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Med Sci (Paris). 39(11): 836–844.
doi: 10.1051/medsci/2023160.

Rôle des rythmes cérébraux dans la fonction mnésique du sommeil

Gabrielle Girardeau1*

1Institut du fer à moulin, Inserm U1270, Sorbonne université , Paris , France
Corresponding author.
 

Vignette (© Gabrielle Girardeau).

La formation de la mémoire est un processus complexe par lequel le cerveau doit trier et sélectivement renforcer les informations importantes et les intégrer aux souvenirs existants sans les effacer. Pendant l’éveil, nous sommes confrontés à un flot constant d’informations multi-sensorielles externes et internes. Le sommeil fournit une fenêtre temporelle où les informations peuvent être traitées « au calme », c’est-à-dire en l’absence d’informations venues de l’extérieur (ou inputs ) : il s’agit donc d’un état privilégié pour la consolidation des souvenirs formés pendant l’éveil.

La formation de souvenirs s’effectue en plusieurs étapes ( Figure 1A ). L’« acquisition » est la formation initiale des traces mnésiques lors d’une expérience. Le renforcement graduel de ces traces pour le stockage à long terme, appelé « consolidation », a lieu, au moins partiellement, pendant le sommeil. Une fois consolidées, ces traces mnésiques sont appelées « engramme » et sont considérées comme le support physique du souvenir : l’activation de l’engramme est ce qui permet la convocation du souvenir (ou « rappel »), par exemple pour guider une action.

Le rappel, conscient ou inconscient, dépend du type de mémoire formé ( Figure 1B ). En effet, pour la mémoire à long terme, à laquelle nous nous intéressons ici, on distingue la mémoire explicite (ou déclarative), qui nécessite un rappel conscient, comme l’évocation en pensée d’un souvenir personnel ou la verbalisation d’une connaissance. Ce type de mémoire comprend la mémoire épisodique, qui est la mémoire des événements dans leur contexte spatio-temporel original (où, quand, quoi). L’autre type de mémoire à long-terme est la mémoire implicite, qui comprend, notamment, la mémoire procédurale, c’est-à-dire la mémoire des savoir-faire, comme par exemple jouer d’un instrument, et des associations de type pavlovien. Dans ce cas, le rappel est automatique et inconscient.

Les deux stades principaux de sommeil sont caractérisés par différentes oscillations neurales

À l’instar de la mémoire, le sommeil n’est pas un processus homogène. On distingue, pendant le sommeil, deux phases principales : le sommeil REM (pour rapid eye movement ) appelé également sommeil paradoxal, et le sommeil non REM (NREM), parfois également appelé sommeil à ondes lentes. Chez l’être humain, mais pas chez le rongeur, le sommeil NREM est de plus divisé en trois stades. Ces phases de sommeil sont caractérisées par des activités neuronales spécifiques dans les différentes zones du cerveau. L’activité neuronale génère des potentiels électriques qui peuvent être enregistrés à l’aide d’électrodes de surface non invasives, comme dans le cas de l’électro-encéphalogramme (EEG), ou d’électrodes intracrâniennes capables de capter à la fois les potentiels de champ locaux (PCL), c’est-à-dire les EEG intracérébraux, et les potentiels d’action des neurones individuels. Différents niveaux de synchronisation de l’activité neuronale donnent naissance à des motifs neuraux particuliers, incluant des oscillations, représentatifs du stade de sommeil et de la structure d’origine, comme, par exemple, dans l’hippocampe le rythme thêta (8 Hz) et dans le cortex, les oscillations lentes générées par l’alternance de phases de silence et d’activité synchronisée des neurones, appelés états « up » et « down ». L’étude de ces motifs neuraux et de l’activité neuronale sous-jacente permet de comprendre les mécanismes par lesquels l’information est traitée et stockée pendant le sommeil.

Les cellules de lieu de l’hippocampe se réactivent pendant les ondulations du sommeil non REM

L’hippocampe est la structure cérébrale la plus importante pour la mémoire épisodique. Chez les rongeurs, c’est la composante spatiale de la mémoire épisodique qui est la plus étudiée, depuis la découverte des cellules de lieu de l’hippocampe [ 41 ] (→) ( Figure 1B ).

(→) Voir la Synthèse de T.H. Tran et al ., m/s n° 6-7, juin-juillet 2023, page 507

Ces neurones présentent, lors de l’exploration d’un environnement, une activité qui dépend de la localisation de l’animal dans l’espace : elles s’activent dans des zones restreintes appelées « champ de lieu » du neurone ( Figure 2A ). Ensemble, les cellules de lieu forment des cartes mentales qui permettent la navigation et constituent le support de la mémoire spatiale. On pense que chez l’être humain, cette fonction s’est élargie pour constituer le support de la mémoire épisodique. Pendant le sommeil non REM, on observe, sur le potentiel de champ local (PCL) de l’hippocampe, un motif neural caractéristique : les complexes « onde aiguë-ondulation ».

L’hippocampe est une structure constituée de trois couches, subdivisée en plusieurs zones, où l’information circule en boucle depuis le gyrus denté jusqu’à la région CA1 via la région CA3. Pendant le sommeil, les neurones pyramidaux de CA3 s’activent spontanément en rafales synchronisées qui déclenchent une activation massive des cellules pyramidales de CA1. Les inputs de CA3 sur les dendrites des cellules pyramidales génèrent l’onde aiguë dans la couche stratum radiatum , tandis que l’interaction entre les cellules pyramidales activées et les interneurones dans le stratum pyramidale de CA1 donne naissance à une oscillation rapide (100-250 Hz), appelée « ondulation » ( Figure 2B ). La théorie de la formation de la mémoire en deux étapes suggère qu’un sous-groupe de cellules de CA3 et de CA1, coordonné par des oscillations thêta pendant une expérience, forme, par des processus de plasticité, des assemblées neuronales qui codent les nouvelles informations. Notamment, les trajectoires sont représentées par des séquences d’activation de cellules de lieu ( Figure 2A ). Au cours des périodes de sommeil suivantes, ces assemblées se réactivent spontanément, dans le même ordre que pendant la période d’éveil qui a précédé, reprenant ainsi des trajectoires exploratoires entières. Ces réactivations ont lieu préférentiellement pendant les ondes aiguës-ondulations ( Figure 2B ). Les phénomènes plastiques de l’éveil biaisent donc le contenu des rafales synchronisées initiées dans CA3 pendant le sommeil, privilégiant un contenu lié à l’expérience, renforçant ainsi les connexions entre les neurones hippocampiques constituant l’engramme spatial. Le phénomène de réactivation a également été décrit chez l’être humain grâce à des techniques moins invasives, et l’on pense que les réactivations sont un des mécanismes par lesquels les souvenirs sont consolidés pendant le sommeil.

Les ondulations et les réactivations associées sont le support de la consolidation de la mémoire spatiale et sociale pendant le sommeil

Les premières études sur le rôle causal des réactivations dans la consolidation de la mémoire ont été réalisées grâce au développement de systèmes en boucle fermée ( Figure 3 ). Dans de tels systèmes, les enregistrements du cerveau sont analysés en temps réel pour déclencher, en retour, une action perturbant sélectivement les motifs cérébraux cibles. Dans deux études princeps, le système a permis de détecter, et de sélectivement supprimer à l’aide d’une micro-stimulation électrique, les ondulations hippocampiques pendant le sommeil non REM suivant un apprentissage spatial. Cette manipulation a généré une altération drastique de la mémoire spatiale, établissant ainsi le rôle crucial des ondulations hippocampiques pour la consolidation de cette mémoire [ 1 , 2 ]. Par la suite, le développement des techniques d’optogénétique ont permis des manipulations plus fines et plus ciblées : en faisant exprimer à des groupes de neurones précis, via des croisements de lignées d’animaux génétiquement modifiés, ou en utilisant la transduction virale, une méthode permettant de faire exprimer par des cellules infectées par un virus des protéines qui changent de conformation à la lumière, on peut générer l’activation ou l’inhibition de ces neurones à l’aide de fibres optiques implantées dans le cerveau [ 3 ] (→).

(→) Voir le Dossier technique de G.P. Dugué et L. Tricoire, m/s n° 3, mars 2015, page 291

Par exemple, l’inhibition optogénétique des neurones pyramidaux de CA1, pendant les ondulations hippocampiques qui suivent l’exploration d’un environnement nouveau, empêche que ces ensembles neuronaux ne s’activent de nouveau lorsque l’animal est réexposé au même environnement. Cela suggère que le rappel, c’est-à-dire l’activation de l’engramme, est rendu possible par sa consolidation par réactivation pendant le sommeil [ 4 ].

Plusieurs facteurs peuvent influencer la réactivation associée aux ondulations hippocampiques pendant le sommeil. Par exemple, les réactivations sont plus fortes et durent plus longtemps [ 5 ] après l’exposition à un nouvel environnement. La stimulation des inputs dopaminergiques de l’hippocampe pendant les ondulations augmente également la puissance des réactivations [ 6 ], suggérant un rôle important des neuromodulateurs. La plupart des études sur les ondulations et les réactivations se sont concentrées sur CA1. Mais plus récemment, il a été montré que le champ CA2 était impliqué dans la mémoire sociale, c’est-à-dire, chez le rongeur, la mémoire des congénères. Les traces de mémoire sociale sont réactivées dans CA2 pendant les ondulations, et leur modulation bidirectionnelle peut l’améliorer ou l’altérer [ 7 ]. Ces résultats suggèrent que CA3 initierait la réactivation des ensembles neuronaux associés aux ondulations pour consolider les souvenirs spatiaux, alors que CA2 serait essentiel pour orienter le contenu neuronal des ondulations vers les souvenirs sociaux.

Le développement d’algorithmes permettant la détection en temps réel de contenus de réactivation spécifiques à l’échelle des potentiels d’action, plutôt que la simple détection des ondulations dans les potentiels de champs locaux, est une étape nécessaire pour approfondir notre compréhension du rôle des réactivations du sommeil non REM. Dans une étude récente, les auteurs [ 8 ] ont entraîné des rats à chercher de la nourriture dans deux environnements différents. Ils ont ensuite perturbé tous les événements de réactivation pendant le sommeil non REM suivant, à l’exception de ceux représentant le premier environnement. La consolidation des souvenirs spatiaux liés au premier environnement a été épargnée, alors que les performances se sont dégradées pour le second environnement dont les réactivations avaient été supprimées. Les résultats accumulés au cours des dernières décennies montrent ainsi que la réactivation des ensembles hippocampiques associés aux nouvelles informations et à l’apprentissage lors des ondulations du sommeil NREM est cruciale pour la consolidation de la mémoire.

La consolidation de la mémoire implique un dialogue entre l’hippocampe et le cortex via les motifs neuraux du sommeil

L’apparition des ondulations n’est pas limitée au sommeil. Elle se produit également pendant les périodes d’immobilité de l’éveil et au cours des comportements non exploratoires, tels que le toilettage ou la consommation de nourriture. Bien qu’il n’y ait pas de différences qualitatives significatives entre les ondulations de l’éveil et celles du sommeil, leur contenu varie [ 9 ]. L’un des principaux défis de la recherche sur le rôle du sommeil pour la mémoire épisodique est de comprendre si, et comment, les paramètres caractéristiques du sommeil NREM, tels que les niveaux des divers neuromodulateurs, les entrées externes réduites, l’association avec les activités corticale et sous-corticale, etc. rendent les ondulations du sommeil et leur contenu neuronal associé fonctionnellement distincts des ondulations de l’état de veille.

Le néocortex et l’hippocampe sont impliqués dans toutes les grandes théories de la consolidation de la mémoire à long terme [ 10 ]. Pendant le sommeil NREM, les circuits corticaux alternent de manière synchronisée entre des états où les neurones sont très actifs (état « up ») ou très silencieux (état « down »). Au niveau des potentiels de champ locaux (PCL), cette alternance se traduit par une oscillation lente, typique du sommeil NREM. Les ondes delta, qui sont des déflections distinctives du PCL, sont plus spécifiquement associées aux états « down ». Les fuseaux, quant à eux, sont des épisodes d’oscillations de 10 à 15 Hz qui proviennent des interactions cortico-thalamiques et qui apparaissent souvent à la suite des ondes delta. Ces rythmes corticaux, à la fois individuellement et, par leur coordination avec d’autres motifs d’activation, hippocampiques et corticaux, ont été associés à la consolidation de la mémoire [ 1012 ] ( Figure 2 ). Chez l’être humain, les oscillations lentes pendant le sommeil NREM peuvent être renforcées par stimulation transcrânienne. Appliquée pendant la nuit suivant un apprentissage de paires de mots, cette manipulation améliore le rappel le jour suivant, suggérant un rôle important des ondes lentes pour la consolidation mnésique [ 13 ]. Des études ont également mis en évidence une corrélation entre ondes lentes et fuseaux pour la consolidation de la mémoire [14, 15]. Chez les rongeurs, une expérience utilisant l’interfaçage cerveau-machine a révélé que les neurones impliqués dans une tâche synchronisent leurs potentiels d’action au début de la transition vers la phase montante des ondes lentes pendant les périodes de sommeil suivantes, et que cette augmentation de la synchronie permet de prédire l’amélioration des performances lors du rappel [ 16 ]. Si la plupart des études sur le cortex se sont concentrées sur les états « up », en ignorant les phases silencieuses, une approche récente a démontré que la faible activité résiduelle du cortex préfrontal pendant les ondes delta (états « down ») était partiellement contrôlée par l’activité des ondulations et jouait un rôle dans la consolidation mnésique [ 17 ]. Si la temporalité précise des rythmes corticaux du sommeil apparaît donc elle-même importante pour la plasticité pendant le sommeil, c’est la coordination temporelle des ondulations hippocampiques et des motifs corticaux de sommeil NREM, elle-même influencée par le rythme respiratoire [ 18 ], qui semble cruciale pour la consolidation à long terme des souvenirs contextuels [ 10 ] ( Figure 4 ). Pendant les transitions vers les états corticaux « up » et « down » et les creux des fuseaux corticaux, l’incidence des ondulations hippocampiques augmente et des réactivations coordonnées se produisent entre l’hippocampe et diverses zones corticales [ 19 ]. Plusieurs études ont montré que l’amélioration de la coordination hippocampo-corticale, par des systèmes en boucle fermée et des méthodes optogénétiques, améliore les performances de la mémoire dans diverses tâches [11, 12]. Le contenu neuronal des ondulations hippocampiques prédit, en outre, l’activité corticale dans les ondes delta qui suivent, ce qui suggère que ces dernières peuvent influencer les informations réactivées dans le cortex. À l’inverse, l’activité corticale peut prédire le contenu des ondulations [17, 20] et des stimulations sensorielles, activant le cortex, effectuées pendant le sommeil, peuvent biaiser les réactivations hippocampiques et améliorer la mémoire. Ce phénomène, décrit chez l’être humain et les rongeurs, est appelé « réactivation ciblée de la mémoire » [21, 22]. La consolidation de la mémoire impliquerait donc des boucles par lesquelles les zones corticales peuvent biaiser les traces de mémoire réactivées pendant les ondulations hippocampiques qui, à leur tour, évoquent la réactivation de représentations multimodales connexes dans le néocortex.

Les ondulations permettraient de coordonner la consolidation entre l’hippocampe et des structures impliquées dans le traitement des émotions

Si la théorie de la consolidation en deux étapes et le transfert progressif des informations de l’hippocampe vers les zones corticales ont fourni un cadre conceptuel solide pour comprendre la consolidation de la mémoire pendant le sommeil, des structures cérébrales autres que le néocortex sont également impliquées. Les ondulations hippocampiques sont des événements puissants qui peuvent synchroniser l’activité entre les structures, reliant potentiellement divers paramètres d’une expérience, comme la tonalité émotionnelle, à la partie contextuelle du souvenir au cours de la consolidation. Pour cela, l’hippocampe interagit avec des structures qui ne sont pas corticales et qui sont impliquées dans le traitement de la valence, comme le striatum, le noyau accumbens ou l’amygdale. Dans le striatum ventral, les cellules codant la récompense se réactivent de manière synchronisée avec les neurones hippocampiques pendant les ondulations du sommeil à la suite d’une expérience plaisante [ 23 ].

L’hippocampe peut être subdivisé en région dorsale et région ventrale, considérées, chacune, fonctionnellement distincte [ 24 ]. L’hippocampe dorsal est plus spatial, alors que l’hippocampe ventral intègre des informations émotionnelles, en lien avec sa connectivité plus développée avec le reste du réseau du traitement de la valence et des émotions. Ainsi, les ondulations dans les régions hippocampiques dorsale et ventrale modulent de manière différentielle des populations distinctes de neurones dans le noyau accumbens, qui joue un rôle essentiel dans le traitement de la récompense [ 25 ]. Dans l’amygdale basolatérale, cruciale pour les apprentissages aversifs associatifs [ 26 ], un sous-ensemble de neurones est modulé pendant les ondulations hippocampiques dorsales. Pendant les ondulations hippocampiques du sommeil NREM, mais pas pendant le sommeil paradoxal, la représentation neuronale conjointe hippocampe-amygdale établie au cours d’une expérience spatiale aversive, est rétablie [ 27 ]. Les ondulations hippocampiques pourraient donc coordonner des motifs neuraux ou des réactivations favorisant la plasticité à l’échelle du cerveau, permettant ainsi la formation d’engrammes intégrant des informations émotionnelles, distribués dans les zones non seulement corticales mais aussi non corticales.

Le rôle du sommeil REM dans la consolidation de la mémoire reste à élucider

Le sommeil REM suscite depuis très longtemps un intérêt particulier en raison de son association avec les rêves chez l’être humain, même si on sait maintenant que l’on rêve également pendant le sommeil NREM [ 28 ] (→).

(→) Voir le Forum de J.-P. Henry, m/s n° 10, octobre 2020, page 929

Cependant, la physiologie fonctionnelle du sommeil REM a beaucoup moins été étudiée que celle du sommeil non paradoxal. L’activité EEG/PCL pendant le sommeil REM ressemble beaucoup à celle de l’éveil, d’où son nom originel de « paradoxal ». Elle est caractérisée par les oscillations thêta dans l’hippocampe. Le rythme thêta peut être enregistré également dans d’autres structures corticales et sous-corticales, mais dans une moindre mesure. Alors que la synchronisation fine de l’activité hippocampique, par les oscillations thêta pendant l’éveil, est cruciale pour l’encodage et la consolidation de la mémoire spatiale, peu d’études se sont concentrées sur la façon dont l’activité neuronale est structurée pendant le sommeil paradoxal, en relation ou non avec les oscillations thêta. Le sommeil paradoxal phasique, caractérisé par des augmentations transitoires de la fréquence et de la puissance des oscillations thêta, a été associé à une augmentation de la fréquence et de la coordination de l’activité neuronale dans l’hippocampe et dans les zones corticales, ainsi qu’aux ondes ponto-géniculo-occipitales provenant du tronc cérébral, dont on pense qu’elles coordonnent diverses structures pendant le sommeil paradoxal. Cependant, le lien entre ces changements spécifiques dans la dynamique thêta du sommeil paradoxal et le comportement n’est pas encore complètement compris. La cohérence entre les oscillations thêta dans l’hippocampe, dans le cortex préfrontal médial et dans l’amygdale, augmente après un apprentissage aversif, en corrélation avec les performances comportementales [ 29 ], et la perturbation des oscillations thêta pendant le sommeil paradoxal nuit à la consolidation de la mémoire contextuelle dépendante de l’hippocampe [ 30 ]. L’altération de l’activité des neurones hippocampiques, issus de la neurogenèse adulte, pendant le sommeil paradoxal, nuit spécifiquement à la consolidation de la peur contextuelle, ce qui pourrait suggérer l’importance de la synchronisation par le rythme thêta des nouveaux neurones [ 31 ]. Le sommeil paradoxal favorise le renforcement ou la suppression sélective des épines dendritiques dans le néocortex [ 32 ], et la privation sélective de sommeil REM entraîne, dans les nouveaux neurones, des modifications structurelles des synapses indicatives de leur affaiblissement [ 33 ], ce qui indique un effet du sommeil REM sur la plasticité corticale. Néanmoins, d’autres recherches sont nécessaires pour établir les liens entre la synchronisation fine de l’activité neuronale par les oscillations thêta pendant le sommeil paradoxal, la plasticité structurelle observée dans des sous-populations neuronales ou régions dendritiques spécifiques, et les résultats comportementaux en lien avec la mémoire.

Les oscillations du sommeil contribuent également à la régulation homéostatique des réseaux neuronaux

Les rythmes cérébraux des sommeils NREM et REM sont donc impliqués dans la consolidation mnésique, c’est-à-dire la stabilisation des engrammes formés pendant l’éveil. On pense que l’acquisition et la consolidation font appel à des processus plastiques de type hebbien 1 , comme la potentialisation à long terme qui permet un renforcement des synapses entre neurones. La force de connexion entre neurones au niveau des synapses (ce qui est appelé le poids synaptique), liée à l’efficacité de transmission des informations entre neurones, peut atteindre un plateau à partir duquel il devient impossible de potentialiser. Si, dans un réseau neuronal, les poids synaptiques arrivent à saturation, il devient impossible d’encoder de nouvelles informations, c’est-à-dire de former de nouveaux engrammes. L’hypothèse de l’homéostasie synaptique propose que le sommeil joue un rôle important dans la régulation des poids synaptiques [ 34 ] afin d’éviter la saturation et de permettre la formation de nouveaux souvenirs pendant la période d’éveil qui suit. Ce modèle suggère que les poids synaptiques globaux augmentent pendant l’éveil et diminuent pendant le sommeil ( Figure 5 ).

Au vu des possibilités techniques actuelles, il est encore difficile d’évaluer les changements structurels et la force des synapses en temps réel et in vivo , mais on pense que l’amplitude des ondes lentes du cortex reflète les poids synaptiques entre les neurones corticaux. Les oscillations lentes sont de plus grandes amplitudes après une période d’éveil prolongée. Elles diminuent progressivement au cours du sommeil, conformément au modèle d’homéostasie synaptique. L’amplitude des potentiels évoqués du cortex enregistrés sur les PCL, en réponse à une stimulation, constitue également un marqueur de l’efficacité synaptique. Les changements d’amplitude des potentiels évoqués sont corrélés aux changements de l’activité des ondes lentes, ce qui suggère que les ondes lentes pourraient contribuer à la réduction des poids synaptiques [ 35 ]. Les taux de décharge des neurones et leurs variations au cours des cycles veille-sommeil peuvent également être étudiés, comme un corrélat de l’excitabilité neuronale. Conformément au modèle d’homéostasie synaptique, les cellules hippocampiques et corticales, en tant que populations, augmentent progressivement leur taux de décharge pendant l’éveil. Pendant le sommeil, on observe une diminution nette globale de l’activité neuronale. Les études portant sur les dynamiques d’activité au cours des différentes phase de sommeil ne sont pas toutes concordantes. Dans l’hippocampe, il a été montré que ce déclin d’activité global découle de l’alternance des phases NREM, où l’activité augmenterait légèrement, et où la diminution serait portée par des baisses drastiques pendant les courtes phases du sommeil REM, liées à l’amplitude des oscillations thêta et au nombre de fuseaux et d’ondulations pendant le NREM [36, 37]. Mais d’autres études ont montré des diminutions au cours des phases de sommeil NREM dans le cortex et l’hippocampe, mais avec des dynamiques différentes pour des neurones constitutivement très actifs ou peu actifs. La distribution des taux de décharge au sein de la structure serait ainsi modulée par le sommeil [ 38 ] ( Figure 5 ), afin de maintenir le réseau dans une fenêtre de fonctionnement optimale, avec des rôles complémentaires et potentiellement séquentiels des stades NREM et REM.

Les ondulations hippocampiques, dont on a longtemps pensé qu’elles contribuaient à renforcer les connexions synaptiques, peuvent également induire de la dépotentialisation à long terme, c’est-à-dire un affaiblissement des poids synaptiques. Leur inhibition empêche la diminution naturelle des potentiels évoqués pendant le sommeil [ 39 ]. Elles pourraient donc jouer un rôle à la fois dans la consolidation et l’homéostasie, qui dépendrait du contenu en réactivation des ondulations et donc du timing précis de l’activité neuronale associée.

Perspectives

La relation entre le sommeil et la mémoire est un domaine de recherche complexe en raison de la nature hétérogène du sommeil et des différents types de mémoire impliqués. Pour faire face à cette complexité, les chercheurs se sont concentrés sur l’identification de stades de sommeil et de motifs neuraux spécifiques liés au traitement de la mémoire. Chez les rongeurs, le sommeil NREM est traditionnellement étudié comme un stade homogène, mais l’identification de sous-stades ou de « micro-états », plus spécifiques, correspondant aux trois sous-stades du sommeil NREM chez l’être humain pourraient permettre de mieux comprendre le traitement de la mémoire. La fonction du sommeil paradoxal, dans la consolidation ou l’homéostasie synaptique, reste encore en grand partie inexplorée et donc inexpliquée. Les systèmes en boucle fermée et les interfaces cerveau-machine ont permis des avancées significatives dans la compréhension de l’implication des motifs neuraux du sommeil dans la formation de la mémoire, mais d’autres outils sont nécessaires pour tester précisément en temps réel les théories sur l’importance de la synchronisation de l’activité neuronale unitaire.

Une théorie émergente postule que le cortex et l’hippocampe entrent dans des modes « par défaut » pendant le sommeil REM et NREM, reflétant leurs propriétés physiologiques et leur connectivité : les ondulations dans l’hippocampe et l’alternance d’états « up » et « down » dans le cortex, associée aux fuseaux, et le rythme thêta pendant le REM. Ces modes seraient impliqués dans une régulation homéostatique des réseaux, mais l’activité pendant l’éveil et l’encodage de traces mnésiques viendraient biaiser la dynamique temporelle précise des neurones pour générer une plasticité ciblée qui permettrait la consolidation sélective des engrammes. De ce point de vue, l’homéostasie et la consolidation se situent sur le même spectre, et dépendent fortement de la synchronisation précise de l’activité neuronale au sein des motifs de sommeil canoniques.

Pour concevoir une recherche fondamentale pertinente permettant d’élucider le rôle du sommeil dans la mémoire, des études supplémentaires sont donc nécessaires, en particulier en ce qui concerne les structures non hippocampo-corticales, telles que l’amygdale et le striatum dont l’activité pendant le sommeil a été sous-étudiée, de même que dans les structures qui contrôlent les transitions et le maintien des différents états de veille et de sommeil, telles que le pons, le thalamus, l’hypothalamus ou le locus coeruleus 2 . Les processus de consolidation et d’homéostasie pourraient être différents ou absents dans ces structures. Des travaux supplémentaires sont donc nécessaires pour caractériser les motifs neuraux dans ces zones, et potentiellement les relier à la fonction mnésique du sommeil. Les progrès des techniques d’enregistrement, de manipulation et d’analyse, qui apportent une précision spatio-temporelle [ 40 ] (→) permettront de mieux comprendre les motifs physiologiques associés aux différents types de mémoire et stades de sommeil.

(→) Voir la Nouvelle de S. Trouche et D. Dupret, m/s n° 3, mars 2017, page 349

Bien qu’une théorie unificatrice de la fonction mnésique du sommeil ne soit peut-être pas possible, l’élargissement et l’affinement de ces connaissances permettront de mieux intégrer la consolidation et l’homéostasie, d’identifier de nouveaux liens au sein de la fonction mnésique, de l’encodage au rappel en passant par la consolidation, et de relier les mécanismes mnésiques à d’autres aspects du sommeil, tels que le contrôle des états de vigilance, le rythme circadien ou diverses maladies.

Liens d’intérêt

L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 La plasticité hebbienne, du nom de Donald Hebb qui l’a conceptualisée, désigne initialement le renforcement des connexions synaptiques entre deux neurones qui s’activent de manière répétée dans une courte fenêtre de temps, de manière à ce que, par la suite, l’activation de l’un des neurones facilite l’activité du second. De manière plus générale, on appelle maintenant plasticité hebbienne les processus liés au timing d’activation des neurones qui induisent un renforcement ou une diminution des connexions entre neurones.
2 Ces structures sous-corticales contiennent des sous-ensembles de neurones dont l’activation ou l’inhibition sous-tend les transitions entre veille et sommeil ou entre sommeil REM et non REM, ou le maintien de ces états de vigilance.
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