Dans la plupart des pays industrialisés, la possibilité d’un recours à la transplantation d’un rein permet de pallier la défaillance terminale de l’organe. Historiquement, deux évènements majeurs (outre les progrès des techniques opératoires et périopératoires) sont à l’origine de cette révolution médicale : d’une part, la découverte, dans les années 1940-1950, du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH), aussi appelé HLA (pour
human leukocyte antigens,
ou antigènes leucocytaires humains) dans l’espèce humaine, et d’autre part, l’avènement et l’amélioration des thérapies immunosuppressives depuis les années 1970. En pratique clinique, ce sont aujourd’hui, et depuis plus de 50 ans, quasi-exclusivement les gènes HLA qui sont utilisés en tant qu’indicateurs d’histocompatibilité. Les incompatibilités HLA entre donneur et receveur conduisent notamment à la production d’anticorps spécifiques des allèles HLA du donneur (
donor-specific antibodies
, DSA), qui participent à la réduction de la survie du greffon par un mécanisme de rejet dû aux anticorps (« rejet humoral »). Ces DSA peuvent être synthétisés
« de novo »,
ou après des évènements de sensibilisation, tels que des transplantations antérieures, des transfusions sanguines ou des grossesses. Cependant, il arrive fréquemment (jusqu’à 50 % des cas) qu’aucun DSA anti-HLA ne soit détecté lors d’un rejet humoral [
1
]. Les gènes HLA ne rendent donc pas compte de tous les rejets de greffe, et c’est pour cette raison que nous avons entrepris d’évaluer le rôle du gène d’histocompatibilité non-conventionnel de classe I
MICA
(
major histocompatibility complex class I chain-related gene A
) en transplantation rénale.
Le gène et la protéine MICA
Le gène
MICA
appartient à une famille de gènes codant des protéines d’histocompatibilité non conventionnelles de classe I. Il est situé à environ 46 000 paires de bases du locus
HLA-B
du CMH [
2
]. Il est très polymorphe puisqu’il comporte plus de 500 allèles, correspondant à près de 300 protéines différentes
1
. La protéine MICA, à l’instar des molécules HLA de classe I (A/B/C/E/F/G), est composée de trois domaines extracellulaires, d’un domaine transmembranaire, et d’une partie intracytoplasmique. Les deux allèles du gène
MICA
présents chez un individu sont exprimés concomitamment (comme ceux des gènes HLA), principalement (mais pas exclusivement) par les cellules endothéliales et épithéliales. Contrairement aux molécules HLA de classe I, la protéine MICA ne se lie pas à la β
2
-microglobuline et ne fixe pas de peptide antigénique. MICA est un ligand de NKG2D (
natural killer group 2, member D
), un récepteur activateur exprimé par les lymphocytes
natural killer
(NK) et les lymphocytes T γδ et αβ CD8
+
[
3
].
La première étude d’envergure ayant analysé le rôle de
MICA
en transplantation rénale date de 2007 [
4
]. Bien qu’elle ait montré que les anticorps anti-MICA détectés avant la transplantation étaient associés au rejet et à la perte du greffon, les auteurs de cette étude n’avaient pas pu déterminer si ces anticorps étaient dirigés contre le donneur, en d’autres termes s’il s’agissait de DSA anti-MICA, notamment parce qu’ils n’avaient pas pris en compte le génotype
MICA
des donneurs et des receveurs. Cette étude a été suivie d’un grand nombre d’autres, avec des résultats contradictoires, mais aucune n’a analysé conjointement l’appariement génotypique de
MICA
entre donneurs et receveurs et la présence (ou l’absence) des DSA anti-HLA et anti-MICA, tout en tenant compte des autres facteurs de confusion, sur un échantillon d’individus assurant une puissance statistique suffisante [
5
].
Les mésappariements alléliques de
MICA
sont associés à une réduction de la survie du greffon rénal
Afin de nous affranchir des limitations des études précédentes, nous avons tout d’abord effectué un génotypage allélique rétrospectif de
MICA
dans une cohorte de 1 356 paires de donneurs/receveurs d’allogreffes rénales. Par une analyse multivariée incluant les incompatibilités HLA de classe I et II, ainsi que tous les autres facteurs de risque connus, nous avons pu montrer que les incompatibilités génotypiques de
MICA
étaient associées à la perte du greffon (
hazard ratio
[HR]
2,
= 2,1 ; intervalle de confiance à 95 % [IC] : 1,4 – 3,1 ; p < 0,001). Cet effet était similaire chez les receveurs appariés aux donneurs selon les allèles du gène
HLA-B
, ce qui a permis d’exclure un effet lié au déséquilibre de liaison génétique
3
(une particularité du locus HLA compliquant toute analyse génétique causale) entre les gènes
HLA-B
et
MICA
. Il est à noter que ces résultats sont en accord avec ceux d’une étude précédente portant sur les greffes de cellules souches hématopoïétiques [
6
], ce qui établit le rôle du gène
MICA
en tant que gène d’histocompatibilité dans deux situations de greffe distinctes.
L’immunisation anti-MICA spécifique du donneur augmente le risque de rejet humoral en synergie avec l’immunisation anti-HLA
En analysant le taux de DSA anti-MICA avant et un an après la transplantation rénale sur respectivement 524 et 225 sérums de patients transplantés, il est apparu que la présence de ces anticorps était un facteur de risque indépendant de survenue d’un rejet aigu du greffon, en particulier de type humoral (HR = 3,8 ; IC : 1,9 – 7,4 ; p < 0,001 pour les anticorps préexistant à la transplantation, et HR = 9,9 ; IC : 7,4 – 13,2 ; p < 0,001 pour les anticorps à un an post-transplantation). De plus, la fraction des DSA anti-MICA néoformée après la transplantation était la plus délétère, car elle était également associée à une réduction de la survie du greffon (HR = 1,3 ; IC : 1,0 – 1,6 ; p = 0,01). Afin de différencier l’impact des DSA anti-MICA de celui des DSA anti-HLA, l’incidence du rejet humoral a été analysée en fonction de la présence ou de l’absence de chacun de ces deux types d’anticorps. La présence de DSA anti-MICA et celle de DSA anti-HLA, avant et après la transplantation, étaient toutes deux des facteurs de risque indépendants de développement d’un rejet humoral. Par ailleurs, ce risque était maximum lorsque les deux types d’anticorps étaient présents (HR = 26 ; IC : 3 – 199 ; p = 0,002 pour les anticorps préexistants, et HR = 83 ; IC : 34 – 203 ; p < 0,001 pour les anticorps post-transplantation), indiquant un effet synergique entre ces anticorps.
La présence d’une immunisation anti-MICA spécifique du donneur lors d’un épisode de rejet impacte le taux de survie du greffon
Afin de valider ces données et d’estimer l’impact des DSA anti-MICA sur la survie du greffon, nous avons analysé un autre groupe de 168 patients transplantés ayant présenté un épisode de rejet humoral, avec (81 patients) ou sans (87 patients) DSA anti-HLA. La présence de DSA anti-MICA au moment de la biopsie de diagnostic de rejet était significativement associée à une diminution du taux de survie du greffon (HR = 1,7 ; IC : 1,0 – 2,9 ; p = 0,04). La proportion des greffons ayant survécu six ans après la transplantation était en effet réduite de 19 % en présence de DSA anti-MICA. Il convient de noter que la survie du greffon était encore plus compromise lorsque des DSA anti-MICA et anti-HLA étaient présents conjointement, confirmant l’effet synergique défavorable de ces anticorps également sur la survie du greffon.