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Med Sci (Paris). 40(12): 963–964.
doi: 10.1051/medsci/2024183.

La lyonisation, un « parfum de femmes »…

Hélène Gilgenkrantz1*

1Centre de recherche sur l’inflammation Inserm U1149, université Paris Cité faculté de médecine, site Bichat , Paris , France
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Mary Lyon (© Image fournie gracieusement par le Mary Lyon Centre- MRC Harwell).

Les processus biologiques qui portent le nom de leur découvreur ne sont pas légion, mais lorsque le découvreur en question est une femme, c’est encore plus rare… Le concept de l’inactivation d’un chromosome X dans les cellules somatiques des femelles de mammifères, encore appelée lyonisation, doit son nom à Mary Frances Lyon, née en 1925 au Royaume-Uni, d’une mère enseignante et d’un père fonctionnaire. Médecine/sciences s’est déjà fait l’écho des travaux de recherche de cette scientifique de renom [ 1 ] ( ). Mais replaçons cette découverte dans son contexte historique. Chez les mammifères, la présence de deux chromosomes sexuels identiques (XX) chez les femelles et distincts (XY) chez les mâles a été indépendamment décrite en 1905 par Edmund Beecher Wilson et Nettie Stevens [ 2 ] ( ).

(→) Voir le Forum de J.L. Guénet et al., m/s n° 6-7, juin-juillet 2015, page 687

(→) Voir le Repères de S. Gilgenkrantz, m/s n° 10, octobre 2008, page 874

Quelque quarante ans plus tard, le canadien Murray Barr observe, dans les noyaux des cellules de mammifères, une petite structure collée à la membrane nucléaire, appelée depuis corpuscule de Barr. Cependant, seules les cellules des individus femelles présentent cette structure : les cellules des individus mâles en sont dépourvues. Il faut se souvenir qu’à l’aube des années 1960, on commence à peine à comprendre l’origine chromosomique de certaines maladies. Le nombre de chromosomes humains a définitivement été arrêté à 46 (23 paires), Marthe Gautier vient de découvrir le chromosome surnuméraire de la trisomie 21, et Patricia Jacobs, la présence de deux chromosomes X chez les garçons porteurs d’un syndrome de Klinefelter (caryotype : 47, XXY). En 1959, un américain d’origine japonaise, Susumo Ohno, montre que le fameux corpuscule de Barr n’est autre que de l’hétérochromatine condensée d’un des deux chromosomes X. D’ailleurs, on trouve ce corpuscule dans le noyau des cellules des garçons porteurs d’un syndrome de Klinefelter. Le décor est planté. C’est alors que Mary Lyon, après avoir travaillé à l’Université d’Edimbourg, rejoint Harwell pour étudier les effets génétiques des radiations sur les mammifères [ 1 ]. Elle y fait l’observation que certaines mutations sur le chromosome X de la souris donnent une couleur tachetée à la robe des souris femelles, et uniquement des femelles. Elle émet alors l’hypothèse que ces taches résultent de l’inactivation au hasard d’un des deux chromosomes X dans chaque cellule. Si ces couleurs apparaissent en taches larges et non dispersées en points, c’est que l’inactivation a lieu précocement au cours du développement embryonnaire, et qu’elle reste ensuite stable dans le temps : les cellules somatiques ayant inactivé soit le chromosome X d’origine paternelle, soit celui d’origine maternelle, conservent le même profil d’inactivation au fil de leurs divisions successives. Cette « variégation » est retrouvée chez le chat, ou plutôt chez la chatte, au pelage dit en écailles de tortue (roux et noir), ou à la robe calico, dans sa version tricolore [ 3 ] ( ). Les résultats du travail de recherche de Mary Lyon publiés en 1961 dans la revue Nature [ 4 ] mettent ainsi sur un pied d’égalité d’expression génique les mâles, dont les cellules somatiques ne possèdent qu’un seul chromosome X, et les femelles, chez lesquelles ces cellules n’expriment les gènes que d’un seul de leurs deux chromosomes X. Ils permettent également de mieux comprendre le mode de transmission de nombreuses maladies récessives liées au chromosome X, comme la myopathie de Duchenne ou l’hémophilie. En effet, si ces maladies ne touchent qu’exceptionnellement les filles, c’est bien parce que l’inactivation a lieu de façon aléatoire dans les cellules somatiques lors de la formation des trois lignages ectodermique, endodermique et mésodermique, ce qui permet l’expression de l’allèle non muté dans environ la moitié des cellules des organes concernés par la maladie (respectivement, les muscles et le foie dans les exemples sus-cités). Ainsi, les rares filles qui présentent des symptômes de la maladie ont un biais d’inactivation qui, au lieu de se faire au hasard, a concerné préférentiellement le chromosome X non porteur de la mutation. Le rôle de l’ARN non codant Xist dans le déclenchement et le maintien du processus d’inactivation ne seront connus que bien plus tard. Est-ce encore un effet du hasard si, en France, ce sont encore des femmes, comme Edith Heard ou Claire Rougeulle, qui continuent d’écrire l’aventure de l’inactivation du chromosome X ? Quant à Mary Lyon, elle a poursuivi son travail académique jusqu’à l’âge de 87 ans. En 2014, elle s’est éteinte paisiblement dans sa 90 e année après avoir, paraît-il, fêté le jour de Noël avec un verre de sherry et son chat calico…

(→) Voir la Nouvelle de S. Gilgenkrantz, m/s n° 6-7, juin-juillet 2005, page 573

References
1.
Guénet JL , Panthier JJ , Avner P , et al. . L’héritage de Mary F. Lyon. . Med Sci (Paris) . 2015; ; 31 : :687. – 9 .
2.
Gilgenkrantz S. Nettie Maria Stevens (1861-1912). . Med Sci (Paris) . 2008; ; 24 : :874. – 8 .
3.
Gilgenkrantz S. Insubordination et sollicitude du chromosome X humain. . Med Sci (Paris) . 2005; ; 21 : :573. – 7 .
4.
Lyon MF. Gene action in the X-chromosome of the mouse ( Mus musculus L.) . . Nature . 1961; ; 190 : :372. – 3 .