2011


Introduction

Cette expertise collective est intitulée « Stress au travail et santé, situation chez les indépendants ». Le terme de « stress » est employé dans le titre en raison de son usage commun tant dans la population que dans les différents secteurs d’intervention. Cependant, il convient dans cette introduction de préciser les définitions attachées à ce terme en fonction des disciplines médicales, biologiques, médico-sociales, en sciences humaines et sociales qui y font référence dans le cadre de la recherche ou de la prévention.
Le terme de « stress au travail » est aujourd’hui largement utilisé pour rendre compte du malaise ressenti dans de nombreux secteurs d’activité. D’après un sondage de 2007 en France, 78 % des actifs déclarent que le mot « stress » est celui qui décrit le mieux ce qu’ils ressentent au travail contre 30 % pour « corvée », 19 % pour « ennui » et 16 % pour « souffrance ». Cependant, ce terme « stress » englobe de multiples concepts sous-jacents.
Issu des disciplines biologiques et médicales, le concept de stress a tout d’abord été rattaché à des manifestations touchant les fonctions adaptatives. Le stress peut être défini comme un état biologique qui menace l’ « homéostasie » ou équilibre interne de l’organisme. Lorsque survient dans l’environnement un changement important ou menaçant, les mécanismes de réponse au stress sont activés. Ces réponses nécessitent l’intervention de l’ensemble du système nerveux central et périphérique et activent des fonctions adaptatives de survie, assurant ensuite un retour à l’équilibre homéostatique. Le stress est alors une réponse adaptative qui permet à l’organisme de gérer les stimuli menaçants ou « stresseurs ». Si la source de stress se prolonge, la réponse au stress échoue à rétablir un équilibre et la réponse inadéquate peut être associée à différents états pathologiques. Les premiers travaux ont cependant entretenu la confusion entre deux éléments distincts : l’agent, le stresseur et le processus physiopathologique qui résulte de l’exposition au stresseur nocif, le stress. On peut penser que le mot stress repose sur cette confusion sémantique dommageable aggravée par un usage médiatique inconsidéré. Le terme « stresseur » devrait être utilisé pour désigner le facteur déclenchant (au lieu du mot « stress » employé indifféremment dans le langage courant pour décrire l’agent stressant ou la réponse à ce stimulus), le terme de stress devant être réservé à l’état de l’organisme.
S’agissant de l’environnement de travail, les stresseurs sont appelés aujourd’hui facteurs psychosociaux regroupant des facteurs de stress très divers rencontrés en milieu de travail. Il s’agit des contraintes psychologiques, sociales et relationnelles dérivées de l’organisation du travail. Les facteurs psychosociaux peuvent également se définir comme l’ensemble des expositions professionnelles, qui ne relèvent pas d’agents physico-chimiques. Pour rendre compte des interactions de ces facteurs sur l’individu, deux modèles de référence dominent la littérature (le modèle élaboré par Karasek à la fin des années 1970 et le modèle de Siegrist élaboré dans les années 1990). Des études étiologiques ont confirmé les effets prédictifs de ces modèles sur la santé en particulier cardiovasculaire. Au cours de la décennie 2000, d’autres modèles ou concepts ont intégré de nouvelles dimensions telles que la justice organisationnelle, les violences au travail et l’insécurité/précarité.
Faisant l’hypothèse que les perceptions et le vécu des événements déterminent l’apparition d’un état de stress plutôt que les événements eux-mêmes, les travaux dans le domaine de la psychologie ont, dans les années 1960/1970, commencé à mettre en évidence l’importance des perceptions dans la survenue de l’état de stress. Le modèle transactionnel du stress de Lazarus et Folkman a ensuite décrit ces processus cognitivo-émotionnels et introduit trois notions principales : l’évaluation des enjeux de la situation de travail (comment la personne perçoit la situation), les ressources dont elle dispose face aux exigences de la situation et les capacités à y faire face.
Dans une démarche compréhensive des situations de travail, la psychodynamique du travail analyse la souffrance psychique en lien avec le travail, les réflexes défensifs individuels ou collectifs mais aussi la reconnaissance fondée sur la construction de la confiance et la coopération dans le travail.
Quelle que soit l’approche disciplinaire, le stress peut être considéré comme un élément d’un processus complexe, à la fois biologique, psychologique et social en réponse à une situation aversive.
Les stresseurs induisent des mécanismes biologiques (influencés par des facteurs individuels, génétiques), psychologiques (liés à la personnalité, au contexte et à l’expérience de l’individu) et sociaux (le contexte et les relations sociales qui conditionnent le sens des situations et l’environnement de travail). Ils produisent des réponses physiologiques et comportementales d’intensité variable selon la perception de ces stresseurs par les personnes et leurs ressources pour y faire face. Ces réponses sont elles-mêmes impliquées dans la survenue à moyen ou long terme de différentes pathologies, comme les maladies cardiovasculaires, les troubles de la santé mentale, les désordres métaboliques, les maladies du système immunitaire et les troubles musculosquelettiques.
L’ensemble des processus impliqués dans la survenue des pathologies peut être schématisé de la façon suivante :
Aborder la question du stress, c’est donc aborder un processus complexe qui va du psychisme jusqu’aux mécanismes moléculaires impliqués dans de nombreux systèmes de régulation. La compréhension de ce processus nécessite de conjuguer différentes disciplines même si chacune se focalise sur un aspect spécifique. Ainsi, l’épidémiologie s’intéresse plus particulièrement aux associations statistiques entre stresseurs et pathologies. La biologie concentre ses efforts sur la traduction physiologique des perceptions des stresseurs et les mécanismes biologiques qui en résultent. De son côté, la psychologie insiste sur les formes individuelles de perception cognitive et d’adaptation (coping) au stress tandis que la sociologie étudie la façon dont les collectifs gèrent et interprètent les contextes et environnements professionnels.
L’amélioration des connaissances dans ces différents domaines disciplinaires concernant d’une part les facteurs et les processus impliqués et d’autre part l’élaboration de modèles et d’outils a contribué au développement de stratégies de prévention et de prise en charge des conséquences pour la santé de l’exposition aux facteurs de stress. Les recherches qui se sont développées au cours des dernières décennies ont donné lieu à une panoplie de méthodes de prévention individuelles et organisationnelles dont certaines ont fait l’objet d’évaluations.
Face à l’enjeu économique majeur, notamment à travers le poids financier des maladies imputables à l’exposition aux facteurs de stress au travail, l’évaluation économique des politiques de prévention utilise les méthodes de l’économie de la santé pour estimer les coûts et les avantages attendus de ces interventions. Ces évaluations constituent un outil d’aide à la décision à la fois pour les décideurs publics et les entreprises.
Dans chacun des chapitres de cet ouvrage, les experts se sont efforcés de faire une analyse critique de la littérature scientifique largement dévolue aux travailleurs salariés et d’adapter ou étendre les résultats aux différentes catégories de travailleurs indépendants ou secteurs d’activités et métiers.

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