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Med Sci (Paris). 39(2): 157–163.
doi: 10.1051/medsci/2023016.

L’affirmation de genre des jeunes trans et non binaires en Suisse romande

Denise Medico,1* Charlotte Pellaton,2 and Adèle Zufferey2

1Département de sexologie, université du Québec , Montréal , Canada
2Fondation Agnodice , Lausanne , Suisse
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Adolescent, Suisse, Transsexualisme, Identité de genre

 

Vignette (© ParaDox).

De l’envie de mourir à l’hypermédiatisation tendancieuse

Les jeunes trans et non binaires (JTNB) apportent un changement profond dans les conceptions du genre. Ce changement générationnel ne se révèle pas uniquement dans des formes nouvelles d’identités de genre mais aussi dans les parcours de vie, et avec un abaissement de l’âge moyen du coming out 1 trans [ 1 , 2 ]. Une étude réalisée par Jae Puckett et al. en 2021 [ 3 ], incluant 695 personnes ayant effectué un coming out trans, révèle en effet que, si les personnes nées avant les années 1970 annonçaient leur transidentité comme femmes trans à l’âge de 50 ans, celles nées au tournant des années 2000 s’identifient à des identités beaucoup plus diverses et ont révélé leur identité de genre beaucoup plus précocement, autour de l’âge de 22 ans, et celles nées après les années 2000 l’ont fait encore plus tôt, à l’âge de 17 ans. Actuellement, chez les adolescents de 13 à 18 ans, les chiffres les plus probants indiquent des prévalences variant entre 1,2 % et 2,7 % [ 4 ].

Cette population actuellement très visible, et médiatisée, est particulièrement vulnérable [ 5 - 10 ]. Comparativement aux jeunes du même âge, y compris les LGB (lesbiennes, gays, bisexuels), les JTNB cumulent plus de facteurs de risques, comme des violences physiques, verbales, virtuelles et sexuelles, la discrimination, le harcèlement en milieu scolaire, les difficultés d’accès aux soins, ainsi que des expériences de thérapies de conversion 2 [ 11 , 12 ]. Les conséquences de ces conditions de vie adverses, usuellement identifiées sous le terme de « stress minoritaire » [ 13 ], s’expriment souvent par une symptomatologie de type anxiodépressive, idéations suicidaires et tentatives de suicide, automutilations, troubles alimentaires, et une augmentation de la dysphorie corporelle, avec des difficultés à réguler ses émotions négatives ayant des répercussions sur les relations interpersonnelles, des comportements à risque (drogue, alcool), des phobies et l’abandon de la scolarité [ 14 , 15 ]. La plupart des travaux qui ont été menés ont concerné des jeunes de 13 à 18 ans, mais on retrouve également chez les enfants prépubères des inquiétudes parentales face au suicide [ 16 ]. Vivre dans le genre qui est ressenti comme étant le sien est, à court et long termes, favorable au bien-être et à un développement harmonieux des aspects cognitifs et relationnels, même chez les jeunes enfants [ 17 - 19 ]. Or, dans le contexte social et médiatique actuel, on note une remise en question du droit des jeunes à s’autodéterminer. Cela se traduit par une augmentation des discriminations et des violences vécues, tant par les jeunes que par leurs familles, avec comme conséquence, une augmentation récente, mesurée par les cliniciens, des taux d’anxiété chez ces populations. Cela a été le cas notamment en Suède au cours de la période de débat qui a précédé la remise en question des droits des JTNB et de leur accès aux affirmations sociales et médicales du genre [ 20 ]. Le contexte social et politique se dégrade. Des menaces et attaques personnelles sont régulièrement rapportées par les chercheurs et les cliniciens travaillant auprès des JTNB. Une étude préliminaire sur les discours sur la détransition délivrés dans les médias traditionnels et dans les réseaux sociaux, réalisées en 2021, semblent également montrer que la majorité des informations qui y sont données sont orientées [ 21 ], avec, par exemple, pour la question de la détransition, qui tend à se présenter sous les traits d’une « épidémie », deux éléments qui sont constamment cités dans les médias anglophones et francophones : un Tweet de Joanne Rowlings 3, et l’affaire « Keira Bell » 4 . Dans les médias sociaux, un groupe restreint de personnes reliées entre elles sont responsables à elles seules de 8 % de toutes les publications « détrans » qui seront ensuite relayées.

Le contexte en Suisse romande est le reflet de cette situation internationale. Une première étude qualitative, menée par une équipe de l’université du Québec à Montréal, avait concerné les expériences des tout premiers jeunes, et de leur famille, ayant fait leur coming out [ 22 ]. En Suisse, les JTNB francophones rapportaient un contexte de vie difficile avec des expériences de maltraitance dans les milieux médicaux questionnant leur santé mentale. D’autres études, canadiennes, australiennes et anglaises, sur l’expérience des jeunes et de leur famille, visant à analyser l’impact des contextes de vie et d’accès aux soins sur le bien-être des JTNB ont ensuite été conduites [ 23 ]. Sans réelle surprise, les contextes diffèrent selon les pays dans leurs accès aux soins et l’ouverture aux diversités de genre est associée à des expériences de vie différentes. Le vécu de ces jeunes n’est en effet pas uniquement une question personnelle, psychologique ou médicale, mais aussi une question sociale.

Une étude quantitative, menée en 2022 par le centre universitaire de médecine générale et santé publique de Lausanne, sur la victimisation chez les jeunes LGBTIQ (lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, intersexe ou queer ), confirme des taux d’expériences de harcèlement et d’autres violences particulièrement inquiétants [ 24 ]. Cette étude portait sur 1 817 jeunes, dont 1,1 % s’identifiaient comme trans et 0,3 % étaient en questionnement. Les jeunes trans ou en questionnement avaient déclaré avoir subi du racket (pour 10 % d’entre eux), des violences sexuelles (pour 11 %) et du harcèlement hebdomadaire (pour 15 %). Les expériences de violences et de harcèlement sont ainsi au moins quatre fois plus élevées chez les jeunes LGBT que chez les jeunes hétérosexuels. Elles sont aussi associées à plus de problèmes de santé et de comportements à risque : les symptômes dépressifs sont pratiquement deux fois plus souvent rapportés chez les JTNB.

Affirmer son genre dans l’enfance et l’adolescence : est-ce une bonne chose ?

L’affirmation du genre (celui que le JTNB sent être le sien) et le soutien parental sont identifiés comme deux des principaux facteurs de mieux-être chez les jeunes TNB [ 25 - 27 ]. Ceci est congruent avec ce que nous savons en psychologie sur le développement de soi et la nécessité de l’expérience. En effet, pour développer un sentiment de genre qui soit ressenti comme confortable, il est nécessaire d’explorer ce genre, de l’expérimenter et d’être reconnu par les autres [ 28 ].

L’affirmation de genre revêt trois principales formes : une affirmation sociale (un changement de prénom et/ou de pronom), qui peut être faite dès l’enfance ; une affirmation médicale, pour développer un corps plus en harmonie avec son ressenti de genre (par la prise de retardateurs de puberté et/ou une hormonothérapie) ; et une affirmation légale, par le changement officiel de la mention de sexe. Nous ne parlerons pas dans cette revue des chirurgies d’affirmation de genre, celles-ci ne sont en effet pas accessibles aux mineurs.

Depuis plusieurs années, Kristina Olson et ses collègues ( Princeton University , département de psychologie, Princeton, États-Unis) mènent une recherche qualitative longitudinale sur une cohorte regroupant 317 jeunes, et leurs familles, qui ont effectué une transition sociale pendant l’enfance, à l’âge de 8 ans en moyenne [ 19 , 29 ]. Lors des entrevues de suivi réalisées cinq ans après leur transition, seuls 23 jeunes sur toute la cohorte, ont déclaré avoir changé de genre au moins une fois, dont 8 (soit 2,5 %) pour reprendre une identité de genre conforme à celle qui leur avait été assignée à la naissance, 11 qui se sont identifiés non binaires (3,5 %), et 4 qui se sont identifiés de nouveau comme transgenres binaires après une période de détransition. Ces jeunes se déclarent être bien. Ils sont comparables aux autres jeunes du même âge qui n’ont pas de questionnement de genre. Il semble donc que les facteurs de protection, comme l’affirmation du genre désiré et le soutien parental, sont un réel bénéfice pour le bien-être de ces jeunes. Affirmés dans leur genre pendant l’enfance, ces jeunes ne présentent donc pas le même portrait que ceux qui se sont affirmés plus tardivement et qui semblent plus vulnérables.

Pour les jeunes qui expriment leur désir de transition avant, ou pendant, leur période de puberté, l’utilisation de retardateurs de puberté, tels que les agonistes de la GnRh ( gonadotropin-releasing hormone ), pour ralentir le développement pubertaire et minimiser les interventions chirurgicales ultérieures, est possible [ 30 ]. Ces agonistes de la GnRh ont été développés il y a une trentaine d’année par le University Medical Center , à Amsterdam (Pays-Bas) afin de « gagner du temps » [ 31 , 32 ] et ainsi permettre que les jeunes soient psychiquement en mesure d’entreprendre une réflexion sur le genre, et leur permettre d’avancer vers une décision relevant d’un consentement éclairé. Bien que réversible, ce traitement a néanmoins des conséquences comme un retard de croissance provisoire, et, s’il est suivi d’une hormonothérapie d’affirmation de genre, il sera à l’origine d’une stérilité. Une information sur les possibilités de préservation de la fertilité doit donc impérativement être donnée aux jeunes tout au long du processus d’affirmation de genre. Lorsque la décision de changement de genre est prise, que le jeune a exploré son genre et pris une décision éclairée sur les traitements possibles et leurs conséquences, une orientation de la puberté dans le genre désiré est alors réalisable en utilisant une hormonothérapie à base d’œstrogène ou de testostérone, selon le genre souhaité. Ces traitements ont certains effets irréversibles, comme le développement des seins ou l’abaissement de la voix. Si une ablation des gonades est réalisée, une médicalisation à vie, par prise d’hormones, sera alors nécessaire.

Bien que présentant des inconvénients, les traitements par retardateurs et par hormones d’affirmation de genre améliorent, chez les jeunes, leur rapport au corps ; ils diminuent la dysphorie de genre et les indices de dépression et d’anxiété [ 33 ]. Lorsque les jeunes n’y ont pas accès, une augmentation des sentiments de désespoir est perceptible, avec une recrudescence de troubles anxiodépressifs, d’automutilations et de menaces suicidaires [ 27 ]. Le moment identifié comme le plus « dangereux » pour les tentatives de suicide, est lorsque les jeunes, après en avoir fait la demande, sont en attente de prise en charge [ 34 ].

Et si ce désir d’identité n’était pas une lubie adolescente…

Depuis quelques temps, une question s’impose, celle de la discontinuation des traitements. Les données de recherche concernant cette question ne font qu’émerger, et les concepts restent flous, multiples (désistance, détransition, discontinuation, regrets, etc.) et scientifiquement peu probants. Bear Karrington ( Seattle Children’s Hospital , Seattle, États-Unis) [ 35 ] a mené une revue systématique de la littérature sur la « désistance », et a évalué à 30 le nombre de définitions différentes pour la désistance actuellement utilisées dans la littérature, ces définitions reposant en fait sur une étude qualitative, cinq études quantitatives, deux études de cas et vingt-deux éditoriaux !

Le terme « détransition » regroupe en fait différentes personnes : des personnes qui ont changé de prénom (transition sociale), mais aussi des personnes qui s’identifient sur les réseaux sociaux à des groupes identitaires « detrans », définissant ainsi un (nouveau) groupe d’appartenance, et des personnes qui ont été traitées par hormonothérapie ou ont été sujettes à des chirurgies d’affirmation de genre, mais ont pris ou repris une identité de genre alignée à leur sexe assigné à la naissance. Pour le concept de « regret », l’étude la plus probante est celle de la cohorte d’Amsterdam, réalisée sur près de 6 800 personnes qui ont subi, entre 1972 et 2015, une ablation des gonades dans une procédure d’affirmation de genre [ 36 ]. Les regrets exprimés par ces personnes sont évalués à 0,6 % chez les femmes trans et 0,3 % chez les hommes trans. Les travaux qualitatifs, qui permettent de comprendre les raisons du regret de ces personnes, révèlent que leurs motivations sont diverses, mais souvent liées à la difficulté de vivre comme une personne trans, au rejet de leur famille, ou à des conséquences négatives de la chirurgie [ 37 ].

Deux publications récentes concernent la discontinuation de la prise d’hormones chez les jeunes. Il s’agit d’études de cohortes réalisées dans deux centres hospitaliers. La première étude repose sur une cohorte anglaise regroupant 1 089 jeunes TNB, pris en charge par les services d’endocrinologie pédiatrique entre 2008 et 2021 [ 38 ]. Elle révèle que parmi toutes les demandes qui ont été adressées pour variance de genre, seuls 8,26 % ne s’identifient plus comme « gender variant » au moment de l’étude. Parmi eux, un tiers ont cependant déclaré vouloir rester dans leur genre après le premier rendez-vous médical qu’ils ont eu pour commencer leur traitement. L’évaluation des arrêts de traitements pour « regret » ne peux donc être mesurée que sur des personnes qui les ont effectivement commencés. Concernant les traitements par les agonistes de la GnRh, 7,4 % des jeunes avant 16 ans, et 3,8 % après 16 ans, déclarent avoir arrêté le traitement. Pour les hormones d’affirmation de genre, ils sont 1,8 % avant 16 ans et 0,6 % après 16 ans à avoir arrêté leur prise. La seconde étude concerne 720 jeunes ayant été traités, avant l’introduction d’une hormonothérapie, par des retardateurs de puberté avant l’âge de 18 ans, pendant au moins trois mois [ 39 ]. Les personnes assignées garçons à la naissance (31 % de l’échantillon) avaient 14 ans (en moyenne) à l’introduction des retardateurs et les personnes assignées filles (69 %) étaient âgées de 16 ans (en moyenne). L’âge médian lors de la collecte des données de l’étude était de 20 ans (soit quatre à six ans après l’introduction du traitement). Dans cette cohorte, 2 % des personnes ont arrêté leurs traitements. Cet arrêt de traitement n’est cependant pas associé à des facteurs comme l’âge à la première visite, l’âge au début de traitement, l’étape de puberté on moment du traitement, l’âge de l’introduction de l’hormonothérapie et de la gonadectomie.

Au Québec, une équipe mène actuellement une recherche en trois volets, sur le vécu des jeunes, sur les professionnels de santé et sur les discours médiatiques. Cette recherche est un partenariat entre plusieurs universités et implique des chercheurs issus de différents champs 5 . Les résultats préliminaires de cette étude indiquent que les jeunes qui s’identifient comme ayant détransitionné, rapportent comme raison de leur changement de parcours des motifs très variés : une meilleur compréhension de soi via leur parcours d’affirmation, un changement de perspective sur le genre avec l’identification à des identités non binaires (agenres, gender fluide), la peur de passer pour un homme cis en continuant la prise de testostérone, le refus d’être médicalisé à vie, les trop importants obstacles que subissent les personnes trans dans leur vie, et le manque de soutien, la découverte d’une nouvelle communauté detrans, la compréhension que leur difficultés n’étaient pas une question uniquement de genre, la persistance de la dysphorie et/ou le changement d’attribution de ses causes [ 40 ]. La logique actuelle de ces transitions, binaire, allant d’un genre vers l’autre, est ainsi à ré-évaluer car « ne pas apparaître comme un homme cisgenre » et « comprendre que l’on est non binaire » sont des raisons fréquentes d’interruptions de traitement que la logique médicale interprète comme un refus, mais qui se retrouvent en fait dans une logique expérientielle des cheminements identitaires.

L’accès aux traitements de retards de puberté et l’hormonothérapie en Suisse romande

La fondation Agnodice, une organisation non gouvernementale (ONG) reconnue d’utilité publique, établie dans le canton de Vaud (Suisse), spécialisée dans l’accompagnement des JTNB et leurs parents, a effectué un court sondage réalisé en ligne en novembre 2022 auprès de jeunes trans et de jeunes non binaires. Son but était d’évaluer les délais d’attente pour l’accès aux traitements par les retardateurs de puberté et les traitements hormonaux. La question qui était posée devait permettre de définir combien de personnes avaient discontinué les traitements et, dans l’affirmative, quelles en étaient les raisons. Un appel à participation, relayé par d’autres ONG venant en aide aux jeunes trans, comme le Refuge Genève 6 , a été lancé. Le sondage a été ouvert dix jours, la participation étant volontaire et anonyme.

Cent dix-neuf personnes ont répondu au sondage. Elles ont été classées en trois groupes d’âge : 39 % d’adolescents (entre 14 et 17 ans), 46 % de jeunes adultes (de 18 à 25 ans) et 15 % d’adultes (de plus de 25 ans). La fondation Agnodice travaillant avec un public mineur et cette représentation importante d’adolescents et de jeunes adultes était volontaire. Néanmoins, afin d’évaluer le temps d’attente pour un traitement et mesurer les taux d’arrêt, aucun âge limite n’a été donné dans l’étude, les personnes les plus âgées ayant eu plus de « chance » d’avoir eu accès aux traitements et pouvant ainsi donner le temps d’attente et les éventuelles discontinuations qu’ils ont rencontrées.

Dans l’échantillon ( Tableau I ) , la proportion de personnes non binaires et de personnes binaires ayant répondu était similaire quels que soient les groupes d’âge. Par contre, le sexe assigné à la naissance des répondants s’avère très inégal, avec 82 % de personnes assignées femme à la naissance. Aucune personne ne s’est définie comme étant intersexe. La moitié des personnes sont ou ont été des bénéficiaires de la fondation Agnodice, dont 67 % ont entre 14 et 17 ans.

La question des retardateurs de puberté
Dans l’échantillon, 47 % des répondants ne souhaitaient pas prendre de retardateurs et plus de 24 % auraient aimer en prendre mais ne ils n’y ont pas eu accès. Le moment adéquat d’accès à ces traitements, c’est-à-dire au stade 2/3 de Tanner (à l’âge pré-pubère), n’a été rapporté que par deux personnes. Le temps d’attente moyen pour l’accès aux traitements est en effet de deux ans en moyenne. Certaines réponses des répondants sont ainsi éloquentes : « je n’en ai pas pris car je n’en connaissais pas l’existence mais je l’aurais souhaité » ; « [j’attends] depuis plus d’un an, même plus ? Je devais commencer à en prendre mais mes parents et mon psychiatre ont finalement refusé, au dernier moment, de me laisser en prendre. Aujourd’hui je ne peux [plus] prendre de bloqueurs » ; « J’aimerais en prendre mais ma mère pense que je ne suis pas trans alors elle refuse que j’en prenne, ça fait bientôt deux ans que j’ai fait mon coming out et que j’attends »; « J’ai commencé ma transition trop tard, mais j’aurais souhaité en prendre » ; « J’ai pris la pilule en guise de bloqueur » ; « Je n’ai pas eu l’option d’en prendre due à un manque de soutien ».
Les traitement hormonaux
Dans l’échantillon, 12,6 % ont débuté un traitement d’hormonothérapie avant l’âge de 16 ans. Plus de 44 % l’ont commencé après 16 ans et plus de 33 % aimeraient pouvoir le commencer, le temps d’attente pour l’hormonothérapie étant en moyenne de deux ans. Seuls 8,4 % des répondants ne souhaitaient pas d’hormonothérapie ( Tableau I ) .

Arrêt ou discontinuation des traitements
Parmi les personnes qui avaient commencé une hormonothérapie, quatre l’ont interrompue. Les raisons qu’ils ont indiquées ont été : leur désir de suivre une procédure de conservation des gamètes, qui nécessite un arrêt momentané de la thérapie ; les effets secondaires de la testostérone (« je ne me reconnaissais plus au niveau caractère ») ; la prise de distance par rapport à la binarité de genre (« je pensais être transgenre classique mais je me sens plus à l’aise en étant physiquement pas trop affirmé au niveau du genre ») ; et des rejets familiaux trop importants. L’un d’eux a indiqué plusieurs raisons : un désir de parentalité ; un manque d’argent ; et la volonté de ne pas « être trop perçu comme homme cis ».
Pourquoi nier dix années de recherches et la validité de ce que les jeunes vivent ?

Les jeunes trans qui demandent des accompagnements médicalisés pour leur affirmation de genre restent une minorité parmi les personnes qui s’identifient comme trans ou non binaire. Il s’agit cependant d’une minorité qui a des niveaux de souffrances psychiques importants et pour qui l’accompagnement d’affirmation de genre et le soutien des proches sont fondamentaux.

Selon l’expérience que nous avons du terrain et les résultats du sondage que nous avons présenté, il apparaît erroné de penser que les traitements par retardateurs de puberté ou par les hormones sont trop rapidement administrés aux jeunes en demande. En revanche, les augmentations d’affirmations sociales et médicales de genre ces dix dernières années, sont une réalité démontrée par la recherche et dont les résultats positifs sur le bien-être des jeunes sont avérés [ 25 , 33 ].

Les jeunes qui discontinuent leurs traitements hormonaux représentent entre 0,6 et 2 % des jeunes ayant été traités [ 33 , 38 , 39 ]. En majorité, ce sont des personnes qui évoluent dans leur propre ressenti par rapport au genre et non qui regrettent et qui se sentiraient cisgenres. Les connaissances actuelles que nous tirons des observations du vécu des personnes qui discontinuent, révèlent surtout leur manque de lien de confiance avec les cliniciens [ 37 , 41 ] et l’influence des facteurs externes, comme des pressions sociales et familiales, ou la difficulté à vivre ouvertement comme une personne appartenant à la diversité des genres [ 12 , 37 ].

L’une des informations importantes à retenir de ces études sur les jeunes et la détransition est la nécessité d’améliorer l’accompagnement des jeunes en demande. Un meilleur accompagnement, tant psychologique, social que médical, repose sur la construction de liens de confiance et de collaboration entre jeunes et soignants et par la compréhension de ce que signifie de vivre, dans la société, comme une personne non binaire ou comme une personne de la diversité de genre.

Retenons que la notion même de genre, comme d’autres choses, est en profonde mutation pour les jeunes. C’est un changement profond et inéluctable du monde et de la société. Professionnels de santé, nous allons devoir comprendre l’importance de ce qu’est la non binarité [ 42 ], avec des jeunes non binaires qui semblent avoir, par rapport aux jeunes trans binaires, des moindres soutiens et des souffrances plus importantes [ 43 , 44 ]. Ces considérations sont à mettre en lien avec l’augmentation des personnes qui, assignées filles à la naissance, s’identifient comme hommes trans ou personnes non binaires [ 45 ].

Cela reste un défi pour les prises en charge médicale [ 46 ] et psychologique [ 47 ] de ces personnes. Elles nécessitent de repenser nos concepts et conduisent à revoir profondément l’idée même de « transition » au profit de celle d’un processus fluide et personnel d’affirmation de genre, qui peut prendre toutes formes d’identités et de chemins.

Les pressions sont fortes de la part de certains milieux activistes, antitrans, femellistes ou TERF ( trans exclusionary radical feminist ). Des associations, en France comme en Suisse, pensent en effet que réprimer les identités trans et non binaires chez les jeunes pourront, par miracle, éliminer la transidentité. Mais éviter de prendre en compte les jeunes trans et empêcher l’exploration des genres non binaires, agenres, fluides et trans, tendra seulement à augmenter la détresse et l’impossibilité pour les personnes en demande de se sentir bien, avec soi et avec les autres.

C’est aussi une remise en cause importante de la recherche et du savoir-faire médical et psychothérapeutique des professionnels spécialisés. Quelle solution apporter à la souffrance de ces jeunes ? Plus d’antidépresseurs, d’anxiolytiques et d’antipsychotiques ? Alors que la recherche a montré que les taux de discontinuation des traitements sont minimes et que ces traitements améliorent grandement la qualité de vie des jeunes trans, pourquoi l’accès aux retardateurs de puberté, au moment opportun, devrait-il être encore plus inatteignable pour ces jeunes ?

Rappelons-le, la littérature de ces dix dernières années montre l’intérêt des approches qui promeuvent la résilience et la reconnaissance de la diversité des identités de genre [ 2 , 7 , 25 , 26 , 48 ]. La question centrale reste donc celle de la tolérance, de l’inclusivité, de la sécurité dans la vie de tous les jours. Ceci repose sur la lutte contre le harcèlement scolaire et le respect et de la reconnaissance des personnes TNB, quel que soit leur âge, et dans l’application de standards de soins internationaux (SOC 8, standards of care version 8 ) publiés en 2022 par la WPATH ( World Professional Association for Transgender Health ), l’association mondiale de santé trans, fruits de plusieurs années de travail de consensus scientifique, de groupes de travail de terrain et d’analyses des données de recherche [ 49 ].

Liens d’intérêt

Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Révélation volontaire de son orientation sexuelle ou de son identité de genre.
2 Pratiques visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. En France, ces pratiques sont désormais interdites par la loi du 31 janvier 2022.
3 Pour JK Rowling, l’auteure de la saga Harry Potter, seules les femmes cisgenres – nées avec un corps assigné féminin et se reconnaissant comme femmes – peuvent avoir leurs menstruations, écartant, de fait les femmes transgenres.
4 Keira Bell a été suivie dans une clinique londonienne qui, à la demande de ses parents, a appliqué un traitement pour bloquer sa puberté à 16 ans. À 20 ans, elle a subi une double mastectomie. Elle regrette cette transition désirée par ses parents et a porté plainte contre la clinique.
5 Annie Pullen Sansfaçon de l’Université de Montréal, pour le travail social, avec Denise Medico, psychologue et sexologue, Mélanie Millette et Olivier Turbide, pour la communications, tous trois de l’Université du Québec à Montréal et Alexandre Baril, de l’Université d’Ottawa pour le travail social et l’aspect philosophique.
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