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Med Sci (Paris). 39(3): 206–208.
doi: 10.1051/medsci/2023031.

Histoire de la néphrologie pédiatrique en France

Chantal Loirat,1* Albert Bensman,2 and Patrick Niaudet3

1Néphrologie pédiatrique, Hôpital universitaire Robert Debré, AP-HP , Paris , France
2Néphrologie pédiatrique, Hôpital universitaire Armand-Trousseau, AP-HP , Paris , France
3Néphrologie pédiatrique, Hôpital universitaire Necker-Enfants Malades, AP-HP , Paris , France

MeSH keywords: Enfant, Humains, Histoire du 20ème siècle, Néphrologie, France, Sociétés médicales

 

Vignette (© iStock).

Il est important de décrire, au début de ce numéro thématique, l’histoire de la néphrologie pédiatrique en France. C’est une histoire à succès qui implique dès son origine une médecine rigoureuse, une recherche clinique exigeante, et l’implication étroite de la recherche fondamentale au sein des équipes cliniques. Décrire la naissance, l’essor et l’organisation de la néphrologie pédiatrique en France, c’est d’abord rendre hommage à Pierre Royer (1917-1995), père fondateur qui a eu la vision de ce que devait être cette discipline, et à Michel Broyer (1933-2020), son successeur, qui fit progresser à marche forcée cette spécialité et forma deux des auteurs de cet article (Chantal Loirat et Patrick Niaudet), ainsi que toute la première génération des pédiatres néphrologues français. Décrire cette histoire, c’est aussi comprendre comment les réformes de la médecine universitaire voulues par Robert Debré (1882-1978) et relayées par Pierre Royer ont permis l’essor spectaculaire de cette discipline. C’est grâce au plein temps universitaire, grâce à l’implication active des structures de recherche et à l’enseignement, que la néphrologie pédiatrique a pu se développer en France et atteindre son niveau d’excellence.

Les années 1900-1950

La pédiatrie n’est devenue une discipline à part entière qu’après la deuxième guerre mondiale. Robert Debré, chef de service à l’hôpital Bretonneau en 1921, puis à l’hôpital des Enfants Malades dans les années 1930, fut le premier à se battre pour que les enfants ne soient plus hospitalisés dans les services d’adultes, ce qu’il finit par obtenir en 1946, date d’ouverture du premier service de pédiatrie hors les murs d’un service d’adultes. Robert Debré créa le Centre International de l’Enfance en 1949 et présida l’Institut national d’hygiène (futur Institut national de la santé et de la recherche médicale, Inserm) de 1946 à 1964.

Dans la première moitié du XX e siècle, les maladies rénales identifiées étaient essentiellement liées à une infection streptococcique. Le terme de néphrite chronique couvrait toutes les causes d’insuffisance rénale chronique. La difficulté des prélèvements sanguins chez l’enfant (veine jugulaire ou sinus longitudinal) et le volume de sang nécessaire limitaient les investigations. Néanmoins, quelques pédiatres se sont distingués par des publications cliniquement pertinentes : Pierre Nobécourt (1871-1943) (hôpital des Enfants Malades, Paris), dans les années 1910, sur les complications cardio-vasculaires et la fonction rénale dans les néphrites chroniques ; Georges Mouriquand (1880-1966) (hôpital Edouard Herriot, Lyon), en 1929, sur les œdèmes dans la néphrose lipoïdique, et Robert Debré, en 1934, sur la tubulopathie proximale, dite syndrome de Toni, Debré, Fanconi.

Les années 1950-1960

Jusque dans les années 1960, les services de pédiatrie générale continuaient à recevoir les malades de toute nature, au hasard de leur arrivée. Toutefois, Pierre Royer, collaborateur de Robert Debré pendant vingt ans, avait focalisé, dès la fin des années 1940, son intérêt sur les maladies endocriniennes et rénales de l’enfant. Après un stage à Zurich chez Guido Fanconi (1892-1979), ses premières publications portaient sur les dosages électrolytiques (particulièrement la kaliémie) [ 1 ], et l’approche de la fonction rénale par mesure du taux de créatinine sanguine [ 2 ]. La réforme hospitalo-universitaire de 1958 initiée par Robert Debré, créant les centres hospitalo-universitaires (CHU) et les médecins à temps plein, avec double mission de soins et d’enseignement/recherche, va permettre le développement de services de pédiatrie spécialisés. Les premiers services ou unités de néphrologie pédiatrique sont individualisés dans les années 1960, à Paris, hôpital des Enfants Malades (P. Royer et M. Broyer), à Marseille (Gérard Picon), à Montpellier (Robert Dumas), à Strasbourg (Jean Geisert), et à Toulouse (Philippe Barthe).

Sous la pression de Pierre Royer et de son chef de clinique Henri Mathieu, Renée Habib, anatomopathologiste à l’hôpital Necker, part, en 1953, parfaire sa formation dans le service d’anatomopathologie du Professeur Bodian au Great Ormond Street Hospital à Londres. Dès 1955, elle focalise son activité sur les néphropathies de l’enfant et de l’adulte, avec une règle immuable : confronter les données anatomopathologiques (sur des reins d’autopsie puis, à partir de 1956, sur des biopsies rénales) avec la clinique, coude à coude avec les cliniciens. Renée Habib franchira tous les échelons de l’Inserm, de stagiaire en 1953, à chef du laboratoire d’anatomopathologie en 1968, dans l’unité de recherche Inserm U30 « Maladies du métabolisme chez l’enfant » dirigée par Pierre Royer (de 1962 à 1984), et enfin directrice de l’unité Inserm U192 « Néphrologie pédiatrique » de 1979 à 1990. Ses liens avec les premiers leaders mondiaux en néphrologie pédiatrique et anatomopathologie rénale – Henry L. Barnett (États-Unis), Jacob Churg (États-Unis), Richard White (Royaume-Uni) et Jay Bernstein (États-Unis) – conduiront, en 1965, à l’ International Study of Kidney Disease in Childhood (ISKDC) à l’origine de la classification des maladies glomérulaires encore acceptée aujourd’hui. En Janvier 1961, lors du Cours international de néphrologie infantile, premier du genre, les résultats de 205 biopsies rénales chez l’enfant sont rapportés. En 1973, ce nombre passera à 1 368 [ 3 ]. Renée Habib a reçu le prix de la Fondation pour la Recherche Médicale en 1972 et 1978, et le prix Jean Hamburger de la Société de Néphrologie en 2006. En 1989, elle reçut la John P. Peters Award de l’ American Society of Nephrology, honneur le plus élevé qui puisse être rendu à un(e) néphrologue. Elle reçut encore l’ International Medal de la National Kidney Foundation (États-Unis) en 1991, le prix Jean Hamburger de l’ International Society of Nephrology en 1997, et le prix Ira Greifer de l’ International Pediatric Nephrology Association en 2004.

Pierre Royer a pris d’autres initiatives très novatrices à l’époque. Dès 1958, il embauche Anne-Marie Dartois, qui sera la cheffe de file d’une longue lignée de diététicien(ne)s dédié(e)s aux enfants atteints de maladies rénales. Elle sera promue Ingénieur de recherche dans l’unité Inserm U192. Dès 1964, Pierre Royer inclut dans l’unité Inserm U30 des chercheurs en sciences humaines, dont Ginette Raimbault, médecin et psychanalyste. Mais, en 1976, une unité Inserm totalement novatrice est créée : l’unité Inserm 158 « Systèmes relationnels autour de l’enfant malade », dont Ginette Raimbault assurera la direction. Son principal message aux médecins était « Écoutez les enfants et leurs parents (ne parlez pas à leur place) ».

Fasciné par les analyses biophysiques appliquées à la biologie, Pierre Royer va attirer à l’hôpital des Enfants Malades, Takis Anagnostopoulos, médecin néphrologue et chercheur qui a introduit en France, dès 1970, l’électrophysiologie rénale, dans l’espoir de mieux comprendre la physiologie et la pathologie du tubule rénal. Il s’entoure de collaborateurs et créera en 1988 l’unité Inserm U 323 « Physiologie et biophysique des systèmes de transport ». C’est donc en quelques années que trois unités de recherche dédiées aux maladies ou à la physiologie rénales auront été créées.

1969-1971, les années charnières pour les patients

Michel Broyer, interne en 1963 dans le service de Pierre Royer à l’hôpital des Enfants Malades, y réalise les premières dialyses péritonéales chez les enfants en insuffisance rénale aiguë, les cathéters percutanés utilisés ne permettant au maximum que quelques semaines d’épuration. La perte définitive de la fonction rénale restait alors une condamnation à mort, dans des conditions souvent très pénibles. Michel Broyer revient dans ce service comme chef de clinique, en 1967. En 1965-1967, les premiers programmes d’hémodialyse chronique pour les adultes démarrent en France. En 1967, Pierre Royer et Michel Broyer décident de développer cette technique chez l’enfant. Dès janvier 1969, le premier centre d’hémodialyse est ouvert sous la direction de Michel Broyer, secondé par l’une des auteur(e)s de cette présente synthèse, Chantal Loirat [ 4 ]. Ils ouvriront même, dès l’été 1970, un centre d’hémodialyse au centre héliomarin de Roscoff, permettant ainsi de traiter les enfants pendant les vacances. Pierre Bourquelot, en lançant en 1976 la microchirurgie vasculaire pour la création des fistules artérioveineuses, en remplacement des shunts artérioveineux utilisés précédemment, a rendu un service inestimable aux enfants traités par hémodialyse [ 4 ]. Le programme de transplantation rénale chez l’enfant démarrera à l’hôpital des Enfants Malades fin 1971.

Des années 1970-1980 à maintenant

Dans les années 1970-1980, la première génération de pédiatres néphrologues des CHU français (et de divers pays d’Europe) est venue se former à l’hôpital des Enfants Malades à la néphrologie, à la dialyse et à la transplantation rénale chez l’enfant. Les générations suivantes seront formées dans leur CHU d’origine, souvent avec une formation complémentaire dans un des centres français les plus importants, et par le diplôme inter-universitaire (DIU) de néphrologie pédiatrique, qui a remplacé en 2000 deux diplômes universitaires (DU) créés en 1992. Cela est la base du réseau existant encore à ce jour, comportant 27 centres de néphrologie et dialyse pédiatrique (tous localisés dans des CHU), dont 15 autorisés, par convention avec l’Agence de la biomédecine, à pratiquer des transplantations rénales (10 centres avec une équipe de transplantation strictement pédiatrique, 5 centres en collaboration avec l’équipe de transplantation des adultes) [ 5 ].

Dès 1976, l’ European Dialysis and Transplant Association (EDTA) a déclaré indispensable la présence de diététicien(e), de psychologue, d’assistant(e) social(e) et d’enseignant(e)s dans les services de néphrologie/dialyse pédiatriques [ 4 ]. Ceci était acquis bien avant cette date dans les centres français. En France, le ministère de la Santé, de la famille et des personnes handicapées a précisé par décrets, en 2002, le nombre de médecins, d’infirmier(e)s et d’aide-soignant(e)s requis dans les centres de dialyse pédiatriques, et leurs obligations de présence et de garde 1 . Depuis 2005, une infirmière d’éducation thérapeutique est présente dans la plupart des équipes.

En 1975, sous l’impulsion de Michel Broyer et de Philippe Barthe, le Club français de néphrologie pédiatrique est créé, Club qui deviendra en 2000 la Société de néphrologie pédiatrique, avec une réunion annuelle, des réunions de concertation multidisciplinaire, et le réseau des centres de référence et de compétence. L’implication de plusieurs pédiatres néphrologues français dans les groupes d’études et les publications de l’Agence de la biomédecine, de l’ European Dialysis and Transplant Association , de l’ European Society of Pediatric Nephrology , et de l’ International Society of Pediatric Nephrology , doivent être soulignées.

Les articles de ce numéro thématique de médecine/sciences illustrent la diversité des maladies prises en charge dans les services de néphrologie pédiatrique, et les progrès réalisés durant le dernier demi-siècle. Les pionniers des années 1950 ont réussi leur pari au-delà de leurs espérances. Il y a eu bien sûr quelques personnalités visionnaires, mais ces pionniers ont su s’appuyer sur les structures hospitalo-universitaires nouvelles à l’époque. C’est en créant des unités de recherche au sein des services cliniques que la néphrologie pédiatrique a pu évoluer, s’adapter aux nouvelles techniques, et offrir au plus vite aux enfants malades une médecine à la pointe du progrès scientifique.

Liens d’intérêt

CL déclare être rémunérée comme membre du Comité de suivi des données, Roche. AB et PN déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article

 
Footnotes
References
1.
Royer P , Schapira G , Royer S , Giscard R . Le sodium et le potassium du plasma et du liquide céphalo rachidien chez le nourrisson déshydraté; intérêt pratique de leurs dosages. . Arch Fr Pediatr. 1950; ; 7 : :491. – 503 .
2.
Royer P , Lestradet H , Corbeel L . Intérêt et valeur de la clearance de la créatinine endogène dans l’exploration de la fonction rénale chez l’enfant. . Sem Hop. 1953; ; 29 : :1907. – 1912 .
3.
Royer P , Habib R , Mathieu H , Broyer M . Néphrologie Pédiatrique. . Paris: : Flammarion Médecine-Sciences; , 1973 , nouvelles éditions en 1975 et 1983. .
4.
Loirat C , Gagnadoux MF , Macher MA . Histoire de la dialyse en pédiatrie. . Perfectionnement en Pédiatrie. 2021; ; 4 : :269. – 84 . https://doi.org/10.1016/j.perped.2021.07.004 .
5.
Agence de la Biomédecine, registre REIN (réseau épidémiologique et information en néphrologie)-Rapport annuel. 2020 , Chapitre Greffe Pédiatrique. : pp. :1. – 37 . https://www.agence-biomedecine.fr/Le-programme-REIN .