Pharmacodépendances et mésusages

2012


ANALYSE

6-

Pharmacodépendances en population générale

Le problème évoqué s’adresse à une forme de dépendance qu’il est difficile de définir et de chiffrer. Il s’agit en effet d’observer les signes de pharmacodépendance chez les patients auxquels la médecine générale prescrit des médicaments psychotropes. Cette question a mobilisé la recherche psychiatrique et psychologique sans avoir été vraiment tranchée, d’où l’intérêt d’interroger à leur tour les sciences sociales sur l’étude de ce problème.
Par population générale, on entend, de manière plus ou moins raisonnée : la population vivant dans la « communauté » au sens anglo-américain du terme, c’est-à-dire hors des institutions et des lieux fermés (hôpital général ou psychiatrique, prison...) ; ou bien, dans un sens assez proche, la population « intégrée », c’est-à-dire qui, par définition, n’est pas en situation de marginalité au moment de l’enquête. Ces définitions revêtent un caractère toujours approximatif. Il en est de même de la caractérisation de la dépendance aux médicaments psychotropes en population générale. Deux questions méritent d’être posées ici en particulier :
• Dans le cadre dit « thérapeutique » du recours aux médicaments psychotropes, quelles sont les définitions qui ont été données de la dépendance ? Quelle valeur leur accorder ?
• Si cette dépendance peut être spécifiée, en quoi se distingue-t-elle des formes plus ordinaires du recours aux médicaments psychotropes, c’est-à-dire des consommations conformes aux indications thérapeutiques ? En particulier, peut-on parler, dans le cas de la dépendance, d’un mésusage dont ne seraient pas affectés les autres modes de consommation ?
Ces deux questions se recouvrent fortement. En effet, on ne peut avoir une vision claire des usages problématiques de médicaments psychotropes, si l’on n’a pas une perception elle-même suffisamment étayée de l’usage qui est fait plus couramment des produits. Pour le dire autrement, c’est en partant des recours plus conformes aux indications qu’on a une chance de comprendre comment une partie de ceux-ci peut dériver en usage problématique.
Le chapitre s’attachera d’abord à rappeler quelles définitions ont pu être données de la dépendance aux médicaments psychotropes. Ces définitions, produites aussi bien par la psychiatrie que par la psychologie, sont souvent contradictoires et pour le moins formelles. À ce titre, elles couvrent rarement l’ensemble du phénomène, et donnent lieu à des évaluations chiffrées des différentes formes de mésusage pour le moins divergentes (Linsen et coll., 1995renvoi vers). Partant d’une toute autre perspective, certaines approches des sciences sociales ont pris le parti d’étudier, de manière plus empirique, les dynamiques de la consommation, c’est-à-dire la manière avec laquelle cet usage évolue dans le temps chez les usagers (North et coll., 1995renvoi vers ; Le Moigne, 2008renvoi vers). En particulier, il s’agit de comprendre comment la thérapeutique est capable de s’inscrire dans la chronicité, et dans quels cas et pour quels patients cette chronicité produit un rapport problématique aux médicaments. La seconde partie du chapitre s’applique à la présentation de ces analyses.

Définitions de la dépendance aux médicaments psychotropes

Dans le cas des médicaments psychotropes, une dépendance est-elle possible ? Et, dans l’affirmative, comment en spécifier la nature ? Historiquement, la psychiatrie a d’abord considéré que la distinction entre les médicaments psychotropes et les autres drogues n’avait pas lieu d’être, pour finalement soutenir quelques années plus tard une thèse plus nuancée, influencée pour une large part par le concept d’addictologie.

Hésitations du standard nosographique

La question de la dépendance aux médicaments psychotropes a été fortement discutée et débattue par la psychiatrie. Ainsi, le standard nosographique, le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM), admet d’abord en 1980 ce phénomène au titre d’une dépendance comme les autres et le range dans l’Axe I des troubles mentaux, à la rubrique des toxicomanies (APA, 1980renvoi vers). Autrement dit, comme les toxicomanies en général, la dépendance aux médicaments psychotropes se mesure alors à la tolérance, ou au sentiment de manque que le sujet éprouve quand il n’a plus accès au produit. Cette vision de la dépendance, qu’on pourrait qualifier d’objective ou de physiologique, va céder le pas à une vision plus psychologique ou subjective de la dépendance.
Ainsi, les versions ultérieures du manuel DSM-III-R et DSM-IV, publiées respectivement en 1987 et 1994, vont centrer leur caractérisation de la toxicomanie sur les modes de consommation exprimant une perte de contrôle manifeste (tentatives d’arrêt répétées sans succès, consommation persistante en dépit de ses conséquences, recherche compulsive du produit...) (annexe 6). Cette nouvelle définition contribue à exclure la plupart des cas de dépendance aux médicaments psychotropes dans la mesure où l’abus et la compulsion sont rarement associés à l’usage de ces produits. À partir de cette date, les manifestations de dépendance liées aux médicaments psychotropes seront décrites dans les termes d’un phénomène psychologique. C’est en particulier le sens du syndrome dit de substance dependence without physiological dependence (APA, 1994renvoi vers), définition par laquelle la dépendance aux médicaments psychotropes est décrite, littéralement, comme « une dépendance aux substances sans dépendance physiologique ».
La dépendance, avec perte de contrôle, est dès lors associée au mésusage, et s’applique uniquement aux personnes souffrant par ailleurs d’une toxicomanie. Hors de la toxicomanie, le syndrome est dit psychologique. Ce syndrome est assimilé à un « effet associé » à l’usage des médicaments. Par « effet associé », il faut entendre des phénomènes qui peuvent interférer avec la prise des médicaments psychotropes mais qui ne sont pas causés nécessairement par cette prise. On trouve la trace de cette qualification dans les annexes du DMS-IV, dans la rubrique des « Désordres associés à l’usage des benzodiazépines ».
Pour autant, la position de l’American Psychiatric Association (APA), qui dirige la publication du DSM, est-elle aussi claire ? Les conclusions de la conférence de consensus organisée par l’APA en 1990 sur ce thème sont pour le moins explicites : « Parce que la prescription thérapeutique est à distinguer clairement de l’abus récréatif, le terme de dépendance doit être préféré à celui d’addiction, et le syndrome d’abstinence nommé syndrome d’arrêt ou d’interruption [discontinuation syndrome] [...] La présence d’un syndrome d’arrêt, fort probable à la suite d’une interruption brutale de la consommation de benzodiazépines, constitue la preuve du développement d’une dépendance physiologique [...] Quatre à huit mois semblent être la durée critique pour le développement d’une dépendance liée à une prescription thérapeutique [...] Les risques de toxicité chronique, en particulier de dysfonctionnement cognitif, de dépendance physiologique et de symptômes de sevrage sont plus probables dans les conditions suivantes : 1) fort dosage ; 2) consommation régulière au-delà de 4 mois ; 3) âge avancé ; 4) dépendance intercurrente ou préalable aux opiacés ou à l’alcool, incluant l’usage antérieur et chronique de benzodiazépines ; 5) le recours à des benzodiazépines à fort potentiel d’activité et à courte demi-vie. Seuls ou en combinaison, ces facteurs de risque conduisent à interroger sérieusement la valeur de l’usage routinier des benzodiazépines à long terme » (APA, 1990renvoi vers : 55-59).
L’APA reconnaît ainsi que la dépendance aux médicaments psychotropes peut être différente de la toxicomanie (et de ce qu’on désignera ensuite par le terme d’addiction), et notamment que les manifestations liées à l’arrêt de la substance ne sont pas celles du manque mais qu’elles sont pour autant bien réelles. Ces manifestations ne seraient pas seulement de nature psychologique, mais bien physiologique. Enfin, les effets subis par les patients à l’arrêt de la consommation pourraient être initiés directement par les médicaments, et par les benzodiazépines au premier chef. L’APA se range ici à la définition de la dépendance comme syndrome de retrait. En ce sens, l’APA s’éloigne d’une lecture psychologique pour s’ouvrir à une qualification plus physiologique du phénomène.

Syndrome de retrait

En 1981, Tyrer et Rutherford (Tyrer et Rutherford, 1981renvoi vers), d’une part, Pertursson et Lader (Petursson et Lader, 1981renvoi vers) d’autre part, caractérisent le syndrome de retrait comme suit : les symptômes de sevrage désignent le mal-être vécu à l’arrêt de la consommation ; ces symptômes seraient par ailleurs proches de ceux de la pathologie ayant motivé la thérapeutique ; et, comme le soulignait déjà Hollister en 1977, ces symptômes apparaissent rarement parce que les patients les devancent en reprenant immédiatement leur consommation, ou bien agissent de telle sorte à ne pas l’interrompre (Hollister, 1977renvoi vers).
Cet état symptomatique, qui n’est pas un état de manque mais plutôt un faisceau de symptômes, a été décrit sous le terme d’une « dépendance sans abus » par l’Organisation mondiale de la santé (Edwards et coll., 1981renvoi vers). Il comprendrait : des problèmes gastro-intestinaux, une douleur somatique avec ou non une anxiété et de l’agitation, une perturbation du sommeil, des tremblements et désordres du mouvement, symptômes accompagnés éventuellement d’une activité paradoxale ou de manie (Disalver et Greden, 1984renvoi vers). Ces symptômes dureraient entre 10 et 60 jours et concerneraient la plupart des médicaments psychotropes prescrits. La présence de ce phénomène semble manifeste pour les benzodiazépines (Petursson et Lader, 1981renvoi vers ; Tyrer et Rutherford, 1981 ;renvoi vers  APA, 1990renvoi vers). Plus discuté, le phénomène pourrait néanmoins être observé pour les antidépresseurs (Disalver et Greden, 1984renvoi vers ; Lejoyeux et coll., 1992renvoi vers). Il aurait été ainsi mis en évidence pour les antidépresseurs de première génération tels que l’imipramine (Oswald et coll., 1971renvoi vers ; Garner et coll., 1993renvoi vers), comme pour les plus récents (les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine), c’est-à-dire la fluoxétine, la paroxétine ou encore la sertraline (Price et coll., 1995renvoi vers ; Haddad, 1998renvoi vers).
Le DSM-IV proposait de décrire la dépendance comme un phénomène d’abord psychologique, associé à la prise des médicaments, sans être nécessairement induit par la thérapeutique (APA, 1994renvoi vers). Lorsqu’on se place dans le cadre de pensée du syndrome de retrait, l’équation est différente. Selon cette perspective, les symptômes du syndrome ne se confondent pas avec une rechute ou une récidive de la pathologie traitée en première intention. Autrement dit, la thérapeutique n’est pas proprement iatrogène : elle n’accentue ni ne réintroduit les symptômes contre lesquels elle est censée lutter (Garner et coll., 1993renvoi vers). Il devient donc possible de distinguer formellement la symptomatologie dépressive par exemple, des réactions suscitées par l’arrêt de la médication antidépressive. Ainsi, l’interruption du traitement peut faire l’objet d’une prise en charge séparée au moyen d’un sevrage progressif, par la diminution du dosage ou par un placebo (Wolfe, 1997renvoi vers). La conférence de consensus réunie à Phoenix, aux États-Unis, à la fin des années 1990, va encore plus loin.
Cette conférence conclut à la distinction formelle entre le syndrome de retrait et l’hypothèse d’une dépendance. D’après ces experts, dans le cas des médicaments psychotropes, les effets d’une abstinence soudaine ne peuvent pas être comparés à ceux de l’alcool ou de médicaments plus anciens, tels que les barbituriques. La symptomatologie dont il est question ici n’engage ni un manque ni une compulsion et, selon la formule retenue par le groupe d’experts, « elle ne peut être attribuée à rien d’autre qu’à la prescription » (Schatzberg et coll., 1997renvoi vers ; Maixner et Greden, 1998renvoi vers). Autrement dit, il n’est plus question de parler de dépendance, mais plutôt et simplement d’un effet indésirable qu’il convient de traiter au même titre qu’on traite les problèmes gastro-intestinaux suscités par la consommation à long terme.
Le mouvement de pensée, qui tend ainsi à distinguer la dépendance aux médicaments psychotropes d’une toxicomanie, en vient peut-être ici à dissoudre presque totalement son objet. Avec le DSM-IV, la dépendance est dite psychologique, et par certains aspects, n’a pas besoin de faire référence aux médicaments. Dans l’autre cas, celui où on assimile le phénomène à une conséquence de la prescription, la dépendance se réduit à un effet secondaire : elle est le « produit résiduel » de l’action médicinale. Dans ces conditions, pourquoi parler encore de dépendance (Le Moigne et coll., 2004renvoi vers) ?

Syndrome physiologique ou psychologique ?

Les difficultés de la recherche ne concernent pas seulement la caractérisation de l’objet. Elles concernent également l’explication de la dépendance elle-même. Ici, deux approches se sont opposées et ont opposé entre elles une causalité physiologique à une causalité psychologique.
Tyrer, partisan d’une approche plutôt physiologique, a créé un des tests les plus utilisés lorsqu’il s’agit de mesurer le syndrome de retrait : le Benzodiazepine Withdrawal Symptom Questionnaire (Tyrer et coll., 1990renvoi vers). C’est un test rétrospectif. Il est demandé à d’anciens usagers de se remémorer les symptômes ressentis à l’arrêt de leur traitement, et ces informations sont comparées à une liste de symptômes prédéfinis afin d’établir si ces patients ont été confrontés à un syndrome de retrait.
Cependant, si les symptômes étaient produits par la thérapeutique comme le pensait Tyrer, il restait néanmoins à expliquer la diversité des expériences vécues après l’arrêt du traitement. En effet, selon Tyrer, seulement un usager sur deux en moyenne fait l’expérience du syndrome de retrait lorsqu’il interrompt sa consommation. Pour expliquer cette variabilité, Tyrer a dû prendre en compte des facteurs qui ne sont pas tous de facture physiologique (tels que l’ancienneté de la consommation ou la personnalité du consommateur, par exemple) (Tyrer, 1993renvoi vers).
Baillie de son côté, psychologue cognitiviste inspiré par les travaux de Beck, s’est emparé des limites rencontrées par l’analyse physiologique pour tenter d’imposer une lecture psychologique de la dépendance. Il a créé un test, le Benzodiazepine Dependence Questionnaire (BDEPQ) qui se présente comme une échelle des élaborations mentales mobilisées dans la dépendance aux médicaments psychotropes (Baillie, 2001renvoi vers). Baillie considère que les éléments de la prescription (tels que la nature du médicament ou le dosage) sont faiblement prédictifs de la durée de la consommation et de l’expérience vécue lors de l’interruption du traitement. Pour lui, il faut renverser l’angle de vue : c’est la manière avec laquelle le consommateur se représente l’usage qui conditionne la sévérité du sevrage.
Selon Baillie, certaines représentations induisent un attachement important au produit. Il faut d’abord que le patient se soit convaincu qu’il n’y a pour lui aucune autre solution que de recourir au médicament. Mais il faut en même temps que ce patient soit divisé, c’est-à-dire qu’il n’ait de cesse de vouloir abandonner tout recours aux substances. Autrement dit, ce genre de patient s’applique à lui-même une injonction paradoxale : il reconnaît avoir besoin du médicament et exprime le désir incessant de s’en passer. Enfin, les mentalisations du sujet ont d’autant plus de probabilité de le conduire à la dépendance qu’elles favorisent une consommation ritualisée, entourée d’une organisation spécifique, scrupuleuse voire indéfectible.
Fort de ses principes, Baillie a cherché, auprès d’une population ayant cessé de consommer, à croiser son questionnaire avec celui de Tyrer, en vue de mesurer le rapport qu’il est possible d’établir entre la « conception du recours » élaborée par le patient et le mal-être vécu à l’arrêt du traitement. Selon lui, un tiers des patients étudiés ont fait part d’élaborations propres à susciter une dépendance. Toutefois, en rapprochant les résultats obtenus aux deux questionnaires, Baillie observe que les caractéristiques des élaborations mentales n’expliquent la variance de l’expérience vécue à l’arrêt du traitement qu’à hauteur de 30 %. Autrement dit, Baillie n’est pas parvenu à expliquer l’expérience du retrait, inégalement vécue par les patients, à partir d’une hypothèse cognitiviste, c’est-à-dire d’une élaboration mentale spécifique. Il a dû lui-même adjoindre d’autres variables, telles que la nature du médicament consommé ou le dosage de la thérapeutique.
Ainsi, la dépendance aux médicaments psychotropes a fait l’objet de définitions évolutives, plurielles, et a suscité des modes d’explication eux-mêmes antagonistes. Il était donc probable qu’il n’y ait pas eu consensus non plus sur la proportion des consommateurs affectés par ce syndrome. Et, de fait, les estimations sont pour le moins divergentes. Si l’on s’en tient aux évaluations rétrospectives, auto-déclarées, effectuées auprès de consommateurs de benzodiazépines ayant interrompu leur traitement, le syndrome de retrait pourrait être diagnostiqué pour la quasi-totalité des patients (Rickels et coll., 1990renvoi vers), ou n’en concerner qu’un sur deux, voire un sur dix (Tyrer et coll., 1983renvoi vers ; Lader et Higgit, 1986renvoi vers), selon l’étude considérée.
Dans le prochain DSM-V, la distinction entre abus et dépendance devrait disparaître au profit d’une catégorie unique appelée « trouble lié à une substance ». De ce fait, on pourra parler de trouble lié à l’usage de psychotrope devant l’existence d’un seul critère : tolérance ou syndrome de sevrage à l’arrêt ou envie impérieuse de consommer à nouveau (craving) quand la substance disparaît ou survenues répétées de dommages que ce soit dans le domaine familial, professionnel ou social (O’Brien, 2011renvoi vers).

Regard des sciences sociales

Devant autant de difficultés de caractérisation, d’explication et de mesure, quelle contribution les sciences sociales pouvaient-elles apporter à l’entreprise de recherche ? En sociologie comme en anthropologie, cette question a d’abord donné lieu à des prises de position assez antagonistes.

Dépendance versus autonomie

Pendant longtemps, les sciences sociales n’ont abordé la caractérisation de la dépendance aux médicaments psychotropes qu’à la marge : ou bien, et c’est la minorité, les chercheurs se sont rangés à l’hypothèse physiologique d’une dépendance induite par le médicament, et ont dénoncé une forme « d’intoxication » conduite par l’industrie pharmaceutique (Cohen et Collin, 1997renvoi vers) ; ou bien ils ont considéré, dans un certain antimédicalisme, que l’usager était autonome tant vis-à-vis du prescripteur que de la prescription. Ce mode d’approche, ouvert par Helman dans les années 1980, n’envisage pas l’hypothèse d’une dépendance. Au contraire, elle fait du médicament psychotrope la base d’un style de vie, voire d’une nouvelle autonomie : les patients utilisent les médicaments pour s’ajuster aux contraintes du quotidien, être plus performants ; bref, la maîtrise du produit serait quasi-totale (Helman, 1981renvoi vers ; Haafkens, 1997renvoi vers).
De leur côté, les études portant sur les représentations de la consommation n’ont pas apporté grand-chose à la connaissance des usages problématiques puisque, généralement, les usagers se rangent à l’opinion ou au stéréotype majoritaire : pour les consommateurs comme pour la population en général, cette consommation induirait de fait une dépendance. Et de fait, dans 96 % des cas, si l’on en croit Bauman, les consommateurs les plus réguliers déclarent vouloir mettre fin à leur traitement lorsqu’on les interroge sur ce point (Bauman et coll., 2001renvoi vers). Quelle peut être la valeur de telles déclarations, sinon de faire corps avec le jugement moral qui entoure la consommation ? Parler de dépendance à propos des médicaments psychotropes, c’est alors invoquer une sorte d’inversion du principe thérapeutique, l’amélioration prodiguée par le soin conduisant au final à la perte d’autonomie du patient (Romani et Comelles, 1991renvoi vers ; Haxaire, 2002renvoi vers).
En vérité, sans parler de dépendance, au regard des règles de prescription, le mésusage des médicaments psychotropes est bien plus courant, banal, voire généralisé, qu’on ne le pense spontanément. Ainsi, comment expliquer que, dans 25 % des cas au moins, un patient qui reçoit un antidépresseur n’est pas dépressif (ou ne présente pas la totalité du tableau de la dépression) (Bouhassira et coll., 1998renvoi vers) ? Et comment expliquer, qu’à l’inverse, 50 % des dépressifs n’étaient pas traités au moyen d’un antidépresseur au début des années 1990 (Mojtabai, 1999renvoi vers), et que cette tendance se soit même accrue au début des années 2000 (Opeps, 2006renvoi vers) ? Par ailleurs, si l’on s’en tient aux durées de traitement, les prescriptions d’antidépresseurs s’avèrent dans les faits souvent plus courtes qu’elles ne devraient l’être, au regard des préconisations, c’est-à-dire inférieures à six mois (ONCM, 1998renvoi vers). De leur côté, la durée des consommations de benzodiazépines s’avère supérieure à une année dans 50 % des cas. Dans 30 % des cas, elle est supérieure à 2 ans (Bauman et coll., 2001renvoi vers), et peut atteindre une chronicité comprise entre 10 et 20 ans pour près de 5 % des consommateurs (Le Moigne et coll., 2004renvoi vers).
L’enquête sociologique peut permettre de comprendre pourquoi un tel écart existe entre la règle et l’usage ou entre les recommandations et les usages non conformes. Car ce mésusage possède en réalité une part de rationalité. Celle-ci ne puise pas son organisation logique dans la clinique psychiatrique mais dans des définitions concurrentes de la santé, structurées entre autres par les questions de la douleur, de la souffrance et du mal-être. Ensuite, cette rationalité permet de comprendre pourquoi certaines consommations deviennent chroniques sans pour autant perdre leur légitimité, aux yeux aussi bien des patients que des praticiens. En effet, seule une part des consommations au long cours génère un usage jugé et ressenti comme problématique par les acteurs du corps médical. Autrement dit, seule une partie des consommations chroniques paraît déboucher sur une situation qui peut être assimilée à une condition de dépendance (Le Moigne, 2007renvoi vers). Pour comprendre cette issue, il convient d’abord de replacer les recours chroniques dans l’organisation générale de la consommation. Après quoi, il deviendra possible d’examiner la part des recours les plus durables qui finissent par susciter chez les patients un surinvestissement dans le produit.

Facteurs sociaux du recours : le profil sociodémographique des usagers

La consommation des médicaments psychotropes concerne chaque année environ un quart des assurés sociaux, soit près de dix millions de personnes (Lecadet et coll., 2003renvoi vers). Dans 80 % des cas, la prescription est réalisée par un généraliste. Pendant longtemps, les médicaments psychotropes les plus délivrés ont été les benzodiazépines, c’est-à-dire des anxiolytiques et des hypnotiques. À partir des années 1990, sous l’effet de la légitimité acquise par les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, les antidépresseurs ont fait une percée significative pour représenter au milieu des années 2000 près d’un tiers des prescriptions de médicaments psychotropes (Opeps, 2006renvoi vers ; Gasquet et Lépine, 2006renvoi vers ; Afssaps, 2007renvoi vers).
Lorsqu’on analyse les ordonnances sur lesquelles les médicaments psychotropes sont présents, ceux-ci sont rarement prescrits seuls. Dans 17 % des cas seulement, ces ordonnances ne comprennent que des molécules de cette classe pharmaceutique. Autrement dit, dans la plupart des cas, l’ordonnance comprend d’autres spécialités. Pour schématiser, on n’a pas affaire tant à une clinique psychiatrique qu’à une clinique dans laquelle le traitement de la santé mentale est indubitablement lié, sinon conditionné par le traitement d’un fond somatique. Plus précisément, les spécialités prescrites en association avec les médicaments psychotropes appartiennent d’abord à la classe C (des thérapeutiques du système cardiovasculaire) et à la classe A (des thérapeutiques des voies digestives) de la nomenclature pharmaceutique (classification ATC1 ) (Le Moigne, 2004renvoi vers). Comme le souligne la plupart des études consacrées au tableau clinique des consommateurs, plus le risque vital est engagé, plus la prescription de médicaments psychotropes tend à devenir systématique (Bourque et coll., 1991renvoi vers).
Une autre manière de figurer cette relation consiste à observer le rapport qui lie dans le temps le nombre total d’ordonnances délivrées au patient (quelle que soit la spécialité pharmaceutique considérée) avec le nombre d’ordonnances de médicaments psychotropes qui lui sont prescrites. La relation de corrélation est forte. Autrement dit, le nombre d’ordonnances en médicaments psychotropes croît à mesure que le nombre d’ordonnances médicinales (quelle que soit la spécialité considérée) croît lui-même. Ainsi, la probabilité de recevoir fréquemment des psychotropes est d’autant plus grande que l’assuré est déjà abondamment ordonné en médicaments (Le Moigne, 2004renvoi vers).
Il s’agit donc d’une médication dont le champ d’application comprend très fréquemment le traitement ou l’accompagnement d’un problème organique. Une autre manière de corroborer ce constat consiste à analyser la structure par âge des consommateurs. Hormis la surreprésentation des femmes qui est due, entre autres, à leur plus grande proximité à l’appareil de soins, on observe une relative prépondérance de la classe d’âge des 45-55 ans et des plus de 75 ans. Ces classes d’âge réunissent près de 40 % des patients ordonnés en médicaments psychotropes. Mais ce constat reste sommaire : il s’applique au fait d’avoir reçu au moins une ordonnance de ces médicaments dans l’année. Or, si l’on cherche à déterminer qui est le plus souvent et durablement prescrit, la relation entre l’âge et le taux d’ordonnances devient pratiquement linéaire. Lorsqu’on étudie rétrospectivement les données de remboursement de la Sécurité Sociale sur une période de deux ans, on relève, parmi la population consommatrice, deux demandes de remboursement en moyenne pour les moins de 25 ans, mais pas moins de 14 demandes au minimum pour les plus de 75 ans (Le Moigne, 2004renvoi vers).
D’un point de vue démographique, la chronicité des prescriptions a donc à voir avec la prise en charge du vieillissement. En revanche, d’un point de vue social cette fois, la chronicité n’est en rien liée à la prise en charge de la pauvreté comme on peut l’entendre parfois : les médicaments psychotropes n’incarnent pas le nouvel « assommoir moderne ». En effet, le niveau de prescription des assurés du régime conventionnel et celui des bénéficiaires de la Couverture Maladie Universelle ou de la CMU complémentaire ne semblent pas présenter de différence significative. Comme le montre la grande majorité des enquêtes réalisées dans les sociétés occidentales, la population ordonnée en médicaments psychotropes aurait plutôt les caractéristiques suivantes : c’est une population plutôt issue du monde ouvrier et des catégories d’employés, qui est peu fortunée mais qui ne figure pas parmi les catégories sociales les plus pauvres. C’est une population par ailleurs intégrée plutôt que marginale : ce constat s’entend logiquement dans la mesure où la prescription implique une proximité minimale au système de soins, et par suite un niveau minimal d’intégration (Gabe et Lipshitz-Philipps, 1984renvoi vers).
Toutefois, les caractéristiques sociodémographiques des consommateurs ne donnent à voir qu’une partie des mécanismes sociaux qui bâtissent le recours aux médicaments psychotropes. En effet, il reste à comprendre comment ces mécanismes aiguillent la nature du recours et, par suite, quels types de plaintes ou de difficultés sont effectivement traités par ce moyen en médecine générale.

Nature du recours : un mésusage constitué ?

Globalement, il est possible de dire que la consommation, voire la surconsommation des médicaments psychotropes, trahit une sorte d’« appel à la réintégration », c’est-à-dire la volonté, parfois excessive, de rester « dedans », « dans la course », « apte », devant les contraintes et les incidents de la vie et la menace de dépendance, incarnée en particulier par la maladie et le vieillissement. Les enquêtes qualitatives, conduites par entretien, révèlent bien ce ressort. Elles montrent que la prescription des médicaments psychotropes est associée par les usagers à un large faisceau d’indications qui ne sont pas d’ailleurs toujours formellement exprimées, mais qui manifestent dans la plupart des cas l’intention de « faire face » ou de « rester à flots » (Haxaire, 2002renvoi vers).
Le plus souvent, il y est question d’accompagner les maladies somatiques, invalidantes, de gérer le risque vital, de traiter la douleur ou la souffrance vécue dans la perte d’autonomie. Il y est également question de prendre en charge l’univers vaste et confus de l’insomnie. Les troubles du sommeil, catégorie transnosologique s’il en est, condensent en effet l’ensemble des questions abordées à travers la prescription des médicaments psychotropes. Par la diversité de ses causes, l’insomnie incarne au plus près l’éventail des troubles traités ici par la médecine générale.
La prescription des médicaments psychotropes s’applique également, de manière souvent plus implicite que formelle, à la prise en charge des problèmes relationnels, vécus dans le travail, la famille ou le couple. Elle est également mobilisée, à l’inverse, par la question de l’isolement, consécutif notamment au départ des enfants ou au passage à la retraite (Le Moigne, 2002renvoi vers). Enfin, la médication s’applique effectivement à des symptômes qui s’énoncent dans les termes de la dépressivité (plutôt que de la dépression), de l’angoisse ou du stress (plutôt que dans les termes de l’anxiété généralisée, de la phobie sociale ou du syndrome post-traumatique pour reprendre le langage de la psychiatrie). Ces usagers, s’ils se rapprochent des patients suivis par la psychiatrie, ne présentent pas le plus souvent l’ensemble de symptômes décrits par les grilles nosographiques et requis pour le diagnostic. Toutefois, l’affirmation de cette plainte est réelle. Même s’il ne faut pas en exagérer le développement, elle marque la constitution progressive d’une prise en charge dédiée en propre à la santé mentale en médecine générale. Ce processus est attesté pour partie par l’augmentation des prescriptions d’antidépresseurs. Celles-ci ne se sont pas seulement substituées à la prescription des benzodiazépines ; elles témoignent également d’un traitement plus spécifique de la plainte mentale par les omnipraticiens (Le Moigne, 2007renvoi vers).
Toutefois, dans l’écrasante majorité des cas, l’écart entre l’usage et la règle est manifeste : les troubles pour lesquels sont ordonnés les médicaments psychotropes se situent souvent hors de la cible thérapeutique, et les durées de prescription ne respectent pas les préconisations. Comment expliquer un tel écart ? D’abord, pour comprendre ce phénomène, on doit tenir compte d’un effet de sélection. Les usagers de la médecine générale se recrutent plus souvent parmi les femmes et les personnes âgées. Or, cette sélection joue indubitablement sur la nature de la plainte exprimée lors de la consultation, ce qui peut justifier la part des prescriptions dédiées à l’accompagnement de la maladie organique. Ensuite, la pratique médicale, la pesanteur de la tradition et de la formation ont également une incidence. L’écart entre l’usage et la règle marque ainsi le maintien d’une prééminence accordée à la médecine somatique par les omnipraticiens. Cette orientation les conduit à privilégier le traitement des problèmes organiques, parfois au détriment des troubles visés par la psychopathologie.
Mais, il y a plus. Si les traitements ne s’appliquent pas dans la majorité des cas à des syndromes psychiatriques constitués, c’est que la plainte des patients emprunte à une autre définition de la santé : il y est question du maintien d’un bien-être minimal face à la douleur physique, de la préservation d’une capacité à agir, d’une intégration à préserver dans le travail ou devant ses proches, face à des problèmes professionnels ou familiaux. À ce titre, la prescription des médicaments psychotropes entérine plutôt une médecine de la souffrance induite par le vieillissement ou les conflits relationnels. Cette perspective ne vise pas la rémission d’une maladie, mais la réduction du mal-être. C’est pourquoi elle applique une extension remarquable à la définition de la santé et de l’indication thérapeutique. Le traitement de la souffrance a ainsi acquis une légitimité sans conteste chez les praticiens comme chez les patients, comme le démontre l’organisation des prescriptions, au point de concurrencer les définitions plus syndromiques de la santé (Le Moigne, 2005renvoi vers).
Si l’on garde à l’esprit les règles édictées tant par la clinique psychiatrique que par l’administration sanitaire, on ne peut conclure qu’à une dérive thérapeutique, c’est-à-dire à une prescription non conforme des médicaments psychotropes. En revanche, si l’on soutient l’idée que ces médicaments peuvent accompagner le traitement de la douleur et de la souffrance, alors on reconnaîtra plus volontiers la rationalité des termes actuels de la prescription, même s’il y a lieu de s’interroger sur l’efficacité réelle de ces produits dans le traitement de ces problèmes. Si donc, on tient compte de la légitimité sociale de telles indications, alors l’idée de prescription non conforme doit être relativisée, sauf à prendre parti pour une définition et une seule de la santé.
On comprend de la sorte pourquoi la prescription peut être renouvelée et induire parfois des années de recours, sans que le patient et son médecin ne s’en offusquent. Cette chronicité mériterait toutefois d’être mieux encadrée, notamment lorsqu’elle s’applique à des personnes âgées : ici, la perte de vigilance et l’induction de certains cas de démence ne peuvent pas être négligées (Verdoux et coll., 2005renvoi vers). Concernant les personnes âgées, plusieurs études ont documenté le risque de chutes associé à l’usage de médicaments psychotropes (Leipzig et coll., 1999renvoi vers ; Landi et coll., 2005renvoi vers ; Pariente et coll., 2008renvoi vers). Une étude française récente montre qu’un usage inapproprié est modérément associé à une augmentation des risques de chutes en particulier avec les benzodiazépines à demi-vie longue, sans qu’il soit possible de montrer une relation dose dépendante entre le niveau ou la durée d’exposition et le risque de chute (Berdot et coll., 2009renvoi vers).
Toutefois, contrairement à ce qui est dit parfois, il y a loin entre cette chronicité et une induction de dépendance généralisée. En effet, les quelques enquêtes menées précisément dans ce domaine par les sciences sociales montrent que l’attachement au produit est très fréquent dans le cas des consommations chroniques, mais que cet attachement ne devient excessif ou problématique que dans une proportion limitée de cas.

Durée de consommation et proximité aux médicaments

Peut-on associer aux différentes durées de recours, des formes d’usage et de relations à la thérapeutique, elles-mêmes distinctes ? La chronicité multiplie-t-elle l’investissement du patient dans le médicament, ou bien cette relation n’est-elle pas systématique ?
Dans les sciences sociales, très peu d’enquêtes ont tenté de répondre à ces questions. Deux études peuvent néanmoins être mentionnées. Il s’agit de l’étude de North en Angleterre, appliquée aux consommateurs de benzodiazépines qui ont choisi de se réunir en groupes d’auto-support, à l’instar des Alcooliques Anonymes (North et coll., 1995renvoi vers). La seconde est l’enquête de Le Moigne qui a cherché à confronter la diversité des usages à l’ancienneté de la consommation : elle s’est fondée sur des entretiens réalisés auprès de patients échantillonnés après analyse des données de la CPAM du Grand Rouen (Le Moigne, 2004renvoi vers et 2008renvoi vers). La synthèse des conclusions issues de ces deux études permet de dresser la typologie suivante.

Recours conjoncturels

Lorsque les recours sont conjoncturels, c’est-à-dire lorsqu’on a affaire à la norme attendue, il est question le plus souvent pour le patient de s’ajuster aux circonstances. Pour cet usage, de loin le plus fréquent, la durée de prescription n’excède pas six mois. Les médicaments le plus souvent consommés sont des anxiolytiques, associés éventuellement à des antidépresseurs. L’usager est plutôt jeune, employé ou issu des professions intermédiaires. Le motif du recours, tel qu’il est déclaré, a trait à un événement ou à une difficulté à laquelle il s’agit de faire face (une disparition, une période de chômage, une rupture...).
La plupart du temps, ces personnes déclarent avoir été soutenues, voire protégées, par la thérapeutique, sans pour autant manifester à l’égard de celle-ci un attachement réel. L’usage ayant été temporaire, le médicament n’a été lui-même investi que de manière conjoncturelle. Et, logiquement, dès que la situation s’améliore, la consommation cesse.
En revanche, le cadre des recours chroniques est plus diffracté. Schématiquement, on peut distinguer deux groupes de consommateurs.

Chronicités consenties et maîtrisées

Le premier groupe exprime ce que l’on pourrait appeler un « recours de nécessité ». Il s’agit là des recours les plus longs puisque leur durée est supérieure à 10 ans dans la majorité des cas. Il est question le plus souvent d’une consommation d’hypnotiques. Les personnes sont âgées, et souvent issues de milieux populaires. Elles associent volontiers leur consommation à une pathologie invalidante (des problèmes cardiovasculaires, des rhumatismes par exemple). De la même manière, l’insomnie revient ici comme un leitmotiv.
Il s’agit d’un recours de nécessité dans le sens où les personnes déclarent qu’elles ne peuvent faire autrement : l’usage est fataliste. De fait, devant certaines des pathologies présentées par ces usagers, il n’existe parfois aucun espoir d’amélioration. Mais le fatalisme est également soutenu par l’interprétation du patient. C’est le cas en particulier des troubles du sommeil lorsqu’ils sont mis au compte d’une « nature personnelle » par les usagers ; ces consommateurs déclarent ne pas pouvoir dormir, précisément, parce qu’ils possèderaient une « personnalité insomniaque ». Ne pouvant lutter contre leur nature, ils n’auraient pas d’autre choix que de prendre un somnifère. Toutefois, y compris dans ce cas, la chronicité du recours n’est jamais revendiquée. Elle est déplorée mais n’est pas condamnée par le patient comme par les médecins, précisément parce qu’aucune alternative n’apparaît disponible.
En effet, dans la mesure où les causes invoquées par ces patients sont extérieures à leur volonté (la maladie, une nature insomniaque, un contexte de vie difficile...), le renouvellement de la prescription bénéficie d’une certaine légitimité. Chacun reconnaît dans le recours aux médicaments, une solution par défaut, mais une solution quand même. Le médicament ne fait donc pas l’objet d’un surinvestissement puisqu’il n’améliore pas à proprement parler l’existence de ces personnes, mais les « maintiendrait » plutôt dans le périmètre de l’intégration sociale. Certes, le médicament leur paraît indispensable comme en témoigne leur agitation lorsqu’elles les oublient lors de leurs déplacements. Mais, les actions et les pensées consacrées au médicament restent inscrites dans le cadre d’une forte habitude plutôt que d’un usage problématique : la consommation, dût-elle être chronique, n’est pas vécue comme telle, ni par le patient ni par le prescripteur.

Surinvestissement médicinal

Dans le second groupe de patients, les personnes déclarent des recours qui oscillent entre 5 à 10 ans d’usage. Elles sont plus jeunes que les patients du groupe précédent, et appartiennent pour la plupart à la classe d’âge des 45-55 ans. Ces patients sont issus de la classe moyenne, notamment du monde enseignant et du travail social. La nature de leurs prescriptions est également assez distincte : elle est souvent spécifique, c’est-à-dire composée uniquement de médicaments psychotropes. Il n’est pas rare ainsi, contrairement aux autres cas, qu’on ait affaire à des trithérapies, c’est-à-dire à une prescription conjuguée d’anxiolytiques, d’antidépresseurs et d’hypnotiques.
Le symptôme est souvent décrit dans les termes de la dépression, ou de la dépressivité. Pour autant, l’origine du trouble, voire sa qualification en tant que pathologie, ne se laissent pas aisément deviner, c’est du moins ce que les patients comme les médecins rapportent. En particulier, le mal-être n’est pas associé à une cause extérieure à la conscience, événementielle ou organique. Elle laisse les patients penser qu’elle se situe à l’intérieur d’eux-mêmes, à la manière d’un « trouble en soi ».
Ici, le patient est « pris » dans un jeu assez complexe : il ne sait pas si la stabilisation de son état est due aux produits, ou bien si c’est lui qui va mieux spontanément, quand il va mieux. Cette incertitude se double d’un rapport ambivalent à l’égard de la thérapeutique : le patient se dit soulagé par elle, mais il reconnaît en même temps que la solution à son problème dépend d’abord de lui. Autrement dit, il a besoin du médicament pour se maintenir dans une situation de bien-être minimal, et paradoxalement, sa présence le ramène sans cesse à son trouble : elle témoigne, à ses yeux, de son « insuffisance » ou de son « inaptitude ». Comme le souligne North, la thérapeutique finit de la sorte par faire partie intégrante de l’identité du patient, mais sur un mode contradictoire : le médicament s’avère nécessaire au maintien de l’estime personnelle mais représente à la fois un déni de soi (North et coll., 1995renvoi vers).
La trajectoire de consommation de ces usagers les conforte souvent dans ce sentiment, à commencer par l’attitude qu’elle engendre chez le médecin généraliste. En effet, l’absence de mieux-être, comme la faible lisibilité du trouble, invitent souvent le praticien à mettre en cause le patient et sa faiblesse. Autrement dit, ni du côté du prescripteur ni du côté du patient, le recours aux médicaments psychotropes ne reçoit la légitimité qu’elle peut rencontrer par ailleurs. Alors comment expliquer dans ce cas la chronicité du recours ?
Plusieurs dynamiques peuvent être mises au jour : ou bien le prescripteur est « harcelé » par le patient, si bien qu’il finit par procéder au renouvellement quasi-automatique de l’ordonnance ; ou bien encore, le patient change de prescripteur. Par ailleurs, devant l’absence d’amélioration, ces patients ont d’abord tendance à mettre en cause le produit : ils s’informent, essaient de nouvelles molécules, et connaissent éventuellement une période de rémission plus ou moins durable. Les marques de rechute sont néanmoins fréquentes. Autrement dit, l’espoir suscité par l’adoption d’un nouveau médicament est souvent déçu. Et ce constat renvoie le patient à la situation de départ : à ses yeux, si le produit n’a pas fonctionné, c’est qu’il en est responsable ou bien c’est que le médicament n’était pas adapté à la particularité de son cas.
Au final, le patient finit ainsi par vouer un temps de plus en plus massif à la recherche de la molécule idoine, et à la collecte des informations – médicales ou pharmacologiques – susceptibles de répondre à cet objectif. L’investissement dans le produit atteint donc ici un point culminant : ces patients sont à l’affût de toute nouveauté thérapeutique, et élaborent des schémas d’usage complexes et parfaitement réglés. Les variations du dosage, les circonstances de la prise, les ajustements à envisager devant l’imprévu etc., définissent autant de règles pratiques, forgées par l’expérience et dûment appliquées (Le Moigne, 2008renvoi vers).
Chez ces patients, comme North avait pu le montrer plus spécifiquement pour les consommateurs de benzodiazépines, la relation aux produits devient à la fois primordiale et de plus en plus conflictuelle (North et coll., 1995renvoi vers). À ce titre, la chronicité fait l’objet d’une légitimité contestée, y compris par le patient, sans pour autant qu’un tel dénigrement suffise à nourrir chez lui l’intention de mettre fin à sa consommation. Ces traits suffisent généralement à qualifier une addiction. Il y a là plus qu’un paradoxe dans la mesure où ces patients, par leur caractère au moins pour partie anxieux ou dépressif, incarnent au plus près la cible visée par la thérapeutique.
En conclusion, la pharmacodépendance aux médicaments psychotropes en population générale n’est pas aisée à penser et à évaluer. En effet, le consommateur de ces substances n’est pas confronté, ou rarement, à des états de manque ou à une recherche compulsive du produit. À ce titre, quand bien même il serait dépendant, sa dépendance peut rarement être assimilée aux différentes figures de la toxicomanie ou de l’addiction.
La nosographie psychiatrique a admis cette difficulté de caractérisation et de classement. Elle a dissocié cette dépendance des toxicomanies, l’a traitée comme un phénomène psychologique avant de l’admettre de nouveau comme un syndrome mêlant de nombreuses manifestations physiologiques. Cette question a alors été spécifiée plus directement sous les traits du syndrome de retrait : cette caractérisation vise l’ensemble des contraintes, tant mentales que physiques, que l’arrêt du traitement fait subir au patient. Cette caractérisation a mobilisé des explications, tantôt physiologistes, tantôt cognitivistes, qui ne sont pas parvenues à rendre compte de la distribution – à vrai dire, très inégale – du phénomène parmi les anciens consommateurs. À ce titre, la notion de syndrome de retrait n’a pas non plus suscité des estimations de prévalence convergentes. Autrement dit, la recherche psychiatrique et psychologique a buté ici non seulement sur une difficulté de définition mais également sur un problème d’explication et de mesure.
Une autre manière d’aborder le problème consiste à partir, non pas d’une définition formelle, mais de l’usage réel des médicaments. C’est là en propre l’apport des sciences sociales. En particulier, les enquêtes sociologiques ont pu montrer que l’écart entre la règle et l’usage est légion : de fait, les indications comme les durées de traitement préconisées sont rarement respectées. Pour autant, si cet écart témoigne du non-respect des recommandations sanitaires, il ne doit pas être mis au compte nécessairement d’une mauvaise utilisation. La prescription s’appuie sur une définition plus extensive de la santé qui puise sa légitimité, en particulier, dans le soutien médical au traitement de la douleur et de la souffrance. Il y est ainsi question d’accompagner la prise en charge des maladies chroniques, le traitement de l’insomnie, des difficultés de la vie familiale ou professionnelle ou bien encore, dans le cadre d’une gestion implicite des risques, d’éviter le recours à d’autres psychotropes dont l’alcool.
Cet usage peut susciter des consommations extrêmement durables, si tant est que le problème pris en charge s’avère lui-même chronique ou structurel. Autrement dit, le recours devient régulier lorsque la nécessité de la prescription et de son renouvellement fait sens tant pour le patient que pour le prescripteur. Cette perspective s’accompagne souvent d’un investissement massif dans le produit et, à la fois, assez variable. Il reste modéré lorsque le renouvellement de l’ordonnance est motivé par le fait qu’aucune alternative n’apparaît possible : les traitements entourant la prise en charge des maladies invalidantes, du vieillissement ou de l’insomnie correspondent à ce cas de figure. En revanche, lorsque la prescription est jugée nécessaire et à la fois problématique par le patient, l’investissement du patient dans le médicament peut prendre un caractère beaucoup plus aigu. C’est en particulier le cas des consommations chroniques associées au traitement de certaines manifestations de l’anxiété ou de la dépression. Ici, la mise en œuvre de la thérapeutique interfère avec le diagnostic du médecin ainsi qu’avec le jugement que le patient porte sur lui-même. Autrement dit, dans ce cas, la prescription des médicaments psychotropes joue directement sur la définition d’identité du consommateur : elle paraît requise pour stabiliser l’effondrement du patient sur lui-même, et laisse entendre à la fois que son mal pourrait bien n’être dû qu’à son insuffisance. Naît ainsi chez l’usager une relation ambivalente aux médicaments, où alternent un rejet massif des produits et une recherche compulsive de la molécule susceptible d’améliorer son état.
La relation aux substances, dont témoignent les consommations chroniques de médicaments psychotropes, ne s’apparente donc pas à celle qu’on associe plus généralement aux toxicomanies. Pour autant, il y a là des formes d’attachement aux produits qui se rapprochent, sur de nombreux points, des formes de dépendance dites « qualifiées ». Comme le montrent les recherches conduites par les sciences sociales dans ce domaine, la caractérisation de ces formes d’attachement requiert une description fine et empiriquement fondée. Or, une définition de la dépendance aux médicaments psychotropes, bâtie sur le modèle catégorialiste des entités nosographiques, satisfait difficilement une telle exigence : ou bien ce modèle l’assimile aux toxicomanies, ou bien il en nie l’existence en la réduisant à un processus psychologique ou à un effet secondaire des substances. Une perspective capable de penser l’ensemble des dépendances à partir de dimensions communes mais d’intensités variables pourrait ici ouvrir d’autres voies de réflexion : elle permettrait de prendre en compte les multiples expressions du phénomène, depuis les toxicomanies jusqu’aux diverses manifestations de la pharmacodépendance, sans négliger leurs différences, et notamment leur degré inégal de sévérité.

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