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Med Sci (Paris). 39: 67–71.
doi: 10.1051/medsci/2023138.

Les journées caribéennes des maladies rares et orphelines 2022

Rémi Bellance,1* Ignacio Antolín Sanféliz,1 Sophie Duclos,1 Anna-Gäelle Guiget-Valard,1 Jocelyn Inamo,2 Aïssatou Signaté,1,2 Oriane Allard-Saint-Albin,1 Mael Cantacouzéne,1 Nicolás Garófalo Gómez,1 and Elisabeth Sarrazin1

1Centre de Référence Caribéen de Maladies Neuromusculaires Rares, CERCA, CHU de Martinique , Fort de France , France
2Centre de Référence des Neuropathies Amyloïdes familiales et autres Neuropathies Périphériques Rares (NNERF), Service de Cardiologie, CHU de Martinique , Fort de France , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Maladies rares, Caraïbe

 

© R. Bellance

La troisième édition des Journées Caribéennes des Maladies rares et Orphelines (JCMO) s’est déroulée du 9 au 11 novembre 2022 à Fort de France en Martinique. Ces journées ont porté sur des thématiques historiques comme les maladies neuromusculaires et les pathologies neurologiques rares mais aussi sur des domaines plus larges comme celui des amyloses à transthyrétine. Le choix des thématiques a été guidé par la volonté des organisateurs de prioriser les pathologies émergentes et les thérapies innovantes.

Après avoir abordé lors des deux congrès JCMO précédents la neurofibromatose, la drépanocytose, les maladies auto-immunes en médecine interne, la sclérose en plaques et les maladies inflammatoires du système nerveux central, nous nous sommes intéressés, lors de cette nouvelle édition, à l’amyloïdose à transthyrétine avec nos collègues cardiologues. La prévalence élevée de cette pathologie dans notre population, le développement des connaissances cliniques et génétiques dans ce domaine, l’arrivée de thérapies innovantes et surtout, le travail considérable de nos collègues spécialistes en pathologie cardiaque en ont fait un sujet de premier ordre.

Les maladies rares affectent environ 4 % de la population. Elles constituent un problème de santé publique universel. Elles sont mal connues et peu enseignées, ce qui est très préjudiciable aux patients avec de multiples conséquences négatives telles que l’errance diagnostique, les difficultés de prise en charge, un conseil génétique souvent absent ou trop tardif, ainsi qu’un manque d’accès à une prise en charge spécifique. Ces difficultés sont majorées dans nos territoires ultramarins et dans la région des Caraïbes en particulier.

Organisées par le Centre de Référence Caribéen pour les maladies rares neuromusculaires et neurologiques (CeRCa), la Société Caribéenne de Myologie (CSM) et le CHU de Martinique, les JCMO visent à améliorer la qualité des services fournis à nos populations en partageant les connaissances, en construisant des réseaux de coopération et en sensibilisant aux maladies rares des territoires défavorisés. Il s’agit de problèmes critiques de santé publique qui exigent l’attention des décideurs. Ces journées ont attiré 160 personnes dont une partie a assisté à distance. Les participants venaient de France métropolitaine, de Guadeloupe, de Guyane française, de Sainte-Lucie, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, de Saint-Domingue, de Cuba et des États-Unis.

Les JCMO sont aussi un lieu de rencontre où les réseaux se tissent et avec une réelle efficacité. Elles bénéficient d’une expansion tant dans les territoires que dans les différents domaines de spécialités.

Résumé des sessions

Après une allocution de bienvenue par le Directeur du CHU de la Martinique, Jérôme Le Brière, les sessions scientifiques des JCMO-2022 se sont déroulées comme suit :

Pathologies mitochondriales
Le Docteur Annabelle Chaussenot du centre de référence CALISSON de Nice a donné une conférence remarquable intitulée « Maladies mitochondriales : quand y penser et comment en faire le diagnostic ? » Les principaux syndromes y ont été présentés avec une approche didactique et globale des situations cliniques très variées.

Le Professeur Nicolas Garofalo-Gomez, médecin d’origine cubaine ayant rejoint récemment l’équipe du CeRCa, a ensuite présenté les données cliniques, biologiques, histologiques et génétiques de la cohorte de 166 patients provenant de toute la région Caraïbe diagnostiqués au CeRCa pour de telles pathologies.

Cette session a été complétée par une présentation du Docteur Mishka Duncan, neuropédiatre, illustrant le travail collaboratif entre le CeRCa et les autres îles de la région Caraïbe, en prenant comme exemple l’observation d’une famille de Saint-Vincent-et-les-Grenadines.

Au fil de ces présentations, les principaux axes abordés ont été l’amélioration du dépistage, du diagnostic, du traitement et de la prise en charge. Les retards diagnostiques restent importants pour ces pathologies rares et la diffusion des connaissances dans ce domaine complexe doit être améliorée. Afin d’optimiser le taux d’élucidation de ces cas en biologie moléculaire, un travail collaboratif est prévu entre les équipes caribéennes et métropolitaines.

Motoneurones
La deuxième session était consacrée aux maladies des motoneurones et a débuté par une présentation en visio-conférence sur l’amyotrophie spinale tardive par le docteur Pascal Cintas (Toulouse). Une présentation sur la sclérose latérale amyotrophique (SLA) liée au gène SOD1 par le Professeur Gwendal Le Masson (Bordeaux) a suivi, ainsi qu'un exposé de l’équipe du CeRCa sur les formes sporadiques et génétiques de la SLA en Martinique. Ces présentations ont mis l’accent sur les thérapies innovantes et les résultats encourageants pour certaines d’entre elles.

Deux points sont à noter concernant les formes génétiques de SLA identifiées en Martinique. D’une part, elles sont exclusivement liés aux mutations du gène SOD1. D'autre part, d’autre part, l’une de ces familles SOD1 présente un phénomène d’anticipation sur trois générations qui reste inexpliqué pour le moment. Ces présentations ont suscité beaucoup de questions de la part du public, en particulier sur les possibilités thérapeutiques.

Thérapies Innovantes
Dans cette session, les thèmes développés étaient les traitements actuels et à venir dans les neuropathies héréditaires par le Professeur Shahram Attarian (Marseille), les essais thérapeutiques dans la dystrophie musculaire de Duchenne par le Professeur Helge Amthor (Versailles-St Quentin), les nouveaux traitements dans la myasthénie par le Professeur Yann Péréon (Nantes), et les avancées dans les thérapies géniques et cellulaires de la drépanocytose à la fibrose pulmonaire par le Professeur Anne Gally (Evry). Cette session a a permis de faire le point dans ces domaines d’avenir. Elle a également mis en évidence l'apport de nouveaux traitements déjà disponibles, tels que l’ efgartigimod dans la myasthénie sévère ou réfractaire.
Myopathies d’origine génétique
Le Docteur Mireille Cossée de Montpellier a inauguré cette session en présentant l’approche multi-omique utilisée pour percer les secrets des titinopathies. Suivaient une présentation du Docteur Guilhem Solé (Bordeaux) sur la démarche diagnostique à adopter en pratique clinique dans les maladies musculaires avec atteinte faciale et un sujet sur la prise en charge respiratoire de la dystrophie musculaire de Duchenne par le Docteur Deprez (Guadeloupe).

Cette session a abordé un large éventail de sujets, avec un focus sur les questions liées au diagnostic des maladies complexes : approche génétique et génomique couplée à la clinique et en terminant par une approche thérapeutique de la myopathie phare, la dystrophie musculaire de Duchenne (DMD).

Plateformes de Coordination des Maladies Rares de Guyane, Guadeloupe et Martinique
Le deuxième jour de la conférence principalement consacrée à la neurogénétique et aux amyloses à transthyrétine a débuté par une table ronde réunissant les plateformes de coordination et d’orientation outre-mer, « PCOM », de Guyane, Guadeloupe et Martinique. L’objectif principal était de présenter ces plateformes, dont la naissance et la mise en place ont été fortement impactées par les différentes vagues de la pandémie de COVID-19. Ces plateformes sont désormais opérationnelles et servent de guichet unique pour les patients, les familles, les professionnels de santé, les institutions et les associations de patients. Les missions qui leur sont assignées ont été présentées ainsi que l’évaluation des actions de chaque plateforme. Cette formule a été choisie en décalage avec celle développée sur le territoire métropolitain, lequel a été équipé plus tôt de plateformes d’expertise. En effet, nos territoires sont relativement isolés et peu dotés en matière de de centres de référence ou de centres de compétence pour les maladies rares. Ceci a été confirmé par l’une des premières actions du PCOM, qui a été de recenser les centres présents sur chaque territoire ainsi que toutes les structures impliquées dans le soutien des patients souffrant de maladies rares.

Cette table ronde a nourri un débat sur les différents moyens de soutenir le développement des PCOM. Des opportunités de collaboration ont été lancées par les experts présents. Le Professeur Yann Péréon, en particulier, a mentionné les possibilités de partage d’expériences avec la plateforme PRIOR développée dans les Pays de la Loire (Plateforme d'Information et d'Orientation pour les Maladies et handicaps Rares).

Neurogénétique
La session de neurogénétique a débuté par une communication sur le syndrome CANVAS présentée par le Professeur Cyril Goizet et le Docteur Guilhem Solé (Bordeaux), en collaboration avec l’équipe du Professeur Laurent Magy (Limoges). A la suite, les Professeures Fanny Mochel et Odile Boesflug-Tanguy ont présenté un plaidoyer pour les leucodystrophies accessibles à des traitements : quand y penser ? et que faire ? Cette communication a été suivie d’une présentation d’Ignacio Antolin-Sanfeliz (Madrid) et du Docteur Rémi Bellance (Martinique) consacrée à la cohorte martiniquaise de formes variées de maladies de Huntington avec une répartition originale, presque égale entre les 40 patients, entre la forme dite « classique » de HTT et la maladie de Huntington de type 2, HDL2, par mutation du gène JPH3 . La cohorte martiniquaise de patients JPH3 serait la deuxième plus grande du monde après celle décrite en Afrique du Sud. L’une des familles semble même être la plus grande du monde et la seule avec trois générations touchées et investiguées au niveau moléculaire.

Neuropathies amyloïdes familiales et cardiopathies amyloïdes familiales
La session sur les neuropathies amyloïdes familiales (NAF) et les cardiopathies amyloïdes familiales (CAF) a débuté par une présentation sur les NAF dans les Antilles par le Docteur Aïssatou Signaté (Martinique) suivie d’un exposé sur leurs traitements respectifs par le Professeur Andoni Echaniz-Laguna. La parole a ensuite été donnée aux équipes de cardiologie pour une vue d’ensemble multidisciplinaire. Le Professeur Jocelyn Inamo (Martinique) a présenté la pathologie dans le contexte des Antilles Françaises ainsi que les efforts en cours pour établir un réseau interrégional et caribéen. Nous avons également appris beaucoup du travail de l’IDE dédiée aux échographies cardiaques avec Sandra Mellot et l’IDE de coordination avec Valérie Victorin. Mme Rishika Banydeen a fait une présentation originale sur l’association entre AVC et amylose. Enfin, le Professeur Vincent Algalarondo (Paris) a présenté l’intérêt, dans le cadre de la CAF, de l’approche par microARN interférents et de l’étude Apollo B.

La présentation des particularités ethniques et épidémiologiques des NAF et CAF dans nos populations et la présentation des thérapies innovantes actuellement en développement ont été particulièrement riches d’enseignement. Le président de l’association Acacia, qui représente ces patients, a exprimé son intérêt et sa reconnaissance pour tout le travail effectué dans ce domaine.

Communications courtes
La conférence a repris après une pause avec une présentation du Professeur Cyril Goizet sur le NBIA Neurodegeneration with Brain Iron Accumulation suivie d’une présentation du Docteur Sophie Duclos (Martinique) sur les syndromes neurologiques associés aux anti-GAD, une pathologie particulièrement prévalente en Martinique. La Docteur Natalia Hernandez-Poblete (Bordeaux) a ensuite présenté de manière concise et didactique les aspects cliniques et génétiques des dystonies. Le Docteur José Luis Barnay et le Docteur Oriane Allard-Saint-Albin (Martinique) ont fait part de leur expérience dans l’utilisation de la toxine botulique comme traitement des dystonies en Martinique.

Enfin, le Docteur Joel Gutierrez (La Havane), qui n’a pas pu assister en personne aux JCMO en raison de difficultés de transport, a donné une présentation en visio-conférence sur l’épidémiologie des manifestations neurologiques de la COVID-19 à partir d’une large étude épidémiologique à Cuba.

Encéphalopathies épileptiques, aspects génétiques et prise en charge
La conférence de clôture a été donnée par le Professeur Dave Clarke (Austin, Texas), sur le thème des encéphalopathies épileptiques, leurs aspects génétiques et leur prise en charge. Le professeur Clarke a présenté de manière extrêmement très structurée les différentes situations syndromiques et génétiques, ainsi que les différentes stratégies thérapeutiques.
Symposium satellite
Un symposium satellite à l’attention des paramédicaux, kinésithérapeutes et ergothérapeutes a eu lieu en parallèle des sessions plénières les 10 et 11 novembre.

Le symposium a été animé et organisé par Olivier Blouet, kinésithérapeute hospitalier (Strasbourg), Maël Cantacuzène, ergothérapeute au CeRCa, le Docteur Etienne Saudeau (Garches), le docteur Oriane Allard-Saint-Albin (CeRCa) et le Docteur Morgane Dervaux, pneumologue pédiatre (CHU de Martinique).

Le premier jour a porté sur les soins respiratoires, tandis que le deuxième jour était centré sur la prise en charge orthopédique. Les deux jours comportaient des présentations théoriques suivies d’exercices pratiques utilisant du matériel spécialisé apporté par des fournisseurs locaux. Comme toujours lors des JCMO, ce symposium satellite a connu un franc succès avec 40 participants comptabilisés, dont une très grande majorité de jeunes paramédicaux.

Conclusion

Les discussions et les débats pendant et à l’issue des JCMO-2022 ont conduit à des propositions claires. Le point principal est le désir d’intensifier les collaborations entre les centres des Caraïbes et les centres métropolitains. De nombreuses collaborations existent déjà, mais elles pourraient être renforcées et développées. Il y a également une forte demande de coopération intra-caribéenne qui existe depuis de nombreuses années, mais qui doit être revitalisée car elle a été fortement affectée par l’isolement pendant et après la crise de la COVID. Elle devrait être étendue géographiquement. Des domaines plus spécifiques liés au contexte ethnique, tels que le syndrome Huntington like de type 2 ou les cardiopathies et neuropathies amyloïdes ATTR, devraient bénéficier de ressources à développer dans un cadre qui s’étend au-delà de la Martinique et des départements et territoires d’outre-mer français.

Malgré une participation substantielle, de nombreuses personnes, dont certains orateurs, ont rencontré des difficultés voire des impossibilités pour venir assister en personne aux JCMO. Les retombées de la pandémie de COVID-19 sont, dans le domaine des transports, clairement perceptibles. Ceci a affecté en particulier les collègues de Cuba et de Trinidad. La mise en place d’une visioconférence ainsi que la traduction simultanée disponible sur place et en streaming ont néanmoins permis la réalisation de téléconférences techniquement excellentes pour plusieurs de nos intervenants et la connexion à distance de participants prestigieux, en direct ou enregistrés. Il y a eu une faible participation des médecins généralistes, ce qui est un point important d'amélioration.

La conférence JCMO reste l’unique événement de référence pour les maladies rares dans notre région. Il est nécessaire de les renouveler et de les soutenir en adaptant et en renforçant la variété de thèmes et de disciplines présentées. Cela pourrait impliquer d’augmenter la durée de l’événement compte tenu du grand nombre de sujets à aborder.

Un témoignage parmi d’autres
Guilhem Solé
C’est avec grand plaisir que j’ai assisté aux JCMO 2022. Cette année encore, j’ai été marqué par la qualité des diverses interventions, mais aussi par la profonde attention qu’y a porté l’assistance. Les communications sur les formes génétiques de SLA, la maladie de Huntington de type 2 et les amyloses héréditaires ont illustré l’importance d’une recherche clinique dédiée aux populations caribéennes. Ces journées ont montré à quel point il était nécessaire pour les patients d’avoir des équipes locales expertes et dynamiques telles que celle du CeRCA. La variété de l’auditoire en provenance de tout l’arc caribéen et de Guyane prouve le rayonnement de cette équipe.

Bien entendu et au-delà de la qualité scientifique de ces journées, je ne pourrai cacher à personne que le plaisir de participer aux JCMO est décuplé par le sens de l’accueil et la beauté des paysages martiniquais.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.