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Med Sci (Paris). 39(4): 311–312.
doi: 10.1051/medsci/2023064.

Génome et ses données : entre science et soins

Stanislas Lyonnet1,2*

1Institut Imagine, IHU, Université Paris Cité et Inserm (UMR1163) , Paris , France
2Service de médecine génomique des maladies rares Hôpital, Necker-Enfants malades, AP-HP , Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Génomique, Génome

 

Quelle bonne question pour médecine/sciences : en quoi la séquence du génome d'une personne atteinte de maladie génétique ou de cancer est-elle à la fois un acte diagnostique et de recherche ?

La France a mis ce test global au premier rang des actes médicaux de génétique. Revenons en 2016, à la naissance du Plan France Médecine Génomique (PFGM2025), conçu par la présidence de l'Inserm comme une stratégie innovante de soins, et critiqué illico par des établissements de santé y jugeant insuffisante la place de la recherche ! Passé le paradoxe, soulignons l'incroyable réussite des mesures prévues et, notamment, la création de deux plateformes nationales de séquençage, SeqOIA à Paris, AURAGEN à Lyon. Autre mesure phare, 4 projets pilotes nationaux, explorant nos capacités à produire, analyser, générer des résultats et les restituer dans des domaines clés : cancer (sarcomes, cancers du côlon, Multiply ), maladies rares (déficience intellectuelle, DefiDiag ), maladies communes (diabète de type 2, Glucogen ). S'y joint une étude de génétique des populations (génomes, variants et leurs stratifications selon les origines ethniques, Popgen ). L'ensemble a pu s'adosser à un Centre National de Recherche en Génomique Humaine (CNRGH) refondé, qui y a contribué par sa stratégie et ses capacités de séquençage. Dans ce concert, PFMG2025 et CNRGH, la génomique humaine française a retrouvé le rang qu'elle avait abandonné au début des années 2010. Dernière pièce de l'édifice : le Collecteur analyseur de données (CAD), créé tout récemment, nous y reviendrons.

Quelques années plus tard, de nombreux indices de réussite sont là :

- Déploiement à haut régime des plateformes : automatisation, rapidité, reproductibilité, qualité, mais aussi efforts méthodologiques et logiciels d'analyse en profondeur.

- Adhésion du corps médical avec 15 765 dossiers ouverts, en augmentation de 33 % en 2022. Ces prescriptions concernent pour 18 % la cancérologie (génome tumoral, RNA-seq, confrontés au génome constitutionnel), pour 84 % les maladies rares et l'oncogénétique (génomes en “trio” : patient et ses parents). La croissance des tests est linéaire au fil des pré-indications, domaines où il semble pertinent d'utiliser la stratégie de génome de première intention, plutôt que d'autres approches (gènes candidats, panels de gènes, exomes) restées légitimes dès lors que le rapport entre efficacité diagnostique et investissement reste élevé. Aujourd'hui, 62 indications ont été retenues en maladies rares et oncogénétique, et bientôt 11 en cancérologie.

- Résultats très solides en élucidation diagnostique et n'est-ce pas l'essentiel ? Entre 30 et 35 %, toutes pré-indications confondues ; parfois près de 70 % dans certaines maladies génétiques d'organes (rein, œil), avec l'espoir de dépasser 50 % pour le projet DefiDiag , parti de si bas et dans un domaine si sensible et prévalent.

- Remarquable action fédératrice avec des centaines de réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) mobilisées ou créées. Car c'est là que se joue la crédibilité de l'acte génomique, par la maîtrise de sa prescription et de son interprétation, reposant toutes deux sur l'analyse de corrélations clinico-biologiques, entre phénotypes et génotypes. S'y retrouvent cliniciens des disciplines concernées, généticiens, biologistes moléculaires, bio-informaticiens et nouveaux métiers auxquels le Plan a offert un exceptionnel terrain d'exercice : assistants de parcours génomique, conseillers en génétique, bio-informaticiens cliniques, infirmiers spécialisés.

C'est à ces RCP que revient le discernement de la bonne indication d'une étude de génome. C'est là que les biologistes interprétateurs, des centaines aujourd'hui en France, sélectionnent, dans le flot de variants repérés, les altérations considérées comme pathogènes (classe 5), probablement pathogènes (4) ou bénignes (1 et 2). Entre ces classes, se trouvent les variants de signification incertaine (3), dont l'annotation est aujourd'hui l'une des tâches les plus impérieuses de la génétique médicale. En effet, quand s'effondrent le coût de la séquence d'un génome (bientôt 450 €) et sa durée de production (24 heures), ce qui croît aujourd'hui, plus encore que les diagnostics, c'est le poids de l'incertitude ! C'est dire l'importance de l'analyse des données, de la bio-informatique et de l'intelligence artificielle, des tests fonctionnels, bref de l'adossement à la recherche.

Aujourd'hui, cette stratégie se trouve face à plusieurs défis. Le premier est de maintenir la qualité et la parcimonie des indications, ne glissant pas vers une médecine “ genome first ” déconnectée de la clinique, des patients, et d'un véritable consentement fondé sur l'information. Dialogue entre utilité et acceptabilité : l'utilité clinique devant prévaloir, mais aussi acceptabilité pour des personnes et une société pour lesquelles des tests génétiques représentent souvent un mirage, voire une irruption dans l'intimité du roman familial.

Le second est l'ouverture de ces approches à d'autres domaines. On songe au diagnostic préconceptionnel, dépistage chez des personnes en bonne santé de l'hétérozygotie pour des maladies autosomiques récessives ou l'hémizygotie pour des maladies liées à l'X ; c'est-à-dire des couples souhaitant être informés ou éviter la naissance d'un premier enfant atteint d'une maladie héréditaire grave. Rejeté lors de la révision des lois de bioéthique, il faut certainement avancer en ce sens, mais toujours sur les bases de l'accompagnement clinique et du conseil, de l'accès généralisé mais libre, évitant une “stratégie nationale de dépistage systématique”, souvent ressentie comme obligatoire, et se prêtant alors à la critique facile de l'eugénisme. Autre horizon, le dépistage néonatal, aujourd'hui restreint en France à 13 maladies mais fondé sur des tests non génétiques. Nos voisins d'Outre-Manche ont déjà enclenché une stratégie de séquence de génome de tout nouveau-né pour le dépistage, mais dont les paliers variés de lecture pourraient être ouverts au fil de la vie, étudiés à façon et le moment venu. Transgression ? Oui, mais il est important d'y réfléchir car cela permettrait d'augmenter le nombre des maladies dépistées, c'est-à-dire le bénéfice direct pour des nouveau-nés dès lors qu'existent des mesures utiles avant l'apparition des symptômes, fondement du dépistage. Et l'arrivée de traitements, notamment celle des thérapies géniques, montre qu'il nous faut bouger sur ce terrain. Extension à des diagnostics d'urgence de la période périnatale, ou encore en oncologie, quand la mise en place d'un traitement ayant une cible moléculaire est un urgent impératif. Et sans parler du diagnostic prénatal où il serait temps de constater que les pratiques s'y sont déjà engagées et qu'il suffirait de les accompagner en étendant à ce domaine des pré-indications déjà établies.

Et il y a bien d'autres défis, techniques notamment, par exemple en ce qui concerne les analyses de longs fragments d'ADN ( long-read ) dont l'étude recèle une claire augmentation du taux d'élucidation des diagnostics dans des maladies génétiques rares.

Défi économique enfin, car si cette stratégie a la suave apparence de la gratuité, elle a un incontestable coût, à confronter aux économies d'échelle qu'elle permet en dépenses de santé. En quoi cet investissement majeur de la Nation épargne du temps, réduit l'errance diagnostique, évite un nombre incalculable d'actes ? Il faut le mesurer, comme le bénéfice sur les réseaux de soins et parcours patients qui en sont profondément modifiés. C'est dire l'importance d'un regard par des sciences humaines et sociales du meilleur niveau, conduites sur le terrain avec les généticiens, les patients et leurs associations.

Restent deux domaines, intriqués, au tournant desquels se trouve cette action nationale et qui nous ramènent à la question initiale : médecine ou science ?

D'abord celui de la recherche fondée sur les données de séquençage des individus, qu'il y ait eu ou non un diagnostic. Dans les deux cas, les seconds regards doivent se dérouler au fil du temps et des connaissances (nouveaux gènes ou classes de gènes, régions non codantes, petites anomalies de structure, modificateurs). La lecture en recherche des données d'exomes puis de génomes a été un fantastique moteur d'identification de gènes et de nouveaux syndromes pour les maladies monogéniques ces 12 dernières années. Il faut donc que ces relectures se fassent ainsi, à l'échelle des RCP qui ont inclus ces patients, seules à pouvoir confronter des variants génomiques avec des données cliniques et des savoirs scientifiques. C'est ici un plaidoyer fort pour l'accès aux données des établissements hospitaliers qui les ont sollicitées mais en proximité de laboratoires de recherche. C'est là, et là uniquement, que le dialogue s'établira entre médecins et scientifiques, quels que soient leurs universités, organismes, ou instituts de recherche. C'est là que de nouveaux mécanismes de pathologie moléculaire vont voir le jour : désordres de domaines génomiques, variations régulatrices, choix de codons synonymes, altérations profondes des introns, alternances d'épissage, utilisations des signaux canoniques de transcription ou de traduction. C'est là enfin, médecine et science intimement liées, que de nouveaux horizons vont s'ouvrir par corrélation entre génomes séquencés et autres approches : transcriptome, marques épigénétiques, analyses en cellule unique. Il faut absolument ouvrir ces accès aux données de génomes pour fertiliser un tissu médical et scientifique, acquis à cette démarche nationale et qui, légitimement, en attend aussi un retour en connaissances. Il s'agit toujours ici de progresser pour un patient vers le diagnostic et l'identification d'une cible thérapeutique, de mieux connaître une maladie, son histoire naturelle comme son architecture génétique et ses bases moléculaires. Au fond, dans le continuum prôné par le Plan, il est ici encore question de soins, mais avec le concours de chercheurs et au plus grand bénéfice des patients ; c'est peut-être une recherche, oui, mais de diagnostics !

Vient alors la question des données elles-mêmes, de leur statut et du CAD. Celui-là permettra de répondre à des questions complémentaires et à tout autre échelle : études collaboratives nationales ou transfrontalières (les thèmes des maladies rares et des grandes séries de cancers se distinguant peut-être ici), stratification selon les populations, modèles complexes d'hérédité, meilleure contribution des données françaises dans les bases internationales ( e.g. ClinVar), développements d'une meilleure annotation génomique. Les deux niveaux d'accès, proximité en soins et recherche transversale (CAD), peuvent et doivent coexister pour éviter trois fléaux : inutilité clinique, interprétations erronées, non utilisation des données, tout aussi coupable éthiquement qu'une mauvaise utilisation. Dire cela, c'est aussi faire le vœu d'un alignement de deux Plans essentiels pour la France, PFMG2025 et le tout prochain Plan National Maladies Rares 4.

Le bénéfice immense de la stratégie nationale a remis la France dans le peloton de tête des pays impliqués dans le décryptage et l'annotation des génomes humains, en compétition tout comme en collaboration, avec des effets bien au-delà de la santé, vers l'industrie, l'innovation, l'économie et la souveraineté nationale. Les bénéfices sont immenses et, malgré quelques combats d'arrière-garde à sa naissance, elle recueille aujourd'hui un consensus médico-scientifique. Mais le tournant vers l'utilisation et l'accès aux données est décisif. Il sera rapidement jugé sur ses deux échelles, de proximité et nationale, sur une politique de publication reflétant ces deux contextes et ne ralentissant ni l'un ni l'autre, sur la transparence de sélection des projets soumis au CAD, et sur l'ouverture rapide de certains domaines (circuit rapide néonatal, prénatal, réflexions sur le dépistage et le diagnostic préconceptionnel).

Réaffirmons là comme ailleurs la préséance du dialogue humain et médical à la racine de la prescription de tests génétiques, condition du discernement comme de l'utilité et de l'acceptabilité. Et soyons enfin prudents devant l'engouement de certains pour une très chimérique “science ouverte” qui risque d'assécher la production de nos laboratoires de recherche, de déconnecter patients, prescripteurs et chercheurs, et de réduire ainsi la très remarquable qualité des données phénotypiques, seule garante de l'excellence en génomique médicale. Cela n'exclut en rien un partage, mais par apprentissage et calcul fédérés de données, des concepts bien maîtrisés par les Anglo-Saxons. Cette partie se joue maintenant.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
https://pfmg2025.aviesan.fr/ : site du plan, pre-indications et rcp
2.
www.auragen.fr : site auragen
3.
www.laboratoire-seqoia.fr : site seqoia, documents de prescription, articles, activite