Politiques publiques : réglementation,
programmes et dispositifs

2012


ANALYSE

16-

Programmes de surveillance en France

La France, comme les États-Unis, dispose d’un ensemble de programmes permettant de surveiller l’usage de substances psychotropes, ainsi que l’abus et la dépendance liés en particulier aux médicaments psychotropes. Les programmes peuvent renseigner sur la consommation en population générale ou en populations spécifiques (adolescents, usagers de drogues), les conséquences médicales de l’abus, le suivi des délivrances de psychotropes et des analyses toxicologiques des laboratoires. Ces différents programmes/enquêtes font partie depuis plusieurs années du dispositif d’évaluation des politiques publiques, en particulier depuis la loi organique de 2001 relative aux lois de finances (LOLF) qui attribue à chaque action publique des objectifs et des indicateurs quantitatifs de résultats. Par ailleurs, la loi de santé publique de 2004 mentionne un principe d’évaluation pour les actions et les plans mis en œuvre qui s’applique à l’aide d’indicateurs issus d’enquêtes en population générale ou sous-populations ou encore issus d’enquêtes ciblées (usagers de drogues par exemple) pour identifier des besoins spécifiques et orienter les actions en termes de prévention ou de soins.

Enquêtes de consommation en population générale

Les enquêtes concernant la consommation de substances psychoactives ont débuté en France à la fin des années 1970. Pour les enquêtes en population générale, plusieurs conditions sont requises : un échantillon représentatif de la population ciblée (définie par son âge, son statut sociodémographique, son lieu d’habitation), un taux de participation suffisant (au moins 70 à 80 %), un outil d’observation (questionnaire ou entretien) standardisé et validé, un mode de passation qui préserve l’anonymat. Par ailleurs, le suivi de la consommation impose la mise en œuvre d’enquêtes répétées, selon une méthode identique. Cette procédure n’a réellement débuté en France que dans les années 1990, avec les enquêtes du Baromètre santé (Inpes), les enquêtes auprès des jeunes scolarisés (Choquet et Ledoux, 1994renvoi vers) et les enquêtes auprès des jeunes ayant participé à la journée d’appel et de préparation à la défense (Beck et coll., 2000renvoi vers). Le tableau 16.Irenvoi vers présente les différentes enquêtes en population générale.

Tableau 16.I Enquêtes en population générale

Enquête
Coordination
Population
Fréquence de l’enquête
Baromètre santé
Inpes
15-75 ansa
5 ans
Espad
OFDT (France)
15-16 ans
4 ans
Escapad
OFDT
17 ans
Annuelle initialement puis 3 ans

a Jusqu’à 85 ans en 2010

Baromètre santé

Il s’agit d’une enquête transversale, répétée, téléphonique, reposant sur un échantillon aléatoire (tirage dans une base de sondage à deux degrés : ménage puis individu).
Les enquêtes déclaratives du Baromètre santé, coordonnées par l’Inpes depuis le début des années 1990, viennent compléter le dispositif d’observation et favoriser le suivi de tendances sur les principaux comportements et attitudes liés aux prises de risques et à l’état de santé de la population résidant en France. Le suivi des comportements en termes de consommations de substances psychotropes, intégré par l’OFDT au sein du Baromètre santé, en constitue un objectif. L’enquête de 2010 fournit des données sur le nombre de consommateurs de substances psychoactives, dont les médicaments psychotropes, selon l’âge et le sexe ainsi que les principaux types de médicaments consommés (Beck et coll., 2012renvoi vers).

Escapad (Enquête sur la santé et les consommations lors de l’appel de préparation à la défense)1

Mise en œuvre par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) depuis 2000 en partenariat avec la Direction du service national (DSN), l’enquête déclarative Escapad consiste en un auto-questionnaire proposé à l’ensemble des jeunes présents lors d’une Journée Défense et Citoyenneté (JDC). L’analyse porte, en règle générale, sur les jeunes de 17 ans (N17=43 799 en 2008). Elle renseigne sur les niveaux d’usage et les évolutions en termes de produits et de modalités de consommation. En 2008, l’enquête a été modifiée en posant des questions plus spécifiques concernant l’expérimentation et l’usage de médicaments psychotropes, en interrogeant notamment sur la classe de médicaments et leur mode d’obtention.

Espad (European School Survey Project on Alcohol and other Drugs)

L’enquête Espad, réalisée tous les 4 ans, porte sur les jeunes scolarisés de 15 et 16 ans. Elle est aujourd’hui menée dans plus d’une trentaine de pays en Europe. Initiée en 1993 en France par l’Inserm (Choquet et Ledoux, 1994renvoi vers), elle est conduite depuis 1999 sur un échantillon représentatif au plan national (Choquet et coll., 2000renvoi vers) et intégrée dans le dispositif observationnel européen. Depuis 2007, l’enquête en France est réalisée par l’OFDT qui en assure le financement et la coordination.
Les questionnaires portent sur la consommation de substances psychoactives incluant les médicaments psychotropes (tranquillisants/sédatifs). Réalisée suivant une procédure analogue dans tous les pays, l’enquête Espad permet de suivre les évolutions de la consommation de produits psychoactifs au sein des principaux pays membres de l’Union Européenne. Tous les élèves d’une classe (N>15 000), sélectionnés après stratification et tirage au sort des classes, répondent individuellement à un auto-questionnaire dans leur établissement scolaire, en présence d’un professionnel de santé.
En France, en plus du dispositif européen, l’enquête Espad a été élargie parfois à des élèves scolarisés dans le second cycle de l’enseignement secondaire (lycée) et plus âgés afin d’appréhender les évolutions dans la consommation selon la classe.

Enquêtes de consommation en population d’usagers de drogues

Les enquêtes menées en population générale ont tendance à sous-représenter les personnes les plus marginalisées, alors même que la consommation de substances psychoactives y est plus importante que dans d’autres groupes de population. Plusieurs enquêtes sont donc menées auprès des populations fréquentant les centres de soins spécialisés, avec des objectifs et des modalités différents. Le tableau 16.IIrenvoi vers présente les différentes enquêtes menées en France.

Tableau 16.II Enquêtes dans les populations d’usagers de drogues

Enquête
Coordination
Population
Fréquence de l’enquête
Oppidum
CEIP
Sujets présentant un abus ou une pharmacodépendance
Annuelle
Opema
CEIP
Patients usagers de drogues illicites ou de médicaments détournés de leur usage thérapeutique pris en charge en médecine ambulatoire (enquête auprès des médecins généralistes)
Annuelle
Recap
OFDT
Usagers des Csapaa
Recueil en continu(analyse annuelle)
ENa-Caarud
OFDT
Usagers des Caarudb
Tous les 2 ans
Trend
OFDT
Population à forte prévalence d’usage de drogues
Annuelle

a Centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie
b Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues

Oppidum (Observation des produits psychotropes illicites ou détournés de leur utilisation médicamenteuse)2

Oppidum est une enquête pharmaco-épidémiologique transversale annuelle, multicentrique nationale depuis 1995, organisée par le réseau des 13 Centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance et d’addictovigilance (CEIP-A) et financée par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Ce programme inclut annuellement plus de 5 000 sujets présentant un abus ou une pharmacodépendance à une substance psychoactive (sauf tabac et alcool) et/ou consommant un médicament de substitution aux opiacés. Ces sujets sont recrutés par près de 150 centres de soins spécialisés dans la prise en charge des sujets pharmacodépendants (Csapa3 principalement, quelques Caarud4 et des services hospitaliers spécialisés en addictologie) dans plus de 51 départements. Les informations recueillies concernent le sujet lui-même : données sociodémographiques (âge, sexe, niveau socioprofessionnel, nature des revenus...), conduites addictives (dépendance alcoolique, premiers produits psychoactifs consommés et ayant entraîné une dépendance) et éventuelle appartenance à un programme de substitution de la dépendance aux opiacés. Le programme recueille également des informations détaillées sur chaque substance psychoactive (médicaments, drogues illicites ou autres) consommée dans les 7 jours précédant l’inclusion (spécialité, forme galénique, mode d’obtention, voie d’administration, prise concomitante d’alcool, effets recherchés, augmentation de la dose depuis 6 mois, souffrance à l’arrêt du produit). Ce programme permet donc de disposer d’informations très précises et spécifiques concernant l’abus et le détournement des médicaments psychotropes. Ses principales limites méthodologiques sont d’être déclaratif et basé sur le volontariat des centres d’enquête. Ce dispositif de surveillance et de veille sanitaire sur les produits psychoactifs, médicamenteux ou non, permet notamment de dégager des tendances évolutives sur les modalités de consommation et d’obtention (Modelon et coll., 2007renvoi vers ; Frauger et coll., 2011arenvoi vers), de décrire les usages des médicaments de substitution de la dépendance aux opiacés (Thirion et coll., 2001renvoi vers ; Nordmann et coll., 2010renvoi vers), de contribuer à l’évaluation de l’abus et de la pharmacodépendance à ces produits (Victorri-Vigneau et coll., 2007renvoi vers ; Frauger et coll., 2011brenvoi vers), et de décrire les consommations dans des populations spécifiques comme celles recrutées au sein des établissements pénitentiaires (Pauly et coll., 2010renvoi vers).

Opema (Observation des pharmacodépendances en médecine ambulatoire)5

Opema est une étude pharmaco-épidémiologique transversale nationale. Elle est menée chaque année depuis 2008 auprès de médecins généralistes recrutés par le réseau des 13 CEIP-A et financée par l’Afssaps. L’objectif du programme est d’améliorer la connaissance des sujets pris en charge en médecine ambulatoire et usagers de drogues illicites ou sous traitement de substitution aux opiacés, ou encore consommant des médicaments dans un cadre d’abus ou de pharmacodépendance. Les informations recueillies concernent leurs caractéristiques sociodémographiques, leurs statuts virologiques, leurs pathologies somatiques associées à l’usage de ces substances et leurs comorbidités psychiatriques. Le programme recueille également des informations détaillées sur chaque substance psychoactive (médicaments, drogues illicites ou autres) consommée actuellement (spécialité, forme galénique, mode d’obtention, voie d’administration, prise concomitante d’alcool, effets recherchés, augmentation de la dose depuis 6 mois, souffrance à l’arrêt du produit). Ce programme permet donc de disposer d’informations très précises et spécifiques concernant l’abus et le détournement des médicaments psychotropes des patients suivis en médecine ambulatoire et de croiser ces informations avec l’état de santé des sujets. Ses principales limites méthodologiques sont la base déclarative des consommations de substance et la représentativité des médecins participants, leur participation étant basée sur le volontariat.

Recap (Recueil commun sur les addictions et les prises en charge)

Recap est un recueil de données en continu permettant le suivi du nombre et des caractéristiques des personnes prises en charge pour des problèmes d’addiction par les professionnels des centres spécialisés de soins aux toxicomanes (aujourd’hui Csapa). Une enquête annuelle est menée depuis 2005 selon le protocole européen de recueil d’enregistrement des demandes de traitement. En 2008, environ 77 000 patients ont été vus dans plus de 150 centres spécialisés. La mention d’un mésusage de médicaments psychotropes (benzodiazépines, autres hypnotiques, tranquillisants, barbituriques, antidépresseurs, neuroleptiques, BHD, méthadone) est enregistrée sans définition précise du mésusage, celui-ci étant établi par diagnostic médical. On dispose également de la part des patients pour qui un médicament apparaît comme le produit posant le plus de problème à l’usager (selon le médecin) et de la part des patients auxquels est prescrit un traitement de susbtitution (BHD ou méthadone) ou un autre médicament psychotrope (Palle et Vaissade, 2007renvoi vers).

ENa-Caarud (Enquête Nationale-Caarud)

ENa-Caarud est une enquête nationale transversale menée tous les deux ans par l’OFDT pour la Direction générale de la santé, auprès des usagers de drogues présents dans les Caarud lors de la semaine d’enquête. Elle a pour objectif de recueillir des informations concernant la situation démographique et socio-économique, les pratiques, les consommations des usagers ainsi que certains aspects de leur état de santé (maladies infectieuses, « surdoses » non mortelles) et de leur prise en charge. Le recueil est supposé exhaustif. Le taux de réponse est estimé à 73 % pour l’année 2008 (Cadet-Taïrou et coll., 2010arenvoi vers). Elle est réalisée par un entretien en face à face, mené par un intervenant de structure de réduction des risques. Cette enquête auprès d’usagers actifs présentant en moyenne un niveau de précarité plus important que ceux rencontrés dans les structures de soins, mesure les prévalences de consommation au cours du mois précédant l’enquête, outre des drogues illicites, de la BHD, de la méthadone, de la codéine, des benzodiazépines (considérées comme un groupe6 ), ainsi que leur fréquence d’usage au cours du mois et les voies d’absorption utilisées. Elle interroge également les usagers sur leur suivi ou non d’un traitement de substitution sous contrôle médical. Enfin, elle mesure le poids des conséquences négatives des drogues perçues par l’usager à travers la part des consommateurs d’un produit qui considèrent celui-ci comme le plus problématique pour eux.
Ces données permettent d’identifier plusieurs types de mésusages de médicaments (injection, snif, irrégularité des prises, consommation sans suivi médical pour les traitements de substitution, médicament considéré comme le produit le plus problématique...) et de repérer des différences de pratiques en fonction des profils de patients.

Trend (Tendances récentes et nouvelles drogues)

L’objectif du dispositif Trend de l’OFDT, mis en œuvre en 1999, est de compléter le système d’information orienté vers la population générale, en centrant l’observation sur un nombre beaucoup plus réduit d’individus susceptibles d’appartenir à des groupes de population à forte prévalence d’usage de drogue. Il vise à fournir des éléments de connaissance fins sur les profils des différentes populations d’usagers de drogues ou de médicaments détournés, leurs conditions de vie, leurs pratiques et modes d’usages, leur état de santé, sur la nature des produits circulants (volet Sintes7 ) et sur le trafic local et le petit trafic en France (Cadet-Taïrou et coll., 2010brenvoi vers ; Gandilhon et coll., 2010renvoi vers). Centré sur l’identification des phénomènes émergents, il tend à repérer, expliquer et contextualiser les nouvelles tendances souvent avant qu’elles ne soient repérables par les dispositifs de mesures quantitatives. Essentiellement, mais pas uniquement, fondé sur le recueil de données qualitatives (observations ethnographiques, entretiens, questionnaires qualitatifs, groupes focaux, investigations spécifiques), il en assure la fiabilité en recoupant à un niveau local les données de diverses sources indépendantes et en les confrontant avec les données quantitatives disponibles. Pour se faire, le dispositif s’appuie sur un réseau de sept coordinations locales dotées d’une stratégie commune de recueil et d’analyse de l’information. Au plan national, l’information des sites est analysée et mise en perspective avec les données des dispositifs partenaires, en particulier ceux de l’Afssaps et du réseau des CEIP (Oppidum, Osiap, Drames...), de l’Ocrtis (Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants) peu présent sur la question des médicaments, et avec les autres données produites à l’OFDT (notamment ENa-Caarud). Ce dispositif est complété par des études spécifiques qualitatives ou quantitatives.
Deux espaces d’observation ethnographiques sont privilégiés : l’espace « urbain » (structures de réduction des risques, rue, squats, centres des grandes agglomérations urbaines, gares...) et l’espace « festif » (initialement centré sur la culture techno, mais de plus en plus élargi à l’espace festif conventionnel).

Enregistrement des conséquences médicales de l’abus

Drames8 (Décès en Relation avec l’Abus de Médicaments Et de Substances) est un recueil annuel prospectif des cas de décès survenant chez les usagers de drogues, mené par les CEIP-A depuis 2002 et financé par l’Afssaps. Cette enquête a pour objectifs de recueillir les cas de décès liés à l’usage abusif de substances psychoactives, d’identifier les substances impliquées (médicament ou drogue illicite), d’évaluer leur dangerosité et d’estimer l’évolution du nombre de ces décès. Ces cas sont notifiés par des toxicologues analystes volontaires et experts auprès des tribunaux ainsi que par les CEIP, tous répartis sur l’ensemble du territoire français. Ces experts réalisent les analyses toxicologiques dans le cadre d’une recherche des causes de la mort à la demande des autorités judiciaires. En 2009, 25 experts (soit 16 laboratoires) réalisant des analyses toxicologiques dans un cadre médico-légal ont participé à l’enquête. Sont inclus dans Drames les décès répondant à la définition des décès liés aux drogues, établie par l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) (psychose due à la drogue, dépendance, toxicomanie sans dépendance, empoisonnement accidentel causé par la prise d’opiacés, de cocaïne, de psychostimulants, de cannabis, d’hallucinogènes ou de traitements de substitution aux opiacés) et pour lesquels des analyses toxicologiques ont été réalisées par les toxicologues participant à l’étude (environ 80 % des analyses toxicologiques médico-légales effectuées en France). Cependant, certains cas de décès ne sont pas pris en compte dans l’étude Drames : ceux qui ne sont pas déclarés aux autorités judiciaires (par exemple les décès hospitaliers), ceux qui ne font pas l’objet d’analyses toxicologiques, ou pour lesquels les analyses toxicologiques sont réalisées par des laboratoires qui ne participent pas à l’étude.

Enregistrement des délivrances de psychotropes

Analyses des bases de données de la Sécurité Sociale9

Les délivrances de médicaments psychotropes sont analysées à partir des bases de données de remboursement de l’Assurance Maladie provenant de la transmission électronique des pharmacies, soit par interrogation directe des bases régionales du Système National d’Informations Inter-Régimes de l’Assurance Maladie (SNIIR-AM) pour le régime général de l’Assurance Maladie, soit lors de requêtes dans l’Échantillon Général des Bénéficiaires (EGB). Les études réalisées sur ces bases sont le plus souvent descriptives mais, pour mieux évaluer l’abus de médicaments psychotropes, des méthodes spécifiques ont été développées, en particulier l’indicateur de polyprescription permettant de mesurer les quantités obtenues en se faisant prescrire des médicaments par plusieurs prescripteurs sur une période donnée ou des méthodes de classification permettant de déterminer les différents profils de sujets abuseurs.

Osiap (Ordonnances suspectes indicateur d’abus possible) et Asos (Antalgiques stupéfiants et ordonnances sécurisées)

Parmi les différents outils utilisés par le réseau des CEIP, le recueil des ordonnances suspectes auprès d’un réseau de pharmaciens a montré son intérêt pour l’identification des médicaments faisant l’objet d’un détournement à l’échelle de la population générale, et pour suivre les éventuelles mesures de santé publique mises en place pour limiter les conséquences de ce détournement.
Les premières expériences pour établir un lien entre l’abus des médicaments et la modification de prescriptions médicales remontent aux années 1980, en Suède. Bergman a initialement cherché à mettre en évidence un lien entre la falsification (ou le vol) d’ordonnances et l’abus des médicaments (Bergman et Griffiths, 1986renvoi vers). Cette approche a ensuite été élargie à l’ensemble des médicaments commercialisés en utilisant un indicateur d’abus de médicaments comme outil de surveillance pharmaco-épidémiologique. En effet, dans cette période, peu de données étaient disponibles sur l’abus de médicaments en « vie réelle ». Les auteurs ont donc utilisé les informations transmises au National Board of Health and Welfare (NBHW), correspondant aux notifications de prescriptions détournées présentées à l’ensemble des pharmacies en Suède. Ces données de prescription, associées aux données de délivrance des médicaments, ont permis la création d’un réseau de surveillance entre les pharmacies d’officine suédoises regroupées dans une institution publique nationale nommée Apoteket. Les principaux médicaments retrouvés étaient les médicaments psychoactifs (62 %) et les analgésiques (25 %). De plus, les benzodiazépines représentaient à elles seules 52 % des médicaments impliqués sur les 4 années de recueil (Bergman et Dahl-Puustinen, 1989renvoi vers).
Cette expérience suédoise a servi de modèle pour différentes études réalisées en France au début des années 1990 dont l’objectif général a été de développer un système de surveillance d’abus et de détournement de médicaments. On a étudié un premier aspect fondé sur l’identification des prescriptions anormales. Le rôle d’alerte des pharmaciens dans la détection des ordonnances a été particulièrement souligné. Les pharmaciens d’officine ont repéré et recueilli les formes suspectes de prescriptions telles que les ordonnances volées, les prescriptions falsifiées, anormales ou encore les fausses ordonnances. Le recueil était fondé sur la vigilance des pharmaciens, pouvant varier au cours du temps, ce qui représente une des limites de l’outil. Néanmoins, ces études ont familiarisé les pharmaciens avec la notion d’addiction aux médicaments et surtout aux habitudes de prescription des médecins. En effet, l’identification des prescriptions anormales était également basée sur la connaissance des règles de prescription des médicaments par les pharmaciens participant à l’étude. Ce type d’enquête a également permis l’identification de prescriptions suspectes ne se limitant pas aux prescriptions de médicaments connus pour leur potentiel d’abus, ni à une population de toxicomanes (Baumevieille et coll., 1997renvoi vers ; Lapeyre-Mestre et coll., 1997renvoi vers). Un réseau de pharmaciens semblait donc un outil efficace pour mettre en évidence et décrire les abus de médicaments.
Le calcul du taux de détournement permet de comparer les abus de médicaments entre eux en prenant en compte les données de vente des médicaments. Une étude, réalisée dans la région Midi-Pyrénées, a comparé deux sources de données des médicaments : celles fournies par les grossistes de la région et les données de vente nationales. Pour chaque médicament impliqué, deux taux de détournement ont été calculés à partir des deux sources de données de vente indépendantes : aucune différence significative n’a été mise en évidence. Les auteurs ont donc souligné l’intérêt d’utiliser les données de vente nationales afin d’obtenir des taux de détournement transposables à toutes les régions de France (Llau et coll., 2002renvoi vers).
Ces études ont permis la généralisation de l’outil Osiap en France à partir de 2001 (Bœuf et Lapeyre-Mestre, 2007renvoi vers). Celui-ci a pour but de surveiller les abus et les mésusages de médicaments à travers la vigilance des pharmaciens et les données de ventes nationales. Il complète les données acquises au travers des autres outils utilisés par les CEIP lors de l’analyse d’un signal d’abus d’un médicament donné ; il apporte également des informations complémentaires aux autres outils pour mesurer l’impact des mesures prises sur certains médicaments.
L’impact de la mise en place des ordonnances sécurisées pour la prescription des médicaments soumis à la réglementation des stupéfiants est analysé par un outil spécifique, l’enquête Asos (Afssaps et CEIP, 2010renvoi vers). Cette enquête annuelle repose sur la participation active de pharmaciens d’officine répartis sur le territoire français (échantillonnage aléatoire au 1/10e). L’objectif de l’étude Asos consiste à vérifier le bon usage du support de prescription pour les médicaments opiacés, avec un focus sur les indications et les éventuels mésusages repérés par le pharmacien. Par exemple, on peut indirectement appréhender dans l’étude Asos le phénomène de falsification d’ordonnances. La proportion d’ordonnances suspectes identifiées dans l’étude Asos entre 2001 et 2009 s’avère très faible (jusqu’à 1,2 % de l’ensemble des ordonnances recueillies en 2003) voire nul, puisque l’étude porte spécifiquement sur l’utilisation des ordonnances sécurisées, et que celles-ci sont par nature plus difficiles à falsifier.
En conclusion, la France dispose d’un nombre de programmes d’observation et de veille supérieur à la plupart des autres pays européens, permettant une approche à la fois quantitative et qualitative de l’usage et de l’abus des différentes substances, et notamment des médicaments psychotropes. En particulier, le dispositif Trend (OFDT) qui fournit des observations qualitatives, n’a pas d’équivalent au niveau national aux États-Unis et il complète très utilement les observations quantitatives. En revanche, il n’existe pas en France d’équivalent du programme DAWN (Drug Abuse Warning Network) (États-Unis) auprès des services d’urgences permettant de mesurer la morbidité et la mortalité liées à l’usage, le mésusage et l’abus de substances psychoactives. Pourtant, les très nombreuses publications réalisées à partir de DAWN montrent à l’évidence l’intérêt de ce type de programme pour suivre les conséquences médicales de l’usage de stupéfiants et psychotropes. L’importance des informations fournies par les programmes en France justifie leur maintien et leur intégration dans un dispositif cohérent d’observation.

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