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Med Sci (Paris). 39(10): 793–795.
doi: 10.1051/medsci/2023109.

Des bactéries modifiées pour produire la L-arginine potentialisent l’immunothérapie des cancers

Candice Gautier,1a Minh-Anh Huynh,1b Camille Peron,2c and Jonathan Pol3d

1Master 2 Immunologie intégrative et systémique (I2S), parcours Immunologie, mention Biologie moléculaire et cellulaire (BMC), Sorbonne université , Paris , France
2Master 2 Immunologie translationnelle et biothérapies (ITB), parcours immunologie, mention Biologie moléculaire et cellulaire (BMC), Sorbonne Université , Paris , France
3Inserm U1138, Sorbonne Université, Université de Paris , Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Tumeurs, Arginine, Bactéries, Immunothérapie, thérapie, usage thérapeutique

L’immunosurveillance du cancer

L’organisme dispose de plusieurs mécanismes pour prévenir l’apparition d’un cancer. D’une part, des mécanismes cellulaires intrinsèques, comme l’apoptose, peuvent précipiter la mort des cellules aberrantes. D’autre part, des mécanismes extrinsèques reposant sur le système immunitaire inné ( e.g. , cellules Natural killer ou NK) et adaptatifs ( e.g. , lymphocytes T CD8 + cytotoxiques ou CTL) participent à l’élimination des cellules malignes [ 1 ]. Cependant, certains clones cellulaires transformés peuvent acquérir des mutations favorisant l’échappement à l’immunosurveillance et la progression néoplasique. Différentes stratégies de résistance ou d’échappement à l’élimination impliquant le système immunitaire ont été décrites. Parmi elles figurent, l’expression de molécules membranaires immuno-inhibitrices ( e.g. , PD-L1), le recrutement de cellules immunosuppressives ( e.g., lymphocytes T CD4 + régulateurs ou Treg, cellules myéloïdes suppressives ou MDSC) dans le microenvironnement tumoral, et la sécrétion de cytokines et métabolites régulateurs ( e.g. , IL[interleukine]-10, lactate) par les cellules malignes ou par les cellules stromales avoisinantes [ 23 ]. Pour que le système immunitaire reprenne le dessus sur la prolifération cancéreuse, il est possible de restimuler pharmacologiquement l’immunosurveillance [ 4 ].

Les immunothérapies du cancer

Le principe de l’immunothérapie consiste en la réactivation de la réponse antitumorale en stimulant l’activation et le recrutement de lymphocytes T spécifiques d’antigènes tumoraux au sein du microenvironnement tumoral. Durant ces dernières années, l’immunothérapie a révolutionné la prise en charge des patients présentant divers cancers. L’immunothérapie fondée sur des anticorps monoclonaux inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (anti-PD1, anti-PD-L1, anti-CTLA-4, anti-LAG-3) est utilisée dans de nombreux types de cancers. D’autres stratégies sont également utilisées en oncologie comme les anticorps monoclonaux ciblant des antigènes tumoraux de surface, les cytokines ( e.g. , analogues de l’interleukine-2 ou IL-2), des agonistes du récepteur TLR7 ( Toll-like receptor 7 ), le transfert adoptif de cellules immunitaires (vaccin à base de cellules dendritiques, lymphocytes modifiés CAR-T), des virus oncolytiques et des souches bactériennes modifiées pour être non pathogéniques (bacille de Calmette et Guérin ou BCG) [ 5 ]. Ces agents immunothérapeutiques sont globalement mieux tolérés que la chimiothérapie ou la radiothérapie, améliorant ainsi la qualité de vie des patients. Cependant on observe fréquemment l’apparition secondaire de résistances tumorales à ces agents [ 36 ]. Pour pallier cet inconvénient, une méthode consiste à associer plusieurs approches d’immunothérapie complémentaires pour optimiser l’activation de l’immunosurveillance anticancéreuse [ 7 ]. Une équipe de chercheurs s’est intéressée à la combinaison d’anticorps monoclonaux anti-PD-L1 avec une bactérie génétiquement modifiée pour libérer la L-arginine dans le microenvironnement tumoral [ 8 ].

Le métabolisme de l’arginine dans le microenvironnement tumoral

La L-arginine est un acide aminé semi-essentiel nécessaire à la synthèse des protéines. Il sert également de précurseur à la synthèse de l’ornithine et du monoxyde d’azote (NO) grâce à l’action des enzymes arginase et nitric oxide synthase (NOS), respectivement. L’ornithine sert de substrat pour la synthèse des polyamines nécessaires à la prolifération cellulaire [ 9 ]. Le NO présente des effets pléiotropiques. En particulier, ses fonctions vasodilatatrices et pro-angiogéniques, et sa capacité à contrôler la survie et la croissance cellulaire, peuvent avoir des effets pro- ou anti-tumoraux selon sa concentration locale et le temps d’exposition [ 1011 ]. Dans le microenvironnement tumoral, l’approvisionnement en arginine fait l’objet d’une compétition entre cellules cancéreuses et cellules immunitaires. Les cellules cancéreuses augmentent le catabolisme de l’arginine en ornithine au bénéfice de leur prolifération. Il en va de même pour les cellules MDSC, qui contribuent ainsi à appauvrir le microenvironnement tumoral en arginine. Quant à l’assimilation de l’arginine par les lymphocytes T, il semble que celle-ci soit nécessaire à la prolifération des lymphocytes T CD8 + , à leur réponse effectrice antitumorale et à l’établissement d’une mémoire immunitaire [ 12 ]. Ainsi, l’absence de cet acide aminé inhibe la production de cytokines et la multiplication clonale (phénotype d’« épuisement »). De plus, selon leur niveau d’activité NOS ou arginase, les macrophages associés aux tumeurs ( tumor-associated macrophages ou TAM) ont une activité pro-inflammatoire antitumorale de type M1 ou anti-inflammatoire pro-tumorale de type M2, respectivement. À concentration locale modérée, le NO favorise l’extravasation des lymphocytes T et soutient la réponse antitumorale. A l’inverse, des concentrations plus élevées de NO peuvent avoir un effet cytostatique, voire immunosuppresseur. Dans l’ensemble, la disponibilité en L-arginine libre apparaît donc comme un facteur essentiel pour la mise en place d’un microenvironnement tumoral favorable à la promotion et au maintien de l’immunosurveillance anticancéreuse.

La L-arginine a un effet synergique avec la thérapie par anticorps anti-PD-L1

Les auteurs de l’étude ont d’abord étudié, dans le modèle murin de cancer colorectal MC38, l’impact de la L-arginine ingérée quotidiennement sur l’efficacité d’une immunothérapie systémique reposant sur un anticorps bloquant PD-L1. Ils ont montré l’existence d’une interaction synergique avec l’immunothérapie : contrôle amélioré de la croissance tumorale et taux de survie augmenté par rapport à l’immunothérapie seule ou à l’ingestion d’arginine seule.

Néanmoins, la quantité journalière d’arginine à ingérer chez l’homme équivalente à celle du modèle murin (2 g/kg chez la souris) serait de 150 g d’arginine pour un homme de 75 kg, une dose difficilement envisageable. Une solution proposée par les auteurs a consisté en l’injection intra-tumorale de L-arginine pour concentrer son activité au site d’action de l’immunothérapie. Cependant, cette stratégie n’a apporté aucun bénéfice en sus de l’action propre des anticorps anti-PD-L1 dans le modèle anti-PD-L1 dans le modèle murin de cancer colorectal, ce manque d’efficacité étant probablement lié à la diffusion extra-tumorale de la solution d’acide aminé injectée localement. La recherche d’un moyen pour délivrer la L-arginine de manière prolongée dans l’environnement tumoral a conduit les auteurs à utiliser pour cela la souche non pathogène Nissle 1917 de la bactérie E.coli (ECN), qui a la particularité de migrer dans les tumeurs et d’y survivre.

Mode d’action de la bactérie ECN-L-Arg

La bactérie ECN, qui peut libérer de la L-arginine dans le nid tumoral par conversion de l’ion ammonium libéré par les cellules cancéreuses, a été modifiée génétiquement afin d’optimiser ce processus : délétion du gène ArgR, qui code le répresseur d’un opéron nécessaire à la biosynthèse de l’arginine, et intégration d’une mutation dominante dans le gène ArgA codant l’enzyme N-acétylglutamate synthase, impliquée dans la première réaction de la voie de biosynthèse de la L-arginine. Cette enzyme est normalement rétro-inhibée par l’arginine produite en concentration élevée. Sa version mutée, notée ArgA -fbr , est insensible à ce rétrocontrôle. En conséquence, la bactérie mutée ECN-L-Arg effectue une libération soutenue et prolongée de L-arginine au sein des tumeurs MC38, dans lesquelles elle persiste après son injection, aussi bien intra-tumorale qu’intraveineuse.

ECN-L-Arg potentialise l’efficacité de l’immunothérapie anti-PD-L1

Dans le modèle de cancer murin MC38, l’injection in situ de la bactérie ECN-L-Arg induit une infiltration de lymphocytes T CD4 + et CD8 + dans le microenvironnement tumoral, et une diminution de la population de Treg immunosuppresseurs. L’inoculation intra-tumorale de cette bactérie en complément de l’immunothérapie anti-PD-L1 est bénéfique, augmentant d’environ 30 % le taux de rejet tumoral en comparaison aux traitements par la bactérie seule ou par l’anticorps anti-PD-L1 seul (taux de rejet de 74 %, contre 44 % et 39 %, respectivement). De plus, les animaux en rémission complète suite à ce traitement développent une réponse T mémoire spécifique de la tumeur. Ces souris guéries sont protégées contre une nouvelle inoculation des cellules tumorales MC38, de même que des souris témoins ayant reçu un transfert adoptif de leurs lymphocytes T mémoires. Les chercheurs ont également testé l’efficacité d’une administration systémique, plutôt que locale, de la bactérie ECN-L-Arg. Un effet synergique des bactéries injectées par voie intraveineuse avec les anti-PD-L1 a été observé contre des tumeurs de taille importante (> 100 mm 3 ). Cependant, les bactéries circulantes ne colonisent pas ou peu les tumeurs de taille inférieure. Ces résultats ouvrent donc la voie à l’application de la bactérie ECN-L-Arg comme co-immunothérapie dans le cadre de tumeurs de stade avancé, voire disséminées.

Perspectives

Cette étude conforte le rôle de la L-arginine dans l’immunosurveillance anticancéreuse et décrit une approche immunothérapeutique originale reposant sur une bactérie E.coli génétiquement modifiée, ECN-L-Arg, pour accentuer la biodisponibilité de cet acide aminé dans le microenvironnement tumoral. Il convient de noter que d’autres manipulations pharmacologiques du métabolisme de l’arginine avaient été rapportées pour stimuler l’immunosurveillance du cancer. Par exemple, l’inhibiteur d’arginase CB-1158 atténue l’activité immunosuppressive des MDSC et favorise l’infiltration des effecteurs lymphocytaires NK et T CD8 + dans le microenvironnement tumoral. Dans un modèle préclinique, CB-1158 avait une activité anticancéreuse en mono-thérapie et améliorait l’efficacité d’immunothérapies (inhibiteurs de points de contrôles immunitaires, transfert adoptif de lymphocytes) [ 13 ].

Des études complémentaires devront préciser les mécanismes d’induction, par la bactérie ECN-L-Arg, des réponses T effectrices et mémoires spécifiques de la tumeur. Il faudra également caractériser quels histotypes cancéreux répondent à ECN-L-Arg, administré seule ou en association avec d’autres immunothérapies, comme les anticorps anti-PD-L1. Les résultats encourageants déjà obtenus dans le modèle murin incitent à entreprendre des études cliniques pour déterminer la sécurité et la tolérance de l’administration systémique de la bactérie ECN-L-Arg chez des patients atteints de cancer.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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