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Med Sci (Paris). 39(10): 769–775.
doi: 10.1051/medsci/2023118.

VolREthics
Une initiative internationale de l’Inserm pour définir la protection des volontaires sains

Meriem Karkar,1* Christine Lemaitre,1 François Bompart,1 François Eisinger,1 Pierre Lombrail,1 Flavie Mathieu,1 Isabelle Remy-Jouet,1 Corinne Sébastiani,1 Lou Lennad,1 and François Hirsch1*

1Comité d’éthique de l’Inserm , 101 rue Tolbiac , 75013Paris , France
Corresponding author.
 

Vignette (© Inserm – Frédérique Koulikoff et Alexandra Pinci).

Remarques préalables

Le terme volontaire sain définit une personne considérée comme étant en « bonne santé », ne souffrant pas de la maladie concernée par l’étude, et qui se prête volontairement à la recherche biomédicale pour, par exemple, tester l’efficacité d’un médicament ou d’un vaccin. En participant aux recherches, le volontaire sain contribue ainsi à l’avancée des connaissances scientifiques. Son rôle dans la recherche biomédicale est essentiel, aussi bien d’un point de vue sociétal que scientifique.

La protection des personnes participant à la recherche n’a pas toujours été de mise et sa nécessité ne s’est imposée que progressivement et par étapes. La révélation, aux yeux du monde, des expérimentations pratiquées dans l’horreur des camps nazis a mis en évidence lors du procès des criminels nazis de Nuremberg après la seconde guerre mondiale, l’importance qu’avait la protection de l’intégrité et de la dignité humaine des personnes participant à des recherches, mais aussi la nécessaire régulation des pratiques de la recherche. C’est ainsi qu’a été élaboré, en 1947, ce qui est aujourd’hui appelé le Code de Nuremberg qui pose, pour la première fois, les principes éthiques relatifs à la recherche biomédicale [ 1 ]. Son article 1 er définit le consentement éclairé comme étant essentiel et préalable à toute recherche impliquant la personne humaine. Il s’ensuivra la mise en place de différents outils dont l’objectif principal était d’éviter les atteintes à la personne et d’équilibrer les rapports entre liberté de recherche et respect des droits fondamentaux de la personne humaine.

Ainsi ont été rédigées la déclaration d’Helsinki de l’association médicale mondiale en 1964 (modifiée pour la dernière fois en 2013), la directive 2001/20/CE du parlement européen et du Conseil le 4 avril 2001, abrogée et modifiée par le règlement (UE) n° 536/2014 du parlement européen et du Conseil le 16 avril 2014, relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain. C’est aussi le cas de la convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (STE n° 164) signée à Oviedo (en Espagne) en 1997, premier instrument international contraignant dans ce domaine 1 . Un protocole additionnel à cette convention, entré en vigueur en 2007, est entièrement consacré à la recherche biomédicale. Il vise à la protection et au respect du droit des personnes. Pourtant, malgré ces différentes directives, aucune ne mentionne clairement la nécessaire protection des personnes « en bonne santé » se prêtant volontairement aux recherches biomédicales.

S’appuyant sur les travaux élaborés par l’initiative internationale VolREthics [ 18 ], mise en place par le comité d’éthique de l’Inserm, l’objectif de cet article est d’expliquer le rôle essentiel des volontaires « en bonne santé », de comparer à travers les régions du monde les pratiques des recherches les impliquant, et d’analyser les problèmes éthiques qu’elles peuvent soulever.

L’importance de la contribution des volontaires sains pour la recherche biomédicale

Chaque année, de nombreuses recherches impliquant des volontaires sains sont conduites à travers le monde 2 . Ce recours aux volontaires sains peut concerner des études extrêmement variées, impliquant des niveaux de risque potentiel très différents. Par exemple, des essais cliniques de phase I des produits de santé, des études portant sur l’évaluation de « bioéquivalents », des essais de prévention dont l’objectif est de protéger le collectif [ 2 ], le don de cellules ou le don d’échantillons biologiques utilisables comme référence lors d’essais cliniques, ou encore le cas des cohortes, au sein desquelles les volontaires sains peuvent être suivis pendant plusieurs années.

Récemment, un rôle des volontaires sains a été particulièrement critiqué, lors de l’épidémie de Covid-19 ( coronavirus 2019 ). Des volontaires « en bonne santé », ont en effet été impliqués dans des recherches appelées « challenges infectieux », au cours desquelles ils ont été exposés intentionnellement au virus responsable de l’épidémie, le SARS-CoV-2 ( severe acute respiratory syndrome-coronavirus-2 ). Ces recherches avaient été conduites en Europe par une entreprise britannique (hVIVO) afin d’évaluer des paramètres comme la charge virale minimale infectante, la fréquence d’infection selon la charge et/ou le délai d’incubation. Elles devaient permettre également d’évaluer l’efficacité de vaccins ou de traitements anti-Covid [ 3 ] en cours de développement. Ces études qui n’ont pas été autorisées en France, ont néanmoins permis d’identifier des problèmes éthiques que soulève la participation de volontaires, notamment dans ce cas précis, puisqu’aucun traitement n’était disponible en cas d’infection par le virus et qu’un risque important subsistait pour les volontaires [ 4 , 5 ].

Tout comme les patients volontaires qui participent à des essais cliniques, les volontaires sains sont essentiels pour la recherche. Plusieurs aspects différencient cependant ces deux catégories de participants. Tout d’abord leurs motivations. Bien que des volontaires sains puissent se prêter dans certains cas aux recherches par (pur) altruisme [ 6 ], la compensation financière qui leur est proposée influence très certainement leur décision [ 7 ], ce qui peut d’ailleurs représenter une certaine pression exercée par les promoteurs de ces recherches. Le rapport aux soins diffère également. Pour le patient, il s’agit d’aider à mieux connaître sa maladie et peut-être de mieux se soigner lui-même. Pour le volontaire sain, la participation à un essai clinique peut-être le seul moyen d’accès à un bilan médical, voire à un traitement, soit en raison du coût, soit en raison de la difficulté d’accès aux soins.

Une autre différence réside dans la balance bénéfice/risque, c’est-à-dire le rapport entre le bénéfice que peut légitimement attendre le volontaire en participant à une recherche et les risques qu’il encourt. En effet, pour un participant malade, le bénéfice attendu peut être (bien) supérieur au risque qu’il prend, car il est déjà atteint d’une maladie pour laquelle les traitements disponibles ne sont parfois pas optimaux, voire inefficaces. Un volontaire sain prend un risque en général supérieur au bénéfice, qui est a priori inexistant puisqu’il n’est pas malade. Le cas d’un essai portant sur un vaccin est une exception puisque le volontaire peut éventuellement bénéficier de cette nouvelle vaccination, s’il se trouve dans le bras (le groupe d’individus) recevant le vaccin, et si celui-ci est efficace. Ce qu’il peut considérer comme un bénéfice satisfaisant.

L’initiative VolREthics : création et objectifs

Après plusieurs mois de rencontres et d’échanges avec des experts français et étrangers engagés dans les recherches impliquant des volontaires sains, le Comité d’éthique de l’Inserm a lancé l’initiative VolREthics en février 2022, lors d’une réunion qui s’est tenue dans les locaux de l’Unesco à Paris, à laquelle plus une centaine d’experts internationaux a assisté sur site et en distanciel. Cette initiative qui a pour but de proposer des lignes directrices visant à protéger les volontaires sains impliqués dans une recherche biomédicale, s’inscrit dans une démarche de recherche intègre, responsable et éthique. Cette première réunion inaugurale a permis d’identifier différents points d’attention nécessaires à prendre en compte afin de protéger les volontaires sains et de reconnaître leur statut de personnes vulnérables.

À la suite de la réunion de lancement de VolREthics, le Comité d’éthique de l’Inserm a organisé plusieurs réunions régionales avec l’implication de nombreux partenaires régionaux dont des volontaires sains invités à partager leurs expériences. C’est grâce à ce « tour du monde » qu’il a été possible d’identifier les différentes pratiques en matière d’accompagnement de ces recherches, mais également les tensions éthiques que ces pratiques soulèvent 3 .

Identification des risques et des enjeux

Le volontaire sain est exposé à des risques qui peuvent ne pas être identifiés immédiatement. Il n’en reste pas moins que ceux-ci existent. Plusieurs de ces risques ont été discutés lors de la première réunion. Il s’agit, premièrement, du risque d’exploitation du volontaire, notamment lors de son recrutement ou dans le cas où son consentement est obtenu de façon irrégulière, en raison de certaines vulnérabilités (économiques, sociales, etc.). C’est, par exemple, le cas d’une personne qui pourrait ne pas comprendre correctement le formulaire de consentement à sa participation à la recherche, qu’elle doit pourtant impérativement signer [ 8 ] ( ).

(→) Voir le Repères de D. Gozlan et al ., m/s n° 8-9, août-septembre 2023, page 650

Ce risque d’exploitation est aussi présent lorsque le devoir d’information sur les risques, les bénéfices, ou les droits du volontaire sain ne sont pas correctement respectés.

Le risque pour le volontaire sain de subir un préjudice pour sa santé a également été discuté. De nombreuses précautions sont prises pour minimiser les risques, en particulier lors des études de phase I, au cours desquelles sont réalisées les toutes premières administrations de nouvelles substances à l’homme. Cependant, bien qu’importantes, ces précautions ne sont pas toujours suffisantes, comme cela fut illustré par les accidents survenus au cours d’essais cliniques, au Royaume-Uni en 2006 [ 9 ] (essai portant sur l’anticorps anti-CD28 TGN1412) et en France en 2016 [ 10 ] (essai du BIA 10-2474). Le volontaire sain peut également accepter de participer à des recherches comportant un certain niveau de risque plus ou moins connu, comme les challenges infectieux telles que décrites plus haut. Dans ce cas, le volontaire, exposé à des agents infectieux contre lesquels il n’existe pas de traitement, permettra d’évaluer de nouveaux vaccins ou traitements.

D’autres risques sont indépendants de la recherche elle-même mais sont liés au comportement du volontaire sain. Par exemple, le volontaire sain peut mettre sa santé en danger en dissimulant sa participation simultanée à plusieurs projets de recherche, s’exposant ainsi à des possibles incompatibilités pharmacologiques qui ne seront pas prises en compte lors de l’essai. Une participation simultanée à plusieurs essais ou à des essais trop rapprochés, peut, en outre, être à l’origine de données de sécurité ou de pharmacocinétique aberrantes. Certains volontaires sains hésitent également à signaler des effets secondaires, parfois sérieux, pour ne pas être exclus de l’essai et ainsi éviter de perdre le bénéfice de la compensation financière qui n’est accordée qu’aux participants allant jusqu’à la fin de l’essai. Ces comportements s’observent essentiellement dans les pays où aucun dispositif de contrôle n’existe.

Ce premier tour d’horizon des principaux défis et enjeux effectué grâce à VolREthics a permis de faire émerger plusieurs « lignes directrices » afin d’harmoniser les pratiques entre sites de recherche, et mieux protéger les volontaires sains. L’une d’elles concerne la mise en place de processus formalisés et transparents afin d’éviter une certaine « ubérisation » des recherches, faisant appel à des populations en situation de précarité, par exemple financière. La mise en place d’un registre des volontaires sains au niveau national ou, a minima , par site de recherche, a également été proposée. Plus généralement, les partenaires de VolREthics se sont accordés sur l’application d’une « logique des 4R » ( Respect, Reduce, Replace, Refine ) telle que suggérée par un des partenaires de VolREthics [ 11 ] afin de garantir le respect des volontaires, la réduction du recours à ces volontaires, leur substitution par un autre procédé lorsque cela est possible, et, enfin, l’optimisation des recherches garantissant le bien-être des volontaires sains.

Ainsi, l’initiative VolREthics a révélé l’importance de la contribution des volontaires sains, de leur vulnérabilité, pas toujours perceptible, ainsi que la nécessité de mettre en place une gouvernance internationale et des dispositifs de protection et de régulation qui puissent être déclinés au niveau de chaque nation.

La protection des volontaires sains en France

Depuis la loi n° 88-1138 du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, dite loi Huriet-Sérusclat, il existe en France une longue et riche histoire juridique de l’encadrement de la recherche médicale par le droit positif (c’est-à-dire l’ensemble des règles en vigueur au sein d’un État). L’objectif principal de cet encadrement juridique est de garantir le respect de la dignité humaine, d’interdire toute recherche à laquelle le sujet ne consentirait pas, mais aussi d’assurer la liberté de la recherche biomédicale et sa compétitivité.

En France, outre les outils juridiques internationaux (déclaration d’Helsinki, déclaration de Manille, convention d’Oviedo, règlement de l’Union européenne n° 536/2014, etc.), les pratiques sont encadrées par le code de la santé publique (CSP), dont l’article L.1121-1 ne prévoit aucune distinction quant aux recherches impliquant des volontaires malades ou des volontaires sains. Il dispose en effet que « Les recherches organisées et pratiquées sur l’être humain en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales sont autorisées dans les conditions prévues au présent livre et sont désignées ci-après par les termes ‘recherche impliquant la personne humaine’ ». Selon ce même article, chaque projet de recherche doit être soumis à des avis ou à des autorisations, en fonction du type de la recherche. Ces avis ou autorisations sont délivrés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (ANSM), à la suite d’une évaluation des projets réalisée par les comités de protection des personnes (CPP) [ 12 ] ( ).

(→) Voir le Repères de V. Rage-Andrieu et F. Hirsch, m/s n° 6-7, juin-juillet 2021, page 660

C’est ce qui permet d’assurer la sécurité des participants et de garantir la pertinence de la recherche. Il existe trois catégories de recherches impliquant la personne humaine : « les recherches interventionnelles qui comportent une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle ; les recherches interventionnelles qui ne comportent que des risques et des contraintes minimes, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, après avis du directeur général de l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ; les recherches non interventionnelles qui ne comportent aucun risque ni contrainte dans lesquelles tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle ». Pour chacune de ces recherches, les participants, qu’ils soient volontaires sains ou malades, doivent recevoir une information transparente sur l’étude et sur ses risques potentiels. Le consentement est lui aussi toujours requis, sous différentes formes en fonction des cas.

L’article L.1121-16 du CSP 4, précise que les volontaires sains qui participent à des études doivent être inscrits dans un fichier national, le VRB (volontaires pour la recherche biomédicale), une plateforme consacrée à l’enregistrement des volontaires sains. La France est ainsi l’un des rares pays dans le monde à disposer d’un tel fichier et donc à distinguer les « personnes qui ne présentent aucune affection et qui se prêtent volontairement à ces recherches » des autres participants à la recherche. Ce fichier permet ainsi de suivre les différentes participations des volontaires sains et d’évaluer les indemnités qu’ils perçoivent lors des essais. L’arrêté du 15 février 2023 relatif au montant maximal des indemnités en compensation pour contraintes subies qu’une personne peut percevoir au cours d’une même année pour sa participation à une recherche impliquant la personne humaine, un essai clinique, une investigation clinique ou une étude des performances, prévoit en effet dans son article 1 un plafond de 6 000 euros par an 5 . L’utilisation du registre et ce plafond de compensation permettent ainsi d’éviter la participation excessive de certains volontaires, réduisant ainsi les risques qu’ils peuvent encourir.

La protection des volontaires sains à travers le monde
Les travaux de l’initiative VolREthics ont permis d’appréhender les diverses pratiques relatives à la participation des volontaires sains dans plusieurs régions du monde, en Afrique sub-saharienne, en Asie, en Amérique du Nord, en Amérique latine et en Europe. Ainsi, il ressort de nos consultations que seuls la France, le Royaume-Uni et la Malaisie, et dans d’une façon plus limitée le Brésil, ont mis en place un registre national de volontaires sains, et que la France est le seul pays à avoir fixé un plafond maximum d’indemnités, tandis certains pays latino-américains interdisent toute rémunération mais autorisent une compensation sur justificatifs de frais.
L’Afrique sub-saharienne
En ce qui concerne l’Afrique sub-saharienne, plusieurs tensions éthiques relatives à l’implication des volontaires sains ont été identifiées. Ces tensions ne concernent pas l’ensemble des projets de recherche mais elles permettent de révéler certains problèmes auxquels les volontaires sains doivent faire face. Dans certains cas, par exemple, une pression peut être exercée sur la personne afin d’obtenir son consentement : le don de nourriture peut ainsi être utilisé comme incitation auprès des populations les plus pauvres afin qu’elles se portent volontaires. Certains volontaires sains ont également fait état que, souvent, les participants ne sont pas informés des résultats de la recherche, ou ne sont pas informés du devenir des données qui les concernent ou des échantillons biologiques qui leur ont été prélevés. L’absence de réglementation augmente ainsi les risques pour les volontaires, notamment celui de voir leurs droits bafoués.
L’Asie
Plusieurs points de vigilance ont été soulevés au cours du séminaire régional consacré à l’Asie. En Inde, par exemple, les volontaires sont incités financièrement à participer aux essais. Les recherches de bioéquivalence peuvent ainsi être une source de revenus représentant dix fois le salaire d’une journée de travail. Un groupe relayé par l’application WhatsApp , dénommé « Bloody money », regroupe d’ailleurs près de 250 volontaires prêts à participer à une recherche, et des annonces précisant le montant de la rémunération proposée [ 13 ] sont très régulièrement postées sur ce groupe. Des règles ont pourtant été édictées en 2019 afin d’améliorer la protection des volontaires sains et des patients, dont un guide concernant l’indemnisation des participants, mais ces règles n’étant pas contraignantes, elles n’ont pas permis de réguler les participations simultanées ou excessives des volontaires sains.

La Malaisie est le seul pays asiatique à posséder un registre national des volontaires sains à la recherche en santé (le NHRVR pour National Healthy Research Volunteer Register ). Géré par les autorités gouvernementales, il doit obligatoirement être utilisé par les promoteurs qui souhaitent soumettre leurs données à l’Agence nationale de réglementation pharmaceutique (NPRA). Comme la France et le Royaume-Uni, la Malaisie, par ce dispositif, assure dans une certaine mesure la protection des volontaires sains contre leur exploitation en évitant le risque de participations trop rapprochées.

L’Amérique du Nord
Plusieurs expériences ont été partagées lors du séminaire consacré à l’Amérique du Nord. Citons celle de ce chercheur qui s’est immergé durant 18 mois au sein d’un groupe de volontaires sains. Il rapporte que ces volontaires se décrivent eux-mêmes comme des « professional guinea pigs » [ 14 ], des cobayes professionnels. Ils estiment être considérés comme de simples corps et souhaiteraient être reconnus comme de réels « travailleurs ». Beaucoup estiment que l’exploitation qu’ils subissent dans le cadre des recherches cliniques fait partie intégrante des politiques capitalistes. Ni les États-Unis ni le Canada ne disposent d’une réglementation spécifique concernant la participation des volontaires sains aux recherches, ce qui explique les dérives rapportées par les participants. Certains intervenants ont alors évoqué une « ubérisation » des recherches. Il existe, par exemple, des « primes d’achèvement », en plus de la somme initialement prévue pour la participation à l’étude, qui ne sont accordées qu’à condition que le volontaire remplisse toutes les obligations liées à l’étude, du début à la fin (prélèvements biologiques, remplissage de questionnaires, ponctualité aux visites de contrôle, etc.). Il arrive parfois que certains participants omettent de rapporter certains effets indésirables, ou éléments importants, afin de percevoir cette prime, et de ne pas être exclus d’une éventuelle étude ultérieure, mettant ainsi en danger leur propre santé.
L’Amérique latine
Un quatrième séminaire s’est focalisé sur l’Amérique latine, où certains pays ont mis en place des réglementations relatives aux volontaires sains. En Colombie par exemple, la réglementation en vigueur interdit toute rémunération des volontaires sains (ils ne sont remboursés que des frais qu’ils ont engagés). C’est également le cas en Argentine, toutefois, une compensation peut leur être proposée lorsque l’étude dure un certain temps et les empêche de travailler. Au Brésil, la rémunération des volontaires sains est autorisée lorsque ceux-ci participent à des études de pharmacocinétique et à des essais de phase I. Un registre, appelé CNVB ( Cadastro Nacional de Voluntários em Estudos de Bioequivalencia ) ou registre national des volontaires pour les seules études de bioéquivalence, existe. Il est géré par le ministère de la santé brésilien (art. 2° III, RESOLUÇÃO RDC Nº 634, DE 24 DE MARÇO DE 2022) 6 . Les centres qui pratiquent des études de bioéquivalence/biodisponibilité ont l’obligation d’enregistrer les volontaires qui participent aux recherches qu’ils réalisent. Ils doivent également vérifier si le volontaire est déjà enregistré dans le registre, et si c’est le cas, ils doivent alors vérifier qu’un intervalle de six mois entre deux recherches est respecté. Cela permet de garantir une période minimum entre les études, et ainsi de protéger les volontaires.
L’Europe
Le séminaire consacré à certains pays européens a permis de déterminer les divergences qui existent dans leurs pratiques, en particulier, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Grèce, la Pologne et l’Ukraine. Dans beaucoup de ces pays, aucune réglementation ne distingue les volontaires sains des autres participants à la recherche.

En Allemagne, par exemple, il n’existe pas, contrairement à la France, de législation nationale concernant les recherches impliquant la personne humaine. On trouve néanmoins, au niveau régional des Länder, des réglementations relatives aux recherches impliquant des volontaires sains, mais elles ne s’appliquent qu’aux investigateurs et non aux promoteurs de la recherche. L’Allemagne ne dispose pas de registre national des volontaires sains. Il existe cependant des registres, qui sont gérés par des entreprises privées, dans le cadre de Contract Research Organisations (CRO), des compagnies qui apportent un support aux recherches, mais qui n’ont pas de caractère obligatoire. Certaines de ces compagnies exigent l’inscription des volontaires sains sur ces registres.

Le Royaume-Uni dispose, comme la France, d’un registre des volontaires sains permettant une importante protection. Néanmoins, comme aux États-Unis, les motivations premières des volontaires sont financières, car très souvent les participants aux études cliniques sont au chômage ou cumulent des emplois précaires. Le risque d’exploitation est donc lié à la pression financière que peuvent ressentir les participants [ 15 ].

En Ukraine, avant la guerre, il n’existait pas de dispositions spécifiques aux volontaires sains dans la législation nationale qui concerne les médicaments et les essais cliniques. Les risques potentiels d’exploitation des volontaires sains restent donc similaires à ceux d’autres parties du monde. Il n’existe pas non plus de méthode standardisée pour définir une juste compensation financière.

En Pologne, pays où sont réalisées de nombreuses études impliquant des volontaires sains, l’association GCP pl ( Polish Association for Good Clinical Practice ) et l’agence de la recherche médicale ( Medical Research Agency ou MHR) travaillent conjointement sur la rédaction de directives destinées à organiser les essais cliniques, mais celles-ci ne sont pas spécifiques aux volontaires sains. Une partie leur est néanmoins consacrée afin d’éviter toute pression liée à la compensation financière.

Recours aux volontaires sains et outils de protection : quels défis éthiques ?

De ce « tour du monde » du recours aux volontaires sains, de nombreuses questions et problèmes éthiques ont émergé. Ils ont montré l’importance d’instaurer une protection spécifique aux volontaires sains dans la législation applicable aux recherches biomédicales.

Les risques liés aux divergences des réglementations
Le fait que la catégorie « volontaires sains » et la catégorie « participants malades » ne soient pas différenciées au sein des textes internationaux rend assez peu perceptible la vulnérabilité particulière des volontaires sains. En effet, il arrive que certains volontaires sains soient sujets de pressions abusives, comme avec les incitations financières et les vulnérabilités socio-économiques, le non-respect du droit à l’information claire et complète, le non-respect du consentement libre et éclairé, etc. Il est donc important de mettre en place une réglementation spécifique gérant ces abus et des registres évitant les participations multiples et excessives, et donc la mise en danger des personnes (en sus de la perte de valeur scientifique de l’essai), d’autant plus lorsque le volontaire est issu d’un milieu défavorisé.

Parce que les réglementations divergent en fonction des régions du monde, parfois au sein du même pays, cela peut inciter les volontaires à se déplacer pour participer à des recherches dans des pays dans lesquels la réglementation est la plus souple. Cela a été montré aux États-Unis, où certains volontaires sains n’hésitent pas à voyager d’un État à l’autre selon les opportunités [ 16 ].

Les risques liés aux motivations des volontaires sains
Un point qui soulève des tensions éthiques particulières est celui des motivations premières des volontaires sains et les incitations inappropriées qui leurs sont proposées. La balance bénéfice/risque les concernant n’étant souvent pas favorable, les volontaires sains sont donc très souvent incités à participer aux recherches par les compensations financières. Ce point interroge fortement la dénomination de « volontaire » : est-on réellement volontaire lorsque, outre des motivations « sociétales » de bien commun ou de progrès scientifique, le besoin d’argent nous incite à participer à une recherche biomédicale ?

Selon la région du monde et de son système de santé, les volontaires participent souvent aux recherches soit afin de bénéficier d’une prise en charge médicale dont ils ont besoin, soit pour percevoir une somme d’argent. Définir le montant perçu par les volontaires lors de leur participation ainsi que les bénéfices médicaux qu’ils peuvent en retirer, nécessite une réflexion qu’il est important d’avoir afin d’éviter tout risque d’exploitation lié à la condition socio-économique de la personne volontaire.

Différentes méthodes de compensation financière pour la participation de volontaires sains à la recherche ont été décrites dans la littérature. Cette allocation peut en effet être envisagée comme un salaire, comme en Pologne. La participation du volontaire sain est alors considérée comme un travail rémunéré. Cette somme peut également être envisagée comme une indemnisation, par exemple des frais engagés pour participer à la recherche. Elle peut aussi être envisagée selon le modèle dit d’appréciation, qui encourage l’altruisme de la personne volontaire (avec une récompense). Enfin, le versement de la somme peut être envisagé sur le modèle du « marché » : le montant sera déterminé par l’offre et la demande [ 17 ]. Dans ce cas il s’agira d’une incitation à participer à la recherche. Différentes méthodes sont discutées mais aucun modèle n’est à ce jour privilégié pour trouver le juste équilibre entre indemnisation et incitation. La question financière doit en effet s’intégrer de façon plus globale au contexte local particulier de protection du volontaire sain.

Les risques liés à la santé des volontaires sains et à la validité scientifique des études
Partout dans le monde se pose, encore, la question du recueil du consentement des participants à une étude ainsi que de leur information, de la bonne façon d’expliquer les risques et les bénéfices d’une étude, en termes compréhensibles par des personnes dont les niveaux d’éducation et de motivations sont variables. On peut également s’interroger sur les risques causés par la participation excessive ou simultanée de volontaires à plusieurs études. Ces considérations qui sont d’ordre éthique, sont également importantes à considérer du point de vue scientifique : les volontaires encourant des risques, mais aussi compromettant la validité des résultats des recherches auxquelles ils ont participé. La généralisation des registres comme nous les voyons déjà dans certains pays semble s’imposer.

Ce « tour du monde » des réglementations et des pratiques en matière de recours aux volontaires sains pour la recherche a donc révélé l’importance de renforcer la protection de ces volontaires et d’adapter les outils législatifs et réglementaires afin de garantir une recherche intègre et protectrice de tous ces acteurs. C’est cette tâche que s’est assignée le comité d’éthique de l’Inserm au travers de l’initiative internationale VolREthics.

Les perspectives

L’initiative VolREthics a organisé, avec plusieurs partenaires, dont la Commission européenne, une réunion internationale qui s’est déroulée à Bruxelles en avril 2023. De nombreux experts issus des quatre coins du monde, identifiés au cours des séminaires régionaux, se sont retrouvés pour échanger sur la place des volontaires sains dans la recherche et pour discuter des suites à donner à l’initiative. Plusieurs groupes de travail ont été mis en place, dans l’objectif d’élaborer un « Code de conduite » international, et d’établir des recommandations pour la protection des volontaires sains dans la recherche biomédicale.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
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