© M. Bowen
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Med Sci (Paris). 40: 69–73. doi: 10.1051/medsci/2024137.Modèle Force-Vitesse-Endurance (FoVE)
Une nouvelle méthode d’évaluation fonctionnelle
in situ
des muscles striés squelettiques pour les modèles murins
1Laboratoire Interuniversitaire de Biologie de la Motricité LIBM, Université Savoie Mont Blanc
,
73000Chambéry
,
France 2Laboratoire Interuniversitaire de Biologie de la Motricité LIBM, Université Jean Monnet
,
42100Saint-Étienne
,
France Corresponding author. | ||||||||||
© M. Bowen | ||||||||||
Les capacités contractiles du muscle strié squelettique sont essentielles aux mouvements et aux locomotions humaines et animales. Elles sont donc centrales pour la performance sportive, mais également pour la qualité de vie des personnes souffrant de déficiences ou d’altérations de la fonction musculaire. Lorsque l’on parle de « capacité fonctionnelle musculaire », la première chose qui vient en tête est la force. Cependant, cette production de force dépend grandement de la vitesse de contraction et de l’état de fatigue de la fonction neuromusculaire. Dans le contexte de l’exploration fonctionnelle des capacités musculaires humaines, un nouveau cadre théorique Force-Vitesse-Endurance (FoVE) a été développé [ 1 ]. Il permet de caractériser de manière plus exhaustive les capacités mécaniques de cet organe. En revanche, sur le modèle murin, la plupart du temps, la qualité de la fonction musculaire est évaluée par des tests de force isométrique sans fatigue [ 2 ]. La caractérisation des capacités de force n’est jamais effectuée dans différentes modalités de vitesse et de fatigue. Le modèle FoVE transposé à l’expérimentation animale a pour objectif de permettre une cartographie complète des capacités fonctionnelles du muscle applicable aux études pré-cliniques. | ||||||||||
En raison de leur structure moléculaire, les fibres musculaires striées squelettiques produisent une force maximale plus faible lorsque la vitesse de raccourcissement est plus élevée [ 3 , 4 ]. Cette relation est formulée mathématiquement par une fonction homographique force-vitesse F(V) , définie par trois paramètres F 0 , V 0 et C (Équation 1; Figure 1A ). Chacun de ces paramètres représente une caractéristique différente du muscle.
- F 0 représente le plus grand niveau de force que le muscle peut produire. - V 0 représente la plus grande vitesse de raccourcissement du muscle. - C caractérise la courbure de la relation force-vitesse. Elle influence grandement la capacité de production de puissance maximale. Plus la valeur de cette courbure est importance, moins le muscle est apte à produire de la puissance, et vice versa.
Par ailleurs, la force maximale que peut produire le muscle diminue avec la répétition de contractions ou avec la durée d’exercice, c’est le phénomène de fatigue musculaire. Lors d’un effort au cours duquel chaque contraction est maximale ( all-out ), cette relation peut être décrite par une fonction force-temps F(t) (Équation 2; Figure 1B ) définie par trois paramètres: F i , F c et τ [ 5 ]. Chacun de ces paramètres décrit une caractéristique différente du muscle. - F i , représente la force que le muscle produit à la première contraction sans fatigue (initiale). - F c représente le niveau de force qui peut être maintenu en condition de fatigue musculaire extrême (critique). Cette valeur de force critique est non-nulle. - τ représente la vitesse à laquelle la fatigue (baisse de force) se développe. Plus ce temps caractéristique est grand, plus le muscle est endurant. À l’inverse, plus τ est petit, plus le muscle perd rapidement en force jusqu’à atteindre la force critique.
Ces deux relations fondamentales, F(V) et F(t) , expliquent la diminution de la force, respectivement avec l’augmentation de la vitesse de contraction et/ou avec la durée ou le nombre de contractions répétées dans le temps. Ces deux relations définissent ainsi les capacités de production de force chez un grand nombre d’espèces animales [ 6 ]. Chez l’Homme, elles ont été explorées de différentes manières : de la fibre musculaire in vitro [ 7 ], en passant par le muscle isolé ( e.g. adductor pollicis [ 8 ]), aux tâches complexes pluri-articulaires (saut, pédalage, course à pied [ 9 , [ 10 ]). La constance de ces observations indique que les relations force-vitesse ( F(V) ) et intensité-temps ( F(t) ), ainsi que les mécanismes biomécaniques et physiologiques sous-jacents, sont des caractéristiques clés du muscle strié squelettique ( Figure 1 ). Ainsi, en combinant les relations F(V) et F(t) (Équations 1 et 2), une relation unique force-vitesse-temps ( F(t, V) ) peut être développée ( Figure 2 ). En un seul modèle, il est donc possible d’obtenir une cartographie complète des capacités fonctionnelles du muscle. Le niveau de production de force peut être mesuré en considérant les effets combinés de la vitesse et de la fatigue (temps) ainsi que leurs interactions. Cette cartographie permet de déterminer les indices de force maximale ( F 0 i et F 0 c ), de vitesse maximale ( V 0 i et V 0 c ) et de puissance maximale ( P max i et P max c ), sans et avec fatigue (respectivement indice« i »: initial et« c »: critique).
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Afin d’obtenir les paramètres FoVE de la cartographie force-vitesse-endurance, un court protocole expérimental unique de 3 minutes a été développé sur un ergomètre isocinétique dédié au petit animal (souris) (modèle 1305A, Aurora Scientific®, Dublin, Irlande) ( Figure 3A ). Ce système permet de mesurer la force générée par le muscle en fonction de différentes vitesses de déplacement imposées (raccourcissement musculaire).
L’expérimentation FoVE est réalisée chez la souris sous anesthésie générale gazeuse. Le muscle tibialis anterior (TA) est relié par son tendon distal au module isocinétique de mesure de force ( Figure 3C ). Les contractions sont induites par des stimulations électriques, transmises par des électrodes crochetant directement le nerf sciatique mis à nu en amont (signal carré monophasique, intensité 2 mA, fréquence 100 Hz). Le module isocinétique est réglé pour un raccourcissement musculaire de 1,5mm (soit ~25 % de la longueur du muscle au repos L 0 ). Le protocole FoVE consiste à mesurer la force produite par un muscle électro-stimulé en balayant différentes vitesses imposées de contraction (de 2 à 40 mm/s, par pas de 3 mm/s, puis de 40 mm/s à 2 mm/s), sur des cycles de 20 s. La durée totale du protocole est de 180 s (soit 9 cycles de balayage force-vitesse) ( Figure 3B ). Après chaque contraction, un retour passif sans électro-stimulation est effectué à – 3 mm/s afin de revenir à la position de référence. La force maximale de chaque contraction du protocole FOVE est ainsi mesurée. Le modèle FoVE (fonction F(V,t) ) est ensuite ajusté aux données de force sur les 180 s pour déterminer les 7 paramètres du modèle ( F 0 i ; F 0 c ; V 0 i ; V 0 c ; C i ; C c ; τ) ( Figure 3D ). | ||||||||||
Les données présentées ici sont exprimées en force normalisée à la masse du muscle étudié (N⋅g −1 ). À titre d’exemple, cette approche a été appliquée à l’étude du dimorphisme sexuel (souris sauvages C57Bl6 âgées de 4 mois : mâles contre femelles, n = 6 par groupe, Figure 4 ). Le modèle FoVE complet en 3 dimensions ( Figure 4E ) permet d’obtenir par projection les graphiques en 2 dimensions : force-temps ( Figure 4A ), vitesse-temps ( Figure 4D ), et force-vitesse, sans fatigue ( Figure 4B ) et avec ( Figure 4C ). Ainsi, il est possible de mettre en évidence une force maximale isométrique normalisée ( F 0 i ) plus importante chez les femelles. À l’inverse, la vitesse maximale de contraction était plus grande chez les mâles à la fois au début du protocole ( V 0 i ) et en condition de fatigue ( F 0 c ).
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La force isométrique maximale traditionnellement évaluée ne reflète qu’une des nombreuses capacités de contraction musculaire. L’évaluation FoVE fournit, quant à elle, une cartographie plus complète. Les indices qui en découlent décrivent des caractéristiques de force, de vitesse et d’endurance qui sont gouvernées par des mécanismes biologiques et mécaniques distincts. Ainsi, lorsque l’on cherche à comparer deux groupes ( e.g. sexe, phénotype, thérapeutique), il est possible de voir des différences ou non, dans un sens ou dans un autre, en fonction des indices considérés. Par exemple, nous avons vu que les femelles présentaient une force maximale (en N.g -1 ) plus élevée, alors que ce sont les mâles qui possédaient les capacités de vitesse les plus grandes. Il y a fort à parier que l’approche historique de mesure de force maximale isométrique ait pu passer au travers d’effets importants de telle ou telle thérapeutique en ne regardant pas « au bon endroit ». Un intérêt supplémentaire de l’approche FoVE réside dans son applicabilité chez l’Homme. Ainsi, il est possible, dans le cadre de la recherche translationnelle, d’évaluer les capacités FoVE avec des protocoles sur de petits groupes musculaires ( adductor pollicis ), des groupes musculaires plus importants (extenseurs de genou) ou sur des tâches locomotrices (pédalage, course). | ||||||||||
Cette étude a été financée par l’Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du projet FOVEAL (anr.fr/Projet-ANR-22-CE14-0073) . | ||||||||||
Maximilen Bowen a reçu le prix du Meilleur poster lors des journées de la Société française de myologie (SFM) 2023 . | ||||||||||
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article . | ||||||||||
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