Handicaps rares : Contextes, enjeux et perspectives

2013


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Communications

L’Observatoire national sur la formation, la recherche et l’innovation sur le handicap (Onfrih)1

L’Observatoire national sur la formation, la recherche et l’innovation sur le handicap (Onfrih) a été créé par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées afin d’améliorer la prise en compte des questions relatives au handicap dans les politiques et programmes relatifs à trois domaines : la recherche et l’innovation, la formation, la prévention. Le premier rapport triennal de l’Onfrih a été rendu public lors de la Conférence nationale du handicap du 8 juin 2011, dont il constituait l’un des documents préparatoires2 .

Présentation générale de l’Onfrih et de son rapport

La mission de l’Onfrih est de réaliser un état des lieux de l’offre existante en matière de recherche et innovation, de formation, de prévention sur le handicap et de formuler des préconisations pour faire évoluer cette offre et l’adapter à la nouvelle conception du handicap portée par les textes internationaux et la loi du 11 février 2005.
Le Conseil d’orientation de l’Onfrih, composé de 53 membres, rassemble des représentants des associations de personnes handicapées et des acteurs des domaines étudiés : personnalités qualifiées, organismes et administrations. Les travaux sont menés par trois groupes de travail constitués au sein de ce conseil, un par domaine. Le secrétaire général du Comité interministériel du handicap est secrétaire général de l’Onfrih comme il l’est du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) et de l’Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle (Obiacu).
L’Onfrih établit un rapport triennal ainsi que des rapports d’étape annuels. Ces rapports sont remis au ministre chargé des personnes handicapées et transmis aux autres ministres concernés ainsi qu’au CNCPH et au conseil scientifique de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), puis rendus publics.
L’Onfrih ayant été installé en avril 2007, son premier programme de travail triennal couvre la période 2008-2010. Les travaux menés au cours des années 2008 et 2009 ont fait l’objet de rapports d’étape qui ont été présentés dans les éditions 2009 et 2010 de l’Officiel du handicap. Le rapport triennal, édité par la Documentation Française et rendu public lors de la Conférence nationale du handicap du 8 juin 2011, est un rapport d’ensemble qui reprend, en les actualisant les travaux effectués en 2008 et 2009, leur ajoute ceux de 2010 et en réalise une synthèse.

Que dit l’Onfrih dans ce rapport triennal ?

À partir des états des lieux réalisés au cours de son travail de trois ans sur les trois domaines étudiés, l’Onfrih formule 58 préconisations : 17 pour la recherche et l’innovation, 18 pour la formation, 23 pour la prévention. Avant de présenter de façon synthétique les préconisations par domaine, il convient d’insister sur quelques points qu’elles ont en commun.
Toutes ces préconisations visent à répondre au même objectif, celui de la participation des personnes handicapées à la société, qui est le défi porté par la loi du 11 février 2005.
À travers ces préconisations, l’Onfrih insiste beaucoup sur des améliorations à apporter à tout ce qui fait lien : les coopérations entre partenaires, la constitution de réseaux, l’organisation des transitions dans les parcours des personnes, l’articulation des dispositifs.
Certaines préconisations sont transversales :
• améliorer les systèmes d’information. Il est notamment proposé de saisir le Conseil national de l’information statistique (Cnis) pour faire évoluer le système statistique français afin qu’il s’adapte à la nouvelle vision du handicap ;
• développer la participation des personnes handicapées à la recherche et à la formation les concernant ;
• mieux articuler la recherche, la formation et l’action des professionnels de terrain.
Les trois parties suivantes présentent de façon succincte les constats et préconisations par domaine.

Recherche et innovation dans le champ du handicap

La faiblesse de la recherche française sur le handicap est dénoncée de façon récurrente dans de nombreux rapports officiels depuis près de 25 ans. Que peut-on dire sur ce sujet six ans après le vote de la loi de 2005 ?
Pour répondre, l’Onfrih a passé en revue l’ensemble des champs disciplinaires, sciences de l’homme et de la société, sciences de l’ingénieur, sciences biomédicales, tout en insistant sur l’importance que doit avoir l’interdisciplinarité sur le sujet du handicap. L’analyse a suivi le processus de production des connaissances et a cherché à identifier les obstacles qui entravent le développement de la recherche et des innovations sur le handicap aux différents niveaux de ce processus : élaboration des orientations nationales, programmation et financement de la recherche, stratégies et organisation des opérateurs de recherche, valorisation de la recherche.
Le constat global est contrasté. Des évolutions positives sont indéniables. On le voit dans la multiplication récente des actions incitatives, dans l’émergence progressive d’un milieu de recherche, dans la progression du nombre de publications scientifiques. Mais la situation de la recherche sur le handicap reste insatisfaisante. Cette recherche est peu visible, proportionnellement moins développée en France que dans beaucoup d’autres pays, et son développement est très inégal selon les domaines. Globalement, elle se situe très en deçà de ce qu’on pourrait attendre au vu des défis sociétaux, économiques et scientifiques que pose le handicap.

Comment dynamiser la recherche sur le handicap ?

Les préconisations de l’Onfrih visent à lever les obstacles qui entravent le processus de production des connaissances. Elles interpellent les instances de gouvernance de la recherche. Le fait que l’on soit dans une période de profonde réorganisation du système français de recherche rend d’autant plus opportune la prise en compte des réflexions de l’Onfrih.
Quatre objectifs, déclinés en propositions opérationnelles, sont retenus :
• inscrire le handicap comme priorité thématique. Ceci passe notamment par l’inscription explicite du handicap dans la Stratégie nationale de recherche et d’innovation, par le lancement d’un programme national de recherche pluridisciplinaire sur le handicap et par la mise en place d’instruments de suivi et de pilotage de cette politique scientifique nationale. Il est aussi proposé d’organiser une rencontre à forte visibilité et haut niveau d’autorité pour examiner la prise en compte de la loi du 11 février 2005 en termes de recherche et d’innovation ;
• renforcer les coopérations et les synergies au sein des processus de recherche et d’innovation. Plusieurs propositions sont faites en ce sens : installation d’une tête de réseau chargée d’animer l’ensemble de la communauté scientifique, création d’un ensemble coordonné de chaires d’excellence, émergence de laboratoires pluridisciplinaires, création d’un Pôle interdisciplinaire de recherche technologique pour l’accessibilité ;
• rapprocher communauté scientifique et société. Il s’agit d’une part d’ouvrir les instances de gouvernance de la recherche aux associations représentant les personnes handicapées, d’autre part de renforcer les activités de valorisation de la recherche et les transferts vers l’innovation en mobilisant l’expertise des personnes handicapées et des professionnels du domaine ;
• développer les instruments et méthodes nécessaires à la recherche et l’innovation dans le domaine du handicap.
Un certain nombre de préconisations ciblées sont faites, concernant les outils d’observation et les méthodes d’évaluation.

Formations et handicap

La mutation que représente le paradigme de la participation a plusieurs conséquences en matière de formation. Tout d’abord, les professionnels qui avaient l’habitude d’intervenir auprès des personnes handicapées, par exemple ceux du monde médico-social, doivent passer d’un modèle de prise en charge au nom de la solidarité à un modèle d’accompagnement de personnes souhaitant accomplir un projet de vie et participer à la vie sociale ordinaire. Le contenu de leurs formations doit s’adapter. Par ailleurs, les professionnels de très nombreux secteurs sont désormais concernés : médecins et personnels soignants, enseignants, gestionnaires des ressources humaines, acteurs de la vie culturelle et sportive… Plus généralement, toute la société est concernée.
Face à ces exigences, l’Onfrih a tenté une photographie de l’offre de formation, sachant que le paysage est très complexe avec une multitude d’acteurs et de modalités.
L’analyse ainsi faite conduit à formuler quatre objectifs de changement déclinés en préconisations opérationnelles.

Élargir les publics à sensibiliser, informer ou former

Il faut faire évoluer les représentations du handicap et les comportements vis-à-vis des personnes handicapées dans l’ensemble de la société. Certes, les applications de la loi, par exemple le développement de la scolarisation des enfants handicapés, induiront des changements dans les représentations. Mais l’Onfrih estime que ceci ne suffit pas et qu’il faut accompagner ce mouvement par des actions plus volontaristes. Plusieurs pistes sont proposées, parmi lesquelles on peut citer :
• développer la sensibilisation : à l’école, par les médias… ;
• généraliser un module « connaissance du public » intégrant systématiquement la thématique du handicap dans toutes les formations préparant aux métiers de contact et d’accueil ;
• introduire une unité obligatoire d’enseignement sur le handicap dans les établissements d’enseignement supérieur, à commencer par les grandes écoles formant les cadres de l’État ;
• il faut aussi parler des aidants familiaux ou informels. La demande croissante d’aide qui leur est adressée implique des formations. Mais on manque de travaux de recherche sur les besoins de formation de ces aidants. Pour l’Onfrih, avant de faire des recommandations en termes de formation, il est prioritaire de développer ces recherches.

Adapter le contenu et les modalités des formations existantes des professionnels

Le constat, évoqué plus haut, est celui d’un décalage entre les formations existantes et les nouveaux besoins et du grand nombre de filières de formations professionnelles, initiales et continues, de différents niveaux et de différents secteurs, qu’il faut faire évoluer. Ces évolutions commencent. Il est nécessaire de fournir quelques axes pour structurer et accélérer ce mouvement. Huit préconisations sont formulées en ce sens. La plus générale, qui en donne l’esprit, est de définir « un socle interprofessionnel » de connaissances sur le handicap, c’est-à-dire des éléments fondamentaux qui devraient être communs à tous les professionnels.

Évaluer et valider la qualité des formations

L’offre de formation professionnelle, notamment « tout au long de la vie », est foisonnante. Laissée telle qu’elle est aujourd’hui, à la seule initiative et responsabilité des opérateurs ou des commanditaires, cette offre risque d’être redondante sur certaines problématiques, insuffisantes sur d’autres, voire risque d’intégrer des positions sectaires. L’Onfrih recommande donc que l’on réfléchisse à des processus et méthodes de référencement permettant de garantir la qualité des formations.

Structurer l’articulation entre recherche, formation, action des professionnels de terrain et expérience des personnes handicapées et des aidants familiaux

Cet axe a déjà été évoqué dans les préconisations transversales aux trois domaines.

Prévention des situations de handicap tout au long de la vie

Le champ de la prévention du handicap est très large. Le handicap étant défini comme l’interaction entre des limitations individuelles consécutives à un problème de santé et des obstacles environnementaux, la prévention du handicap concerne les deux termes. Certes, elle est sanitaire et vise successivement à agir sur les facteurs de risques, à dépister et traiter précocement les pathologies invalidantes, à réduire et limiter les déficiences et incapacités dues à ces pathologies. Mais elle a aussi pour but de lever les obstacles que l’environnement met à la participation des personnes handicapées afin qu’un sur-handicap dû à la société ne se surajoute pas aux limitations fonctionnelles.
Face à ce champ large, l’Onfrih a construit son analyse de l’offre de prévention en croisant une approche par les âges de la vie avec quelques grandes problématiques. Quatre thèmes ont ainsi été traités : la santé (quel que soit l’âge), l’éducation, le travail et le vieillissement des personnes handicapées.
Les préconisations faites pour améliorer la prévention du handicap dans ces quatre domaines sont spécifiques à chacun. Elles se répartissent entre quatre objectifs transversaux :
• améliorer les systèmes d’information et d’évaluation. Outre la préconisation générale de saisine du Cnis, des préconisations ciblées visent à améliorer la connaissance dans les quatre domaines cités. Ainsi, en matière d’emploi des personnes handicapées, une amélioration du système statistique est nécessaire ainsi que la production d’études et de recherches pour expliciter les freins à l’emploi ;
• mieux organiser la coordination de l’offre de ressources et services. Il s’agit, dans les différents domaines, d’améliorer l’articulation des acteurs, structures et dispositifs. Par exemple, pour la santé, il faudrait rendre plus performante la chaîne « repérage, diagnostic, prise en charge, suivi » et fonctionner plus dans une logique de réseaux pour l’accès aux soins ;
• améliorer la formation et l’information des professionnels, des personnes handicapées et de leurs proches. Les préconisations en la matière complètent et précisent, pour les domaines étudiés, celles qui ont été présentées précédemment sur le thème formation ;
• améliorer les pratiques. La recommandation générale, déclinée dans chaque domaine, est que les pratiques prennent mieux en compte les besoins et veillent à prévenir le sur-handicap.

Prise en compte des analyses et préconisations de l’Onfrih

Cette prise en compte est en cours chez certains acteurs, qui le reconnaissent explicitement. Elle apparaît dans les programmes, les appels d’offres de plusieurs organismes de recherche, ainsi que dans la mise en place de dispositifs de formation, en particulier dans certaines universités.
En ce qui concerne l’action de l’État, la Conférence nationale du handicap du 8 juin 2011 marque une étape importante. Les orientations de la politique du handicap annoncées lors de cette Conférence couvrent un vaste champ, bien plus large que les domaines de compétences de l’Onfrih. Mais, pour ces domaines, plusieurs orientations vont dans le sens des préconisations formulées dans le rapport triennal de l’Onfrih, qui a constitué l’un des documents préparatoires à la Conférence.
Ainsi, l’un des cinq groupes de mesures annoncées dans le dossier de presse de la Conférence s’intitule « Faire du handicap un des axes stratégiques de la recherche en France ». Cette annonce, fondamentale pour la recherche sur le handicap, rassemble huit mesures qui sont issues des préconisations de l’Onfrih ou se réfèrent directement à cette instance :
• organiser avant fin 2011 une rencontre scientifique à forte visibilité sur la recherche sur le handicap ;
• développer une base de données recensant les appels à projets et travaux en cours, ainsi que les travaux et publications existants ;
• mettre en place un réseau coordonné des chaires consacrées au handicap ;
• permettre aux associations de participer à la réflexion sur la recherche, afin d’encourager l’expression des besoins des personnes handicapées et de rapprocher communauté scientifique et société ;
• prendre en compte le handicap dans la réactualisation de la stratégie nationale de recherche et d’innovation ;
• amplifier le potentiel de recherche et d’innovation dans le domaine du handicap en consolidant la coordination nationale des acteurs via les alliances thématiques de recherche, et assurer une plus grande visibilité de la programmation scientifique ;
• revoir le positionnement de l’Onfrih afin d’améliorer la visibilité et l’opérationnalité de ses travaux ;
• confier à l’Onfrih un travail d’étude sur les activités de transferts de la recherche vers les innovations sociales, les pratiques professionnelles, les produits industriels.
Les quatre autres groupes de mesures annoncées lors de la Conférence nationale du handicap concernent, respectivement, l’accès des personnes handicapées à l’éducation et à la formation, leur accès au travail, l’accessibilité de la société, la réponse aux besoins des plus fragiles. Parmi les mesures énumérées, aucune ne renvoie explicitement aux préconisations formulées par l’Onfrih dans les domaines de la formation et de la prévention. Cependant, plusieurs de ces mesures vont dans le sens des propositions de l’Onfrih dans ces deux domaines.
Pour l’Onfrih lui-même, les constats et préconisations élaborés au cours de son premier mandat fournissent une grille de référence pour ses travaux à venir.

Jean-Louis Faure

Président du Conseil d’orientation de l’Onfrih 2007-2011

Centre de ressources expérimental pour les enfants et les adultes sourdaveugles et sourds-malvoyants (Cresam)1

Le Centre de ressources expérimental pour les enfants et les adultes sourdaveugles et sourds-malvoyants (Cresam ) a été créé à titre expérimental en 1998 puis pérennisé en juillet 2010 (JORF) pour 15 ans.
La surdicécité a été définie officiellement comme « l’association d’une déficience auditive grave et d’une déficience visuelle » (Arrêté JO n° 186 du 12 août 2000), et cette définition est encore en cours à ce jour.
La surdicécité relève maintenant du Schéma national d’organisation sociale et médico-sociale pour les handicaps rares préparé par la CNSA pour 4 ans (2009-2013). Les handicaps rares sont définis comme des handicaps « dont le taux de prévalence n’est pas supérieur à un cas pour 10 000 habitants » (estimation statistique surdicécité 4 500 à 6 000 habitants), confrontés à des besoins « complexes et spécifiques » « qui ne sont pas l’addition des connaissances propres à chaque type de déficience principale auxquels les schémas départementaux s’adressent en priorité ».

Les surdicécités

Surdicécité primaire

Les personnes naissent avec la double atteinte visuelle et auditive.
Dans ce cas, le développement de l’enfant est extrêmement perturbé par l’absence totale ou partielle des sens à distance. La difficulté pour l’entourage de l’enfant consiste à soutenir les fonctions essentielles au développement (communication, motricité, affectivité) en s’appuyant sur les canaux sensoriels valides ou en soutenant l’instrumentation des possibilités résiduelles des sens à distance.
Sur le plan pédagogique, les enfants qui deviennent sourdaveugles avant l’âge de la parole (par exemple l’Américaine Helen Keller) peuvent, par certains aspects, être regroupés avec cette catégorie.

Surdicécité secondaire type A

Les personnes sont nées sourdes et deviennent aveugles.
Contrairement aux personnes sourdaveugles de naissance, elles ont pu construire dans des délais normaux les fonctions communicatives et langagières (souvent LSF). Le problème fondamental pour elles n’est pas l’acquisition de ces capacités, mais leur préservation quand survient le double handicap, au prix d’adaptations instrumentales (technique de locomotion…) et d’un travail psychologique de recomposition identitaire.

Surdicécité secondaire type B

Les personnes sont nées aveugles et deviennent sourdes.
Cette situation est moins fréquente que les précédentes. Leur principale difficulté est l’impossibilité de percevoir la parole de leurs interlocuteurs de façon normale. Ils choisissent la plupart du temps des aides techniques susceptibles de favoriser la perception du langage. Toutefois, la détérioration de l’audition est pour ces personnes la source de souffrances qui peuvent perturber gravement l’équilibre psychologique et les repères identitaires.

Surdicécité secondaire type C

Les personnes naissent sans atteinte visuelle ou auditive mais deviennent ultérieurement sourdaveugles.
Il s’agit de personnes qui perdent simultanément l’audition et la vision suite à un traumatisme ou à une maladie. C’est tout le système d’accès aux événements du monde extérieur et au langage qui est perturbé, ce qui exige des apprentissages nouveaux dans des domaines tels que les déplacements, les activités de la vie quotidienne ou les modes de perception du langage écrit ou parlé.

Surdicécité tardive de type A

Les personnes deviennent tardivement sourdaveugles.
C’est le cas de personnes sourdes avec atteinte auditive congénitale ou acquise puis atteinte visuelle liée à l’avancée en âge (DMLA par exemple). Cette évolution s’inscrit dans un processus général qui peut affecter d’autres fonctions.

Surdicécité tardive de type B

Les personnes deviennent tardivement sourdaveugles.
Il s’agit de personnes aveugles avec atteinte congénitale ou acquise puis atteinte auditive liée à l’âge (exemple presbyacousie). Cette évolution s’inscrit aussi dans un processus général qui peut affecter d’autres fonctions.

Surdicécité tardive de type C

Les personnes deviennent tardivement sourdaveugles.
Il peut aussi s’agir de personnes sans aucune atteinte visuelle ou auditive mais dont la détérioration grave et tardive des systèmes sensoriels est due au vieillissement.
Les surdicécités tardives, bien que statistiquement importantes, ont peu fait l’objet de programmes de prise en charge systématique.
Il s’agit d’un nouveau domaine de recherche en santé publique dont l’importance est d’autant plus grande que l’espérance de vie ne cesse d’augmenter.

Différentes situations de surdicécité (Référentiel préparé par Cresam et Orphanet en 2010)

Situations de surdicécité
Caractéristiques
Surdicécité primaire
Double atteinte sensorielle à la naissance ou dans les premiers mois de la vie (période pré-linguale)
Surdicécité secondaire de type A
Atteinte auditive à la naissance ou dans les premiers mois puis atteinte visuelle ultérieure
Surdicécité secondaire de type B
Atteinte visuelle à la naissance ou dans les premiers mois puis atteinte auditive ultérieure
Surdicécité secondaire C
Aucune atteinte à la naissance ou dans les premiers mois mais double handicap sensoriel ultérieur
Surdicécité tertiaire de type A
Atteinte auditive congénitale ou acquise puis atteinte visuelle liée à l’avancée en âge
Surdicécité de type B
Atteinte visuelle congénitale ou acquise puis atteinte auditive liée à l’avancée en âge
Surdicécité de type C
Aucune atteinte à la naissance ou dans les premiers mois mais survenue tardive du double handicap lié au vieillissement

Les principales causes de la surdicécité

Il existe une centaine de causes répertoriées dont des cas où l’étiologie est mal établie, incertaine voire inconnue (nous estimons à 20 % ces causes incertaines ou inconnues).
Si on prend en compte le vieillissement, la dégénérescence maculaire liée à l’âge plus la presbyacousie surajoutée (DMLA + presbyacousie ou bien presbyacousie + DMLA), il s’agit vraisemblablement de la cause majeure, numériquement.
Le syndrome de Usher (maladie rare d’origine génétique) sous ses différents types et formes connus, I, II, III, est aujourd’hui la cause principale, après la DMLA ajoutée à la presbyacousie.
Le syndrome Charge et la rubéole congénitale (maladie virale dans les premiers mois de la grossesse) sont des causes fréquentes (la rubéole est devenue rare mais il reste que les enfants des années 1960 et 1970 sont des adultes sourdaveugles aujourd’hui).
Il existe une multitude d’autres causes et de combinaisons : prématurité, méningite, syndrome de Refsum, de Norrie, cytomégalovirus, trisomie 13, hydrocéphalie, microcéphalie, Sida, herpès, toxoplasmose, encéphalite, traumatisme crânien, neurofibromatoses, méningites, accident vasculaire cérébral…
Les éducateurs sont donc confrontés à la multiplication des causes, certaines méconnues ou incertaines, le faible nombre de cas pour chacune d’entre elles et la multiplicité des atteintes qui presque toujours s’ajoutent à la surdicécité proprement dite. Cette complexité impose une grande souplesse dans les approches éducatives, réduit considérablement les possibilités de repérer rapidement les constantes comportementales et rend difficile les prévisions et les pronostics.
Concernant les prévalences, selon les périmètres retenus et les critères, l’estimation la plus restrictive du nombre de personnes sourdaveugles est de 4,5/100 000 et la plus élevée de 11/100 000.
Dans l’estimation la plus élevée, la moitié serait des personnes âgées (en général des personnes devenues sourdaveugles tardivement).
Dans l’autre moitié, la proportion des sourdaveugles de naissance s’élèverait à 15 % et celle des personnes devenues sourdaveugles serait de 35 %.
En France en 2010, on compterait entre 4 500 et 6 500 personnes sourdaveugles.

Principes et méthodes d’intervention du Cresam

Fonctionnement du Cresam

Une demande peut émaner directement de la personne en situation de handicap, de sa famille ou d’un professionnel. Le Cresam réalise une évaluation personnalisée et ajustée de la situation, des besoins, des restrictions, des capacités. Un suivi du dossier et du parcours ainsi que des ré-interpellations est réalisé dans la durée. Des actions d’ensemble sont menées dans le domaine du conseil à l’accompagnement ou à l’évaluation, de la formation, de l’information, de la documentation, la mise en place ou le soutien aux réseaux d’intervenants.
Le centre comporte une équipe pluridisciplinaire de 10,50 équivalents temps pleins, (environ 20 experts) mobiles et conduit une action partenariale territorialisée sur 5 grands territoires interrégionaux, et ouverte à l’international.

Population

Les bénéficiaires actuels sont les enfants et adultes sourdaveugles, sourds-malvoyants et aveugles malentendants, leur entourage professionnel et familial.
On observe une rareté des situations, des experts du domaine et des services spécialisés mais aussi une extrême diversité des profils, des combinaisons complexes.
Les figures 1 à 4 donnent les caractéristiques de la population concernée par l’action du Cresam.
Figure 1 Répartition par âge des personnes concernées par l’action du Cresam. Comparaison des données nationales du Cresam et des données d’une inter-région (grand ouest)
Figure 2 Répartition par type de handicap (acquis ou congénital) des personnes concernées par l’action du Cresam
Figure 3 Répartition par établissement spécialisé des enfants concernés par l’action du Cresam
Figure 4 Répartition par établissement spécialisé des adultes concernés par l’action du Cresam

Évolution de l’activité

Le Cresam a enregistré 75 nouveaux cas en 2010 et entre 40 et 80 nouveaux cas chaque année depuis 1998.
Les nouveaux publics sont les sourds adultes avec handicaps associés, les personnes âgées avec double déficience sensorielle.
Différentes questions se posent actuellement pour le Cresam, notamment concernant la coopération sanitaire et sociale, la prise en charge des personnes âgées devenues sourdaveugles, et l’équilibre à trouver entre services de proximité et niveau d’expertise suffisant.
Un travail de coopération avec les MDPH est nécessaire.

Besoins prioritaires des personnes

Les possibilités de communiquer, l’accès à l’information, l’autonomie dans la mobilité, l’accessibilité aux ressources sont fortement entravés. Exprimer et faire reconnaître ses besoins, exercer ses droits sociaux sont des démarches très restreintes et très ardues.
La surdicécité est un handicap rare et peu connu. L’exercice des droits et le pouvoir d’agir des personnes sourdaveugles sont des préoccupations majeures à la fois des personnes et du Cresam.

Valeurs du Cresam et choix d’action

Les actions prioritaires du Cresam vis-à-vis des personnes sont de :
• renforcer les capacités des personnes à communiquer dans leur milieu et entre eux ;
• compenser les limitations à la mobilité et aux déplacements ;
• faire connaître et reconnaître la surdicécité, le haut niveau de soutien nécessaire aux personnes sourdaveugles ;
• soutenir les réunions de personnes sourdaveugles, leurs activités de groupe (sessions rencontres…) ;
• appuyer la pair-émulation, l’accès et l’exercice des droits, la promotion de leur parole sociale, la vie associative.
D’une façon générale, le Cresam se donne comme objectifs :
• d’agir en réponse aux demandes du terrain ;
• d’accueillir, étudier et analyser les besoins singuliers de la personne en situation de handicap rare et complexe ;
• une ouverture aux évolutions et à l’innovation ;
• un socle traditionnel et d’attention aux nouvelles demandes, aux nouveaux besoins, aux nouveaux métiers de l’intervention médico-sociale ;
• une « pédagogie du doute », « une morale de l’inconfort » ;
• une expertise fondée sur les capacités dans l’agir et la confiance dans le potentiel constructif propre à chacun ;
• produire des savoir-faire, socialisables, partageables, tout autant que des connaissances savantes ;
• un métier artisanal parce qu’il promeut le sur-mesure plutôt que le préfabriqué/prêt-à-porter ;
• pour autant, l’expérience praticienne doit nécessairement être analysée, contextualisée et mise en perspective, en vue d’être formalisée et partageable, ce qui nécessite du temps.

Perspectives

Les perspectives d’actions du Cresam sont les suivantes :
• renforcement de la formation continue de l’équipe du centre (master, formation de formateurs, méthodologie de recherche-action…) et de la formation des personnels sur site ;
• appui à la recherche dans le cadre du Groupement national des Centres de ressources handicaps rares, partenariat avec Orphanet, organisation de colloques nationaux et de journées d’études régionales, participation à des programmes de recherche (Reach 112, canne électronique), diagnostic territorial des ressources handicaps rares, projet avec le Québec… ;
• contribution à l’harmonisation des bases de données statistiques des Centres de ressources ;
• développement de la documentation (permanence téléphonique d’information et d’orientation, centre de documentation…) ;
• participation au Groupement des centres nationaux de ressources (répartition des fonctions…).

Serge Bernard

Directeur du Cresam, Saint-Benoit

Rencontre-débat autour de l’expertise collective Inserm « Handicaps rares » du 6 avril 20111

Présentation

Souhaitant la bienvenue aux participants, Marie-Christine Lecomte, responsable du Centre d’expertise collective de l’Inserm, indique que l’Inserm souhaite bénéficier de l’expérience des associations, acteurs de terrain, professionnels et scientifiques afin de mieux appréhender l’expertise collective portant sur les handicaps rares, demandée à l’Inserm par la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) .

La question du handicap rare dans la recherche à l’Inserm

Dominique Vuillaume, Secrétaire général de l’Itmo (Institut thématique multi-organismes) Santé publique, rappelle que les instituts thématiques ont deux missions essentielles :
• coordonner les efforts de recherche dans leur domaine d’intervention et étoffer le potentiel de recherche là où il existe un déficit entre les moyens dédiés à la recherche et les questions médicales, sociales ou médico-sociales qui se posent ;
• accélérer le transfert des connaissances acquises en direction de la société civile, notamment par le biais des procédures d’expertise collective.
Un déficit important de recherche a été identifié dans le champ des incapacités et du handicap. Jusqu’en 2010, l’Institut fédératif de recherche sur le handicap fédérait des équipes de recherche en réseau dans une logique pluridisciplinaire (sciences de l’ingénieur, sciences biomédicales, sciences humaines et sociales). Cet Institut est devenu en 2011 un Groupement de formations de recherche, ce qui permettra d’élargir ses sources de financement.

Pourquoi une expertise collective Inserm sur les handicaps rares ?

Rappelant la genèse des Centres de ressources nationaux en matière de handicaps rares, Evelyne Sylvain, de la CNSA, explique que l’objectif était de développer une expertise afin de mieux connaître les difficultés rencontrées par les personnes atteintes de handicaps rares et mieux répondre à ces situations, réparties en petit nombre sur le territoire national.
Le principe d’un Schéma national pour les handicaps rares a été affirmé par la loi de 2002 et confirmé par la loi du 11 février 2005 afin de se préoccuper de l’organisation des réponses aux situations de handicap. Elle a confié cette mission à la CNSA, qui a précisé le cadre de référence dans lequel devait s’inscrire l’élaboration du schéma national et quels devaient être ses objectifs.
Au-delà du diagnostic médical, la question porte sur les conséquences du handicap sur l’activité des personnes de même que sur l’accompagnement qu’il requiert. Il s’agit également, du fait du petit nombre de situations rencontrées, de tenir compte du risque qui existe en termes de détection précoce et d’éviction des systèmes de droit commun.
L’un des principaux objectifs du Schéma national est donc d’accroître les compétences collectives au plan national, ce qui suppose d’améliorer la connaissance des handicaps rares. In fine, l’objectif est d’aider les professionnels à répondre aux attentes des personnes et de leur famille.

La mission Inserm-associations de patients

Rappelant que la mission Inserm-associations de patients a été créée en 2004, Dominique Donnet-Kamel explique que cette mission a pour rôle de :
• développer un dialogue et un partenariat entre le monde de la recherche et celui des associations (associations de malades, associations de personnes handicapées, associations de familles) ;
• rendre opérationnelles les recommandations du Gram et la politique de l’Inserm.
Le Gram (Groupe de réflexion avec les associations), placé auprès du Président de l’Inserm, conseille ce dernier sur les orientations à prendre pour développer ce partenariat et assure un suivi des actions menées. Celles-ci se divisent en quatre catégories :
• la participation des associations à la vie de l’Inserm (cadre dans lequel s’inscrit la présente rencontre) ;
• l’entretien d’un dialogue avec les associations de malades autour des protocoles de recherche clinique ;
• des actions de formation à destination des associations ;
• la communication, autour de rencontres-débats et de dialogues.
La mission fédère 380 associations de malades, dont près d’un quart d’associations de personnes handicapées.

L’expertise collective à l’Inserm

Marie-Christine Lecomte rappelle que l’expertise collective Inserm a pour objectif d’apporter un éclairage scientifique sur les grandes thématiques de santé publique. Mise en place en 1993, cette procédure a été mise en œuvre sur près de 80 thèmes. L’expertise collective doit répondre aux besoins des partenaires du domaine de la santé publique en proposant un état des lieux des connaissances scientifiques dans le champ exploré afin d’alimenter un processus décisionnel.
Après la délimitation de la question à traiter (définitions, représentations, prévalence des handicaps rares) qui a déjà été effectuée, il s’agit maintenant d’établir le programme scientifique et de constituer le fonds documentaire à partir duquel l’expertise collective sera mise en œuvre.
La troisième étape consistera à composer un groupe d’experts, lequel se réunira pendant une dizaine de séances afin que chacun propose son analyse de la documentation qui lui aura été remise. Le rapport final est ensuite rédigé et restitué au commanditaire, à la suite de quoi ses résultats sont diffusés.

L’expérience des Centres de ressources sur les handicaps rares

L’expérience du Centre médico-éducatif La Pépinière

Dominique Mathon, du Centre médico-éducatif La Pépinière, indique que celui-ci accueille en grande majorité des enfants de 0 à 6 ans (les adultes représentant 20 % du public fréquentant le Centre). Ces personnes présentent toutes une déficience sensorielle avec le plus souvent deux à trois déficiences associées :
• une déficience intellectuelle moyenne à profonde ;
• des troubles de la relation (jusqu’à des troubles envahissants du développement) ;
• des déficiences associées telles que des troubles du comportement ou des déficiences motrices.
Une première difficulté porte sur le repérage de ces personnes, dont la pathologie n’est souvent détectée que vers l’âge de 5 ou 6 ans. Il existe une grande variabilité des situations rencontrées et des réponses apportées. Les partenaires du centre sont principalement des services de PMI, des médecins pédiatres, l’école maternelle ainsi que des intervenants du secteur médico-social.
Outre les difficultés de catégorisation de la population que le Centre accompagne, Dominique Mathon souligne la nécessité d’outils d’évaluation communs en matière de handicaps rares, afin de s’assurer que cette notion renvoie à un contenu homogène. Elle plaide également pour une approche globale tenant compte de toutes les interactions susceptibles d’exister entre différentes déficiences associées. Une telle approche fait défaut aujourd’hui.

L’expérience du Cresam

Serge Bernard, du Cresam (Centre de ressources sur le handicap rare), indique que la surdicécité constitue un handicap unique qui isole la personne. Il résulte de la combinaison de la perte ou de la réduction de l’ouïe et de la vision avec des impacts très significatifs dans trois domaines :
• la communication ;
• la socialisation ;
• la mobilité et la vie journalière.
Les impacts de la surdicécité varient considérablement suivant que les personnes sont nées sourdaveugles ou le sont devenues. Les réponses à apporter à la surdicécité varient considérablement, en termes d’évaluation, de diagnostic, de prise en charge et d’accompagnement en fonction du moment auquel survient la surdicécité. Sept types de surdicécités sont actuellement distingués, appelant des réponses très différentes. Le Centre suit environ 700 dossiers. Quatre vingt nouveaux cas ont été recensés en 2010.
Parmi les principales causes de la surdicécité figurent le syndrome de Usher (type I et type II) et le syndrome Charge. Soixante quinze autres causes de surdicécité sont répertoriées par le Cresam. Serge Bernard insiste sur la grande souplesse des approches éducatives requises par la diversité des combinaisons de déficiences. En outre, cette multiplicité des situations rencontrées réduit les possibilités de détection précoce et de formulation de tout pronostic d’évolution des situations. Il est à noter que 45 % des adultes souffrant de surdicécité ne sont suivis par aucun centre social ou médico-social.

L’expérience du Centre de ressources expérimental Robert Laplane

Jeanne Cousin, du Centre de ressources expérimental Robert Laplane, indique que le public du Centre Robert Laplane est constitué principalement de deux catégories :
• des enfants et adolescents sourds présentant des déficiences associées ;
• des enfants atteints d’un trouble complexe de langage avec des déficiences associées.
Le Centre a reçu 1 256 demandes depuis son ouverture, concernant 882 enfants sourds et 374 enfants présentant un trouble complexe de langage. Il existe une problématique commune à ces deux catégories d’enfants : les difficultés d’accès au langage que présentent quasiment tous les enfants accueillis par le Centre, avec ou sans surdité.
Parmi les enfants sourds, certains présentent une surdité due à un syndrome connu ou à une pathologie repérée (syndrome Charge, séquelles de prématurité…). La difficulté sera alors de placer, face à ces situations, des compétences spécifiques et adaptées. D’autres enfants présentent des troubles complexes du langage qui ne peuvent être assimilés à une dysphasie (laquelle est d’ailleurs définie par exclusion). Ces différentes catégories de publics présentent néanmoins une problématique commune : chaque cas demande une expertise particulière, du diagnostic à la remédiation et au-delà du diagnostic, il est nécessaire de repérer s’il s’agit bien d’un handicap rare.
Depuis peu, le Centre accueille également des adultes sourds présentant des déficiences associées. Ce public impose une approche très différente de celle mise en œuvre par le Centre vis-à-vis des enfants : il s’agit plutôt de répondre à la souffrance psychique, à une perte d’autonomie accentuée et à l’isolement social ou communicationnel.

Table ronde

Rappelant que le polyhandicap se caractérise par des atteintes mentales et motrices associées, Henri Faivre, du Clapeaha, souligne que les situations de handicap rare se distinguent par la spécificité de l’approche qu’elles requièrent ainsi que par la rareté des équipes ou des plateaux techniques nécessaires. Or si le secteur des maladies rares a bénéficié de moyens importants en recherche fondamentale, un hiatus se fait jour avec la recherche appliquée, où les ressources sont beaucoup plus maigres et disséminées. Reprenant les besoins répertoriés par Hillary Brown, Henri Faivre rappelle que s’il existe un besoin de soins (cure) en matière de handicaps rares, le volet médical stricto sensu qui leur est appliqué est faible. Les besoins sont beaucoup plus importants en termes d’aide humaine (care). Les aides techniques occupent également une place considérable compte tenu du rôle qu’elles peuvent jouer en matière de communication.
Il existe un besoin d’aide psychologique en raison d’un nombre croissant de cas de décompensation, de violences et de suicides. Henri Faivre souligne enfin le besoin de donner aux personnes malades les moyens de faire (empowerment) plutôt que de faire à leur place.
Marie-Christine Lecomte propose que le groupe débatte de la définition des handicaps rares.
Françoise Thomas-Vialettes, de l’association Effape Epilepsies Sévères, souligne que chaque famille se considère comme un cas rare tant qu’elle n’a pas identifié un autre cas du même type. L’épilepsie sévère est vécue comme un handicap rare y compris en l’absence de déficiences associées.
Christelle Nourissier, de l’association Eurordis (Fédération européenne d’associations de malades), considère que la liste des handicaps rares proposée par l’arrêté du 2 août 2000 est « extraordinairement restrictive ».
Serge Bernard estime qu’il est bien difficile de déterminer à partir de quel moment une personne sourde avec handicap associé appartient à la catégorie des handicaps rares. Il se demande également si l’on ne confond pas, parfois, des troubles cognitifs avec une difficulté d’adaptation ou de relation à l’environnement. Il juge en tout cas nécessaire de se demander systématiquement si les troubles du comportement sont structurels ou réactionnels.
Henri Faivre rappelle qu’à la fin des années 1960, lorsque le problème des handicaps associés s’est posé, une recherche épidémiologique a été entreprise par le CTN (Centre technique national) et par l’Inserm. Quarante ans plus tard, cette recherche a très peu progressé et force est de constater que l’épidémiologie « patine ». Une définition a été proposée, distinguant deux grandes familles de troubles associant plusieurs handicaps :
• le polyhandicap, dans lequel un handicap moteur et un handicap mental sont réunis ;
• le plurihandicap, décrivant la situation dans laquelle une personne atteinte d’un handicap acquiert, par accident ou en raison d’autres circonstances, un handicap d’une autre nature.
Il n’existe donc finalement aucune définition qui soit à la fois pertinente et acceptée par une majorité d’acteurs.
Jean-Louis Faure, Président de l’Onfrih, estime qu’il appartient à l’Inserm de préciser les concepts à prendre en compte dans la première étape de l’expertise collective. À l’évidence, plusieurs dimensions sont à prendre en compte :
• l’association de déficiences et la complexité qui en résulte ;
• la notion de prévalence ;
• la distinction du handicap et de la maladie ;
• la distinction de différents niveaux de probabilité que des combinaisons de déficiences ont de se produire (ce qui renvoie à la diversité des causes qui peuvent en être à l’origine).
Marie-Christine Lecomte souligne qu’une des difficultés à résoudre consiste à accéder à la littérature grise qui existe en matière de handicaps rares, en France et à l’étranger.
Christelle Nourissier signale qu’au-delà des associations de terrains, qui produisent des ressources, deux Centres de références en matière de handicaps rares disposent d’une expertise qu’il serait utile de solliciter. Des travaux sont également en cours au plan européen. La Direction Générale de la Santé de la Commission européenne a en effet accepté de financer un projet qui a pour objectif de travailler sur l’intégration des personnes atteintes de maladies rares dans les services sociaux. Il s’agira notamment d’élaborer un guide de bonnes pratiques visant à permettre aux personnes de maximiser leur autonomie. Plusieurs pays (Pays-Bas, Danemark, Norvège, Roumanie…) ont déjà accepté de participer au projet. La participation de la France est souhaitée.
Serge Bernard rappelle qu’il existe plusieurs formes de langage. Il suggère d’expertiser ce que les sourdaveugles ont produit, notamment au travers d’écrits et de productions vidéo.
Françoise Thomas-Vialettes indique que l’épilepsie constitue un handicap présentant des épisodes paroxystiques dont l’impact sur la vie de la personne doit être pris en compte. Cette prise en compte est effectuée par les établissements spécialisés mais, en dehors de ces établissements, les outils manquent pour effectuer cette évaluation.
Christelle Nourissier observe que les équipes des MDPH se concentrent sur un seul aspect du handicap (celui qui est le plus évident). Il est donc essentiel qu’elles puissent travailler en lien étroit avec un centre expert, faute de quoi leur évaluation sera mauvaise et leur prise en charge inadaptée.
En ce qui concerne la maladie de Huntington et les maladies dégénératives, Roger Picard souligne qu’il manque surtout une prise en compte de l’évolution de la maladie. Dans le cas de la maladie de Huntington, par exemple, la situation évolue grandement chaque année. Une évaluation tous les cinq à sept ans est donc très insuffisante.
Annie Riviere (Aparsha France) observe que l’expertise existant en France est relativement concentrée alors que les situations sont disséminées sur l’ensemble du territoire. Tant que les MDPH ne devront pas recourir à une expertise, elles seront nombreuses à ne pas identifier la nécessité de le faire.
Dominique Mathon constate que certaines évaluations de handicaps, chez des enfants ou des adultes, sont totalement erronées. Ce constat la conduit à plaider pour un apprentissage de la culture du doute parmi les professionnels.
Serge Bernard souligne que le diagnostic fonctionnel doit repérer les compétences de la personne et non seulement ses déficiences car le projet éducatif et social s’appuiera nécessairement sur les compétences de la personne. C’est un des aspects sur lesquels les Centres de ressources peuvent jouer un rôle complémentaire à celui des centres où un diagnostic médical est effectué.
Jeanne Cousin note que les outils actuels d’évaluation des compétences des enfants ne sont pas adaptés aux enfants sourds, notamment en cas de troubles du langage ou de handicap associé. Seul le recours à des experts permet, dans de tels cas, d’identifier le niveau d’efficience de l’enfant.
Catherine Barral (Maison des sciences sociales du handicap) estime que le diagnostic fonctionnel ne doit pas être opposé au diagnostic médical : l’objectif est plutôt de déterminer comment les ressources fonctionnelles peuvent contribuer à « compenser » les handicaps repérés. Les catégories proposées par la Classification internationale du handicap peuvent être opératoires de ce point de vue.
Jean-Louis Faure (Onfrih) observe qu’il existe des phénomènes de compensation au travers desquels les personnes développent des compétences en substitution des déficiences dont elles sont victimes.
Le diagnostic des compétences doit donc être global et ne peut se résumer à l’addition des absences de compétences résultant des déficiences identifiées.
Serge Bernard met l’accent sur la nécessaire coordination des services de diagnostic avec l’unité d’accueil ou de soins pour personnes sourdes : c’est dans ces conditions que la personne malvoyante sera psychologiquement rassurée. Or, les conditions d’évaluation jouent beaucoup sur le résultat de l’évaluation et sur le diagnostic.
Françoise Thomas-Vialettes évoque une dimension supplémentaire : ce que la personne sait faire mais n’a pas le droit de faire dans la mesure où elle se mettrait en danger ou mettrait en danger autrui. Il s’agit d’un sur-handicap qui crée des troubles du comportement, voire des dépressions. Or, cet aspect n’est pas du tout évalué.
Christelle Nourissier partage cette analyse.
Bernard Azema plaide pour une « clinique des capacités et des incapacités », qui inclurait le soin mais aussi la dimension sociale et médico-sociale de la prise en charge. Cela suppose d’évaluer de façon globale la situation d’une personne. Bernard Azema propose, à cet égard, de se référer à la classification dite de Wood (CIH), qu’il préfère à la classification établie par l’OMS. La classification de Wood présente notamment l’intérêt d’inclure la dimension du désavantage : il s’agit de se demander en quoi la combinaison de déficiences ou les spécificités d’une maladie rare créent, pour la personne, un « désavantage social ». Bernard Azema constate aussi que chaque expert intervenant dans un champ relativement étroit, la personne se trouve exclue des différents champs existants, d’expertise en expertise, ce qui aboutit finalement à la nécessité d’un plan pour la prise en charge des handicaps rares.
Annie Moissin (Solidarité Handicap autour des maladies rares) se dit inquiète par la proportion de personnes atteintes de handicaps rares qui ne sont pas accueillies dans un établissement spécifique.
Henri Faivre observe qu’il existe par ailleurs un manque évident de prise en compte des besoins des aidants. C’est d’ailleurs ce qui conduit une part significative de personnes atteintes de handicaps rares à préférer le suivi par un Samsah ou des services à domicile (parfois sous-équipés ou insuffisamment formés) à un accueil en établissement spécialisé. Les aidants ont besoin d’un étayage, qu’il s’agisse d’une formation, d’une aide ponctuelle ou d’une assistance.
Bernard Azema fait part de la même opinion. Les aidants supportent un fardeau psychologique et physique dans les situations les plus complexes, ce qui plaide pour le développement des efforts de formation et d’information dans leur direction.
Serge Bernard note qu’outre les aidants, il est nécessaire de former :
• les familles agréées par l’aide sociale à l’enfance ;
• les travailleurs à domicile et travailleurs familiaux ;
• des personnes sourdes pouvant travailler au domicile d’autres personnes sourdes.
Il convient aussi de développer les notions d’entraide et de « pair-émulation ». Cet inventaire rappelle la diversité des vecteurs par lesquels une aide ou une prise en charge peut être apportée au bénéfice des personnes atteintes de handicaps rares. La question ne se résume donc pas à une alternative entre le suivi en établissement ou hors de tout établissement.
Jean-Louis Faure estime nécessaire de distinguer les attentes des aidants et celles des professionnels en matière de formation, afin de ne pas favoriser une confusion des rôles.
Rappelant que la notion de handicap rare ne figure pas dans la littérature en tant que telle, Juliette Bloch (CNSA) se demande si l’expertise collective pourra faire l’économie d’une segmentation de différents types de handicaps rares et adopter une approche transversale qui transcende toutes les situations pouvant être rencontrées.
Henri Faivre constate que de nombreux problèmes se posent de façon transversale. À titre d’illustration, certaines personnes sont capables de définir elles-mêmes leurs désirs et leurs souhaits tandis que d’autres, malheureusement plus nombreuses, ont besoin d’une assistance de tous les instants.
Fabienne Bonnin (Centre d’expertise collective Inserm) indique que la notion de handicap rare n’existant pas en anglais, il est indispensable d’aborder le sujet à partir de types de difficultés, en croisant différents mots-clés.
Christelle Nourissier juge indispensable, pour l’expertise collective, d’établir des liens avec le travail de regroupement des maladies qui est en préparation dans le cadre du Plan national « maladies rares » : celles-ci seront regroupées en une vingtaine de familles en fonction des besoins de prise en charge qu’elles génèrent.
Catherine Barral signale qu’Orphanet a déjà défini les catégories de la classification de l’OMS pouvant être utilisées pour parvenir à établir des diagnostics fonctionnels pour chaque type de situation. Or, cet outil peut s’appliquer à d’autres handicaps rares même s’ils ne découlent pas d’une maladie rare. Orphanet proposera ensuite à des médecins et à des associations de valider la sélection des catégories de la classification.
Interrogée comme les autres participants sur l’apport potentiel de la recherche, Christelle Nourissier souhaite que l’expertise collective apporte une pierre à l’édifice, notamment dans le domaine de la qualité de vie.
Bernard Azema souhaite que l’expertise collective permette de faire un premier pas vers une approche scientifique des situations complexes. Le défi est de même nature que celui qui s’est posé en matière d’autisme au moment où le « socle de connaissances scientifiques » a été publié par la Haute Autorité de Santé (avec la contribution de l’Inserm).
Serge Bernard juge indispensable que les chercheurs des sciences du langage et de la communication ne soient pas oubliés dans ce volet portant sur la recherche.
Jean-Louis Faure indique qu’au-delà d’un état des lieux des connaissances scientifiques, l’expertise collective peut faire le point sur le degré de certitude qui existe sur différents aspects des travaux de recherche.
Jeanne Cousin estime que l’expertise collective pourrait contribuer, sur le plan de la recherche, à la progression vers une révision de la catégorisation des troubles du langage chez l’enfant sourd.

Ont participé à la rencontre

Bernard Azema, Creai Languedoc-Roussillon ; Catherine Barral, Maison des sciences sociales du handicap ; Serge Bernard, Cresam ; Yvonne Bertrand, Maison des sciences sociales du handicap ; Juliette Bloch, CNSA ; Fabienne Bonnin, Centre d’expertise Inserm ; Jeanne Cousin, Centre de ressources expérimental Robert Laplane ; Dominique Donnet-Kamel, mission Inserm-associations ; Henri Faivre, Clapeaha ; Jean-Louis Faure, Onfrih ; Chantal Grellier, Centre d’expertise Inserm ; Marie-Christine Lecomte, Centre d’expertise Inserm ; Dominique Mathon, Centre médico-éducatif La Pépinière ; Jean-Pierre Moindreau, Aparsha France ; Anne Moissin, Solidarité Handicap autour des maladies rares ; Christelle Nourissier, Eurordis ; Roger Picard, Fédération Huntington Espoir ; Annie Riviere, Aparsha France ; Evelyne Sylvain, CNSA ; Françoise Thomas-Vialettes, Effape Epilepsies sévères ; Dominique Vuillaume, Itmo Santé publique Inserm.

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