2011


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Synthèse
Le téléphone mobile et ses applications non vocales sont devenus des modes de communication très répandus dans toutes les situations de la vie quotidienne y compris celle de la conduite automobile.
Cependant, la conduite automobile est une tâche complexe qui mobilise des capacités perceptives, motrices et cognitives. Au plan cognitif, le conducteur doit sélectionner, parmi les informations multiples en provenance de l’environnement routier, celles qui sont pertinentes pour la tâche de conduite, afin de prendre des décisions et réaliser les actions adaptées à cette situation. Téléphoner en conduisant est susceptible d’entrer en concurrence avec les activités de conduite et par conséquent, de perturber les capacités attentionnelles et de dégrader les performances de conduite. Ces perturbations ont été mises en évidence dans le cadre d’expérimentations sur simulateurs de conduite ainsi qu’en situation réelle avec des véhicules dotés de dispositifs d’observation.
Parce qu’elle peut distraire le conducteur, une communication téléphonique constitue un risque d’accident. L’estimation de ce risque requiert l’évaluation, par des études épidémiologiques, de l’influence de l’utilisation du téléphone au volant sur le risque d’accident. Pour calculer la part des accidents qui serait attribuable à cet usage, il est nécessaire de connaître la fréquence d’usage du téléphone mobile lors de la conduite ainsi que sa durée.
Dans la plupart des accidents, plusieurs facteurs humains et contextuels agissent en interaction pour provoquer un dysfonctionnement de la conduite. La contribution respective de ces facteurs est difficile à isoler dans les mécanismes accidentels. Si on peut mesurer de manière relativement fiable la participation de certains facteurs aux accidents comme l’alcool ou les drogues, il n’en est pas de même d’autres facteurs comme le téléphone.
Pour mieux cibler la prévention routière, la connaissance des différents profils des utilisateurs de la téléphonie mobile au volant ainsi que leurs motivations et les circonstances de cet usage est importante.
Au début des années 2000, la France, comme la plupart des pays, a opté non pour une interdiction de l’usage du téléphone au volant mais pour une interdiction du téléphone tenu en main. Quelques études ont évalué cette réglementation, que ce soit en termes d’impact sur les comportements de conduite ou d’impact socio-économique.

En France, près de la moitié des conducteurs utilisent un téléphone en conduisant

Comme le note le rapport d’experts de l’Afsset1 , « la téléphonie mobile est marquée par une diffusion massive, rapide et mondiale ». Le développement a commencé en France en 1997 avec une forte croissance jusqu’en 2001. L’augmentation du nombre d’utilisateurs s’est poursuivie ensuite suivant un rythme un peu moins soutenu.
En 2008, près de 80 % des Français étaient équipés d’un téléphone mobile. En juin 2009, l’Arcep2 avance le chiffre de 58,9 millions d’abonnés à la téléphonie mobile en France.
Évolution du nombre de cartes SIM en France (en millions) (d’après Idate Consulting and Research, 2009, données Arcep)
Le téléphone mobile et ses applications non vocales sont devenus un mode de communication universel quel que soit le lieu.
L’apparition de la téléphonie cellulaire (dite de troisième génération), permettant des débits de transmission très supérieurs aux normes précédentes (GSM : 2e génération), a ouvert la voie à un très grand nombre d’applications, notamment la transmission de l’information autrement que par la voix. Ainsi, le nombre de SMS (short message service) échangés en France a plus que doublé entre 2006 et 2008 : on recense 34 396 millions de SMS échangés en 2008 d’après l’Arcep.
Pour la plupart des personnes, le temps consacré aux transports y compris celui passé en voiture représente, un temps considéré comme perdu, qu’une communication téléphonique permet de « valoriser ».
Deux méthodes permettent de déterminer la prévalence de l’usage du téléphone au volant. La première consiste en l’observation à des points routiers stratégiques (il s’agit souvent d’intersections qui obligent les conducteurs à ralentir et facilitent ainsi l’observation) : un enquêteur note l’usage ou non d’un téléphone pour chacun des conducteurs de véhicule passant devant lui. Il s’agit d’une évaluation de la prévalence instantanée3 de l’usage du téléphone tenu à la main, car il est en effet beaucoup plus difficile de déterminer de l’extérieur et sans erreur l’utilisation d’un kit mains-libres. Ces études sont très peu précises quant à la caractérisation des populations étudiées.
La deuxième méthode repose sur des enquêtes par questionnaires sur les modes d’usage, réalisées sur des échantillons aléatoires (sondages généraux ou spécifiques sur le téléphone mobile, enquête plus spécialement tournée sur la mobilité ou sur la sécurité routière) : il s’agit de connaître le pourcentage de sujets utilisateurs de téléphone mobile en conduite et de mieux caractériser ces utilisateurs. Ce type d’enquête permet d’inventorier beaucoup plus largement tous les types d’usage du téléphone, ou d’autres matériels embarqués.
Réalisées essentiellement aux États-Unis entre 2001 et 2008, les études donnent des taux de prévalence instantanée allant de 3 % à 6 % (doublement du taux au cours des dernières années). Le taux d’usage du téléphone mobile est identique en conduite diurne et en conduite nocturne. En revanche, il existe une différence de genre : les jeunes femmes utilisent beaucoup plus le téléphone mobile en conduite de nuit (12 %) que les hommes (7,5 %).
Les études menées en Europe indiquent des taux de prévalence légèrement inférieurs : au Royaume-Uni en 2005, le taux était de 1,2 % pour le téléphone tenu à la main et de 1,9 % pour le téléphone kit mains-libres ; en Italie en 2006, il était de 1,8 % pour le téléphone tenu en main.
En France, l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (Onisr) estimait que la prévalence instantanée d’usage du téléphone en France était autour de 2,4 % en 2006. Une prévalence du même ordre pour le téléphone tenu à la main (1,8 % pour le téléphone tenu à la main et à l’oreille et 0,5 % pour le téléphone tenu à la main) était retrouvée dans le comptage/observation du trafic réalisé en 2009 sur quatre types de voies (autoroutes de dégagement, autoroutes de liaison, routes nationales ou départementales en rase campagne, agglomération).
En ce qui concerne les habitudes d’usage, plusieurs études françaises montrent qu’un conducteur sur trois à un conducteur sur deux sont utilisateurs, au moins occasionnellement, de leur téléphone mobile lors de la conduite. Selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière4 , 10 % des conducteurs disent l’utiliser souvent ou très souvent. Ces études datent déjà de 2006 pour les plus récentes.
Il est à noter qu’il n’existe quasiment pas de données concernant l’usage du téléphone chez les conducteurs de deux-roues motorisés ou de bicyclette.
La durée des communications (vocales ou par SMS) est une donnée essentielle dans l’évaluation du risque, car elle représente le temps d’exposition d’un conducteur au risque d’accident dû au téléphone. La durée des communications dépend en partie du temps de conduite journalier des sujets. Ainsi, elle était en Suède en 2004 de 23 minutes chez les conducteurs de semi-remorques, de 12 minutes pour les conducteurs de camions de moyen fret, de 7 à 9 minutes pour les conducteurs de taxis et de 7 minutes pour les particuliers.

Les jeunes, les hommes, et les usagers de la route à titre professionnel sont ceux qui téléphonent le plus au volant

La plupart des études ont mis en évidence une prévalence élevée de l’usage du téléphone mobile lors de la conduite, chez les jeunes, notamment en ce qui concerne l’envoi et la réception de SMS. Cela concerne essentiellement la classe d’âge des conducteurs de moins de 35 ans.
Les utilisateurs de téléphone mobile sont plus fréquemment des hommes. En 2003, une étude française indiquait que 40 % des hommes et 23 % des femmes (tous âges confondus) téléphonent en conduisant, cette proportion diminuant avec l’âge pour les deux groupes. Néanmoins lors de la conduite nocturne, l’usage du téléphone en conduite semble plus élevé chez les jeunes femmes que chez les hommes.
Plusieurs études sur le comportement des professionnels de la route ont permis d’estimer la prévalence de l’usage du téléphone mobile en conduite et de révéler certaines caractéristiques de ces comportements.
Ainsi, 99 % des conducteurs professionnels danois se servent d’un mobile en conduisant, plus de 40 % utilisent le téléphone tenu à la main, plus de 50 % décrochent lors d’un appel quelles que soient les circonstances, 50 % ne s’arrêtent jamais lorsqu’ils réalisent eux-mêmes un appel, 36 % s’arrêtent moins d’une fois sur deux, 45 % passent des SMS alors qu’ils conduisent. Pour 63 % de ces professionnels de la route, les appels téléphoniques sont de nature professionnelle dans plus de 90 % des cas.
En France, un sondage de 2007 donne un taux de prévalence instantanée de 3,4 % pour les conducteurs de véhicules utilitaires légers, le téléphone mobile étant essentiellement utilisé lors de déplacement sur autoroutes et en agglomération. D’après ce même sondage, le taux de prévalence instantanée était de 2,6 % chez les conducteurs de poids lourds, l’usage étant essentiellement sur voies de dégagements et de liaisons (routes et autoroutes) et pratiquement jamais en agglomération.

Téléphoner réduit les ressources attentionnelles disponibles pour conduire

La conduite automobile est une tâche complexe qui nécessite des capacités perceptives, motrices et cognitives. Au plan cognitif, le conducteur doit sélectionner, parmi les informations multiples en provenance de la situation routière, celles qui sont pertinentes pour la tâche routière, il doit ensuite répondre par des actions adaptées à cette situation.
Pour comprendre les mécanismes de traitement de l’information, la psychologie cognitive a développé des théories ou modèles du fonctionnement cognitif. Ces modèles s’appuient sur des données d’observation des comportements de personnes dans des situations expérimentales permettant de contrôler les facteurs de l’environnement.
Une des caractéristiques de l’attention est la capacité à sélectionner les informations pertinentes pour une action en cours. Dans les premières recherches sur la notion de sélectivité, le système de traitement de l’information était conçu comme un filtre par lequel ne passe qu’une seule information à la fois. Les recherches ultérieures ont montré que cette notion du canal unique du traitement de l’information devait être largement nuancée.
Une seconde notion importante pour la compréhension des phénomènes d’attention est la capacité limitée du système de traitement de l’information. Il existerait un processeur central dont le rôle serait d’affecter de l’attention aux différents éléments de la situation perceptive. La capacité de ce processeur est limitée, mais flexible en fonction des intentions de la personne, de facteurs motivationnels et de son état biologique. Certaines tâches sollicitent plus de ressources attentionnelles que d’autres, elles nécessitent plus d’« effort mental ». Ce sont les tâches qui impliquent des processus contrôlés, en opposition aux processus automatiques.
Un processus contrôlé demande beaucoup de capacité attentionnelle, il est lent et de nature sérielle (un input est traité à la fois). Il est conscient, facilement modifiable par le sujet et affecté par les autres demandes de traitement qui se produisent au même moment. Un processus automatique, à l’inverse, demande peu de capacités attentionnelles, il est rapide et parallèle (plusieurs inputs peuvent être traités en même temps). Il est non conscient, difficile à modifier ou supprimer et est peu affecté par les autres demandes de traitement qui se produisent en même temps.
Les processus automatiques correspondent à des routines acquises par répétition de la même tâche. La distinction entre processus automatiques et contrôlés est importante. Elle permet de comprendre comment certaines routines peuvent se dérouler avec peu d’intervention de la conscience et de ressources attentionnelles. Processus automatiques et contrôlés représentent deux extrêmes d’un continuum, et peuvent être impliqués simultanément dans des activités complexes telles que la conduite d’un véhicule routier.
Lorsque les personnes doivent effectuer deux ou plusieurs tâches en même temps, l’attention peut être divisée entre plusieurs éléments de la situation. L’interférence entre deux tâches réalisées simultanément dépend du niveau d’automaticité de chacune des deux tâches. Si les deux tâches font appel à des processus contrôlés, l’interférence négative est forte sur les performances. Elle est limitée (moins négative) si au moins l’une des deux tâches fait appel à des processus automatiques.
Les recherches ont montré que l’interférence entre les tâches dépend des entrées sensorielles utilisées. L’interférence négative sur les performances est plus forte si les deux tâches utilisent la même entrée sensorielle, par exemple visuelle.
En prenant en compte les modèles actuels de l’attention et les recherches effectuées en psychologie cognitive sur la double tâche, on peut prédire que la tâche secondaire « téléphoner » va interférer avec la tâche principale « conduire » de deux façons différentes :
• quand les deux tâches font appel au même module sensoriel. La tâche de conduite ayant toujours une composante visuelle, le fait de devoir détourner le regard pour regarder le téléphone, par exemple pour composer un SMS, devrait être plus préjudiciable que la tâche téléphonique passant uniquement par le canal auditif ou vocal ;
• quand l’une des deux tâches, voire les deux, nécessite le recrutement de ressources attentionnelles.
La disponibilité des ressources attentionnelles dépend d’un certain nombre de caractéristiques du conducteur, telles que son expertise de conduite, son état cérébral, son état d’éveil ou de vigilance, son état de fatigue cognitive.
Le fait d’être un conducteur expert devrait faciliter la double tâche : les conducteurs experts possèdent plus d’automatismes et de routines pour gérer la situation routière, par conséquent, ils ont besoin de moins de ressources attentionnelles dans de nombreuses conditions.
Il faut souligner l’existence de différences individuelles dans la disponibilité des ressources attentionnelles. Par exemple, la double tâche est plus difficile chez les personnes âgées et elle est encore plus difficile pour les personnes avec une maladie neurologique.
Par ailleurs, l’épuisement des ressources attentionnelles conduit à un état de fatigue cognitive. Un même conducteur peut disposer de ressources attentionnelles au début d’un trajet, mais ces ressources peuvent diminuer rapidement dans un contexte de trafic intense.
On peut se demander si les théories de l’attention développées dans des situations expérimentales relativement épurées peuvent rendre compte de la tâche de conduite, beaucoup plus complexe, en situation réelle.
Certaines études ont défini une hiérarchie dans les mécanismes de prise de décision du conducteur en situation réelle. Les décisions peuvent être stratégiques (par exemple sur l’heure de départ et l’itinéraire), tactiques (manœuvres) et opérationnelles (exécution), ces trois niveaux de décision impliquant des échelles de temps très différentes. D’autres recherches ont souligné que la situation de conduite n’est pas seulement complexe, mais également dynamique, faisant intervenir la motivation et la gestion du risque. C’est ainsi que se sont développés des modèles de la conduite automobile faisant appel aux notions d’homéostasie et de compensation du risque, de conscience de la situation et d’évitement de l’effort mental.
Selon certaines théories, le conducteur appliquerait la loi du moindre effort en ce qui concerne le recrutement des ressources attentionnelles : il tendrait à privilégier l’utilisation de routines et les moyens de réduire la charge mentale de l’activité de conduite, par exemple en ralentissant. Ainsi, l’accroissement de l’effort mental lié à l’utilisation du téléphone au volant devrait se traduire par un ajustement de la vitesse du véhicule.
Les recherches futures devraient permettre de déterminer si les conducteurs ajustent et adaptent leur conduite lorsqu’ils téléphonent, de façon à ne pas déborder les ressources attentionnelles disponibles. Elles permettront également de comprendre s’il existe des différences individuelles dans la mise en œuvre de ces ajustements comportementaux, liés par exemple à l’âge, l’expérience de conduite, le genre ou la personnalité des conducteurs.

Téléphoner perturbe l’activité de conduite

De nombreux travaux ont montré l’importance des processus de prélèvement et de traitement de l’information en conduite. En effet, regarder dans la mauvaise direction à un moment critique et/ou ne pas voir un élément important de l’environnement routier n’est pas sans conséquence lorsque l’on conduit. Les études expérimentales ont montré que le comportement visuel des conducteurs est modifié lorsqu’ils conversent au téléphone : ils regardent davantage droit devant, fixant la zone centrale de la route et négligent la consultation du champ périphérique, notamment les rétroviseurs et les organes de contrôle. Ce phénomène est révélateur d’une altération des stratégies de prise d’information visuelle qui pourrait indiquer que lorsqu’ils téléphonent, les conducteurs accordent la priorité à la tâche de navigation au détriment d’autres composantes de la tâche de conduite, tel que le balayage de l’environnement routier.
Une baisse significative des performances de détection est également constatée. Téléphoner en conduisant diminue la conscience des conducteurs vis-à-vis des informations importantes de la scène routière, ce qui a pour conséquence par exemple de ne pas voir un objet même s’ils le regardent directement (« look but fail to see »). Ceci est lié au détournement de l’attention vers un contexte autre que celui de la conduite. En d’autres termes, converser au téléphone en conduisant affecte la façon dont les conducteurs font attention aux éléments de l’environnement de conduite. La capacité à percevoir les changements dans l’environnement visuel, essentielle pour une conduite sécuritaire, est également altérée.
Dans les études qui ont tenté de mesurer l’altération des performances de conduite pendant une conversation téléphonique, deux grandes familles de variables sont plus particulièrement étudiées : les temps de réaction des conducteurs à différents types de signaux, c’est ici que l’on trouve les études les plus nombreuses, et les paramètres permettant de décrire la dynamique du véhicule, tels que le contrôle latéral, les inter-distances et les variations de vitesse. Les travaux effectués dans ce domaine ont également tenté de démontrer la possibilité de comportements d’adaptation des conducteurs : augmentation des distances de suivi ou réduction des vitesses, mais les résultats obtenus sont divergents.
Les résultats des méta-analyses montrent de façon indiscutable que les temps de réponse des conducteurs augmentent lorsqu’ils maintiennent une conversation au volant. L’altération du traitement des informations de l’environnement routier pourrait également avoir un effet sur le comportement de freinage des conducteurs qui freinent plus tardivement et compensent par un freinage plus brutal lorsque cela est nécessaire.
Selon les méta-analyses, converser au téléphone n’affecte de façon sensible ni le contrôle latéral ni les distances inter-véhiculaires. Notons cependant que les études prises en compte sont peu nombreuses et parfois contradictoires. Néanmoins, le fait que l’impact du téléphone soit plutôt exprimé en termes d’augmentation des temps de réponse qu’en termes de contrôle de la trajectoire, pourrait s’expliquer parce que ce dernier s’effectue de façon relativement automatique et nécessite peu de ressources attentionnelles, contrairement au fait de répondre à un signal inattendu qui nécessite non seulement la détection de ce signal, mais également la sélection d’une séquence d’actions appropriées pour y répondre. Certaines études ont même montré que le contrôle latéral pourrait être amélioré pendant les communications téléphoniques. En effet, le contrôle de la trajectoire est fortement lié à la direction des regards. La concentration spatiale des regards vers le centre de la voie observée lorsque les conducteurs effectuent des tâches cognitives pourrait ainsi entraîner, dans certains cas, un meilleur maintien du véhicule sur la voie.
Les quelques travaux qui se sont intéressés aux effets de l’utilisation du téléphone sur la prise de décision ont montré qu’une communication téléphonique pouvait altérer les capacités de jugement des conducteurs ou leurs capacités à prendre certaines décisions. Les conducteurs éviteraient ainsi la réalisation de certaines sous-tâches de la conduite plus secondaires, telles que changer de voie, et privilégieraient le maintien de leur trajectoire. Ce comportement d’évitement, parfois accompagné d’un nombre plus élevé d’erreurs et de violations, plaide en faveur d’une altération de la conscience de la situation5 des conducteurs, qui ne parviennent plus à traiter toutes les informations de l’environnement routier. Les conversations téléphoniques affecteraient également davantage les conducteurs dans les situations exigeant une prise de décision complexe, comme celle de tourner à gauche, et moins dans des situations où les prises de décision sont plus simples, comme celle de s’arrêter à un feu rouge.
Différentes études ont tenté de comparer les effets respectifs sur le comportement de conduite, de conversations passées avec un téléphone tenu en main et un téléphone « mains-libres ». Il en ressort que ces effets ne sont pas très différents, en effet, les temps de réponse augmentent de façon équivalente que le téléphone soit mains-libres ou tenu à la main.
C’est en termes de vitesses que les différences sont les plus importantes avec l’obtention d’une diminution des vitesses lorsque le téléphone est tenu à la main. Cette diminution de la vitesse pourrait correspondre à une adaptation du comportement de conduite visant à réduire la charge mentale additionnelle engendrée par le fait de téléphoner et de tenir son téléphone, afin de la maintenir à un niveau acceptable. Les conducteurs pourraient également avoir davantage conscience des effets négatifs sur la conduite d’une distraction engendrée par une tâche manuelle, telle que tenir son téléphone à la main, et sous-estimer cette distraction si elle est plus purement cognitive avec un téléphone mains-libres. L’impact négatif du téléphone tenu à la main pourrait toutefois être exacerbé dans les situations qui nécessitent une intervention manuelle de la part du conducteur (tourner en intersection, par exemple). Ainsi, même s’il est probable que le téléphone mains-libres puisse être avantageux dans certaines situations, il est clair qu’il ne peut résoudre tous les problèmes attentionnels liés à l’utilisation du téléphone au volant.
Utiliser un téléphone portable sous-entend non seulement le fait de maintenir une conversation, mais également la réalisation de diverses tâches de nature visuo-manuelle, telles que numéroter, décrocher/raccrocher, lire ou écrire des SMS... Ces tâches n’auront bien évidemment pas les mêmes effets sur la conduite que celle de converser, de nature verbale et auditive.
Tout d’abord, l’augmentation des temps de réponse à un évènement enregistrée pendant les conversations téléphoniques s’intensifie lors de la réalisation de tâches visuo-manuelles. Ces dernières induisent un détournement du regard vers l’intérieur du véhicule, entraînant de fait l’interruption momentanée du traitement des informations en provenance de l’environnement routier. Le contrôle de la trajectoire étant fortement lié à la direction des regards, la position sur la voie se dégrade. Finalement, pour pallier un contrôle intermittent de l’environnement, les conducteurs s’efforcent de maintenir une trajectoire acceptable en réduisant leur vitesse ou en faisant des corrections du volant. Notons également que la tenue et/ou la manipulation du téléphone ou d’un clavier nécessite l’usage d’une main, ce qui peut également générer une interférence biomécanique avec la tenue du volant et ajouter aux difficultés du contrôle de la trajectoire.
La question de savoir s’il est plus dangereux de discuter au téléphone ou avec un passager fait débat. Les méta-analyses font apparaître un coût similaire des deux types de communication sur les performances de conduite (temps de réponse et dynamique du véhicule). Cependant, les études retenues dans ces méta-analyses sont très peu nombreuses et donnent des avis parfois divergents ; ces résultats sont donc à interpréter avec précaution. Plusieurs études sur simulateur ont notamment observé un nombre plus élevé d’erreurs de conduite (erreurs de navigation, par exemple), d’incidents ou d’accidents pendant des conversations téléphoniques comparées à des conversations avec passager. Les auteurs en concluent que les conversations téléphoniques exigeraient davantage de ressources attentionnelles de la part du conducteur, et seraient donc plus préjudiciables pour la conduite.
La qualité du discours a été analysée pour mieux comprendre ces différences. Une dégradation est observée pour les conversations téléphoniques au volant comparées aux conversations avec passager (en termes de fluence, hésitations et répétitions) et serait révélatrice d’une demande attentionnelle plus importante. Tout d’abord, le fait que l’interlocuteur ne soit pas présent, exige des ressources cognitives supplémentaires de la part du conducteur qui cherche à compenser l’absence des feedbacks non verbaux spécifiques d’une communication en face à face. Une conversation téléphonique est caractérisée par une exigence de continuité, un silence étant potentiellement mal compris par l’interlocuteur. L’absence d’information sur le trafic environnant pour les interlocuteurs les empêche d’adapter leur coopération en fonction des conditions de conduite. Une communication avec un passager pourrait également être modulée ou interrompue momentanément lorsque la demande attentionnelle de la conduite augmente, ce qui est moins évident avec une conversation téléphonique.
L’effet des conversations téléphoniques a été également comparé à celui de l’écoute de différents types de matériels verbaux, tels que la radio. Il s’avère que les tâches qui se limitent à l’écoute d’une information non personnalisée et non interactive n’affectent ni le comportement visuel, ni les temps de réaction des conducteurs. En effet, écouter un matériel vocal n’est pas suffisant, en soi, pour générer une interférence avec la tâche de conduite. En l’absence d’un réel engagement dans une activité verbale, ce qui est généralement le cas de l’écoute de la radio, aucune dégradation n’est constatée. En effet, l’interférence observée pendant les conversations téléphoniques ne se situe pas au niveau moteur de la production du langage, mais bien au niveau des processus cognitifs nécessaires à la conduite d’une discussion. Il est bien entendu que la demande attentionnelle pourrait varier en fonction du matériel écouté et qu’elle se différencie de la manipulation des commandes de la radio.

L’accident est un échec de l’interaction entre le conducteur et son environnement

La question des facteurs humains dans la recherche de causalité des accidents est un sujet à la fois compliqué et récurrent dans le domaine de la sécurité routière. La notion de « facteurs humains » renvoie à l’ensemble des variables liées à la personne qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur le comportement de conduite et sur l’occurrence d’accident. Elle recouvre des variables démographiques comme l’âge ou le sexe, des variables physiologiques comme la fatigue ou l’intoxication par l’alcool, des variables psychologiques comme l’inattention ou la distraction, des variables attitudinales comme la prise de risque... pour aller jusqu’à englober la résultante de ces variables que sont les erreurs humaines (de perception, d’évaluation, d’action...).
La contribution de tels facteurs est loin d’être aussi évidente à isoler dans les mécanismes accidentels. Ceci s’explique par le fait que, comme l’indiquent de nombreux travaux en psychologie ergonomique, dans les systèmes complexes tels que la conduite automobile, l’origine des problèmes se situe beaucoup plus massivement dans les interactions inappropriées entre les différents composants du système que dans les caractéristiques exclusives de l’un de ces composants. Dans la plupart des accidents, différents facteurs humains et contextuels agissent en interaction pour provoquer un dysfonctionnement, là où pris isolément ils n’auraient engendré aucune difficulté. Il s’agit donc de garder à l’esprit le caractère relatif de l’implication de tel ou tel facteur identifié. Il s’agit également de ne pas confondre l’erreur humaine et les facteurs (humains et contextuels) qui l’ont produite, sous peine de mélanger les effets et leurs causes.
Pour certains facteurs, comme l’alcool ou les drogues, on peut disposer de mesures relativement fiables de leur participation aux défauts de conduite. Mais pour la plupart des facteurs humains, les données statistiques d’accidents reposent sur des constats établis par les forces de l’ordre au gré des informations qu’ils peuvent recueillir dans le cadre de l’établissement de leur procédure. Une analyse précise des difficultés qui se posent aux conducteurs dans certaines situations de conduite et des processus cognitifs incriminés dans ces difficultés permettrait de caractériser les défaillances attentionnelles dont certains accidents sont les révélateurs.
On constate aujourd’hui dans le milieu de la sécurité routière une prise de conscience des problèmes d’attention au volant. Cependant, d’un point de vue conceptuel, il existe encore dans la littérature un flou terminologique sur ce que l’on entend sous les termes d’attention, de distraction, d’inattention...
Les concepts utilisés sont très variables d’un auteur à l’autre, avec des définitions très différentes et qui recouvrent des processus divers. Une telle hétérogénéité conceptuelle amène une très grande variabilité dans les données qui sont supposées caractériser les causes d’accidents. Ainsi, l’occurrence des problèmes de vigilance dans les accidents varie de 1,8 % à 54 % selon les études, et les problèmes d’attention de 25,6 % à 78 %. Ceci constitue un éventail de données bien trop dispersé pour apporter la moindre indication utile. Il y a donc nécessité de bien distinguer les processus que recouvrent les concepts utilisés.
Une distinction préalable est déjà à établir entre ce qui relève d’un problème de vigilance, qualifiant les processus d’activation non spécifiques de l’organisme, et ce qui correspond à un problème d’attention, désignant les processus qui conditionnent l’orientation des ressources cognitives permettant le traitement spécifique de l’information. Les perturbations de ces deux ensembles de processus montrent des différences très marquées dans la genèse accidentelle. Pourtant, les problèmes de vigilance et d’attention sont très souvent confondus dans les données d’accidentalité.
En lien étroit avec la très forte variabilité des situations routières, les perturbations attentionnelles constituent des problèmes complexes, parfois contradictoires, et leurs sources sont multiples. Ainsi, en situation réelle de conduite, le conducteur est sans cesse en train de répartir ses ressources entre toutes les sources potentielles de stimulation, les capacités attentionnelles étant, par définition, limitées. Le conducteur ne peut pas rester centré à 100 % sur la tâche de conduite, sous peine de s’épuiser rapidement. Il existe un « compromis cognitif » entre les exigences de la tâche (adaptation aux règles, sécurité, performance) et les intérêts du système biologique (limiter le coût cognitif). Le contrôle attentionnel permet donc d’attribuer, de la manière la plus souvent adaptée, dans le temps et dans l’espace les ressources nécessaires à chacune de ces composantes. Le problème attentionnel se pose soit lorsque les ressources attribuées à la tâche deviennent insuffisantes par rapport aux exigences de la tâche, soit lorsque le conducteur se focalise sur une partie de la situation trop restreinte pour la résolution du problème. Ainsi, c’est le déséquilibre dans la répartition des ressources entre les différentes sources d’information, relativement à leurs exigences et priorités, qui conduit aux différentes défaillances attentionnelles. La dispersion des ressources attentionnelles peut être synonyme d’économie cognitive, et donc d’efficacité sur la durée. Elle devient potentiellement accidentogène seulement dans certaines situations qu’il est important de définir avec précision. L’amélioration des connaissances sur le fonctionnement cognitif de l’opérateur et les difficultés qu’il rencontre dans son activité de déplacement devrait ainsi permettre d’adapter l’environnement de déplacement à ses capacités pour rendre l’ensemble du système plus sûr.
Les recherches concernant l’impact des téléphones mobiles sur les performances des conducteurs n’ont cessé de croître depuis la fin des années 1990. Aujourd’hui, le téléphone n’est pas utilisé que pour la conversation. Toutes les opérations liées à l’usage du téléphone qui vont impliquer une mobilisation d’ensemble des ressources attentionnelles (cognitives, visuelles, motrices) auront un pouvoir de dégradation plus important, non seulement sur l’interaction avec le trafic, mais aussi sur la régulation de trajectoire, aussi automatisée soit-elle. On peut distinguer deux types de distraction potentiellement générées par le téléphone : une distraction « purement cognitive », qui correspond à la période de conversation ; et une distraction « intégrale » qui correspond à toutes les opérations durant lesquelles le détournement de l’attention s’accompagne d’un détournement du regard de l’opérateur hors de la scène routière (recherche du téléphone ou de ses accessoires, composition d’un numéro, lecture/écriture d’un message...).
Toute source de distraction est potentiellement néfaste du point de vue de la conduite, en association avec la complexité des situations traversées, la multiplicité des variables à traiter et la sollicitation consécutive des ressources attentionnelles de l’individu. Du fait des contraintes dynamiques et temporelles qui la caractérisent, de la variabilité des situations possibles, de la profusion des informations à gérer, ou au contraire de la monotonie de certaines situations, la conduite automobile constitue un révélateur hors pair des difficultés attentionnelles qui se posent à l’être humain dans ses tentatives d’adaptation aux activités auxquelles on le confronte. Et les accidents constituent autant de témoignages des limites à ces capacités d’adaptation, qu’il s’agit de ne pas pousser à bout par la confrontation à des infrastructures inutilement compliquées, des informations mal présentées, des vitesses de trafic trop élevées... à tout ce qui augmente la charge attentionnelle.

En France, près d’un accident de la route sur dix serait associé à l’utilisation du téléphone au volant

Les études expérimentales montrent que téléphoner en conduisant perturbe l’activité de conduite.
Cette perturbation se traduit-elle par un risque d’accident augmenté en situation réelle de conduite sur le réseau routier ? Autrement dit, le fait que certains conducteurs téléphonent en conduisant entraîne-t-il un certain nombre d’accidents ?
Pour répondre à la question, il faudrait idéalement observer les conducteurs au volant, leur utilisation du téléphone, et comptabiliser les accidents dans lesquels ils sont impliqués. Quelques études réalisées sur plusieurs dizaines de véhicules équipés de multiples capteurs, notamment visuels, et suivis pendant un an, n’ont pas permis d’obtenir des estimations de risques fiables, en raison du nombre « assez » faible d’accidents enregistrés.
Parmi les études épidémiologiques en population générale qui ont évalué l’influence de l’utilisation du téléphone au volant sur le risque d’accident, seules dix études parues dans la littérature internationale des quinze dernières années ont été jugées de qualité suffisante pour permettre de réaliser une évaluation. Ce nombre assez faible s’explique par la difficulté de disposer des informations pertinentes sur des échantillons suffisamment importants.
La diversité des approches épidémiologiques utilisées empêche d’estimer un risque moyen regroupant les différentes études par les techniques de la méta-analyse. Cependant, on peut classer ces études en deux groupes : celles qui ont tenté d’estimer le risque d’accident spécifique lié à l’action de téléphoner, et celles qui ont comparé les taux d’accidents des utilisateurs de téléphone au volant aux non utilisateurs, sans tenter de savoir si les personnes téléphonaient vraiment au moment de l’accident.
La difficulté dans les études du deuxième groupe est de caractériser l’effet propre sur le risque d’accident de l’utilisation plus ou moins fréquente du téléphone au volant, alors que les utilisateurs du téléphone sont sûrement différents des non utilisateurs sur de nombreux points comme leurs déplacements et leurs comportements sur la route. C’est pourquoi n’ont été retenues que les études qui présentent des estimations de risques ajustées sur un certain nombre de facteurs tels que l’âge, le sexe et le kilométrage parcouru. On peut retenir que le sur-risque (appelé risque relatif) estimé d’accident associé à la possibilité de téléphoner au volant est compris entre 1,10 et 1,20, sachant qu’il s’agit d’une valeur moyenne pour l’ensemble des conducteurs qui utilisent leur téléphone au volant. La seule étude réalisée récemment en France apporte une précision supplémentaire en distinguant, d’une part, les conducteurs qui déclarent n’utiliser le téléphone au volant seulement quand les conditions de conduite s’y prêtent et d’autre part, les conducteurs déclarant l’utiliser quelles que soient les circonstances. Le risque relatif associé à ces derniers comparés aux non utilisateurs est de 1,7, mais, concerne moins de 10 % des utilisateurs de téléphone. Si on considère que les premiers n’ont pas d’augmentation significative du risque d’accident par rapport aux non utilisateurs, la valeur du risque relatif associée à l’ensemble des utilisateurs de téléphone, c’est-à-dire 1,7x10 %+1x90 %, soit 1,07, peut être considérée comme étant du même ordre de grandeur que dans les études qui ont calculé une valeur moyenne pour l’ensemble des conducteurs qui téléphonent parfois au volant.
Les autres études sélectionnées estiment le risque d’accident pour un conducteur en train de téléphoner relativement à un conducteur ne téléphonant pas. Parmi celles-ci, deux utilisent la structure d’étude dite en « case crossover », qui consiste à comparer pour le même conducteur, l’utilisation du téléphone dans une courte période précédant l’accident à une période antérieure équivalente. Cette approche permet d’ajuster les mesures d’association sur la plupart des caractéristiques « fixes » des conducteurs. Les risques relatifs estimés sont compris entre 3 et 5 selon les études et les sous-groupes étudiés. Le principal biais lié à ce type d’étude est l’attribution à la période précédant l’accident d’appels téléphoniques survenus après l’accident, en raison du manque de précision de l’instant de l’accident. Cette confusion prêterait d’autant plus à conséquence que toutes les études montrent que le nombre d’appels après l’accident est très élevé. Cependant, les études sélectionnées excluent les appels d’urgence et ne conservent que les sujets pour lesquels il existe une cohérence entre les sources d’information concernant l’instant de l’accident. Surtout, le risque relatif attaché aux appels entrants est le même que celui attaché aux appels sortants dans la seule étude qui fournit cette précision, ce qui est un argument très fort pour penser que ce biais a été en grande partie évité. Enfin, la méthode appliquée consiste à comparer des périodes pendant lesquelles le conducteur a déclenché ou reçu un appel, sans être sûr que le conducteur téléphonait encore lors de l’accident. L’effet de ce problème de mauvaise classification entraîne vraisemblablement une surestimation des risques, mais l’importance de ce biais n’est pas discutée par les auteurs.
Avec une méthodologie très différente fondée sur la comparaison des conducteurs estimés « en faute » ou non, une autre recherche arrive à une estimation du risque relatif de 2,4 qui est sans doute une sous-estimation étant donné la méthode employée.
Ainsi, essentiellement à partir des études en « case crossover », le choix d’une valeur de risque relatif autour de 3 paraît raisonnable pour la suite des calculs.
Étant donné que les différentes études donnent des résultats proches, qu’il s’agisse de considérer la survenue d’accidents matériels ou corporels, les risques d’être impliqué dans un accident corporel ou matériel selon que l’on téléphone ou pas au volant ne seront pas distingués.
Par ailleurs, aucune étude épidémiologique ne montre une différence significative entre le risque associé au téléphone tenu à la main et celui associé aux dispositifs mains-libres, sans distinction du type de dispositif. On peut remarquer que, dans ces études, le téléphone tenu à la main représente un risque toujours supérieur, mais pas assez pour présenter une différence statistiquement significative.
Quelques études effectuées sur des flottes de véhicules équipés de capteurs enregistrant les différents comportements des conducteurs révèlent comme principal résultat, une hiérarchisation des éléments de distraction et d’inattention au volant parmi lesquels le téléphone. Le nombre relativement réduit de véhicules équipés et le temps de suivi ne permettent cependant pas d’étudier le risque d’accident, mais plutôt le risque d’activités potentiellement dangereuses. Ces études semblent indiquer un risque plus élevé associé à la composition d’un numéro sur un téléphone tenu à la main, ce qui est très cohérent avec les résultats des études expérimentales.
Finalement, deux estimations de risques relatifs peuvent être retenues. La première entre 1,1 et 1,2 représente le risque moyen d’accident pour un conducteur susceptible de téléphoner au volant, autrement dit téléphonant pendant une partie de son temps de conduite. La deuxième estimation, autour de 3, représente le risque d’être impliqué dans un accident matériel ou corporel pour un conducteur en train de téléphoner par rapport à un conducteur ne téléphonant pas, ceci quel que soit le système utilisé (mains-libres ou pas). C’est le sur-risque pris par le conducteur quand il est en communication téléphonique dans son véhicule. Dès lors, il est important de savoir quelle proportion de ses trajets est concernée par cette augmentation de risque.
D’après l’enquête réalisée en France en 2007, environ 2,4 % des conducteurs ont été aperçus tenant un téléphone en main. Sachant que le téléphone tenu à la main représente plus de 40 % de l’utilisation du téléphone en conduisant, on peut estimer à 6 % la prévalence de l’usage du téléphone au volant (à la main et mains-libres), en faisant l’hypothèse que les temps de communication sont, en moyenne, peu dépendants du système utilisé.
Ainsi, pour un trajet donné, un conducteur téléphone en moyenne 6 % du temps de parcours, temps pendant lequel il multiplie son risque par 3, alors que pour les 94 % restants, il est au risque de base. Autrement dit, son risque relatif moyen est de 3x6 %+1x94 %, soit 1,1, qui est la valeur trouvée pour le risque relatif associé aux possesseurs du téléphone. Si l’on prend les valeurs hautes, avec un conducteur qui téléphone 10 % du trajet et un risque relatif de 4, on obtient 1,3. Avec ces valeurs de prévalence estimées en France, les déterminations de risques selon les deux types d’études, au-delà de toutes leurs différences, apparaissent très cohérentes.
On peut également estimer un risque attribuable, autrement dit la proportion d’accidents associés à l’usage du téléphone. Avec les valeurs de 6 % pour la prévalence et de 3 pour le risque relatif, on obtient un risque attribuable égal à 10,5 %. En faisant le calcul en utilisant cette fois 1,2 pour le risque associé au possesseur de téléphone et 44 % pour la prévalence correspondante, le risque attribuable est de 8,1 %. En d’autres termes, à partir des diverses estimations considérées comme valides, la proportion d’accidents (corporels ou matériels) associée à l’utilisation du téléphone au volant est estimée autour de 10 %.

Les conducteurs apprécient mal le risque qu’ils prennent en téléphonant au volant

Plusieurs auteurs se sont intéressés à la perception qu’ont les automobilistes du risque associé à l’usage du téléphone au volant. C’est ainsi que le fait de téléphoner au volant a été comparé, dans le cadre de l’enquête européenne Sartre, à une série d’autres causes possibles d’accident de la route liées à l’état du conducteur, à l’état du véhicule ou aux conditions de circulation. Les conducteurs interrogés ont jugé le fait de téléphoner au volant, que celui-ci soit tenu ou non à la main, comme un comportement présentant un risque faible tout en présentant une forte prévalence dans le cas du téléphone tenu à la main.
Le risque lié au téléphone au volant a également été comparé aux risques engendrés par différentes activités que les conducteurs peuvent être amenés à réaliser en conduisant. Le risque est perçu de manière différente suivant le type de téléphone. Converser avec un téléphone mains-libres est jugé une activité beaucoup moins risquée que le fait de converser avec un téléphone tenu en main. Car parmi l’ensemble des situations de distraction liées à la multi-activité au volant, ce sont les distractions de type visuo-manuelle qui sont jugées comme les plus risquées. La distraction cognitive liée à la conversation téléphonique est sous-estimée. Ce constat est confirmé lorsque l’on interroge les conducteurs sur les différentes actions qu’ils peuvent réaliser avec leur téléphone portable. Les faits d’écrire et de lire un SMS, de composer un numéro, de manipuler le clavier et de lire l’écran sont jugés comme les actions les plus risquées.
Il ressort de ces travaux que la perception du risque lié à l’usage du téléphone au volant varie suivant que les conducteurs déclarent ou non téléphoner en conduisant, les non utilisateurs jugeant le niveau de risque plus élevé que les utilisateurs. Il y a également des différences au sein même de la population des conducteurs déclarant téléphoner en conduisant. Les conducteurs qui téléphonent le plus fréquemment au volant et de manière systématique (c’est-à-dire qui décrochent et appellent quel que soit le contexte de conduite) ont une conscience moindre du risque pris, alors que la proportion de personnes déclarant avoir été confrontées à des situations risquées en téléphonant pendant la conduite croît avec la fréquence d’utilisation du téléphone au volant. Les situations critiques les plus communément citées sont des moments d’inattention en situation de suivi de véhicule, des déviations de trajectoires, des non perceptions de la signalisation routière et des ralentissements gênants pour les autres automobilistes. Enfin, les conducteurs qui utilisent un système mains-libres ont une fréquence d’usage du téléphone au volant élevée et une perception du risque pris en téléphonant au volant plus importante que les conducteurs non équipés. Ceci peut expliquer leur choix de s’équiper d’un système mains-libres afin de poursuivre leur pratique avec une sécurité maximale et en ne risquant pas de contravention.
Parmi l’ensemble des risques liés à la téléphonie mobile, celui lié à l’usage du téléphone au volant apparaît comme un risque familier que les conducteurs choisissent librement de prendre car ils en tirent un avantage et ils pensent le maîtriser. Le risque d’accident est jugé sévère (les effets du téléphone sur la conduite ne sont pas considérés comme négligeables), inéquitable (les personnes qui téléphonent au volant ne font pas courir un risque uniquement à elles-mêmes) et probable (les personnes interrogées sont facilement convaincues que téléphoner en conduisant est dangereux). Enfin, plusieurs auteurs ont mis en évidence un « biais d’optimisme » au niveau de la perception du risque d’accidents lié à l’usage du téléphone au volant : le risque d’accident est jugé plus élevé pour les autres conducteurs que pour soi-même.
Si la perception du risque d’accidents et de contraventions existe bien chez la majorité des conducteurs, elle n’est en revanche pas suffisante pour contrebalancer les avantages procurés par le téléphone portable et la pression sociale de l’entourage pour l’utiliser en conduisant.
Une meilleure connaissance des facteurs sous-tendant l’intention des conducteurs à s’engager ou non dans l’utilisation du téléphone portable au volant semble une piste intéressante pour mieux cibler les futures campagnes de sensibilisation des conducteurs au risque du téléphone au volant.

Dans la plupart des pays, les réponses institutionnelles  sont peu évaluées, centrées sur le conducteur et essentiellement réglementaires

Le décret n° 2003-293 du 31 mars 2003 interdit « l’usage d’un téléphone tenu en main par le conducteur d’un véhicule en circulation ». En conduisant avec un téléphone tenu en main, celui-ci est, en France, passible d’une amende forfaitaire de 35 € et d’un retrait de 2 points de permis de conduire. Des mesures de ce type ont été prises par quasiment tous les gouvernements de l’Union Européenne et d’autres pays aux conditions de vie similaires.
Le recours à la loi fait figure de solution privilégiée dans la plupart des pays. Il repose sur l’espoir de modifier le comportement du conducteur. Deux types de lois existent. Des lois d’ordre général permettent aux forces de l’ordre de réprimander et de sanctionner une conduite jugée dangereuse. Pour autant, au tournant des années 1990-2000, la plupart des gouvernements ont opté pour des réglementations spécifiques, c’est-à-dire traitant explicitement de l’usage du téléphone pendant la conduite. Dans ce cadre, la très grande majorité des pays ont choisi non pas une interdiction de l’usage du téléphone au volant mais, comme en France, une interdiction du téléphone tenu en main.
Les principales variantes, d’un pays à un autre, portent sur la sanction, c’est-à-dire le montant de l’amende et son accompagnement ou non par un retrait de points. La sanction peut avoir varié au fil du temps, à l’exemple du durcissement du texte anglais en 2007. Une analyse plus précise indique qu’existent ou bien sont envisagées des restrictions d’usage (selon le type d’appareil, la durée de l’appel, le lieu d’utilisation), des interdictions ciblées à certaines populations (les jeunes conducteurs dans certains États américains) et des exceptions au cadre général (pour certaines professions, par exemple).
Les différents recours à la loi posent cependant la question de son contrôle et de l’effectivité de la sanction. Une des principales critiques faites à une éventuelle extension de l’interdiction aux kits mains-libres réside ainsi dans la difficulté pour les forces de l’ordre de les détecter, sauf à les doter des outils technologiques le permettant ou d’arrêter les conducteurs en masse. Quant aux lois interdisant le téléphone tenu en main, elles sont perçues comme également difficiles à faire appliquer la nuit ou pour des véhicules dotés de vitres teintées. L’attitude des juges et des agents des forces de l’ordre à l’égard de ce délit peut aussi varier de manière significative d’une juridiction à une autre.
Pour autant, le recours à la loi peut concerner d’autres acteurs que le conducteur. Une imposition de standards de construction peut être envisagée (aux constructeurs d’automobiles et de dispositifs de téléphonie) ainsi que certaines obligations à des professions. Les principales sont une information obligatoire sur les dangers d’usage, par les loueurs de voiture, et un recueil systématique, par les forces de l’ordre, des données sur l’usage du téléphone lors d’accidents. Par exemple au Québec, des travaux recommandent que les constructeurs automobiles soient soumis à des normes visant à restreindre ou à neutraliser l’utilisation des dispositifs télématiques lors de la conduite. D’autres réglementations (Grande-Bretagne) visent à sensibiliser et mobiliser davantage les acteurs privés. Il s’agit d’encourager, par exemple, les initiatives des assurances et des employeurs pour éviter ou, si c’est absolument nécessaire, limiter l’usage du téléphone mobile par leurs employés.
D’autres actions publiques, qui ne relèvent pas de la sanction et de la répression existent également. Il s’agit, par exemple, d’un travail d’information des conducteurs et des employeurs sur le risque encouru en cas d’usage du téléphone au volant, qui passe par des campagnes de communication et des actions d’éducation.
Bien entendu ces mesures ne sont pas utilisées indifféremment. Aux mesures les moins contraignantes (communication) ont en général succédé les plus contraignantes (interdiction d’usage). Les dispositions prises en France et en Angleterre depuis la fin des années 1990 illustrent parfaitement ce type de dynamique. Par ailleurs, nombre de travaux, ne portant pas forcément sur le téléphone, ont montré que le contrôle par les forces de l’ordre doit, pour être efficace, être accompagné de campagnes de communication.
La littérature témoigne de nombreuses interrogations sur la pertinence et l’efficacité des mesures existantes, notamment, parce qu’elles apparaissent « déconnectées » de toute démarche d’analyse et d’évaluation de politiques publiques.
Les réglementations adoptées sont désormais anciennes – elles ont souvent près de 10 ans – au regard de technologies de communication en évolution rapide et d’un usage en forte expansion par certaines catégories d’usagers. Lorsque ces mesures ont été décidées, peu de décès pouvaient être attribués à l’usage du téléphone au volant, bien que des travaux pionniers sur le risque encouru alertaient sur les dangers de ce comportement.
Aujourd’hui, les lois « mains-libres » sont dénoncées comme incohérentes par rapport aux résultats scientifiques, qui montrent que les dispositifs « mains-libres » n’évitent pas la distraction cognitive liée à la conversation. De ce fait, le potentiel sécuritaire de ces lois est jugé limité et parfois même, celles-ci sont dénoncées comme porteuses d’effets pervers. Elles enverraient un message sécuritaire erroné aux conducteurs.
Les travaux réalisés, depuis 10 ans, ont-ils permis de faire suffisamment progresser la connaissance de ce phénomène et de son impact sur les bilans de la sécurité routière ? L’utilisation du téléphone au volant reste peu documentée dans les rapports d’accident ; l’impact des mesures prises sur les comportements des usagers a été peu évalué ; la réception des mesures répressives et éducatives n’a pas été mesurée. On a également peu d’information sur l’effectivité de la répression du non-respect des réglementations adoptées. Les rares études existantes indiquent que les interdictions n’ont pas d’effet à long terme sur les comportements et doivent être soutenues par le contrôle et la communication. Mais, ces travaux ont pour la plupart été menés dans le monde anglo-saxon. Or, la référence à des études faites dans un autre contexte sociétal, comme à une autre période, pose problème.
Les actions développées par les pouvoirs publics reposent sur une vision réductrice du problème et de sa solution. Les principales mesures, qu’elles relèvent de stratégies répressives, éducatives et communicationnelles, offrent des solutions au comportement jugé déviant du conducteur. Une telle focale tend à réduire la démarche de sécurité routière à l’encadrement et au contrôle du comportement de conduite. On construit alors des solutions mono-causales et s’adressant à des individus isolés. Or, l’acte de conduite est un acte situé et soumis à une pluralité de contraintes sur lesquelles il convient d’agir pour plus d’efficacité de l’action publique.
L’analyse des actions menées dans différents pays (notamment occidentaux) souligne que la réglementation ne peut être envisagée à partir d’une matrice binaire (interdiction versus autorisation). Le gouvernement peut s’attaquer à l’insécurité routière en utilisant ses pouvoirs légaux, mais aussi l’information à sa disposition, ses ressources financières et ses capacités organisationnelles. Ensuite, ces instruments n’ont pas pour unique objectif de changer le comportement du conducteur. Ils peuvent être utilisés pour inciter d’autres acteurs à mieux prendre en compte les enjeux de sécurité routière inhérents à l’usage du téléphone au volant. Enfin, ces différentes mesures ne peuvent être envisagées indépendamment les unes des autres. Certains proposent de réfléchir à un programme d’action en termes de « chaîne de sécurité intégrée » qui permettrait le développement d’actions sur les véhicules et les infrastructures en lien étroit avec des interventions visant à changer le comportement des usagers. Les doutes exprimés, dans la littérature experte, sur les instruments aujourd’hui utilisés confortent l’intérêt d’une telle démarche.
De plus, les résultats scientifiques obtenus sont peu discutés et notamment par les divers porteurs d’enjeux intéressés par l’usage des dispositifs de téléphonie pendant la conduite. Or, ceux-ci sont extrêmement divers. Il y a peu ou pas de convergence et peu ou pas de réflexion structurée de tous ces acteurs (autorités publiques, constructeurs, opérateurs, experts, assureurs, employeurs, salariés...) dont les ressources, les intérêts, les capacités de mobilisation sont différenciés.
Un processus évaluatif et délibératif fait défaut pour aboutir non pas forcément à une co-décision mais au moins à une co-interprétation des résultats des travaux de recherche qui permettrait de développer une action publique efficace.
La littérature souligne que plusieurs instruments à disposition des pouvoirs publics peuvent être mixés pour lutter efficacement contre les comportements à risque et qu’il existe des outils permettant de cumuler des preuves scientifiques de l’efficacité des mesures prises et envisagées. De la même manière, elle suggère la pertinence d’une évaluation participative qui associerait les différentes parties prenantes. Le recueil de l’opinion des groupes d’intérêts concernés peut aussi permettre de mieux situer le débat politique et donc de mieux envisager les consensus possibles pour amender la législation.

À ce jour, l’interdiction du téléphone au volant ne peut pas être justifiée par les données socio-économiques disponibles

Faire une évaluation socio-économique d’une mesure de sécurité routière ou plus généralement d’une mesure ou d’une politique de transport suppose de prendre en compte l’ensemble des avantages et des inconvénients liés à la mesure en question et d’en faire un bilan. La méthode d’évaluation la plus couramment utilisée, tant en France qu’à l’étranger, est l’analyse coût-avantage. Elle consiste à faire un bilan actualisé des gains et des pertes liés à une mesure, par exemple l’interdiction du téléphone au volant, pour tous les acteurs impliqués (usagers, entreprises, État ou collectivités locales) et prenant en compte tous les éléments monétaires (financiers) et monétarisables (temps, sécurité, bruit et pollution).
Ainsi, sont intégrés à l’analyse les éléments financiers : coût de la mesure ou de la politique (par exemple, coûts liés à la mobilisation des forces de police pour le contrôle ou coût de la campagne d’information) ; gains ou pertes financiers pour les différents acteurs (ainsi, une interdiction du téléphone éliminerait complètement à la fois les coûts et les gains des appels pour les usagers, les dépenses du système de santé, mais également les gains des garagistes, de certains employeurs et des opérateurs de téléphonie...).
Les rares travaux réalisés sur l’évaluation des mesures prises contre l’usage du téléphone au volant ont été menés dans les pays anglo-saxons (États-Unis, Canada, Australie). La question de l’évaluation de la pratique liée aux kits mains-libres n’est que peu abordée en tant que telle dans ces travaux qui reprennent simplement les résultats des études comportementales qui ne montrent pas que les systèmes mains-libres sont plus sûrs que le téléphone tenu à la main. Certains auteurs concluent toutefois qu’une restriction sélective du téléphone tenu à la main donne des coûts et bénéfices plus faibles mais un même ratio coût/efficacité qu’une interdiction totale du téléphone au volant.
Par ailleurs, les travaux font référence à des usages du téléphone qui évoluent rapidement, tant en volume qu’en type d’usage. Toutefois, un certain nombre d’enseignements peuvent être tirés de ces études et permettront d’orienter des études à réaliser pour la France.
La première étude de grande envergure effectuée en 1999 aux États-Unis a permis d’estimer que l’interdiction du téléphone au volant, en réduisant le nombre d’accidents, permettrait des gains de 1 million de dollars par jour pour le système de santé et de 4 millions par jour pour les autres coûts financiers (frais d’assurances, taxes, retards de voyage, dommages matériels...). Sur des bases comparables, une autre étude en 2003 estime ces gains potentiels à 35,7 milliards par an pour les États-Unis. Une étude plus récente (2009) au Canada (Alberta) intègre au calcul les pertes de production liées aux décès d’agents en capacité de produire, estimées à 90 000 $ par blessé et 2,7 millions par mort.
Ces études supposent que le risque incrémental d’accident est proportionnel au temps passé au téléphone. Ainsi, pour un temps de conduite par jour et par conducteur estimé à 60 minutes, le temps passé au téléphone a été estimé à 2 minutes par jour pour les études faites au début des années 2000 et à 3,6 minutes pour l’étude la plus récente en 2009. Dans toutes ces études, le risque relatif d’accident au téléphone pris en considération est en moyenne de 4,3.
Concernant la valorisation du temps passé au téléphone, la première étude aux États-Unis (1999) s’est référée à une valeur du temps pour les usagers de 0,47 $ par minute, basée sur la valeur de la demande pour ce type de services (c’est-à-dire le prix des communications). À l’inverse, le coût financier des appels pour les usagers a été estimé à 0,38 $ par minute pour les études sur les États-Unis.
Au total, le surplus des usagers, c’est-à-dire la différence entre la valeur de l’appel et le coût de l’appel pour l’usager est estimé à 0,09 $ par minute par la première étude sur la question en 1999 et à 340 $ par personne et par an en moyenne pour la deuxième étude en 2003 aux États-Unis.
Le bénéfice social d’une mesure d’interdiction du téléphone au volant réside dans une diminution du nombre de morts et de blessés. Il est donc basé sur une valorisation de la vie humaine et des blessés. Ainsi une mesure qui permet d’éviter un mort sur la route en France est valorisée à hauteur de 1 million d’euros (valeur 2000), et de 150 000 € pour un blessé grave et 22 000 € pour un blessé léger. Ce bénéfice social a ainsi été estimé à 43 milliards de dollars en moyenne en 2003 pour les États-Unis.
Au final, le bilan global d’une interdiction du téléphone portable au volant est estimé à un coût par QALY (année de vie en bonne santé) de 300 000 $ en 1999, à une perte annuelle de 23 milliards $ estimée pour les États-Unis, ou un bénéfice net négatif de 220 millions de $ en 2003. Pour la dernière étude sur l’Alberta, l’estimation est qu’il y a 80 % de chances qu’une interdiction conduise à un gain et 94 % de chances qu’une interdiction coûte moins de 50 000 $ par QALY.
Les bilans diffèrent donc quelque peu selon ces trois études. Ainsi, pour les deux études américaines (1999, 2003), une interdiction du téléphone portable n’est clairement pas économiquement efficiente même avec un bilan plus équilibré pour l’étude de 2003 (un bénéfice net négatif de 220 millions $ n’est pas une somme très élevée). Les auteurs estiment ainsi que les restrictions d’usage du téléphone portable au volant ont un rapport coût-efficacité moindre pour la société que les autres mesures en matière de sécurité (exemple les airbags latéraux) ou en d’autres termes qu’il y a des actions qui pourraient être plus efficaces en termes de réductions d’accidents et à un moindre coût que l’interdiction du téléphone portable. Ils concluent toutefois que les conducteurs devraient éviter les appels inutiles, avoir des conversations brèves, et suspendre l’échange en cas de circonstances hasardeuses (mais sans étayer ces propos) et qu’une interdiction pour les jeunes conducteurs (qui ont le plus d’accidents) pourrait être économiquement bénéfique pour la société.
Pour les auteurs de la dernière étude en date sur l’Alberta (2009), une interdiction du téléphone portable au volant est potentiellement intéressante dans une perspective sociétale. Ils relèvent toutefois que les résultats sont sensibles à des paramètres pour lesquels il y a très peu d’information ou pour lesquels les informations sont contradictoires. Ces auteurs évoquent également la question d’une interdiction ciblée pour les jeunes conducteurs qui ont les plus grands risques d’accident et considèrent qu’il n’y a pas de raison « économique » d’interdire l’usage du téléphone au volant si les conducteurs « assument » c’est-à-dire paient pour les dégâts causés.
Dans tous ces travaux, les incertitudes et les biais sont nombreux et les résultats sont donc à prendre avec précaution. Mais, tous pointent que le résultat final dépend de fait d’un seul paramètre qui est la valorisation des appels téléphoniques, le facteur de risque étant le moins influant.
Concernant plus particulièrement les systèmes mains-libres, si l’on fait l’hypothèse que les systèmes sont chers et qu’ils s’adressent aux conducteurs non jeunes ayant un risque d’accident plus faible et une valorisation du temps élevée, dans ce cas une interdiction serait encore moins économiquement efficiente.
Plusieurs auteurs concluent que la question de la loi n’est pas seulement une question économique. En effet, le rapport coût/efficacité économique des mesures limitant l’usage du téléphone au volant dépend surtout de la valeur des communications passées ou des valeurs tutélaires de la vie humaine et des blessés selon les méthodes utilisées. Cela revient de fait à remettre au centre la question de la responsabilité politique, les valeurs tutélaires retenues ne reflétant que les priorités accordées à une question par les autorités.

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