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Med Sci (Paris). 39(11): 862–868.
doi: 10.1051/medsci/2023163.

Immunité bactérienne : à la découverte d’un nouveau monde

Aël Hardy,1 Helena Shomar,1 and Aude Bernheim1*

1 Institut Pasteur, université Paris Cité, Inserm U1284, Diversité moléculaire des microbes ( Molecular Diversity of Microbes lab ) , 75015Paris , France
Corresponding author.
 

Vignette (© Aude Bernheim).

La découverte de l’immunité bactérienne

L’étude de l’immunité bactérienne commence dans la seconde moitié du xx e siècle. Dans les années 1950, Salvador E Luria et Mary L Human, ( Department of bacteriology , université de l’Illinois, États-Unis) observent que les phages infectant certaines souches d’ Escherichia coli peuvent être modifiés par leur hôte bactérien, de sorte que les nouvelles particules virales relarguées ne peuvent plus infecter d’autres bactéries similaires – elles sont dites « restreintes » dans leur capacité infectieuse [ 1 ]. Des travaux ultérieurs (dans les années 1960 et 1970) montreront que cette inactivation des phages est due à la dégradation de leur ADN par des enzymes de la bactérie hôte [ 2 , 3 ]. Ces enzymes furent appelées enzymes de restriction et classées en différents types. Dans le cas du type II (le plus fréquent et le plus simple), les enzymes de restriction reconnaissent spécifiquement des courtes séquences de nucléotides, et causent une cassure de l’ADN à proximité du site reconnu [ 4 ]. Si nous prenons l’exemple d’une enzyme de restriction répandue, telle que « EcoRI », celle-ci reconnaît le motif 5’-GAATTC-3’et coupe l’ADN après la guanine (G). Or, ce motif est très courant dans le génome des bactéries qui possèdent cette enzyme (par exemple, il est retrouvé dans 645 sites dans le génome de la souche d’ E. coli de référence K12). Pour éviter de couper son propre ADN, et ainsi prévenir ce que l’on nomme des phénomènes d’auto-immunité, la bactérie va donc différencier le soi du non-soi en apportant une modification chimique à son propre ADN, la méthylation réalisée par une méthylase. La combinaison d’une enzyme de restriction et de la méthylase qui lui est associée forme le système de défense appelé système de restriction-modification (R-M). Ces systèmes de restriction-modification sont très abondants et très diversifiés. Ils représentent donc un pilier de l’immunité procaryote, codés par plus de 80 % des bactéries et des archées [ 5 ].

Rapidement, le potentiel technique offert par les enzymes de restriction a été repéré par la communauté scientifique. Ces enzymes agissant comme de véritables ciseaux moléculaires, permettent en effet de couper de manière spécifique l’ADN en fragments. Grâce à l’utilisation conjointe de ces enzymes de restriction et d’une autre catégorie d’enzymes, les ligases, qui permettent de joindre deux fragments distincts d’ADN, il est ainsi devenu possible de manipuler et d’assembler des morceaux d’ADN dans des vecteurs de clonage : cela a été la « naissance » de la génétique moléculaire à proprement parler [ 6 ]. Cet impact majeur sera reconnu par le Prix Nobel de physiologie ou médecine récompensant en 1978 Werner Arber, Daniel Nathans et Hamilton O. Smith pour « la découverte des enzymes de restriction et de leurs applications aux problématiques de génétique moléculaire » 1 [ 7 ].

Il faudra cependant attendre les années 2000 pour le prochain saut en avant dans la compréhension de l’immunité bactérienne. Dès 1987, de courtes séquences répétées, qui seront plus tard appelées CRISPR ( clustered regularly interspaced short palindromic repeats ), avaient été identifiées dans les génomes des bactéries et des archées [ 8 ]. La fonction de ces séquences sera élucidée vingt ans plus tard, en 2007 : les CRISPR sont impliquées dans la protection contre l’infection par les phages [ 9 ]. Les systèmes de défense fondés sur ces répétitions, appelés CRISPR-Cas, fonctionnent de manière adaptative : ils gardent une « mémoire » des infections passées et protègent la bactérie contre l’infection par des phages semblables à ceux qui ont été à l’origine de cette mémoire [ 10 ]. Les différents systèmes CRISPR-Cas aboutissent tous à la coupure de matériel génétique étranger (ADN ou ARN) grâce à la reconnaissance spécifique d’une séquence d’environ 30 paires de bases. Cependant, ils présentent une grande diversité de mécanismes moléculaires et de spécificités, qui ont été décrits en détails par ailleurs [ 11 , 12 ] (→)

(→) Voir la J.-P. Tremblay, m/s n° 11, novembre 2015, page 1014 et la Nouvelle de H. Gilgenkrantz, m/s n° 12, décembre 2014, page 1066

Comparés aux enzymes de restriction, les systèmes CRISPR-Cas ont l’avantage d’être beaucoup plus précis. On estime qu’ils sont codés par environ 40 % des bactéries et 80 % des archées, ce qui en fait les systèmes de défense les plus abondants après ceux de restriction-modification. Ils ont été à l’origine d’une révolution biotechnologique dans le génie génétique, mais aussi en biologie et en médecine plus généralement [ 6 , 13 , 14 ]. Le système CRISPR-Cas bactérien a été en effet reprogrammé en de véritables « ciseaux moléculaires » permettant l’édition d’une grande diversité de génomes eucaryotes mais ayant aussi de très nombreuses autres applications. L’impact de la technologie CRISPR-Cas a ainsi été reconnu par le prix de Nobel de Chimie en 2020, attribué à Emmanuelle Charpentier et Jennifer Anne Doudna [ 15 , 40 ] (→).

(→) Voir le Repère (Nobel 2 020) de B. Jordan, m/s n° 1, janvier 2021, page 77

Les îlots de défense et l’explosion du nombre de mécanismes anti-phage connus

En 2011, Eugene V Koonin et Kira S Makarova ( National Center for Biotechnology Information , NLM, National Institutes of Health , Bethesda, États-Unis) observent que les gènes de défense anti-phage connus ne sont pas distribués de manière aléatoire dans les génomes bactériens et archéens [ 16 ]. En effet, ces gènes ont tendance à se concentrer dans des régions qu’ils appelleront « îlots de défense ». Cependant, les génomes bactériens sont connus pour leur plasticité et les fréquents échanges de matériel génétique, conduisant au gain et à la perte de gènes. Ainsi, le fait que des groupes de gènes se retrouvent les uns à côté des autres sur des génomes différents suggère qu’ils partagent la même fonction. Partant de cette observation, il a été supposé que des gènes de fonction inconnue qui se retrouvent fréquemment au sein d’îlots de défense seraient susceptibles de participer à la défense antivirale ( Figure 1 ).

Il faudra attendre 2 018 pour que cette observation soit mise à profit pour la découverte systématique de nouveaux systèmes de défense. Dans un article fondateur, l’équipe de Rotem Sorek ( Weizmann Institute of Science , Rehovot, Israël) crible 25 000 génomes bactériens, disponibles publiquement, à la recherche de gènes de fonction inconnue et fréquemment détectés dans des îlots de défense. Cette analyse bioinformatique des génomes a identifié plusieurs dizaines de systèmes de défense candidats. Afin de valider expérimentalement la fonction de ces candidats, les gènes impliqués ont été synthétisés puis exprimés dans des bactéries modèles, E. coli et Bacillus subtilis , pour tester s’ils confèrent effectivement une protection contre l’infection par des phages ( Figure 1 ). Au final, 10 nouveaux systèmes de défense présents chez des bactéries très diverses ont été validés expérimentalement [ 17 ], ce qui représente une forte augmentation du nombre de systèmes de défense identifiés. Ce principe d’utilisation des îlots de défense pour découvrir de nouveaux systèmes anti-phages a depuis continué d’être utilisé avec succès avec, par exemple, deux études récentes qui ont découvert, respectivement, 29 et 21 nouveaux systèmes de défense [ 18 , 19 ].

Les phages ne sont pas uniquement engagés dans une relation de prédateur-proie avec leurs hôtes bactériens. Il existe en effet également une compétition entre phages et, plus globalement, entre éléments génétiques mobiles. Il peut être ainsi avantageux pour le génome d’un phage intégré dans le génome bactérien (alors appelé prophage) de coder des systèmes de défense contre d’autres phages, protégeant sa bactérie hôte. C’est ainsi que de nouveaux systèmes de défense ont été mis en évidence chez des prophages de E. coli [ 20 ]. Depuis, d’autres stratégies, notamment de screening agnostique de toute prédiction informatique [ 21 ], ont permis d’enrichir plus encore le répertoire de systèmes de défense connus. Ces découvertes confirment que, malgré le bond en avant permis par les îlots de défense pour mieux connaître les systèmes anti-phage bactériens, nous n’avons probablement qu’effleuré la surface de ce domaine.

Avec un nombre de systèmes de défense connus en constante augmentation, il est devenu difficile d’avoir une vue d’ensemble de l’immunité bactérienne, que ce soit à l’échelle d’une bactérie donnée ou d’un phylum entier. Deux outils ont néanmoins répondu à ce besoin et ont permis une exploration systématique et quantitative de cet arsenal anti-phage [ 5 , 23 ]. Il a ainsi été montré que les bactéries codent en moyenne six systèmes de défense, mais ce nombre n’est qu’une moyenne et peut aller de 0 jusque 55 [ 5 ] ! Les bactéries qui ne possèdent aucun système de défense ont majoritairement un mode de vie intracellulaire, ou endosymbiotique. Une hypothèse expliquant cette observation serait que ces bactéries sont soumises à une moindre pression virale du fait de leur localisation intracellulaire qui les protège. À l’opposé, le fait que certaines bactéries concentrent un très grand nombre de systèmes de défense questionne sur l’avantage sélectif d’accumuler ces systèmes. Notons que ces analyses systématiques ont montré que les systèmes de restriction-modification et CRISPR-Cas (les premiers à avoir été découverts) restent de loin les systèmes de défense les plus abondants parmi les génomes bactériens séquencés à ce jour.

La grande diversité des systèmes de défense codés par les bactéries
Diversité génomique et moléculaire
La diversité des systèmes de défense se reflète d’abord dans les gènes qui les codent. Certains systèmes de défense, comme la vipérine, sont monogéniques [ 23 ], alors que d’autres reposent sur plus de cinq gènes. Il est par ailleurs fréquent que des systèmes de défense contiennent un noyau de gènes indispensables à leur fonction, mais qui peut être complémenté par des gènes accessoires variant selon les génomes bactériens. La diversité se retrouve aussi en termes de fonctions protéiques, et l’activité anti-phage peut alors être, par exemple, assurée par des hélicases, des kinases, des protéases ou par d’autres enzymes [ 24 ].

La diversité génomique est aussi manifeste si l’on compare l’arsenal anti-phage de différents phylums bactériens. Historiquement, la plupart des systèmes de défense ont été étudiés chez E. coli . L’étude de l’arsenal anti-phage de bactéries Gram positives, appartenant au phylum des Actinobactéries – dont, par exemple, Mycobacterium tuberculosis , la bactérie responsable de la tuberculose – a révélé de nets contrastes. De nombreux systèmes de défense communs chez E. coli sont plus rares ou absents chez les Actinobactéries. À l’inverse, certains systèmes de défense considérés comme rares sont notablement enrichis dans ce phylum [ 25 ]. Cette observation souligne l’importance d’étudier l’immunité anti-phage dans des bactéries variées.

Les quelque 150 systèmes de défense décrits à l’heure actuelle agissent selon une remarquable diversité de mécanismes moléculaires. La plupart d’entre eux s’articulent néanmoins autour de deux piliers : une partie du système (dite senseur ) est dédiée à reconnaître qu’une infection virale est en cours, et l’autre partie a pour but de bloquer la progression du cycle viral, on parle d’ effecteur s. Alors que les systèmes R-M et CRISPR-Cas sont activés par la reconnaissance d’acides nucléiques étrangers, certains systèmes décrits plus récemment sont activés par d’autres facteurs comme des protéines virales (par exemple les systèmes CBASS [cyclic oligonucleotide-based antiphage signaling system] [ 26 , 27 ]) ou par une atteinte de l’intégrité cellulaire (par exemple les rétrons 2 [ 28 ]). De nombreux systèmes de défense, regroupés sous le terme d’infection abortive, aboutissent au « suicide » de la cellule infectée. Cette stratégie peut sembler à première vue contre-intuitive pour des organismes unicellulaires tels que des bactéries. Toutefois, ces systèmes, en causant la mort des cellules infectées, empêchent la production de nouvelles particules virales, et protègent ainsi le reste de population bactérienne [ 29 ].

Dans la suite de cette revue, nous présentons plus précisément trois exemples de systèmes de défense : le système DarTG, appartenant à la famille des systèmes toxines-antitoxines ; les systèmes DSR ; et les systèmes CBASS.

Les systèmes CBASS et DSR ont été décrits au cours des quatre dernières années et correspondent à de nouveaux mécanismes immunitaires chez les bactéries. Le rôle des systèmes toxines-antitoxines DarTG comme acteurs de l’immunité antivirale commence en revanche à être dévoilé.

Les systèmes toxine-antitoxine reposent, comme leur nom l’indique, sur une paire de deux éléments : la toxine et l’antitoxine. La toxine est habituellement une protéine dont l’activité est néfaste pour la cellule. Son activité est régulée par l’antitoxine correspondante, qui peut être une protéine ou un ARN ( Figure 2A ). Les systèmes toxine-antitoxine sont généralement activés par des signaux de stress. Leur implication dans la défense antivirale est de plus en plus démontrée [ 30 ]. Dans le cas du système DarTG, à l’état normal, l’action de la toxine (DarT) est inhibée par son antitoxine (DarG) [ 31 ]. L’infection par un phage libère l’antitoxine de sa toxine, qui peut alors décorer chimiquement le génome viral en y ajoutant des groupes ADP-riboses. Cette altération réduit fortement la réplication et la transcription virales, et donc la production de particules virales.

Pour ce qui est des systèmes DSR ( defense-associated sirtuins ), les protéines virales qui forment la queue du phage activent les protéines DSR ( Figure 2B ) [ 32 ]. Ces protéines, une fois activées, dégradent le nicotinamide adénine dinucléotide (NAD + ) un dinucléotide essentiel au métabolisme cellulaire. La croissance de la cellule se retrouve alors bloquée, ce qui empêche la synthèse de nouvelles particules virales.

Le système CBASS a la particularité d’utiliser des nucléotides cycliques comme molécules de signalisation ( Figure 2C ) [ 26 , 27 ]. Suivant la détection de protéines virales, ces molécules produites par une cyclase activent diverses protéines effectrices (nucléases, pore membranaires, phospholipase, etc.). Il en résulte un arrêt de la croissance de la cellule infectée pouvant mener à sa mort.

Un répertoire antiviral partagé et modulable

À l’échelle d’une bactérie, la cellule dispose d’un nombre restreint de systèmes de défense dont la protection reste limitée comparée à l’immense diversité virale. Récemment a émergé l’idée d’un système pan-immunitaire bactérien, dans lequel les gènes de défense constituent une ressource partagée à l’échelle de populations bactériennes. Au gré de la pression virale, les gènes de défense sont sélectionnés ou au contraire perdus, et peuvent être mobilisés par transfert horizontal de gènes entre les bactéries étroitement apparentées [ 33 , 34 ].

Les systèmes de défense ne sont pas seulement des entités mobiles, mais aussi modulables. En effet, les gènes senseurs et effecteurs de différents systèmes peuvent être combinés selon un système de «  mix-and-match  ». De cette façon, les possibilités offertes par un nombre limité de composantes de base sont démultipliées [ 35 ].

L’existence de multiples systèmes de défense au sein de la même cellule pose la question de leur coordination : comment les différentes lignes de défense sont-elles organisées ? Existe-t-il des synergies, ou au contraire des antagonismes ? Des réponses à ces vastes questions commencent à émerger. Par exemple, lors de l’infection, les systèmes R-M introduisent des coupures dans le génome viral injecté, et cette fragmentation du génome viral est amplifiée par l’action des systèmes de réparation de l’ADN cellulaire. Les extrémités de ces fragments d’ADN seront ensuite utilisées par les protéines Cas pour intégrer de nouveaux espaceurs ( spacers ) dans les cassettes CRISPR [ 36 ], ce qui en fait un exemple de synergie ingénieuse entre les systèmes R-M et CRISPR-Cas.

Conservation des systèmes de défense : de la bactérie à l’être humain ?

Le système immunitaire humain a pendant longtemps été vu comme le fruit d’une importante innovation évolutive. Cette vision s’est accompagnée d’une nette séparation entre l’étude de l’immunité chez les bactéries et celle des êtres humains, alors considérées comme nettement distinctes.

Or, parmi les 150 nouveaux systèmes de défense bactériens identifiés, certains se sont révélés partager de fortes similarités avec les systèmes immunitaires innés de l’homme. Ces analogies sont retrouvées à toutes les étapes de la réponse immunitaire : de la détection de l’infection jusqu’à l’action des effecteurs antiviraux ( Figure 3A ). Certains parallèles existent également entre l’immunité antivirale des plantes et celle des bactéries [ 37 ]. La liste des systèmes immunitaires eucaryotes présentant des homologues bactériens compte, à l’heure actuelle, au moins six systèmes (cette liste ne cesse de s’allonger [ 38 ]). Ainsi, ce qui aurait pu constituer des cas isolés montre désormais la réalité d’une conservation des systèmes de défense antivirale entre bactéries et eucaryotes.

Cette conservation des systèmes de défense antivirale est, dans certains cas, telle que l’expression d’une protéine eucaryote chez la bactérie lui confère une protection contre les phages. C’est le cas de la vipérine, une enzyme qui produit des ribonucléotides modifiés antiviraux agissant comme des terminateurs de chaînes d’ARN viral. En effet, lorsque ces ribonucléotides modifiés sont intégrés à l’ARN naissant par les polymérases virales, aucun autre nucléotide ne peut être ajouté, ce qui conduit à la terminaison prématurée de la transcription de l’ARN viral et donc à sa dégradation. Le système auquel participe la vipérine est un mécanisme majeur de l’immunité innée antivirale chez l’homme, et chez les bactéries, le mécanisme d’action des vipérines est fondamentalement similaire à celui de la vipérine humaine. Les similarités structurales entre vipérines bactériennes et vipérines eucaryotes sont remarquables. L’étude de ces similitudes de structure entre protéines eucaryotes et protéines bactériennes peut ainsi être étendue à d’autres systèmes de défense ( Figure 3B ).

Le scénario actuellement privilégié pour expliquer cette conservation entre systèmes de défense considère que les proto-eucaryotes ont hérité certains systèmes de défense anti-phage (que ce soit via l’endosymbiose des protéobactéries, qui deviendront la mitochondrie, ou par transfert horizontal de gènes depuis des bactéries voisines) [ 38 ]. Ces systèmes de défense auraient ensuite évolué pour défendre les hôtes eucaryotes des virus qui leur sont spécifiques, tout en gardant des caractéristiques communes avec les systèmes de leur ancêtres procaryotes.

Une théorie, qui progresse au sein de la communauté scientifique, est que les fondamentaux de l’immunité antivirale sont partagés, au moins partiellement, au sein du vivant. La détermination de l’étendue de cette conservation de l’immunité antivirale est désormais l’objet d’intenses recherches. Il ne fait toutefois guère de doutes que la liste de ces mécanismes de défense partagés au sein du vivant s’allongera dans les années à venir.

Très récemment, la connaissance des systèmes de défense bactérienne est devenue telle qu’elle permet de guider la découverte de nouveaux systèmes antiviraux chez les eucaryotes, en se fondant sur des similitudes de composants eucaryotes avec des composantes de l’immunité bactérienne. Grâce à des approches de génomique évolutive, Jean Cury et al. ont ainsi détecté chez les plantes, les champignons et les métazoaires, des homologues de gènes anti-phages jusqu’alors inconnus [ 39 ]. Cette équipe a également montré que des gènes humains, de fonction jusqu’alors inconnue, descendant des systèmes anti-phages Lamassu et Eleos, étaient en fait impliqués dans la réponse antivirale contre le virus de l’herpès. Cette approche, que l’on pourrait qualifier d’immunologie comparative, a ainsi le potentiel de jeter un nouvel éclairage sur l’immunité, aussi bien celle du plancton que celle de la mouche, et de découvrir de nouvelles voies participant à l’immunité d’organismes variés, y compris dans l’espèce humaine.

Conclusion

L’étude de la défense antivirale chez les bactéries a connu une formidable accélération au cours des dernières années avec un passage en cinq ans de quelques systèmes connus à plus de 150, et dans quelques années probablement à des milliers. Les deux premiers systèmes de défense découverts, R-M et CRISPR-Cas, ont non seulement grandement amélioré notre compréhension de la physiologie bactérienne, mais ont aussi généré des révolutions biotechnologiques. Parmi les systèmes antiviraux découverts ces dernières années chez les bactéries, se cache peut-être le prochain outil qui bouleversera la biologie. Acquérir une meilleure connaissance des mécanismes de défense anti-phage présente une importance cruciale dans le traitement des infections bactériennes par des phages (ou phagothérapie), un domaine en pleine expansion.

Les exemples de conservation de l’immunité antivirale des bactéries à l’homme s’accumulent. Ces similitudes invitent à considérer de manière holistique l’immunité antivirale au sein du vivant, les découvertes faites chez les bactéries pouvant éclairer notre compréhension de la réponse immunitaire chez l’homme, et vice versa . La découverte de ce nouveau monde de l’immunité bactérienne n’en n’est donc qu’à ses prémices et promet de changer la vision de l’immunité à travers tout le vivant !

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 “for the discovery of restriction enzymes and their application to problems of molecular genetics”.
2 Un reétron est une seéquence d’ADN qui code la transcriptase inverse et un hybride unique ADN/ARN simple brin appeleé ADN simple brin multicopie.
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