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Med Sci (Paris). 39(1): 79–81.
doi: 10.1051/medsci/2022190.

Greffe de cortex ovarien après guérison d’un cancer
L’histoire de Julie

Virginie Faidherbe1* and Nicolas Foureur1**

1Centre d’éthique clinique de l’AP-HP, hôpital Cochin , 27 rue du faubourg Saint Jacques , 75679Paris Cedex 14 , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Leucémie aigüe myéloïde, Induction de rémission, Maladie aigüe, Transplantation de cellules souches hématopoïétiques, Résultat thérapeutique

 

Vignette (© DR).

« Les humanités en santé : histoire de cas » sont coordonnées par Claire Crignon, professeure d’histoire et de philosophie des sciences à l’université de Lorraine, qui a créé le master « humanités biomédicales » à Sorbonne université.

Le Centre d’éthique clinique

Le Centre d’éthique clinique (Cec) est un service hospitalier d’aide à la décision médicale lorsque celle-ci se révèle éthiquement complexe 1 . Le Cec travaille en rencontrant tous les protagonistes (patient, proches et professionnels de santé) et chaque cas est discuté lors d’une réunion pluridisciplinaire avec des soignants et des non soignants, chercheurs en sciences sociales et humaines ou autres représentants de la société civile [ 1 ]. La discussion est déclinée au regard des principes de l’éthique biomédicale (bienfaisance, non malfaisance, justice, respect de l’autonomie) [ 2 ]. Il s’agit d’élargir le champ de la réflexion, considérant que le meilleur intérêt de la personne malade ne se mesure pas toujours en fonction de son seul intérêt médical [ 3 ].

En présentant un cas instruit par le Cec, l’objectif est ici de partager la réflexion éthique au cas par cas, sans vouloir en tirer de conséquences générales sur une pratique médicale donnée 2 .

L’histoire de Julie

À l’âge de 16 ans, Julie a guéri d’une leucémie aiguë myéloïde (LAM). Après plus de cinq ans sans rechute, elle est considérée comme guérie. Aujourd’hui, Julie a 28 ans et a réalisé son rêve d’être professeure dans un collège. Depuis toute petite, elle désire avoir des enfants et ce n’est pas un hasard si elle a choisi ce métier. Elle avoue avoir envisagé durant quelques années la possibilité d’une vie sans enfant pour finalement revenir sur sa position et choisir d’en avoir. Sa décision est donc mûrement réfléchie. Son conjoint, lui aussi, est en contact quotidien avec de jeunes enfants puisqu’il travaille dans une crèche. Bien qu’il conçoive un avenir sans enfant et n’ait pas fui lorsque Julie lui a dit qu’elle était stérile, il partage ce projet parental. Ils se sont rencontrés à un moment où ils traversaient tous deux une crise existentielle. Leur rencontre leur a permis de se soutenir mutuellement et d’aller mieux. Suite à un épisode dépressif et à des périodes de trouble alimentaire, Julie a enfin l’impression d’avoir réglé les problèmes qui la poursuivaient depuis plusieurs années. Julie et son conjoint ont appris à connaître leurs fragilités respectives et ont trouvé un équilibre qui leur donne foi en la vie et en la possibilité de surmonter les épreuves. Ensemble, ils se sentent assez stables et forts pour construire une vie de famille.

C’est pourquoi, après quelques années de vie commune avec ce compagnon qui est devenu son conjoint, Julie revient à la consultation du service d’assistance médicale à la procréation, où sont congelés 19 fragments de son cortex ovarien, afin qu’on l’aide à avoir un enfant. À l’époque, des fragments de son cortex ovarien avaient été prélevés avant que la chimiothérapie ne la rende stérile, sans savoir si l’on pourrait un jour les utiliser pour rétablir sa fertilité. Julie souhaite donc recevoir une autogreffe de ses tissus ovariens afin de réaliser son désir de grossesse. Elle aimerait également ne plus être dépendante d’hormones de synthèse, du fait de leurs effets indésirables. Cependant, la possibilité de greffer chez elle son cortex ovarien antérieurement prélevé, s’accompagne d’un risque éventuel de récidive de la leucémie.

Pour la médecin biologiste spécialiste du rétablissement de la fertilité, la greffe de cortex ovarien est devenue une pratique courante (voir Encadré ). Elle est optimiste vis-à-vis de cette technique et son but est que le maximum de patientes y accèdent, même si cela est encore rare dans le cadre des leucémies. Il serait donc dommage de ne pas en faire bénéficier Julie. La médecin biologiste reconnaît néanmoins le risque potentiel et n’engagera pas l’opération sans l’accord de l’hématologue qui connait Julie sur le plan clinique.

Dans le cas de Julie, la recherche de maladie résiduelle s’est avérée négative mais les marqueurs biologiques recherchés sont peu spécifiques de la maladie. L’hématologue doit estimer la pertinence des résultats obtenus et, en l’occurrence, ceux-ci sont incertains. En outre, l’hématologue prend en compte les années d’épreuve de la maladie durant lesquelles il a accompagné Julie et il se montre réticent par rapport à la perspective d’une nouvelle intervention porteuse de risques.

Face à cette divergence de point de vue, la demande de greffe de Julie est restée en suspens. Le Centre d’éthique clinique a alors été sollicité : faut-il procéder à une greffe de cortex ovarien pour Julie alors qu’il existe un risque hypothétique de réintroduire les cellules cancéreuses conduisant à la leucémie dont elle a guéri ?

Bienfaisance/non malfaisance

Le risque de rechute de la maladie lié à la greffe de cortex ovarien est bien réel et incite à agir avec une certaine prudence. À première vue, prendre ce risque paraît contraire aux efforts médicaux fournis pour guérir Julie. Pourtant, cette greffe peut être considérée comme un bienfait puisqu’elle marque l’achèvement d’un parcours thérapeutique long et éprouvant. En effet, il n’est pas rare que les patientes présentant une leucémie, déjà durement frappées par la maladie, vivent la stérilité provoquée par la chimiothérapie comme une injustice supplémentaire. Pour Julie, la greffe apparaît comme l’aboutissement d’un long processus de guérison et comme la réhabilitation totale des fonctions que la maladie et ses traitements lui ont fait perdre. La greffe est une promesse de restaurer son intégrité physique, sa fertilité et sa vie de femme. Dans cette perspective, il serait malfaisant de lui refuser cette possibilité, d’autant plus qu’on a fait naître chez elle, en conservant les tissus prélevés, l’espoir d’être greffée. L’existence même de ces fragments congelés lui donne l’impression que la porte de la greffe est déjà trop entrouverte. L’espoir de procréer naturellement l’empêche d’envisager des alternatives, telles que l’adoption ou le don d’ovocytes. Elle est attachée à l’idée de porter elle-même l’enfant et de lui transmettre son patrimoine génétique. Accéder à la demande de greffe est donc potentiellement malfaisant, en raison du risque de rechute. Mais il semble tout aussi malfaisant de refuser de façon catégorique l’accès à cette technique, alors que le risque est incertain (non démontré scientifiquement) et incalculable (non évaluable statistiquement).

Justice

Dans cette situation, la relation entre médecin et malade est donc mise à mal. Qu’un médecin ayant contribué à guérir une jeune patiente d’une maladie mortelle persiste à vouloir la protéger est compréhensible. On peut même y voir le revers positif d’une forme de paternalisme médical. De son côté, Julie voudrait être soutenue dans son projet de grossesse. L’alliance thérapeutique nécessite ici une évolution subtile pour conjuguer le poids de la responsabilité médicale d’une action aussi incertaine avec la demande insistante et en même temps mûrement réfléchie de Julie. Finalement, ce n’est peut-être pas tant la responsabilité d’un seul médecin qui doit être convoquée ici que la responsabilité de la médecine toute entière. On peut considérer que ce processus d’aide à la procréation rejoint les autres techniques de procréation médicalement assistée et que la médecine doit l’assumer comme elle le fait pour d’autres demandes. Dans toutes ces situations, si l’offre existe, c’est à la patiente qu’il revient de décider de s’en saisir ou non. La responsabilité qui incombe au médecin d’un point de vue individuel consiste ici à informer sa patiente de manière loyale et complète. En outre, le fait que les fragments proviennent du corps de la patiente pourrait lui octroyer certains droits, sans pour autant ouvrir à une certitude juridique de les lui rendre. Cet argument joue toutefois sur le plan symbolique, d’autant plus que ces fragments sont impliqués dans la reproduction, au point qu’un refus de greffe de la part des médecins appelle une justification rationnellement fondée.

Autonomie

En pleine possession de ses moyens, Julie est informée des risques de la greffe et sait parfaitement à quoi elle s’expose en cas de rechute puisqu’elle a déjà fait l’expérience de la maladie. Consciente du risque, elle est probablement la mieux placée pour juger de son meilleur intérêt et consentir à des dangers dont elle estime qu’ils valent la peine d’être courus, conformément à l’idée qu’elle se fait de sa propre vie. Le fait d’avoir frôlé la mort lui donne une foi inconditionnelle en l’avenir. Elle a confiance en la médecine et se dit prête à se battre à nouveau si jamais elle devait rechuter. Pourtant, malgré son assurance et son désir ardent de donner la vie, Julie a l’impression que c’est le choix le plus difficile de sa vie. Elle connaît le risque encouru mais elle sait aussi que si elle ne tente pas la greffe, elle vivra toute sa vie avec le regret de ne pas avoir saisi sa chance. Son conjoint lui rappelle d’ailleurs que c’est à elle qu’il revient de décider de cette greffe et qu’il l’accompagnera quel que soit son choix. Elle souhaite cette intervention et se sent prête à en assumer toutes les conséquences. Elle fait preuve de beaucoup de patience et de détermination auprès des différents médecins qu’elle rencontre et qu’elle recontacte régulièrement. Dans ce cas particulier, ce n’est pas seulement la nécessité de respecter les volontés d’une patiente compétente et éclairée qui engage à mettre en œuvre la greffe de cortex ovarien. Chez Julie, le respect de l’autonomie prend aussi un sens plus large, qui consiste à agir conformément à sa foi en la vie, à la manière dont elle perçoit l’incertitude et à son parcours de vie antérieur.

Le contexte médical de la greffe de cortex ovarien

  • La cryopréservation de cortex ovarien est une technique de préservation de la fertilité adaptée lorsqu’un traitement très gonadotoxique va être prescrit.
  • La greffe de cortex ovarien est une technique qui permet à des femmes rendues stériles par la radio- ou la chimiothérapie de retrouver une fonction procréative ainsi qu’une fonction endocrinienne naturelle.
  • Les fragments de cortex ovarien peuvent être greffés sous la peau ou dans le pelvis de la patiente guérie, dans le but que la patiente produise à nouveau des ovules.
  • Cette technique existe depuis 2000 mais est devenue pratique courante depuis 2017 [ 4 ].
  • 26 % de femmes ayant bénéficié d’une transplantation de cortex ovarien cryopréservé ont donné naissance à au moins un enfant [ 5 ].
  • Près de 200 naissances ont été déclarées suite à une transplantation de ce type [ 6 ].
  • Le risque théorique principal de la greffe de cortex ovarien est de réintroduire la maladie initiale de la patiente en cas de présence dans l’ovaire de cellules cancéreuses [ 4 ].
  • Des patientes ont rechuté de leur pathologie initiale après une greffe de cortex ovarien sans qu’un lien causal direct entre la greffe et la rechute n’ait été scientifiquement établi. Cependant, les leucémies aiguës font partie des maladies avec un haut risque de localisation de la maladie dans l’ovaire et, par conséquent, de rechute en cas de greffe de cortex ovarien [ 4 ].
  • Pour tenter d’évaluer le risque de réintroduction de la maladie après greffe de cortex ovarien, il est possible de faire une recherche de maladie résiduelle [ 7 ]. Il s’agit de rechercher des marqueurs de la maladie cancéreuse dans un ou deux fragments de cortex ovarien congelés.
  • La recherche de maladie résiduelle ne suffit pas à fonder la décision médicale car :
    • la positivité ou la négativité du test sur certains échantillons n’est pas gage de positivité ou de négativité sur tous les échantillons
    • même si un fragment contient des cellules cancéreuses, l’immunité de la patiente pourrait reconnaître et détruire ces cellules et ainsi empêcher leur expansion
    • les fragments analysés ne sont pas utilisables. Seuls les fragments congelés et non analysés peuvent être greffés.

Conclusion

On peut être d’avis de refuser la greffe à cette patiente au nom du principe de non malfaisance et en vertu du principe de précaution ; le désir d’enfant n’étant pas une nécessité vitale, on préfère éviter tout risque de rechute. Cependant, le principe de respect de l’autonomie constitue ici un point de bascule : la patiente informée, consciente des risques et en capacité de décider pour elle-même est la meilleure juge de son intérêt personnel. L’enjeu de la consultation d’éthique clinique a consisté à faire reconnaître ce principe par les uns et les autres, tout en le mettant en balance avec d’autres arguments éthiques. Ainsi, c’est dans le cadre d’une alliance renouvelée entre médecin et patiente que la décision finale a pu être prise.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
2 Les acteurs de cette histoire ont été informés de la publication du présent article.
References
1.
Fournier V , Spranzi M , Foureur N , Brunet L . The ‘commitment model’ for clinical ethics consultations: society’s involvement in the solution of individual cases. . J Clin Ethic. 2015; ; 26 : :286. – 296 .
2.
Beauchamp T , Childress J . Les principes de l’éthique biomédicale. . Paris: : Les Belles Lettres; , 2008 .
3.
Fournier V , Foureur N . Aide-mémoire éthique clinique. . Paris: : Dunod; , 2021 .
4.
Institut National du Cancer (INCa). Préservation de la fertilité et cancer / Thésaurus, janvier 2021. . https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Preservation-de-la-fertilite-et-cancer-Thesaurus .
5.
Dolmans MM , Von Wolff M , Poirot C , et al . Transplantation of cryopreserved ovarian tissue in a series of 285 women: a review of five leading European centers. . Fertil Steril. 2021; ; 115 .
6.
Khattak H , Malhas R , Craciunas L , et al . Fresh and cryopreserved ovarian tissue transplantation for preserving reproductive and endocrine function: a systematic review and individual patient data meta-analysis. . Hum Reprod Update. 2022; ; 28 : :400. – 16 .
7.
Chevillon F , Clappier E , Arfeuille C , et al . Minimal residual disease quantification in ovarian tissue collected from patients in complete remission of acute leukemia. . Blood. 2021; ; 137 : :1697. – 701 .