La présence dans la famille d’un ascendant atteint induit une anticipation anxieuse et une vision péjorative de l’avenir. Elle impose une prise en charge de la famille et des proches des patients.

L’approche économique de la compensation du handicap se heurte à la difficulté d’appréhender la notion de bien-être

Si l’on entend « handicaps rares » au sens retenu pour cette expertise, la mesure du coût économique de ces situations nécessite une réflexion méthodologique sur les indicateurs qu’il conviendra de mesurer. En effet, que l’on souhaite évaluer les dispositifs d’aide existants ou approcher plus généralement le coût du handicap, il ne suffit pas de prendre en compte le montant des dépenses effectivement engagées, ce qui reviendrait à mesurer le coût des politiques du handicap. Il faut mettre en regard le résultat obtenu grâce à ces dépenses.
Les travaux conduits sur les dispositifs d’aide à l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap sévère, permettent d’illustrer la nécessité de mettre en regard coût et avantage ainsi que la difficulté de cette opération. Les analyses publiées montrent que dans la plupart des cas, la mise en place d’emplois subventionnés génère des gains nets, à la fois pour la personne en situation de handicap, quel que soit le niveau de handicap, et pour le contribuable. Cependant, restreindre l’analyse aux gains et pertes monétaires, ne rend pas compte des changements qualitatifs qui s’opèrent dans la vie des personnes concernées par le dispositif. L’utilisation d’indicateurs d’efficacité thérapeutique, comme le font certaines études, n’apporte pas l’information qui manque pour évaluer l’efficience de ces dispositifs, sauf à supposer que ces indicateurs capturent la qualité de vie subjective des personnes.
Dans le cas des handicaps rares, l’évaluation économique des dispositifs d’aide suppose donc de résoudre un problème de fond : comment intégrer dans l’analyse le bien-être de personnes qui se trouvent dans des situations singulières et mal connues, et communiquent souvent difficilement ?
Évaluer le coût des handicaps rares confronte à la même difficulté méthodologique, puisqu’il s’agit d’estimer la dépense minimale nécessaire pour permettre aux personnes dans ces situations d’atteindre le niveau de bien-être qu’elles auraient sans handicap.
Les deux types d’approches utilisées dans le cas du handicap en général, apparaissent difficilement transposables. Les travaux adoptant une approche objectiviste des niveaux de vie (méthode d’équivalence de revenus) ont construit des outils élaborés pour évaluer les coûts réels du handicap, en évitant le problème de la contrainte budgétaire pesant sur les ménages. Cependant, cette méthode suppose implicitement que la satisfaction retirée des biens de consommation choisis comme indicateur est globalement identique que l’on soit ou non en situation de handicap. Le deuxième type d’analyses repose sur des évaluations subjectives du coût du handicap. Dans le cas des handicaps rares, outre les problèmes de taille d’échantillon et l’obstacle de la complexité cognitive, cette méthode semble hasardeuse, sinon dénuée de sens : elle suppose en effet que les personnes se forgent une représentation subjective de ce que serait leur vie quotidienne sans handicap, pour estimer le revenu supplémentaire qui leur serait nécessaire pour atteindre le niveau de bien-être qu’elles auraient avec leur revenu actuel mais sans handicap.
Une piste à explorer consisterait à examiner la qualité de vie de ceux qui vivent et travaillent au contact quotidien des personnes en situation de handicaps rares. En effet, la singularité des situations fait d’eux les seuls témoins susceptibles de formuler un jugement global sur le bien-être des personnes si elles ne peuvent le faire elles-mêmes. Par ailleurs, qu’ils soient professionnels ou non, ces aidants sont amenés à faire des choix ordinaires (choisir un logement, travailler à temps partiel, changer de travail…), a priori comparables à ceux de n’importe quels autres individus. Et l’on peut faire l’hypothèse que ces choix intègrent, comme paramètres, les caractéristiques fines de la situation des personnes aidées. À condition de pouvoir formuler quelques hypothèses vérifiables empiriquement sur la forme de cette intégration, analyser la situation des aidants ouvre la voie à la mesure des coûts indirects du handicap sur l’entourage, mais aussi probablement à une analyse indirecte du bien-être des personnes en situation de handicaps rares.

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