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Med Sci (Paris). 39(12): 928–930.
doi: 10.1051/medsci/2023173.

Sécrétion hormonale des phéochromocytomes
Une dangereuse histoire d’exocytose mal contrôlée

Laura Streit,1 Émeline Tanguy,1 Laurent Brunaud,2 Petra Tóth,1 Nicolas Vitale,1 Stéphane Ory,1 and Stéphane Gasman1*

1CNRS, université de Strasbourg, institut des neurosciences cellulaires et intégratives , Strasbourg , France
2Département de chirurgie viscérale, métabolique et cancérologique, Inserm NGERE-U1256, université de Lorraine, centre hospitalier régional universitaire de Nancy, hôpital Brabois adultes , Vandœuvre-lès-Nancy , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Phéochromocytome, Transport biologique, Communication cellulaire, Tumeurs de la surrénale, Hormones

 

Regroupées sous forme glandulaire ou disséminées dans l’organisme, les cellules neuroendocrines libèrent des hormones dans la circulation sanguine, et contrôlent ainsi de nombreuses fonctions vitales. Après avoir été synthétisées dans la cellule, ces hormones sont stockées à l’intérieur de grandes vésicules : les granules de sécrétion. La sécrétion neuroendocrine est déclenchée par un processus d’exocytose étroitement contrôlé, dépendant de la concentration locale de l’ion calcium. L’étape ultime est la fusion des granules de sécrétion avec la membrane plasmique, entraînant la libération extracellulaire des hormones contenues dans ces granules ( Figure 1 ). Les tumeurs neuroendocrines s’accompagnent fréquemment d’un dysfonctionnement de cette sécrétion à l’origine d’une hypersécrétion hormonale anarchique, qui peut avoir de graves conséquences médicales pour les personnes développant ces tumeurs [ 1 ].

Le phéochromocytome est une tumeur neuroendocrine qui se développe à partir des cellules chromaffines de la glande médullosurrénale ( Figure 1A ), et qui se caractérise par une sécrétion excessive de catécholamines (principalement noradrénaline et adrénaline). Les personnes ayant un phéochromocytome présentent généralement une triade symptomatique typique (céphalées, palpitations et sudation), liée à un excès de catécholamines circulantes. Elles risquent également de développer une hypertension artérielle sévère ainsi que des complications cardiaques, telles que des myocardites et cardiomyopathies [ 2 ]. La prévalence du phéochromocytome dans les autopsies est d’environ 1/2 000, tandis que son incidence dans la population générale est inférieure à 1 nouveau cas par an pour 100 000 personnes, ce qui suggère que cette tumeur est sous-diagnostiquée [ 3 ].

Étonnamment, aucune étude n’avait jusqu’alors été réalisée afin de caractériser les mécanismes cellulaires et moléculaires qui induisent et maintiennent l’hypersécrétion hormonale des phéochromocytomes. A priori , il pourrait s’agir d’un simple effet de masse dû à la prolifération des cellules tumorales au sein de la glande médullosurrénale. On peut cependant douter qu’une augmentation du nombre de cellules entraîne nécessairement une augmentation de la sécrétion hormonale. Une autre possibilité impliquerait un dérèglement de la sécrétion, permettant aux cellules tumorales d’échapper au contrôle physiologique de ce processus. Afin de tester cette hypothèse, nous avons mis en culture des cellules tumorales de phéochromocytomes humains prélevées lors de l’exérèse chirurgicale, et nous avons analysé l’activité sécrétrice de ces cellules individuellement en utilisant la technique d’ampérométrie à fibre de carbone [ 4 ] ( Figure 1B ). Cette technique électrochimique n’avait jusqu’alors jamais été utilisée pour analyser des cellules tumorales de phéochromocytome humain. Elle est pourtant appropriée à l’étude de ces cellules, car elle permet de mesurer, à l’échelle unicellulaire, le nombre d’évènements d’exocytose et leur cinétique, et de calculer la quantité moyenne de catécholamines libérée par granule de sécrétion [ 5 ].

Par cette technique, nous avons montré que pour 73 % des phéochromocytomes testés, les cellules tumorales présentent entre deux et quatre fois plus d’évènements d’exocytose que les cellules non tumorales ( Figure 1C ). De plus, l’analyse de la cinétique des signaux ampérométriques nous a permis de conclure que la sécrétion des catécholamines par les cellules tumorales de certains patients est plus rapide [ 4 ]. Ces résultats montrent que l’hypersécrétion de catécholamines par les phéochromocytomes est due, au moins en partie, à une augmentation du nombre et de la vitesse des évènements d’exocytose par cellule tumorale 1 . Au cours d’une autre étude, nous avons également mis en évidence une corrélation entre l’intensité du signal tumoral de 18 F-FDOPA, un traceur radioactif utilisé en imagerie médicale pour le diagnostic du phéochromocytome, et la mesure ampérométrique de l’exocytose des cellules tumorales chez les mêmes patients. Ce résultat suggère que la suractivité d’exocytose des catécholamines dans les cellules tumorales s’accompagne d’une augmentation de la captation de 18 F-FDOPA par ces cellules. Ainsi la mesure de cette captation pourrait-elle constituer un indicateur du taux d’hypersécrétion de la tumeur [ 6 ].

Afin d’identifier les acteurs moléculaires de ce dérèglement de la sécrétion des catécholamines, nous avons réalisé une analyse protéomique par spectrométrie de masse et établi le profil d’expression différentiel des fractions protéiques membranaires et cytosoliques préparées à partir de phéochromocytomes et du tissu médullosurrénalien non tumoral issu des mêmes personnes. Cette analyse a révélé une modification significative de l’expression de 175 protéines impliquées dans le processus d’exocytose des granules de sécrétion ou dans le métabolisme des catécholamines [ 4 ]. Parmi les protéines les plus surexprimées dans les tumeurs, on trouve des protéines contrôlant différentes étapes du trafic des granules de sécrétion, incluant leur transport dans la cellule, leur arrimage aux sites d’exocytose, leur amorçage et leur fusion avec la membrane plasmique [ 4 ]. En analysant une étude transcriptomique précédemment réalisée sur 60 phéochromocytomes et 6 médullosurrénales saines, nous avons identifié 64 gènes codant des protéines dont l’expression varie entre cellules tumorales et non tumorales dans notre étude protéomique [ 7 ]. Le taux d’expression de 58 de ces 64 gènes (91 %) variait dans le même sens que l’expression protéique codée par ces gènes, validant ainsi la robustesse de notre crible protéomique. Il est donc probable que l’augmentation de la sécrétion hormonale dans les cellules de phéochromocytome résulte, au moins en partie, d’une expression anormale des gènes impliqués dans le contrôle de l’exocytose. Nos travaux ont ainsi permis de mieux comprendre la perte du contrôle de la sécrétion des catécholamines dans les cellules de phéochromocytome. Il reste à préciser quelles étapes de l’exocytose sont impliquées dans l’hypersécrétion qui caractérise ces cellules tumorales. Il conviendra également d’étudier si des mécanismes similaires sont à l’origine de l’hypersécrétion hormonale dans d’autres types de tumeurs neuroendocrines.

L’hypersécrétion de catécholamines par la tumeur est un aspect important à prendre en compte dans la prise en charge médicale des personnes ayant un phéochromocytome. Aujourd’hui, en attendant l’exérèse chirurgicale de la tumeur, un traitement anti-hypertenseur (principalement avec des inhibiteurs de canaux calciques, α-bloquants et β-bloquants) est instauré afin d’agir sur les conséquences de cette sécrétion excessive. Il conviendrait cependant d’envisager un traitement capable d’inhiber directement et spécifiquement l’hypersécrétion du phéochromocytome. Des résultats préliminaires obtenus in vitro indiquent que le pasiréotide, un analogue de la somatostatine actuellement prescrit pour traiter les personnes présentant une acromégalie ou une maladie de Cushing, réduit efficacement la sécrétion des catécholamines par les cellules de phéochromocytomes humains en diminuant le nombre d’évènements d’exocytose [ 8 ]. Un traitement préchirurgical (ou même peropératoire) agissant directement sur cette sécrétion dans les cellules tumorales pourrait être préconisé pour des patients présentant un phéochromocytome à très forte activité sécrétrice ou un phéochromocytome métastatique résistant aux médicaments anti-hypertenseurs ou inhibiteurs calciques conventionnels, d’autant plus qu’une sécrétion excessive de catécholamines a aussi un impact négatif sur la survie des patients présentant un phéochromocytome métastatique [ 9 ].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Une courte présentation vidéo de ce travail de recherche par Stéphane Gasman est disponible sur YouTube ( https://www.youtube.com/watch?v=ir0jy1lK27c ).
References
1.
Gratzl M , Breckner M , Prinz C . Mechanisms of storage and exocytosis in neuroendocrine tumors. . Endocr Pathol . 2004; ; 15 : :1. – 16 .
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Farrugia FA , Charalampopoulos A . Pheochromocytoma. . Endocr Regul . 2019; ; 53 : :191. – 212 .
3.
Platts JK , Drew PJ , Harvey JN . Death from phaeochromocytoma: lessons from a post-mortem survey. . J R Coll Physicians Lond . 1995; ; 29 : :299. – 306 .
4.
Houy S , Streit L , Drissa I , et al . Dysfunction of calcium-regulated exocytosis at a single-cell level causes catecholamine hypersecretion in patients with pheochromocytoma. . Cancer Lett . 2022 ; :215765. .
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Mosharov EV , Sulzer D . Analysis of exocytotic events recorded by amperometry. . Nat Methods . 2005; ; 2 : :651. – 658 .
6.
Moog S , Houy S , Chevalier E , et al. 18F-FDOPA PET/CT uptake parameters correlate with catecholamine secretion in human pheochromocytomas. . Neuroendocrinology . 2018; ; 107 : :228. – 236 .
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