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Med Sci (Paris). 39(12): 913–914.
doi: 10.1051/medsci/2023186.

Penser la cellule en 2023 : de formidables avancées et un futur à soutenir

Daniel Louvard1*

1Directeur de recherche émérite, UMR 144 CNRS, Institut Curie , 12 rue Lhomond , Paris , France
Corresponding author.

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Depuis plus d’un demi-siècle la biologie moléculaire a révolutionné les sciences du vivant en ouvrant de nouvelles perspectives cognitives sur l’origine des êtres vivants, l’évolution des espèces, la biologie cellulaire, la biologie du développement, la physiologie et la physiopathologie des maladies.

La publication de la structure de l’ADN en 1953 est à l’origine de la génétique moléculaire puis ses applications en génie génétique. On étudie maintenant les mécanismes moléculaires qui sous-tendent le fonctionnement des cellules, en s’appuyant sur les principes fondamentaux de la physique et de la chimie. Les sciences du vivant sont multidisciplinaires et quantitatives et les biologistes profitent des connaissances et de technologies créées par les physiciens, chimistes, informaticiens et mathématiciens.

La biologie moderne nourrit les progrès de la médecine, des biotechnologies, de la pharmacologie moléculaire, et est indispensable aux industries pharmaceutiques, du diagnostic et de l’imagerie scientifique et médicale… Réciproquement, les recherches les plus fondamentales en biologie ne peuvent se passer des nouvelles connaissances, des nouveaux outils d’analyse et des instruments d’observation inventés par les chercheurs de nombreuses disciplines (séquençage ADN haut débit, édition du génome, génomique cellule unique, spectrométrie de masse des protéines, cryomicroscopie…).

Pour réussir, les pionniers de la biologie moléculaire ont choisi une approche expérimentale visionnaire, partant de l’idée que les organismes multicellulaires sont trop complexes pour comprendre les règles de leur fonctionnement. L’unité du vivant, depuis l’apparition de la première cellule il y a plus d’un milliard d’années, est conservée au cours de l’Évolution. Ils ont fait le pari que l’étude des microorganismes unicellulaires comme les bactéries devrait permettre de découvrir comment fonctionne l’usine cellulaire puis de transposer les connaissances acquises aux organismes multicellulaires.

Nous devons à ces pionniers les immenses progrès accomplis dans tous les domaines. La cellule est l’unité fonctionnelle du vivant; en dépit de la somme considérable de connaissances acquises au cours des trente dernières années [ 1 ] (→), avons-nous tout appris d’elle et de son fonctionnement? Des chercheurs en biologie du développement ont pour objectif légitime de comprendre le développement d’un être humain depuis la cellule œuf jusqu’à la naissance. Saurons-nous créer une cellule de novo à partir des milliers de macromolécules, produits des 20000 gènes du génome humain? Ce défi n’est pas seulement technique. Certes, nous décryptons l’information contenue dans les gènes, les biologistes cellulaires décrivent l’organisation cellulaire et le ballet des macromolécules (ADN, ARN, protéines…), les biologistes moléculaires et biochimistes peuvent préciser les mécanismes de milliers de réactions biochimiques qui rendent compte de la dynamique et de la conservation de l’unité cellulaire fondamentale commune à toutes les espèces vivantes. Nous pouvons synthétiser le génome d’une bactérie à partir des briques élémentaires (les nucléotides) et reconstituer in vitro quelques éléments de la machinerie cellulaire (transcription-traduction du génome, transport intracellulaire des macromolécules…). Mais reconnaissons qu’aucune équipe de recherche n’a encore réussi à créer de novo une bactérie à partir de ses constituants fondamentaux…

(→) Voir la Libre opinion de M. Bornens et al ., m/s n° 2, février 1993, page 198

Cette question en suspens devrait nous interpeller sur les limites de notre connaissance de la cellule. Nous faisons confiance au principe d’auto-assemblage des constituants du vivant, mais est-ce suffisant pour réussir à créer une cellule vivante? Mélanger in vitro dans des conditions physicochimiques contrôlées des milliers de molécules du vivant pour créer une cellule a peu de chance de réussir. Faut-il souligner que les membranes cellulaires sont des bicouches asymétriques constituées de lipides dans lesquelles sont insérées des protéines membranaires? Les liposomes multilamellaires ou les vésicules unilamellaires produits en laboratoire sont utiles en recherche et en biotechnologie mais ne sont pas les équivalents fonctionnels des membranes biologiques. Pour être efficaces, les enzymes et autres constituants de la cellule doivent être confinés dans des espaces clos (compartiments) où se réalisent les réactions biochimiques à l’interface entre contenu et contenant. N’est-il pas nécessaire de poursuivre des recherches fondamentales pour combler ces lacunes?

L’ADN, une macromolécule stable, résistante à l’épreuve du temps et aux conditions physicochimiques adverses, avait pris la place prépondérante, occultant l’importance des ARNs pendant des décennies parce que la labilité et la dynamique de la structure de ces derniers avaient découragé les chercheurs jusqu’à ce que, contre toute attente, une poignée d’entre eux, intrépides et résilients, créent un vaccin ARNm efficace pour endiguer la pandémie du Covid-19 (Coronavirus disease 19).

On croyait connaître toutes les structures intracellulaires (organelles) délimitées par une membrane; on a découvert depuis une dizaine d’années des « condensats » biologiques (organites sans membrane). Ces compartiments cellulaires liquides ont des propriétés à la fois visqueuses et élastiques, visibles en microscopie vitale: ils sont constitués de protéines et d’acides nucléiques séquestrés sélectivement dans les cellules, jouent un rôle important dans la régulation de la signalisation cellulaire et contribueraient à certaines maladies. Les physiciens de la « mati ère molle» connaissent bien ces objets qui font penser aux cristaux liquides. Les condensats intracellulaires ont été ignorés des biologistes car ils sont invisibles après fixation des tissus mais observables en vidéo-microscopie…

La signalisation cellulaire occupe une place importante dans les publications en biologie. Bien connue des physiologistes, l’action des forces mécaniques sur les tissus n’avait été que peu prise en compte à l’échelle cellulaire et moléculaire. Depuis deux décennies, la mécanobiologie est devenue l’objet de recherches fructueuses: résolument pluridisciplinaires, ces travaux montrent désormais clairement que les forces physiques s’exerçant sur les cellules et les tissus modulent les voies de signalisation et l’expression des gènes. Les forces sont converties en signaux biochimiques via des mécanosenseurs/transducteurs associés à des machines moléculaires localisées à la surface ou à l’intérieur des cellules.

La différenciation cellulaire, longtemps considérée comme un programme irréversible au cours duquel des cellules immatures deviennent des cellules spécialisées, a été repensée pour tenir compte de la plasticité des cellules en fonction de leur environnement tissulaire, du métabolisme et des reprogrammations épigénétiques. Les recherches sur les cellules souches embryonnaires (CSE), transduites (CSPI) ou des tissus adultes ont contribué au renouvellement des idées, bouleversant des dogmes, et créé des opportunités pour des recherches fondamentales ou des protocoles thérapeutiques innovants (régénération cellulaire). Les recherches sur l’origine des cancers et la tumorigenèse ont ainsi progressé avec la démonstration de la plasticité des cellules tumorales (transition épithélio-mésenchymateuse, TEM) qui contribue à l’hétérogénéité de la tumeur, à la formation des métastases et à la résistance aux thérapies.

Les recherches sur les cellules souches, présentes dans la majorité des organes adultes, sont aussi à l’origine de la fabrication d’organoïdes obtenus en cultivant ces cellules en présence de facteurs de croissance et de constituants de la matrice extracellulaire. Ceux-ci s’organisent spontanément en structures faites de plusieurs types cellulaires représentatifs de la pluripotentialité des cellules souches du tissu d’origine. L’organisation tridimensionnelle (3D) reproduit plus fidèlement que les cultures classiques l’architecture des tissus, les voies de signalisation et l’expression des gènes. Tous les types cellulaires et le microenvironnement ne sont cependant pas présents comme dans un organe in vivo. Les techniques de microfluidique permettent toutefois d’accroître la complexité en co-cultivant d’autres types de cellules, créant ainsi une architecture plus semblable au tissu d’origine. Ces organoïdes in vitro sont accessibles aux techniques de microscopie les plus performantes et aux analyses génomiques et biochimiques les plus poussées. Ils ont prouvé leur utilité pour des recherches fondamentales et translationnelles, préfigurant de nouveaux modèles de greffes génétiquement modifiables et transplantables.

La bioinformatique, et maintenant l’intelligence artificielle, sont des outils devenus essentiels en génomique, analyse d’images, imagerie médicale, anatomopathologie… Les ordinateurs et supercalculateurs dotés d’algorithmes permettent la résolution de problèmes complexes. Une révolution, à laquelle une nouvelle génération de chercheurs participe, s’appuyant sur des bases de données internationales, est en route pour décrypter le vivant. La rigueur et l’intégrité scientifique des utilisateurs sont plus que jamais essentielles pour ces nouvelles aventures. Espérons que ces nouveaux outils ne dispenseront pas les chercheurs de la créativité et de la curiosité nécessaires pour formuler les bonnes questions et qu’ils écarteront l’idée que seuls les outils informatiques posent ces questions et apportent les bonnes réponses…

Les organisations nationales ou internationales soutenant la recherche en France sont nombreuses (publiques, privées, associations, fondations). Leur soutien est indispensable au financement des projets de recherche et à tous ceux qui participent à l’effort de recherche dans les laboratoires publics. Le coût des recherches en sciences du vivant n’a cessé de croître depuis plusieurs décennies. La pluridisciplinarité impose une grande diversité d’expertises et d’adaptation aux connaissances et outils indispensables aux programmes. Les responsables des projets de recherche doivent coordonner leur mise en œuvre par des équipes complémentaires à l’échelle européenne et bien au-delà. Un programme ambitieux est par essence coûteux et risqué et doit s’appuyer sur la confiance des institutions pour soutenir des chercheurs créatifs et curieux pendant au minimum cinq ans. Les principes vertueux de sélection compétitive et rigoureuse pour le financement des projets ont été heureusement compris et mis en œuvre par le Conseil européen de la recherche (ERC) et en France par plusieurs fondations et associations caritatives. Les lauréats ont la chance de disposer d’un financement substantiel bien adapté au temps long de la Recherche; de plus, ils sont alors libérés de l’anxiété associée à la recherche de multiples financements insuffisants. Organiser l’effort de recherche, c’est aussi préparer l’avenir et le renouvellement des responsables d’équipes. Le CNRS puis l’Inserm ont mis en place il y a trente ans un programme (ATIP-AVENIR) pour soutenir l’émergence de responsables d’équipes créatifs et ambitieux. L’impact de ce programme fut considérable et doit être porté au crédit des organismes et des chercheurs qui y ont participé. L’ERC, grâce aux subventions « starting » et « consolidated », poursuit les mêmes objectifs avec des moyens plus importants et plus attractifs. Les laboratoires français ont participé aux grandes découvertes pendant les cinquante dernières années, et les réponses à de nombreuses questions de biologie fondamentale, apportées grâce à un extraordinaire arsenal de techniques qui n’existaient pas au xxesiècle, impacteront la médecine et sa pratique. Les chercheurs talentueux et curieux ont besoin d’un soutien et d’une confiance renforcée et résiliente des institutions et de leurs responsables. La compétition en recherche est le moteur des découvertes, et dans une Europe sans frontières, qui pourrait douter que les meilleurs chercheurs feront le choix du meilleur environnement pour faire avancer les connaissances scientifiques?

Thinking about the cell in 2023: Tremendous advances and a future to support

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Bornens M , Louvard D , Thiéry JP . Penser la cellule en 1993. . Med Sci (Paris) 1993; ; 9 : :198. – 202 .