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Med Sci (Paris). 39(11): 876–878.
doi: 10.1051/medsci/2023155.

Pour une bonne compréhension et un bon usage du terme « organoïdes »

Hervé Chneiweiss,1 Anne Dubart-Kupperschmitt,1 Jean-Charles Duclos-Vallée,1* Bruno Clément,1 Vincent Flacher,1 Jean-Luc Galzi,1 Xavier Gidrol,1 Olivier Goureau,1 Géraldine Guasch,1 Jacques Haiech,1 Christine Lemaitre,1 Maxime M. Mahé,1 Sophie Martin,1 Laurent Poulain,1 Corinne Sebastiani,1 Nathalie Vergnolle,1 and Frank Yates1

1 Groupement de recherche CNRS « Organoïdes » (GDR2102) 1 , France
 

Vignette (Photo © CHU de Nantes).

Avant-propos

Dans son introduction à la série « Organoïdes » ( ) le terme « mini-organes » a été utilisé en 2019 par médecine/sciences [ 14 ] ( ) comme un repère, les textes présentés dans la série montrant bien, par la suite, les limites de cette technique 2 . Nous présentons dans cet article une illustration de l’évolution de la réflexion éthique dans le domaine des organoïdes et ses conséquences sur leur dénomination. Nous profitons également de cette justification sémantique pour préciser certaines avancées dans la production et les applications cliniques de ces organoïdes.

(→) Voir la série Organoïdes, m/s 2019-2023

(→) Voir la Synthèse de J.L. Galzi et al. , m/s n° 5, mai 2019, page 467

Ces dernières années, de nombreuses avancées ont été réalisées concernant les conditions de culture en trois dimensions (3D) qui permettent d’obtenir des structures cellulaires auto-organisées, dites « organoïdes », pouvant intégrer plusieurs types cellulaires et ainsi reproduire certaines fonctions importantes d’un organe. Alors que l’utilisation de ces organoïdes en recherches fondamentale et appliquée devient un outil majeur, le terme de « mini-organes » (mini-foie, mini-cerveau, etc.) est souvent utilisé dans l’objectif de communiquer sur certaines avancées scientifiques. Cette appellation simpliste et abusive conduit néanmoins à répandre dans la population des idées erronées et à lancer de fausses promesses sur l’état actuel des connaissances et le potentiel de cette technique émergente. Il nous est donc apparu essentiel de rappeler certaines définitions admises par la communauté scientifique, les applications cliniques de ces organoïdes, et ainsi expliquer pourquoi ces structures ne peuvent être qualifiées de mini-organes.

Organoïde : définition

Le concept d’organoïde est ancien et a conduit à de nombreuses interprétations scientifiques [ 1 ]. La définition d’organoïde a toutefois été clarifiée à la suite d’un consensus établi récemment, permettant à la communauté scientifique d’adopter une compréhension commune. La définition adoptée par ce consensus est ainsi « [une] structure tridimensionnelle dérivée de cellules souches pluripotentes ou multipotentes, de cellules progénitrices qui s’auto-renouvellent et s’auto-organisent grâce à des interactions cellule-cellule et cellule-matrice reproduisant, in vitro, certains aspects architecturaux et fonctionnels des tissus natifs » [ 2 ].

Si les premiers travaux de recherche ont pu établir que les organoïdes pouvaient être produits à partir de cellules souches, il est désormais possible d’obtenir dans de rares cas des organoïdes à partir de cellules différenciées ayant acquis une certaine plasticité [ 3 ]. Les organoïdes hépatiques, biliaires et pancréatiques, du fait de leur proximité en termes d’origine embryonnaire, d’anatomie et de fonctions, ont été le sujet de nombreux débats de nomenclature. Il a ainsi été proposé que ces organoïdes puissent être divisés en trois groupes distincts ( Figure 1 ) :

Les organoïdes épithéliaux, qui sont des structures dérivées d’une seule couche germinale et ont la capacité de s’auto-renouveler. Dans certains cas, les organoïdes épithéliaux peuvent être cultivés avec d’autres types cellulaires, tels que des cellules issues du mésoderme qui peuvent servir de « support ».

Les organoïdes multi-tissulaires, contenant des cellules dérivées d’au moins deux couches germinales, qui sont établis à partir de la coculture de cellules dérivées de couches germinales ou à partir de la différenciation de cellules pluripotentes [ 4 ].

Les organoïdes multi-organes, ou assembloïdes, qui représentent la forme la plus complexe, avec l’assemblage ou la juxtaposition de plusieurs types de tissus ou organes ; concernant le foie, il s’agit d’un ensemble incluant les tissus biliaire, hépatique et pancréatique [ 5 ].

Notons que, contrairement aux organoïdes qui sont liés à la notion de fonction, les « sphéroïdes » désignent un agrégat cellulaire, également formé en 3D, qui adopte une forme plus ou moins sphérique. Mais dans ce cas, il ne s’agit donc que de décrire une forme, sans préjuger de toute fonctionnalité.

Les organoïdes tumoraux, ou tumoroïdes

Il est désormais possible de produire des organoïdes à partir de biopsies de tumeurs ou de pièces de résection chirurgicale. Ces structures, le plus souvent sphériques, sont similaires à la tumeur primitive, pour leur caractéristiques histologiques, leurs mutations d’oncogènes et leurs marqueurs tumoraux. Les tumoroïdes peuvent ainsi intégrer, au moins en partie, le microenvironnement tumoral humain et son organisation spatiale, et peuvent reproduire les interactions clés entre la tumeur et son microenvironnement. Ils sont donc des outils de choix pour étudier la biologie tumorale et ce type d’interactions.

Les applications cliniques des organoïdes

Les organoïdes peuvent être utilisés pour des applications thérapeutiques très diverses. Il peut s’agir de transplantation pour pallier l’insuffisance de greffons ; c’est le cas pour les maladies sévères du foie pour lesquelles des travaux réalisés chez le petit animal se sont montrés prometteurs et qui sont actuellement en cours de démonstration clinique [ 6 ]. En cas de chirurgie d’exérèse étendue ou de complications biliaires post-transplantation, la transplantation d’organoïdes biliaires a été réalisée avec succès chez le petit animal et chez l’homme [ 7 ]. Ces essais précliniques et cliniques restent préliminaires mais sont encourageants. La modélisation de maladies grâce aux organoïdes constitue aussi une avancée majeure, en particulier pour certaines maladies génétiques [ 8 ], mais également pour des maladies inflammatoires chroniques. Ces modélisations permettent de tester différentes approches thérapeutiques sur la récupération de fonctions d’organes [ 9 ]. La production de tumoroïdes permet aussi de mimer au mieux la tumeur primitive afin de découvrir de nouvelles voies oncogéniques et ainsi d’évaluer des nouvelles thérapeutiques [ 10 ]. Les tumoroïdes peuvent aussi constituer des outils très intéressants pour le développement d’outils prédictifs de la réponse clinique des patients à différentes thérapies, susceptibles ainsi d’être à l’origine de la découverte de nouveaux biomarqueurs d’intérêt [ 11 , 12 ] ( ).

(→) Voir la Synthèse de M. Perréard et al. , m/s n° 11, novembre 2022, page 888

Malgré ces avancées prometteuses, de nombreuses étapes restent à franchir pour une utilisation plus large des organoïdes. En particulier, il est nécessaire de poursuive les travaux de recherche afin que les organoïdes incluent, dans la mesure du possible, l’ensemble des types cellulaires de l’organe. D’autres enjeux sont tout aussi importants, comme la possibilité de produire, dans des conditions compatibles avec une application clinique telle que la transplantation, une masse suffisante, contrôlée en termes de qualité, d’une grande reproductibilité et à des coûts raisonnables. Enfin, l’instabilité génétique potentielle des cellules constituant ces organoïdes reste une préoccupation majeure. La sécurité sanitaire, en particulier la préservation de l’intégrité génomique lors de la différenciation des cellules souches, reste en effet insuffisamment documentée [ 8 ] pour une application médicale.

Des appellations erronées

Depuis quelques temps, la presse généraliste utilise volontiers le terme de « mini-organes » (mini-foie, mini-cerveau, etc.) pour décrire les organoïdes. Toutefois, les organoïdes produits actuellement demeurent « incomplets » puisque, pour la plupart, ils ne sont pas vascularisés ou innervés, et leur taille reste réduite à quelques millimètres au maximum. Ceci les rend fondamentalement différents des organes complexes et fonctionnels. En outre, malgré un effort important d’harmonisation des protocoles, l’auto-organisation des organoïdes introduit une part aléatoire qui rend leur production plus ou moins reproductible selon les organes qu’ils imitent. Pour ces raisons, si les organoïdes se sont révélés très prometteurs en tant que modèles pour l’étude des maladies et l’essai de traitements potentiels, ils sont encore loin de reproduire in vitro toutes les fonctions d’un organe entier et d’être utilisés pour restaurer la fonction de cet organe [ 13 ].

Les similitudes entre un organoïde et un organe complet conduisent, à tort, à l’emploi métaphorique du terme de « mini-organe ». Le terme « mini-organe » peut alors susciter des attentes trop idéalistes quant à ce que ces organoïdes sont capables d’apporter, tant en laboratoire que dans leurs applications cliniques. Le fait de qualifier les organoïdes de « mini-organes » peut en effet donner de faux espoirs aux patients et au public non avertis, qui peuvent croire, à tort, que des organes de remplacement entièrement fonctionnels peuvent d’ores et déjà être cultivés en laboratoire à la demande et leur être proposés comme « pièces de rechange ».

Les organoïdes représentent un domaine de recherche passionnant et en pleine évolution, susceptible de faire progresser notre compréhension de la biologie, d’améliorer la découverte de médicaments et d’ouvrir la voie à la médecine régénératrice et aux traitements personnalisés. Ces techniques nécessitent cependant encore d’être développées et affinées pour être appliquées. Sans doute la frontière entre organoïdes et organes issus de la bio-ingénierie s’estompera dans un futur qui reste encore imprécis.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Remerciements

Les auteurs remercient l’ensemble du groupement de recherche CNRS « Organoïdes » (GDR2102) ainsi que l’institut thématique « multi-organismes technologies pour la santé » qui ont permis la mise en place de groupes de réflexion à l’origine de travaux communs.

 
Footnotes
2 La réflexion « questions éthiques dans le domaine des organoïdes » est récente. Elle s’est développée au niveau européen, en particulier dans le cadre du projet HYBRIDA ( https://hybrida-project.eu ), dans les trois dernières années.
References
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Galzi JL , Jouault T , Amédée J Les organoïdes : des mini-organes au service de la biomédecine. . Med Sci (Paris) . 2019; ; 35 : :467. – 469 .