Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 38: 42–43.
doi: 10.1051/medsci/2022181.

Thermosensibilité et déficits en protéine trifonctionnelle mitochondriale

Gorka Fernández-Eulate1*

1Centre de Référence des Maladies Neuromusculaires Nord-Est/Ile-de-France et Centre de Référence des Maladies Lysosomales, GHU Pitié-Salpêtrière, AP-HP , Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Protéine trifonctionnelle mitochondriale, Myopathies mitochondriales, Cardiomyopathies, Erreurs innées du métabolisme lipidique, métabolisme

 

© Nadine Camougrand

Résumé

La β-oxydation mitochondriale des acides gras (β-OAG) permet la production d’ATP issue des acides gras dans les tissus très consommateurs d’énergie tels que le muscle squelettique, le muscle cardiaque et le foie. Cette voie métabolique est d’autant plus importante que l’individu est en situation de jeûne. La β-OAG repose sur quatre réactions séquentielles (une déshydrogénation, une hydratation, de nouveau une déshydrogénation et enfin une thiolisation), l’ensemble aboutissant à la production d’acyl-CoA et d’acétyl-CoA. Ce dernier métabolite est ensuite incorporé dans le cycle de Krebs pour finaliser l’oxydation, permettant ansi la génération de NADH et FADH 2 et la fourniture d’électrons à la chaîne respiratoire mitochondriale qui peut ainsi fabriquer de l’ATP.

Chez l’homme, la β-OAG utilise principalement les acides gras à 16 et 18 carbones, dits acides gras à très longue chaîne (AGLC), lesquels abondent dans l’alimentation chez l’adulte. La protéine trifonctionnelle mitochondriale (MTP pour mitochondrial trifunctional protein ) est un complexe multienzymatique qui catalyse les trois dernières étapes de la β-OAG des acides gras à longue chaîne grâce à trois enzymes : l’énoyl-CoA hydratase à longue chaîne (LCEH), l’hydroxyacyl-CoA déshydrogénase à longue chaîne (LCHAD) et la cétoacyl-CoA thiolase à longue chaîne (LCKAT). Si les LCEH et LCHAD sont situées sur la sous-unité α et codées par le même gène ( HADHA ), la LCKAT est située sur la sous-unité β et est codée par le gène HADHB .

Les déficits en MTP comprennent le déficit généralisé en MTP, le déficit isolé en LCHAD et le déficit isolé en LCKAT. Les déficits en MTP sont à l’origine de phénotypes cliniques très variables, allant de défaillances cardio-hépatiques avec hypoglycémie hypocétosique chez le nourrisson, jusqu’à, chez l’adulte, des tableaux de myopathie, de rhabdomyolyses à répétition et de neuropathie périphérique, avec ou sans rétinopathie pigmentaire. Les situations entraînant une augmentation de la demande énergétique, ou une restriction de l’utilisation du glucose, telles qu’un exercice, une fièvre ou un jeûne, peuvent aboutir à une décompensation métabolique chez les patients atteints d’un déficit en MTP.

Dans le cas spécifique de la fièvre, une activité enzymatique réduite lors de températures corporelles plus élevées peut avoir un impact supplémentaire sur l’intensité de la décompensation métabolique. Cela a déjà été démontré chez des patients atteints d’autres troubles de la β-OAG, à savoir les déficits en acyl-CoA déshydrogénase à chaîne moyenne (MCAD), en acyl-CoA déshydrogénase à très longue chaîne (VLCAD) et en carnitine palmitoyl transférase 2 (CPT2). Cette thermosensibilité est particulièrement significative chez des patients portant des variants faux-sens aboutissant à des activités enzymatiques résiduelles relativement élevées et des phénotypes moins sévères.

Les auteurs de l’article cité en référence [ 1 ] ont rapporté cinq patients atteints d’un déficit en MTP lié à des variants faux-sens du gène HADHB . Les patients présentaient depuis l’enfance (début du premier épisode entre 2 et 10 ans d’âge) des symptômes musculaires (myalgies, rhabdomyolyse ou faiblesse musculaire) apparaissant lors d’épisodes fébriles, lors de prises d’alcool, en situation de jeûne ou d’activité physique intense. La sévérité du tableau a parfois nécessité une hospitalisation, parfois en soins intensifs. Le taux, intercritique des CPK était dans la norme. Le profil des acylcarnitines a montré des élévations modérées d’acyl et et hydroxyl-acylcarnitines C14-, C16- et C18 chez deux patients. Trois patients avaient des profils normaux entre les épisodes de décompensation. L’électroneuromyogramme réalisé chez trois patients a montré des tracés neurogènes chez deux d’entre eux et des tracés de faible amplitude chez le troisième. La biopsie musculaire réalisée chez quatre patients s’est avérée normale chez trois d’entre eux, et compatible avec une myopathie métabolique chez un seul. Un seul patient présentait une rétinopathie modérée mais avec des électrorétinogrammes (ERG) normaux.

Chez quatre patients, les activités enzymatiques de LCHAD, LCKAT et SCHAD ont été analysées sur fibroblastes. Les activités LCHAD et LCKAT étaient modérément réduites par rapport à la référence chez tous les patients. Cependant, les activités enzymatiques résiduelles étaient relativement élevées par rapport à celles des patients avec déficit en MTP déjà rapportés dans la littérature. La culture des fibroblastes à 40 ºC versus 37 ºC a nettement diminué l’activité des LCHAD et LCKAT chez trois patients et de la LCKAT de façon isolée chez un patient, tandis que l’activité de la SCHAD restait stable (contrôle). Une réduction des niveaux des sous-unités α et β à 40 ºC versus 37 ºC a été également observée en immunoblot chez trois patients.

L’impact fonctionnel de cette réduction de l’activité enzymatique en lien avec l’augmentation de la température a été démontré par l’étude des flux de AGLC et du test de charge au palmitate. Les flux des AGLC étaient normaux à 37 ºC pour tous les patients par rapport aux fibroblastes des patients contrôles, mais diminués après culture des cellules à 40 ºC. Le test de charge au palmitate à 37 ºC sur les fibroblastes n’a montré aucune accumulation des carnitines ; par contre, à 40 ºC il a été observé une accumulation des carnitines C12-, C14-, C16- et OH-C16 chez le patient 1 (le seul à avoir été testé).

Commentaire
Avec cette série de cas, les auteurs veulent attirer l’attention sur la thermosensibilité observée dans certaines erreurs innées du métabolisme, y compris dans le déficit en MTP [ 2 ]. Les cinq patients rapportés dans l’article présentaient peu de symptômes ou de signes de la maladie en période intercritique hormis une abolition inconstante des réflexes ostéotendineux. Le caractère paucisymptomatique de la maladie concorde avec l’impact moindre sur la conformation et la fonction du complexe MTP des variants faux-sens du gène HADHB découverts chez les cinq patients. Néanmoins, la relative bénignité du tableau clinique contraste avec le risque de décompensation grave et/ou de rhabdomyolyse qui peuvent amener à admettre, le cas échéant, le patient en soins intensifs.

Du fait de la normalité, à l’état basal, des CPK, de la biopsie musculaire et du profil des acylcarnitines, et en raison de la réduction modérée de l’activité enzymatique à 37 ºC, le diagnostic peut être difficile avec un retard conséquent. Pour éviter cette errance, plusieurs conseils peuvent être donnés : la réalisation du profil des acylcarnitines lors des décompensations aiguës augmente les chances de mettre en évidence un profil altéré, car la fièvre ou l’exercice sont de nature à augmenter les concentrations d’acylcarnitine chez les patients atteints d’un déficit en MTP thermosensible. Les auteurs insistent aussi sur l’importance du dépistage génétique chez des patients présentant des épisodes de décompensation compatibles avec une EIM. Le recours à des panels de gènes de maladies métaboliques doit être large et encouragé. Tout ceci devrait permettre de réduire le délai diagnostique de ces maladies potentiellement graves et de déboucher sur des mesures prophylactiques appropriées. Les mesures préventives comprennent une restriction des apports en AGLC et une supplémentation en triglycérides de moyenne chaîne et/ou en glucides. Celles-ci ont montré des effets bénéfiques chez les patients se pliant à ce régime. Outre ces conseils diététiques, un traitement antipyrétique énergique est recommandé lors des épisodes fébriles.

Bien que le mécanisme sous-jacent conduisant à la thermosensibilité du complexe MTP n’ait pas encore été élucidé avec précision, les auteurs font l’hypothèse que le stress thermique pourrait avoir un effet sur la stabilité conformationnelle du complexe protéique. Pour étayer cette théorie, ils s’appuient sur la diminution marquée des niveaux des sous-unités α et β observée sur l’immunoblot à 40 ºC par rapport à 37 ºC chez les patients étudiés. Ainsi, les variants faux-sens pourraient entraîner des modifications des acides aminés avec un effet délétère modéré sur le repliement des protéines, sans modification ou presque des activités enzymatiques. Néanmoins, l’altération sur la stabilité conformationnelle globale du complexe protéique peut conduire au dépliement et/ou à l’agrégation des protéines sous l’effet de températures élevées. Dans ce contexte, l’utilisation de protéines chaperones pourrait avoir un intérêt thérapeutique.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Schwantje M , Ebberink MS , Doolaard M , et al . Thermo-sensitive mitochondrial trifunctional protein deficiency presenting with episodic myopathy. . J Inherit Metab Dis. 2022; ; 45 : :819. – 831 .
2.
Bastin J , Djouadi F . Anomalies de la β-oxydation mitochondriale des acides gras - Maladies rares et maladies communes [Dysfunctions of mitochondrial fatty acid β-oxidation in rare and common diseases]. . Med Sci (Paris). 2019; ; 35 : :779. – 786 .