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Med Sci (Paris). 39(10): 695–696.
doi: 10.1051/medsci/2023142.

One Health , un objet et un horizon de la santé

Amandine Gautier1*

1Amandine Gautier Politiste Triangle UMR 5206 École nationale des services vétérinaires (ENSV) France vétérinaire international (FVI) VetAgro Sup École nationale des services vétérinaires , 1 avenue Claude Bourgelat69280Marcy l’Étoile , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Une seule santé

 

Le concept One Health est d’abord le fruit d’injonctions émanant des organisations internationales. Il a même été un instrument de pacification entre celles-ci autour de la gestion d’une crise sanitaire globale. La question de la propriété des problèmes de la santé publique par les groupes sociaux et professionnels est au cœur de la diffusion large du concept : qui des professionnels de la santé humaine, de la santé animale, de la connaissance des écosystèmes sont les plus légitimes pour prendre en charge la santé ?

Les problèmes de santé publique sont en inflation et surtout en mutation. Face à cela, les politiques mutent également. De réelles coordinations entre les acteurs de la santé humaine et ceux de la santé animale, et, quoique plus discrètement, ceux de la connaissance des écosystèmes, témoignent de la prise en compte croissante des trois piliers de One Health dans la santé publique. À l’enjeu mondial et majeur de santé publique que représente l’antibiorésistance correspondent désormais des réponses relativement coordonnées en termes de politiques publiques en France. Dans le cas des maladies infectieuses impliquant la faune sauvage, les politiques publiques ont aussi été contraintes de muter. Les espèces animales, sauvages, se sont invitées dans le débat. C’est ainsi que ladite crise du bouquetin du Bargy s’est faite révélatrice de certaines limites d’une politique de santé publique qui ne prenait pas en compte l’écologie des populations d’animaux sauvages concernés et de la nécessité d’un élargissement des voix qui comptent pour la gestion d’une zoonose [ 1 ] ( ).

(→) Voir la Synthèse de S. Lambert et al ., page 722 de ce numéro

Le mot d’ordre One Health a élargi son audience après le déclenchement de la crise de la pandémie de Covid-19. La crise a rendu nécessaire la création d’un nouvel état de stabilité autour des questions de la santé publique, traduisant une transformation globale de la conception et de la prise en charge de la santé qui annihile toute possibilité d’un retour à l’équilibre antérieur. Les évolutions du « global » ne sont plus discutées et leurs impacts sur la santé sont de plus en plus documentés. Ce contexte particulier a constitué une fenêtre d’opportunité pour des intérêts de groupes distincts, qui ont en commun de ne pas être issus du monde de la santé humaine. Son message entend être de nature à répondre aux carences identifiées de la santé publique : d’une part, une vision trop biologique et épidémiologique, et pas suffisamment sociale et politique ; d’autre part, une gestion qui se concentre sur le contrôle de la circulation du virus et en néglige les causes. Cela n’empêche qu’en termes d’économies morales, la mobilisation du concept One Health se fait sans aucun doute le témoin des hiérarchies actuellement en cours entre la santé des humains et la santé des animaux, des végétaux, de la planète, dont les humains se trouvent d’ailleurs paradoxalement mis à distance.

Au-delà, le succès du concept se fait surtout sans doute le témoin d’une quête de collectif que nous partageons tous. Aussi One Health désigne-t-il un concept aussi bien qu’une approche. Mais sa mise en œuvre est nécessairement paradoxale, faite de confrontations. Enclencher une action One Health demande ainsi de s’intéresser aux mécanismes de la négociation. Comment frayer un compromis entre des acteurs ne partageant ni le même vocabulaire, ni les mêmes valeurs, ni les mêmes intérêts ? Nombreux sont les obstacles, et également, bien sûr, les ressources dans cette entreprise [nous les détaillons dans le module en ligne proposé aux étudiants/étudiantes des facultés de médecine françaises et intitulé Médecine et santé environnementale ] 1 . Car la créativité nécessaire à cette démarche One Health porteuse de sens et d’espoir pour la santé publique aujourd’hui - secteur largement délaissé et trop peu valorisé -, ne doit pas être aveugle aux obstacles réels dressés contre la mise en œuvre concrète de cette démarche. Il ne suffit pas de décréter une action ou une politique publique comme One Health ; il faut prendre en compte différents éléments politiques, sociaux, économiques et culturels. A titre d’exemple, les tenants de l’approche One Health s’accordent tous sur la nécessité d’approches collaboratives, de même que les appels à l’interdisciplinarité sont légion. Cependant, la collaboration est loin d’être quelque chose de spontané et exige un haut niveau de régulation sociale : décider d’un objectif commun, laisser les acteurs exprimer des conflits, identifier des solutions bien qu’ils ne disposent ni des mêmes ressources ni de la même autorité, etc. Si c’est à cet enjeu démocratique qu’une approche One Health nous invite, y compris concernant l’évaluation des politiques de santé, l’efficacité des politiques publiques est rarement évaluée au plan global, c’est-à-dire en prenant en compte leurs conséquences économiques, sociales, sanitaires, environnementales, éthiques.

Si l’on comprend l’opportunité que représente One Health pour les politiques publiques et leurs effets d’apprentissage entre différents secteurs, on peut aussi mesurer l’opportunité pour les professions organisées par qui les changements surviennent. Au carrefour d’injonctions et de projets sociaux contradictoires, la mise en pratique de One Health ne peut être que paradoxale. One Health constitue à ce titre une opportunité pour repenser les valeurs de la santé publique, en questionnant les expertises qui la fondent et la mise en débat des priorités de santé publique. Le défi lié à la santé publique aujourd’hui est bien en effet celui du rôle des expertises qui la fondent, qu’on doit associer à la question démocratique. Cette démocratie sanitaire implique la transparence et la mise en débat des priorités de santé publique ; elle revient aussi à considérer l’éthique des interventions en santé. La démarche One Health , en mettant en évidence ce continuum entre les trois aspects de la santé globale, questionne aussi ses conflits et ses ordres de grandeur.

Nous abordons cette question éthique avec les auditeurs/auditrices de nos formations qui recherchent des espaces de réflexivité sur leurs pratiques. Dans le sillage du tournant empirique en éthique, nous tentons d’articuler recherche empirique et réflexion sur les valeurs et les normes de santé publique à partir de situations concrètes décrites par les participants à nos formations « One Health en pratiques 2 » dans le cadre de « focus groupes ». Notre approche, nourrie par les outils des sciences humaines et sociales, ne part pas d’une réflexion sur les valeurs mais de situations concrètes proposées par les auditeurs/auditrices, en les articulant avec des éléments du travail, de l’organisation, des enjeux professionnels, de prescriptions politiques, de contraintes économiques, etc. L’analyse collective des situations de terrain, de dilemmes en santé publique, permet d’appréhender les variations selon les contextes et ainsi de préciser les valeurs qui fondent les pratiques (reposant sur les sciences) de la santé publique. En rendant compte de façon circonstanciée de certaines tensions éthiques qui les traversent, nous interrogeons les rôles des auditeurs/auditrices, souvent praticiens/praticiennes de santé, acteurs/actrices de la gestion sanitaire, vétérinaires, pour penser l’éthique en santé publique dans l’expérience, en lien avec des données sociologiques, politiques et économiques, mais aussi pour comprendre les conflits de valeurs dans le monde de la santé publique, et contribuer à améliorer in fine leurs pratiques.

One Health pourrait désigner à ce titre le paradigme de la complexité dont les professionnels – et plus largement la société – ont aujourd’hui besoin. Plutôt que se tromper à vouloir saisir la totalité, l’approche One Health propose une pensée ouverte, globale et complexe, une invitation à penser global en considérant l’humain dans sa nature biologique, sociale et anthropologique et la santé comme un enjeu éminemment politique.

Liens d’intérêt

L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
References
1.
Lambert S , Thébault A , Anselme-Martin S , et al . La brucellose du bouquetin des Alpes : un exemple de dix années de recherche et d’expertise. . Med Sci (Paris) . 2023; ; 39 : :722. – 31 .
Pour en savoir plus
  • Gardon S , Gautier A , Le Naour G , Morand S (dir.). Sortir des crises. One Health en pratiques. , Versailles: : Quae; , 2022 .
  • Gardon S , Gautier A , Le Naour G . La Santé globale au prisme de l’analyse des politiques publiques. . Versailles: : Quae; , 2020 .
  • Gautier A , Déprés C , Gardon S , Pinasseau M . La biodiversité en quête de santé. De nouvelles justifications pour protéger la nature . , Paris: : L’Harmattan; , 2020 .
  • Morin E . Introduction à la pensée complexe . . Paris: : Points; , 2014 .