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Med Sci (Paris). 39(10): 719–721.
doi: 10.1051/medsci/2023121.

Bioacoustique des plantes
Des Mozart en herbe ?

Paul Avan1*

1Institut de l’audition, Institut Pasteur , Paris , France
Corresponding author.

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Naguère anecdotique, la phytoacoustique suscite un intérêt nouveau face aux trois défis de l’agriculture mondiale : l’augmentation des besoins, la sécheresse, les méfaits des pesticides. Les végétaux répondent au stress par la synthèse d’innombrables composés chimiques, certains stockés dans les feuilles, qui dissuadent les prédateurs, d’autres volatils, qui alertent les plantes voisines. Par leurs vertus médicinales, ils nourrissent notre pharmacopée. Mais les plantes sauraient-elles mettre leur stress (notamment hydrique) en musique et nous chanter en chÅ“ur des chansons (à boire) : en somme, des Mozart en herbe ? En tout cas, dans un article récent, Itzhak Khait et des collègues démontrent que certaines plantes privées d’eau ou agressées mécaniquement émettent des ultrasons brefs capables, en se propageant dans l’air, de transmettre de l’information à une distance respectable [ 1 ]. De l’information ou du simple bruit ? Les auteurs ont entraîné un réseau de neurones à traduire ces cliquetis en des messages clairs et précis : « je suis un plant de tomate – ou de tabac –, et j’ai soif – ou on m’a coupé – ».

Le contexte scientifique est ancien. On sait, depuis les années 1960, que les plantes soumises à un stress hydrique émettent des vibrations détectables au moyen de capteurs placés directement au contact de leur xylème 1 , sous l’écorce. L’explication classique en est la cavitation, c’est-à-dire la formation de microtubules au sein des vaisseaux qui permettent à la sève de circuler dans le xylème ( Figure 1a ). La cavitation facilitée par la transpiration de la plante est source d’ondes de choc qui engendrent des cliquetis ultrasonores ( Figure 1b, c ). Par ailleurs, elle entrave la circulation de la sève, ce qui aggrave le dessèchement des feuilles. Ce contexte pourrait sembler banal, car après tout, une bûche crépite en brûlant dans une cheminée, et pour autant, on ne peut qualifier ce bruit de message émis par l’arbre dont la bûche est issue. Mais un élément de dramatisation a été apporté par l’hypothèse hardie selon laquelle les plantes peuvent non seulement émettre, mais aussi recevoir des informations sonores et y répondre de manière adaptée. Ainsi, les racines d’une plante poussent-elles en direction d’une source sonore souterraine imitant le bruit d’un courant d’eau [ 2 ]. Khait et ses collègues n’abordent pas cet angle de réflexion dans leur article de 2023, mais ils ont auparavant beaucoup contribué à l’hypothèse d’une capacité de perception sonore en botanique [ 3 , 4 ].

Khait et ses collègues commencent par enregistrer, au moyen d’un réseau de microphones ultrasonores, des plants de deux espèces, tomates et tabac, stressés soit par la privation d’eau, soit par un traumatisme mécanique. À la différence des expériences passées, les microphones sont placés dans l’air à côté d’un plant, à 10 cm de la tige. Alors que les plants témoins sont silencieux, le plant stressé émet périodiquement des sons très brefs : une fois toutes les quelques minutes. Le niveau crête de l’onde de pression sonore est compris entre 60 et 70 décibels, l’échelle de décibels ayant pour référence 0 le seuil auditif d’un mammifère dans son intervalle de fréquences de meilleure sensibilité (en unités physiques, une pression acoustique de 20 micropascals) ( Figure 1c ). Pour comparaison, le niveau d’une conversation humaine à voix calme est de 60 décibels. Il faut cependant nuancer l’interprétation de ce résultat : un son extrêmement bref, comme l’est le cliquetis d’une plante, n’est pas perçu comme aussi fort qu’un son continu de même niveau (perçu … par un être doté de perception, bien sûr !). Autrement dit, un clic de 70 décibels « sonnerait » pour une souris comme le cri d’une congénère à 30 décibels. Il n’en reste pas moins que les auteurs modélisent une détection possible par des insectes ou des souris situés à une distance de 3 à 5 m de la plante. Autre nuance, la souris qui voudrait profiter de l’état de faiblesse de la plante va devoir être patiente, car la tomate n’est pas bavarde : en situation de grande détresse hydrique, six clics par heure… «  je meurs de soi f », dit le plant de tomate, «  qui m’appelle, je n’ai pas compris  ? » répond la souris. Pour avoir la réponse, elle va devoir, c’est le cas de le dire, poireauter dix minutes, le temps que se forme la prochaine bulle de sève… L’avantage du cri de la plante par rapport à l’émission de produits volatils, qui est sa propagation quasi instantanée, s’en trouve un peu amoindri !

Les caractéristiques sonores des cliquetis sont liées à la géométrie, et notamment au diamètre des vaisseaux du xylème qui conduisent la sève, dans la tige agressée. D’où la réponse des auteurs à une deuxième question : le bruit émis étant spécifique d’un végétal, peut-on en détecter le stress dans un milieu où existent de nombreux autres bruits ? Les auteurs commencent par entraîner un réseau de neurones au moyen de sons émis en laboratoire par des plants de tomate en stress hydrique et de sons présents dans une serre vide. Le réseau entraîné est alors appelé à analyser les sons dans une serre qui contient des plants de tomate plus ou moins hydratés, et ses performances sont analysées. Pour près de 84 % des sons, le réseau neuronal modélisé diagnostique bien la situation : un bruit anodin ou un plant qui a soif ( Figure 1e, f ). Les sons émis véhiculent donc une vraie information, dont une étude pilote sur quelques autres végétaux confirme la qualité. Mais quels en sont les destinataires ? D’abord, l’arrosage pourrait être automatiquement ajusté aux besoins de la plante à partir de capteurs sonores, ce qui permettrait un excellent équilibre entre la nécessaire économie d’eau et le rendement agricole en tenant compte des rythmes circadiens et de leurs liens avec l’état des plants, que l’acoustique du stress met en évidence.

Dans une direction plus provocatrice, Khait et ses collègues évoquent les animaux du voisinage, souris ou papillons, intéressés à consommer les plants ou à les utiliser pour une ponte lorsqu’ils sont à point ( Figure 1e, f ). La gamme auditive ultrasonore de ces animaux correspond bien à la gamme de fréquences des sons émis par les plants ( Figure 1d ). Pour les petits rongeurs, c’est bien connu, pour les insectes un peu moins… Beaucoup d’entre eux ont développé des organes auditifs qui, pour être anatomiquement très différents de ceux des mammifères, n’en partagent pas moins les grands principes de fonctionnement [ 5 ]. Les moustiques hébergent leur organe de perception sonore, l’organe de Johnston, dans les antennes, ce qui les met hors-jeu pour les plantes, car leur sensibilité est cantonnée aux sons de basse fréquence. Mais criquets ou papillons ont des « oreilles » ultrasonores, situées sur l’abdomen ou les tibias. Les papillons entendent très bien les sonars des chauves-souris, au point d’avoir développé des stratégies d’esquive de leurs attaques, comme celle de se laisser tomber « en feuille morte ». La pression de sélection pour parvenir à ces performances est évidente, et les dispositifs mécanosensibles qui permettent l’audition chez les insectes possèdent des propriétés amplificatrices remarquables, qui accroissent leur sensibilité. L’amplification vient de ce que les assemblages protéiques vibrants peuvent restituer plus d’énergie qu’ils n’en reçoivent de l’onde sonore, lorsque sa fréquence et leur fréquence propre sont accordées. On estime que l’origine de ce mécanisme, qui atteint un sommet chez les mammifères (l’amplification y atteignant un facteur un million), remonte aux ancêtres de l’anémone de mer, à partir de molécules (comme la cadherin-23-like ) qui actionnent non pas leurs cellules auditives, car ils n’en possèdent pas, mais leurs nématocystes, leurs cellules urticantes [ 6 ] ( ).

(→) Voir la Synthèse de A.R. Amiel et al ., m/s n° 2, février 2021, page 167

Des mécanismes auditifs ont évolué des anémones de mer aux insectes et aux mammifères, alors pourquoi pas chez les plantes [ 7 ] ? Il a été montré précédemment que des végétaux peuvent répondre rapidement à certains sons transmis par voie aérienne, en modifiant leur expression génique ou en accroissant la concentration de leur nectar en sucre qui attire les insectes pollinisateurs [ 3 ]. Les hypothèses adaptatives qui en découlent sont cependant controversées [ 8 ]. Comment des plantes dépourvues de neurones et d’organe récepteur actif pourraient-elles recevoir, puis exploiter, l’information acoustique ? Il y a des pistes pour démontrer que certains éléments cellulaires d’ Arabidopsis thaliana , une espèce végétale favorite des botanistes moléculaires, possèdent des structures mécaniquement actives qui détectent les vibrations induites par des insectes et déclenchent des réponses calciques capables d’influencer le métabolisme de la plante [ 7 , 9 ]. Sans attendre d’en savoir plus sur une éventuelle « audition » végétale, des sons ont déjà été utilisés, selon plusieurs modes d’emploi basiques, pour promouvoir la croissance des plantes [ 4 ]. Il s’agit de sons très simples, sans tentative d’imitation d’un scénario naturel, joués continument pendant des heures et des jours. Les effets observés ont trait à la germination, au murissement, à des changements d’activités hormonales ou enzymatiques.

Le côté sensationnel de plantes qui parleraient [ 10 ] et qui écouteraient, donc pourquoi pas, qui discuteraient, est peut-être une séquelle de l’anthropocentrisme qui a longtemps parasité la physiologie sensorielle. Mais qui est disposé à croire que moissonner son champ assassine des Mozart par milliers ? Il n’est cependant pas inutile de rappeler qu’au XIX siècle, on ridiculisait ceux qui prétendaient que les chauves-souris « voyaient » avec leurs oreilles, et qu’il a fallu attendre 1944 et Donald Griffin pour que l’écholocalisation acoustique acquière le statut de sujet scientifique [ 11 ]. Il y avait urgence : l’écholocalisation par ondes radar a fait gagner la Deuxième Guerre mondiale. La compréhension de la bioacoustique des végétaux pourrait bien apporter une réponse à une nouvelle urgence vitale, climatique et démographique : où va l’agriculture avec la pénurie d’eau qui s’installe, et comment optimiser les nécessaires récoltes sans inonder les nappes résiduelles de pesticides ?

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
2 Le xylème ou tissu xylémique, est un constituant des tissus végétaux formé de l’association de vaisseaux, de cellules mortes ou vivantes de soutien et de cellules associées.
References
1.
Khait I , Lewin-Epstein O , Sharon R , et al . Sounds emitted by plants under stress are airborne and informative. . Cell. 2023; ; 186 : :1328. – 36 e10 .
2.
Gagliano M , Mancuso S , Robert D . Towards understanding plant bioacoustics. . Trends Plant Sci. 2012; ; 17 : :323. – 325 .
3.
Veits M , Khait I , Obolski U , et al. Flowers respond to pollinator sound within minutes by increasing nectar sugar concentration. . Ecol Lett. 2019; ; 22 : :1483. – 1492 .
4.
Khait I , Obolski U , Yovel Y , Hadany L . Sound perception in plants. . Semin Cell Dev Biol. 2019; ; 92 : :134. – 138 .
5.
Gopfert MC , Hennig RM . Hearing in insects. . Annu Rev Entomol. 2016; ; 61 : :257. – 276 .
6.
Amiel AR , Michel V , Carvalho JE , et al . L’anémone de mer Nematostella vectensis, un modèle émergent pour la recherche biomédicale : mécano-sensibilité, régénération et longévité. . Med Sci (Paris). 2021; ; 37 : :167. – 77 .
7.
Telewski FW . A unified hypothesis of mechanoperception in plants. . Am J Bot. 2006; ; 93 : :1466. – 1476 .
8.
Pyke GH , Ren ZX , Trunschke J , et al . Changes in floral nectar are unlikely adaptive responses to pollinator flight sound. . Ecol Lett. 2020; ; 23 : :1421. – 2 .
9.
Zhou LH , Liu SB , Wang PF , et al. The Arabidopsis trichome is an active mechanosensory switch. . Plant Cell Environ. 2017; ; 40 : :611. – 621 .
10.
Hussain M , Khashi URM , Mishra RC , Van Der Straeten D . Plants can talk: a new era in plant acoustics. . Trends Plant Sci. 2023 ; :S1360. –85(23)00205–4.
11.
Griffin DR . Echolocation by blind men, bats and radar. . Science. 1944; ; 100 : :589. – 590 .