Politiques publiques : réglementation,
programmes et dispositifs

2012


ANALYSE

15-

Programmes de surveillance : exemples aux États-Unis

L’abus et la dépendance aux médicaments psychotropes sont des phénomènes difficiles à observer et à quantifier car ils concernent des pratiques cachées, souvent illégales, et des populations parfois difficiles à étudier (logements précaires, errance...). Pour appréhender ces phénomènes, il est nécessaire de mettre en œuvre des programmes d’observation spécifiques s’inscrivant dans la durée (Arkfen et Cicero, 2003renvoi vers).
Depuis 1972, de nombreux programmes ont été développés aux États-Unis pour surveiller l’abus et la dépendance aux substances psychotropes. Devant leur nombre et leur multiplicité, ce chapitre ne traite que des programmes déployés sur l’ensemble du territoire des États-Unis.
Ces programmes, qui se sont progressivement mis en place au cours des dernières décennies, en fonction de l’émergence de signaux d’abus et de dépendance, ont été développés par des institutions diverses, avec des activités convergeant vers une approche globale du phénomène d’abus et de dépendance aux substances psychoactives, médicamenteuses ou non. Actuellement, la stratégie nationale de contrôle et de surveillance des drogues (National Drug Control Strategy) est pilotée par l’ONDCP1 (Office of National Drug Control Policy), créé par la loi anti-drogue de 1988 (Anti-Drug Abuse Act), reconduit par la loi Violent Crime Control and Law Enforcement Act de 1994. Cet organisme identifie les priorités nationales et propose des plans d’action à l’échelle nationale, incluant le financement d’activités de recherche. Parmi les grandes priorités de la stratégie nationale de contrôle et de surveillance des drogues de 2011 figure l’abus de médicaments de prescription. Les actions proposées font intervenir de très nombreuses institutions, agences fédérales (FDA2  : Food and Drug Administration ; DEA3  : Drug Enforcement Administration ; SAMHSA4  : Substance Abuse and Mental Health Services Administration ; CDC5  : Centers for Disease Control and Prevention ; NIDA6  : National Institute on Drug Abuse...), institutions publiques ou structures privées, y compris les laboratoires pharmaceutiques. Les différentes institutions publiques qui travaillent en coordination avec l’ONCDP sont les suivantes : la FDA, en charge de l’examen des demandes d’AMM pour les substances à potentiel d’abus revendiquant un statut de médicament, et de l’information aux patients sur le risque liés aux médicaments ; la DEA, dépendant du ministère de la Justice, en charge du classement des substances comme psychotrope ou stupéfiant, et de l’application de la loi sur ces produits (y compris les poursuites judiciaires) ; le SAMHSA, dépendant du Congrès, et évaluant l’impact des pathologies mentales sur la population ; les CDC, en charge de la surveillance épidémiologique et de la protection de la santé ; le NIDA, membre des Instituts nationaux de la santé (NIH) en charge de promouvoir et de financer la recherche sur l’abus et la dépendance, en particulier par le financement d’études expérimentales ou cliniques sur le potentiel d’abus des médicaments. Selon leur champ d’activité et leur spécificité, ces grandes agences fédérales ont développé ou promu les différents programmes de surveillance décrits dans ce chapitre. Dans quelques situations, les programmes n’ont pas été déclinés au niveau fédéral, mais selon les priorités et l’organisation des différents États.
Ces programmes peuvent être classés selon l’approche méthodologique du phénomène observé : enquêtes de consommation en population générale ou en populations spécifiques (adolescents, usagers de drogues), enregistrements des conséquences médicales de l’abus, des délivrances de médicaments psychotropes et des analyses toxicologiques des laboratoires ou programmes utilisant des sources d’information multiples (tableau 15.Irenvoi vers).

Enquêtes de consommation en population générale

Les enquêtes en population générale apportent, si elles disposent d’une bonne représentativité, des informations précieuses sur la prévalence des comportements des usagers avec les limites habituelles des enquêtes déclaratives (ne répondent que les sujets volontaires, déclarations non confirmées par d’autres témoins ou des examens complémentaires). En revanche, elles manquent de puissance lorsque les phénomènes observés ne concernent qu’un petit nombre d’individus, ce qui est habituellement le cas pour les comportements de mésusage de médicaments psychotropes.
Plusieurs programmes fournissent des informations concernant l’abus ou la dépendance aux substances psychotropes aux États-Unis. Les phénomènes observés sont l’initiation (première rencontre avec la substance), l’éventuelle utilisation répétée de la substance, pouvant mener à l’abus ou à la dépendance. Parmi ces programmes, deux sont particulièrement importants : NSDUH (National Survey on Drug Use and Health) et Nesarc (National Epidemiologic Survey on Alcohol and Related Conditions).

NSDUH (National Survey on Drug Use and Health)7

NSDUH est un programme mis en œuvre par la Substance Abuse and Mental Health Services Administration (SAMHSA). Depuis 1972, cette enquête transversale collecte chaque année des informations sur l’abus et la consommation de substances illicites, d’alcool ainsi que de certains médicaments inscrits sur la liste des substances vénéneuses (analgésiques, stimulants, anxiolytiques ou hypnotiques) consommés dans un cadre non médical, c’est-à-dire obtenus sans ordonnance médicale ou utilisés dans un but récréatif.
Les informations sont recueillies selon un mode déclaratif utilisant un auto-questionnaire rétribué, renseigné avec l’aide d’un enquêteur. La constitution de l’échantillon (plus de 67 000 personnes) par randomisation stratifiée des foyers sur le territoire (un sujet représente 4 500 résidents des États-Unis) permet d’obtenir une représentativité nationale de l’échantillon. Sont indiqués l’âge de la première expérimentation, l’usage actuel, le mode d’obtention ainsi que les critères de l’abus et de la dépendance selon le DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 4th Edition). Les résultats de ce programme sont en accès libre mais après un délai de 2 ou 3 ans. Des analyses évolutives des données sont possibles à partir de l’année 2002. Concernant l’abus de psychotrope, ce programme présente les données par classes de médicaments et également pour l’oxycodone (analgésique opiacé).

Tableau 15.I Principaux programmes de surveillance aux États-Unis en fonction de leur méthodologie, de leur organisme financeur et de leur ancienneté

 
Sigle
Intitulé du programme
Organisme
Année de début
Principe
Intérêt pour le domaine
Références
Enquêtes de consommation
Enquêtes de consommation en population générale
 
NSDUH
National Survey on Drug Use and Health
SAMHSA
1972
Enquête transversale annuelle randomisée
++
Gfroerer et coll., 1997arenvoi vers et brenvoi vers ;Grucza et coll., 2007renvoi vers
 
Nesarc
National Epidemiologic Survey onAlcohol and Related Conditions
NIAAA
2001
Cohorte/questionnaires
-
Grant et coll., 2003renvoi vers
Enquêtes de consommation chez les adolescents
 
MTF
Monitoring The Future
NIDA
1975
Enquête transversale annuelle/auto-questionnaire
++
Gfroerer et coll., 1997arenvoi vers et brenvoi vers ; Bachman et coll., 2008renvoi vers
 
YRBSS
Youth Risk Behavior SurveillanceSystem
CDC
1991
Cohortes
+
CDC, 2004renvoi vers
Enquêtes de consommation chez les usagers de drogues
 
TEDS
Treatment Episode Data Set
SAMHSA
1987
Enquête transversale annuelle
+++
 
Enregistrement des conséquences médicales de l’abus
 
DAWN
Drug Abuse Warning Network
SAMHSA
1972
Enregistrements des admissions aux urgences et des décès
+++
Ball et Roberts, 2004renvoi vers
 
NPDS
National Poison Data SystemInformation
CDC
1983
Base de données centres antipoison + notifications
+
Hughes et coll., 2007renvoi vers
 
AERS
Adverse Event Reporting System
FDA
2000
Base de données d’événements indésirables
+/-
Kessler, 1993renvoi vers ;Woods, 1998renvoi vers ;Wang et coll., 2009renvoi vers
Enregistrement des délivrances de psychotropes et des analyses des laboratoires
 
NFLIS
National Forensic Laboratory Information System
DEA
1998
Base de données analyses toxicologiques
++
 
 
PDMP
Prescription Drug Monitoring Program
D. Justice
2002
Base de données de délivrance opioïdes
++
Manchikanti, 2007renvoi vers ;Katz et coll., 2010renvoi vers ;Leiderman, 2009renvoi vers ;Moss, 2009renvoi vers ;White et coll., 2009renvoi vers
Programmes utilisant des sources d’information multiples
 
CEWG
Community Epidemiology Work Group
NIDA
1976
Synthèse d’experts
++
 
 
NAVIPPRO
National Addictions Vigilance Intervention and Prevention Program
NIDA
2001
Auto-questionnaires ASI + analyses Internet
++
Budman et coll., 2009renvoi vers ;Butler et coll., 2001renvoi vers, 2007renvoi vers, 2008renvoi vers et 2009renvoi vers ;Dart, 2009renvoi vers
 
Radars
Researched Abuse, Diversion and Addiction-Related Surveillance
Denver Health
2002
Enquêtes transversales + cohortes
++
Cicero et coll., 1999renvoi vers et 2007renvoi vers ;Schneider et coll., 2009renvoi vers ;Dasgupta et coll., 2010renvoi vers ;Inciardi et coll., 2009renvoi vers et 2010renvoi vers ; Spiller et coll., 2010renvoi vers

NIAAA : National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism ; SAMHSA : Substance Abuse and Mental Health Services Administration ; CDC : Centers for Disease Control et Prevention ; NIDA : National Institute on Drug Abuse ; FDA : Food and Drug Administration ; D. Justice : US Department of Justice ; ASI : Addiction Severity Index

Nesarc (National Epidemiologic Survey on Alcohol and Related Conditions)8

Nesarc est un programme mis en œuvre en 2001 par le National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIAAA). Il a pour principal objectif de déterminer les évolutions au cours du temps des troubles de la consommation d’alcool et les conséquences associées en population générale et dans des sous-groupes de la population. Il recueille également des informations sur la consommation de médicaments sans prescription : sédatifs, tranquillisants, opiacés, stimulants, hallucinogènes. L’évaluation de l’abus et de la dépendance repose sur les critères du DSM-IV.
Il s’agit d’une enquête de cohorte auprès de 43 000 personnes âgées de plus de 18 ans, non institutionnalisées, résidant aux États-Unis selon une base de sondage de type recensement. L’échantillonnage se fait à deux niveaux : foyers à partir du recensement puis une personne par foyer. L’information est recueillie sous forme de questionnaire rétribué. Le taux de participation a été estimé à 81 %. Ce programme bénéficie d’une bonne représentativité. Comme le programme NSDUH, ce programme apporte des informations sur l’abus et la dépendance uniquement sur les classes de médicaments, et non sur le médicament lui-même.

Enquêtes de consommation auprès des adolescents

Les adolescents sont particulièrement exposés aux substances psychoactives, en expérimentation ou en usage régulier. Deux programmes aux États-Unis ciblent le comportement des adolescents : YRBSS (Youth Risk Behavior Surveillance System) et MTF (Monitoring The Future).

YRBSS (Youth Risk Behavior Surveillance System)9

YRBSS est un programme développé par le Centers for Disease Control and Prevention (CDC) (CDC, 2004renvoi vers). Il s’agit d’une étude de cohorte, menée depuis 1991, révisée tous les deux ans, impliquant 10 645 jeunes adolescents scolarisés dans des classes équivalentes à la troisième et aux années lycées en France, répartis dans 32 États.
L’objectif est de recueillir des informations sur différents aspects du comportement des jeunes (blessures et violences subies, usage de tabac, d’alcool, de drogues, comportements sexuels en rapport avec les grossesses non désirées et les maladies sexuellement transmissibles, comportements alimentaires et activité physique en rapport avec l’obésité). Pour les médicaments psychotropes, les informations recueillies concernent l’usage de certains médicaments (oxycodone, codéine, amphétamine, méthylphénidate et alprazolam) hors prescription médicale.

MTF (Monitoring The Future)10

MTF est un programme mené par le National Institute on Drug Abuse (NIDA) depuis 1975. Il repose sur des enquêtes transversales annuelles sur les comportements, attitudes et valeurs des jeunes scolarisés aux États-Unis en lycée et collège. Il implique 50 000 jeunes par an. Sa représentativité est assurée par sa méthode d’échantillonnage. Le recueil d’information se fait par un auto-questionnaire rétribué de 230 pages. Ce programme recueille des informations concernant l’usage non médical (défini comme obtenu sans prescription) de certains médicaments psychotropes (stimulants, sédatifs, tranquillisants, antitussifs, opiacés, nitrites d’amyle et de butyle, stéroïdes et « pilules amincissantes »), leurs modes d’obtention, les motifs de consommation et les consommations (dans la vie, les 12 mois précédents et les 30 derniers jours). La taille importante de cet échantillon ainsi que le nombre élevé de médicaments étudiés font que ce programme apporte chaque année des informations précieuses sur l’usage de médicaments psychotropes chez les jeunes. Les résultats sont disponibles en ligne. Il est cependant possible que la méthodologie employée sous-estime la prévalence de la consommation de substances en raison du lien entre la consommation de substances et l’absentéisme. En effet, les élèves absents ne sont pas interrogés. D’autre part, le nombre considérable d’items du questionnaire pose le problème de la qualité de l’information recueillie.

Enquête de consommation en population d’usagers de drogues

En ce qui concerne le mésusage et la dépendance aux médicaments psychotropes, les enquêtes auprès des usagers de drogues complètent de manière indispensable les enquêtes en population générale en raison de la relative rareté de certains comportements et du fait que certains usagers de drogues sont des « expérimentateurs » remarquables de nouveaux produits ou de nouveaux usages.

TEDS (Treatment Episode Data Set)11

Le programme TEDS est mené par la SAMHSA depuis 1987. Il enregistre les admissions des usagers de drogues en demande de traitement auprès des structures habilitées à délivrer des traitements de substitution aux opiacés. Les informations qui sont recueillies à l’admission et à la sortie de la structure, concernent des données sociodémographiques, les comorbidités psychiatriques, l’usage détaillé des substances psychoactives (voie principale d’administration, fréquence d’utilisation, âge des premières consommations et usage comme traitement de substitution). Les médicaments concernés sont la méthadone non prescrite, les autres opiacés analgésiques, les psychostimulants, les benzodiazépines, les barbituriques... Ce mode de recueil de données qui repose sur les admissions, fournit un grand nombre de renseignements (par exemple 1,8 millions d’observations en 2007) mais présente une limite majeure de redondance car les transferts ou changements de structure sont considérés comme de nouvelles admissions. Il faut également noter une certaine hétérogénéité du mode de recueil entre les États, l’absence de données provenant de structures gérées par certaines agences fédérales, comme le bureau des prisons, le département de la défense, le département des affaires des vétérans. La description des données de l’enquête et ses résultats sont disponibles en ligne.

Enregistrement des conséquences médicales de l’abus

Les conséquences médicales de l’abus qui sont enregistrées par les programmes américains sont les décès en relation avec l’usage de substances psychoactives, les hospitalisations dans les services d’accueil des urgences, les intoxications et les événements indésirables. Les principaux programmes enregistrant ces données sont DAWN (Drug Abuse Warning Network), NPDS (National Poison Data System Information) et AERS (Adverse Event Reporting System).

DAWN (Drug Abuse Warning Network)12

DAWN est un programme mené par la SAMHSA depuis 1972. Il a pour objectif d’évaluer la morbidité et la mortalité liées à l’usage, au mésusage et à l’abus de substances psychoactives. C’est un système de surveillance dans lequel sont collectées les données relatives aux admissions dans les services d’urgence et aux décès liés aux substances psychoactives constatés par des médecins légistes. Les services sont recrutés selon leur couverture géographique et selon leur taille, ce qui permet une bonne représentativité. Ce programme a un rôle fort de signal de phénomène émergent. Sont inclus les cas de mésusage ou d’abus de médicaments, les usages de produits illicites, d’alcool utilisé avec médicament ou drogue, d’alcool utilisé par un sujet de moins de 21 ans, l’usage non médical de médicament, les tentatives de suicide et suicides avec médicament ou drogue, les empoisonnements et intoxications avec médicament ou drogue. Ce programme permet donc de disposer d’informations détaillées sur les médicaments avec une excellente représentativité sur le plan géographique permettant d’estimer le nombre de cas au niveau fédéral. Concernant l’abus des médicaments psychotropes, ce programme a pour inconvénients d’une part d’inclure des cas qui ont une définition plus large que les cas d’abus ou de dépendance et d’autre part de ne considérer que les cas nécessitant des soins aux urgences, excluant les abus sans effets indésirables graves.

NPDS (National Poison Data System Information)13

NPDS est un programme mené par l’American Association of Poison Control Centers (AAPCC) et le Centers for Disease Control et Prevention (CDC) depuis 1983. Il collecte plus de 2 millions de cas par an d’intoxications auprès des professionnels de santé, des citoyens et des centres d’appels aux centres antipoison. Les informations recueillies sont le lieu, la date et le motif de l’appel, des informations sur la victime (âge, sexe), des informations sur l’exposition (intensité, durée, nombre de substances, voie d’administration, substance et quantité), sur le traitement (site de prise en charge et traitement) et sur les conséquences médicales et les effets toxiques. Concernant les médicaments, ce programme recueille des données très détaillées sur les médicaments concernés (fabricant, dose, voie d’administration, forme, numéro du lot...) mais il est basé sur des déclarations de qualité diverse selon le déclarant, et il ne concerne que les cas ayant fait l’objet d’une notification. Les résultats sont rassemblés dans un rapport annuel disponible sur le site Internet du NPDS.

AERS (Adverse Event Reporting System)14

AERS est un programme mené par la Food and Drug Administration (FDA) depuis 1969. Son objectif est de collecter les événements indésirables rencontrés au cours de traitements médicamenteux, notifiés par les professionnels de santé et les patients. La FDA analyse ces notifications pour détecter les nouveaux effets indésirables et les erreurs médicales. Les déclarations sont basées sur le volontariat.
Cette base de données dont les résultats sont disponibles depuis 2001, apporte beaucoup d’informations sur les médicaments, mais celles-ci ne concernent pas spécifiquement l’abus ou la dépendance aux médicaments. Ce type de base de données souffre du problème des sous-déclarations, et son analyse se heurte aux difficultés habituelles d’imputabilité (dans quelle mesure ce type d’événements indésirables est-il imputable à un médicament ?).

Enregistrement des délivrances de médicaments psychotropes et des analyses des laboratoires

L’observation de l’abus et de la dépendance aux médicaments nécessite de compléter les informations recueillies auprès des patients (consommations, état de santé) avec des informations qui concernent les quantités de médicaments délivrées et les médicaments identifiés lors des analyses toxicologiques de laboratoires, suite à des enquêtes judiciaires le plus souvent.

PDMP (Prescription Drug Monitoring Program)15

PDMP est un programme mené par l’US Department of Justice depuis 2002 qui a pour objectif d’évaluer la balance entre risque d’abus et de détournement des médicaments opioïdes et risque de sous-traitement de la douleur. Il concerne toutes les prescriptions d’opioïdes : en effet, toutes les pharmacies des États participants ont pour obligation de notifier toutes les prescriptions d’opioïdes de schedule II16 (ainsi que d’autres médicaments dans certains États), ce qui suppose un enregistrement exhaustif, en continu de ces prescriptions. Chaque structure qui dispense, doit soumettre à l’agence d’État désignée, de façon électronique, les informations relatives à chaque prescription concernant le médicament d’intérêt. Les principales informations recueillies sont la date de la délivrance, le code NDC (National Code Drug) (l’homologue de notre code CIP, Code identifiant de présentation) du médicament délivré, sa durée de prescription, les noms, adresse et date de naissance du patient, le numéro d’identification du prescripteur, la date de prescription, la personne qui reçoit la prescription, si ce n’est pas le patient lui-même, la source de paiement. Ce programme apporte donc des informations détaillées sur la prescription et la délivrance de médicaments psychotropes mais il présente plusieurs inconvénients : il ne concerne le plus souvent que les opioïdes, les informations d’identification des patients restent souvent incomplètes, ce qui entraîne l’impossibilité de regrouper ces informations à d’autres données dans 25 % des cas, et le nombre de doublons est important (environ 17 % des patients ont plusieurs identifiants). Une tentative d’amélioration de la qualité des données et d’extension au niveau fédéral du programme PDMP a été faite en 2005 au travers du financement fédéral NASPER (National All Schedules Prescription Electronic Reporting), mais celle-ci n’a pas pu aboutir.

NFLIS (National Forensic Laboratory Information System)17

NFLIS est un programme mené par la Drug Enforcement Administration (DEA), Office of Diversion Control depuis 1998, qui collecte systématiquement les résultats des analyses toxicologiques conduites par les laboratoires d’expertises légales étatiques et locales sur les saisies de substances par l’exécutif. Il regroupe actuellement plus de 8 millions d’échantillons au rythme, ces dernières années, de 1,2 millions par an. Le taux de participation est de 91 %. Les résultats de ce programme sont disponibles en ligne mais ne peuvent pas être interprétés en termes de prévalence car ils dépendent beaucoup de la « pression » des autorités de police. Cette difficulté est commune à tous les recueils d’information provenant des services de police ou de justice (saisies, interpellations, incarcérations).

Programmes utilisant des sources d’information multiples

Des programmes utilisant des sources d’information multiples ont été créés aux États-Unis ces dernières années. Ils répondent aux besoins des plans de gestion des risques (PGR) comme Navippro (National Addictions Vigilance Intervention and Prevention Program) ou présentent une orientation plus marquée vers la recherche comme Radars (Researched Abuse, Diversion and Addiction-Related Surveillance). On peut rattacher également à ce groupe CEWG (Community Epidemiology Work Group), un programme plus ancien qui ne fournit pas de données par lui-même mais qui présente l’analyse synthétique de l’ensemble des sources d’information disponibles et les conclusions d’experts sur les évolutions et les disparités de la situation dans les différents États.

Radars (Researched Abuse, Diversion and Addiction-Related Surveillance)18

Radars est un programme indépendant, sans but lucratif, financé depuis 2002 par le Rocky Mountain Poison and Drug Center (RMPDC), qui est un département du Denver Health and Hospital Authority (DHHA). Il a pour objectif de surveiller et caractériser l’abus de substances psychoactives. Ce programme recueille des informations (usage, abus et détournement) auprès de différentes institutions :
• tous les trimestres auprès de 300 experts de la police et de la justice dans 50 États ;
• tous les trimestres auprès de 351 professionnels de la santé, experts sur la thématique de l’abus de médicaments psychotropes ;
• toutes les semaines auprès de 44 centres anti-poisons (84 % de couverture de la population) ;
• toutes les semaines auprès de 75 centres méthadone répartis dans 33 États ;
• toutes les semaines auprès d’une cohorte de plus de 1 500 patients en demande de traitement dans des centres spécialisés ;
• tous les semestres auprès d’une cohorte de 2 000 lycéens dans 50 États.
Ce programme procède à la collection des données, l’analyse de ces données et la relecture des données par des experts. Les médicaments psychotropes étudiés dans Radars sont des analgésiques et des psychostimulants (buprénorphine, fentanyl, hydrocodone, hydromorphone, méthadone, morphine, oxycodone, oxymorphone, tramadol, méthylphénidate et amphétamines).
Ce programme est très spécifique de l’abus de certains médicaments psychotropes. Il utilise une grande variété de sources différentes pour détecter et caractériser le détournement et l’abus. Il permet en outre de mesurer l’exposition aux médicaments dans la population. Il dispose d’une bonne représentativité dans les trois territoires (urbain, péri-urbain et rural). À noter cependant la variabilité des taux de réponse aux questionnaires et l’incertitude concernant la fiabilité des « informateurs-clés » (key informants) du programme.

Navippro (National Addictions Vigilance Intervention and Prevention Program)19

Navippro est un programme développé par le National Institute on Drug Abuse (NIDA) depuis 2001. Ce système intègre la surveillance, la détection de signal, la vérification du signal, ainsi que des programmes de prévention et d’intervention. Il offre une solution « clé en main » pour les plans de gestion de risque. Navippro est constitué de trois sous-programmes (questionnaires, outils...) : ASI-MV, WIS et CHAT.
ASI-MV (Addiction Severity Index - Multimedia Version) est un questionnaire multimédia auto-administré s’appuyant sur l’instrument de mesure de la dépendance le plus utilisé par les chercheurs, l’Addiction Severity Index. Il recueille en temps réel les données d’un réseau national de plus de 500 centres de traitement de l’abus de substance. Les médicaments consommés, leurs voies d’administration et leur mode d’obtention sont enregistrés. Ces données sont transmises dans une base de données sécurisée et peuvent être analysées pour évaluer des tendances et la répartition géographique de l’abus de médicaments.
WIS (Web Informed Service) consiste en une surveillance continue de l’information issue d’Internet que ce soient les forums de discussions qui se rapportent aux médicaments (WIS Internet Monitoring), les communiqués de presse qui mentionnent les événements relatifs aux drogues (WIS Media-GRIID20 ) ou des enquêtes Internet pour caractériser l’abus de médicaments chez les populations à hauts risques (WIS Internet Surveys).
CHAT (Comprehensive Health Assessment for Teens) est un outil d’évaluation de la santé des adolescents, spécifiquement conçu pour les adolescents entre 13 et 18 ans. C’est un outil interactif et disponible par le Web, basé sur le même principe que ASI-MV mais très adapté à son jeune public.
Les médicaments étudiés par Navippro sont les opioïdes sous prescription, la méthadone, les barbituriques, des sédatifs/hypnotiques/tranquillisants (groupés ensemble), les amphétamines. Il offre la possibilité de distinguer un générique d’un princeps et les différentes formulations. Les principales informations recueillies sont le mode de consommation du médicament, sa voie d’administration, son mode d’approvisionnement. Ce programme est reconnu comme étant pratique, bien accepté et ne demande pas de temps de travail supplémentaire pour les professionnels du service. Les données sont transmises à la base en temps réel via Internet. Le programme répond aux besoins des organismes financeurs de santé aux États-Unis ainsi qu’à ceux des laboratoires pharmaceutiques pour leurs plans de gestion des risques. En revanche, il n’y a aucune appréciation personnelle du clinicien sur l’état de santé du patient et très peu d’informations sont disponibles sur la représentativité du programme.

CEWG (Community Epidemiology Work Group)21

CEWG est un programme financé par le National Institute on Drug Abuse (NIDA), Division of Epidemiology, Services and Prevention Research (DESPR). Son objectif est la surveillance continue de l’abus de substances à travers des analyses qualitatives et quantitatives de données recueillies par les différents programmes d’observations scientifiques. Ces analyses sont réalisées deux fois par an par un réseau d’experts américains et d’autres pays qui se réunissent pour analyser les données épidémiologiques concernant l’abus de drogues. Ce programme permet donc la prise en compte de multiples sources de données indépendantes mais il se confronte aux différences de terminologie dans les différents programmes, particulièrement en ce qui concerne l’abus de médicaments psychotropes. D’autre part, les rapports complets ou récents ne sont pas toujours disponibles et la couverture géographique varie en fonction des aires étudiées.
En conclusion, les États-Unis ont mis en place des programmes de surveillance qui, par leur complémentarité, permettent de disposer d’un ensemble d’informations concernant le détournement, l’abus et la dépendance aux médicaments psychotropes. Certains programmes permettent d’évaluer l’usage de psychotropes en population générale (NSDUH) ou encore dans la population des adolescents (MTF). D’autres, conduits chez les usagers de drogues en demande de traitement auprès des centres spécialisés (TEDS), permettent de suivre le détournement de psychotropes. S’appuyant sur les recours des sujets aux services d’urgence et l’analyse des causes de décès, le programme DAWN apporte des informations sur les conséquences médicales de l’abus ou la dépendance aux psychotropes. Le suivi des délivrances de médicaments, à travers le programme PDMP, renseigne sur les pratiques de prescription et sur le nomadisme médical. Les analyses toxicologiques réalisées chez des usagers de drogues ou lors des saisies alimentent le programme NFLIS et donnent des informations sur la composition des produits utilisés (substances actives, produits de coupe...) et leur disponibilité.

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