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Med Sci (Paris). 38: 35–38.
doi: 10.1051/medsci/2022177.

Les nouvelles recommandations HAS dans la gestion de la trachéotomie chez les patients neuromusculaires

Sandrine Ségovia-Kueny,1 Christian Devaux,1* Emmanuel Maxime,1 and Frédéric Lofaso2

1AFM-Téléthon, Département des Actions Médicales , Evry , France
2Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et CHU hôpital Raymond Poincaré Garches , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Trachéotomie, Ventilation artificielle, Études rétrospectives

 

© INCa

La perte progressive de la fonction musculaire chez les patients atteints d’une maladie neuromusculaire lentement évolutive peut altérer la déglutition, la toux et la ventilation. Ceci peut ainsi entraîner des complications respiratoires graves responsables d’une augmentation de la morbidité et de la mortalité. Une assistance respiratoire adaptée peut restituer une expectoration et une ventilation efficaces et donc prévenir ces complications. Elle est maintenant envisagée dès les stades précoces de la maladie. Par exemple, dans des recommandations récentes, une ventilation non invasive nocturne au masque (VNI) est proposée dès qu’une hypoventilation nocturne est détectée, avant même que les gaz du sang diurnes soient altérés [ 1 ].

Malgré une gestion optimale de la ventilation assistée, la progression de la maladie peut entraîner une augmentation du recours à la ventilation mécanique durant la journée et lorsque la durée de VNI diurne devient conséquente (c’est-à-dire plus longue qu’une sieste). L’utilisation d’une pipette (aussi appelée pièce buccale) à la place du masque est, du fait de son caractère non invasif, de plus en plus proposée alors qu’auparavant une trachéotomie se discutait [ 2 , 3 ]. La VNI par masque la nuit avec un relais pris le jour par une pièce buccale permet de maintenir les patients devenus de plus en plus dépendants de la ventilation mécanique, dans quasiment les mêmes conditions et lieux de vie. Elle permet d’éviter les complications liées à la trachéotomie que sont les lésions trachéales et laryngées, l’infection des voies respiratoires, les barotraumatismes, sans compter la lourdeur et le coût des soins liés à cette technique invasive.

Les contraintes imposées par la trachéotomie font que la ventilation invasive n’est proposée que lorsque l’insuffisance respiratoire ne peut plus être gérée par les seules approches non-invasives ou lorsque les techniques d’assistance à la toux ne sont pas suffisamment efficaces [ 2 , 3 ]. À ce stade évolutif de la maladie, le patient peut choisir d’accepter une trachéotomie ou de ne pas en bénéficier. Dans certains pays ou centres médicaux, de nombreux patients refusent la trachéotomie considérant qu’il s’agit là d’une intervention agressive n’améliorant pas nécessairement le pronostic du fait des complications associées à celle-ci, sans compter les éventuels problèmes de ressources financières qu’elle engendre et/ou les conséquences négatives qu’elle peut entraîner sur la qualité de vie. Les médecins contribuent parfois à cette perception négative de la ventilation mécanique invasive. La fréquence des complications de la trachéotomie est un argument souvent cité en défaveur de ce mode de ventilation assistée.

Ces complications ont été décrites il y a plus de vingt ans et reposent essentiellement sur des études dans lesquelles la trachéotomie était effectuée en situation d’urgence ou aiguë plutôt qu’à froid [ 4 ]. Parmi les effets secondaires à long terme de la trachéotomie, on peut citer l’augmentation des sécrétions et infections respiratoires, les troubles de la déglutition (dysphagie), les difficultés d’élocution et de communication (perte de la parole), la formation dans la trachée de granulomes voire de véritables fistules trachéo-artérielles à l’origine d’un risque accru d’hémorragie létale, et enfin une détérioration de la qualité de vie. Ces complications sont bien sûr possibles, mais elles peuvent être en grande partie prévenues par une prise en charge optimisée. Comme pour la VNI, la gestion de la ventilation invasive par trachéotomie en période péri-opératoire d’une part, et par les établissements de soins de longue durée d’autre part, s’est améliorée au cours des trente dernières années. Les complications précoces et intermédiaires peuvent être réduites par la réalisation d’une imagerie préopératoire systématique fournissant des informations utiles au choix de la voie d’abord chirurgicale et de la canule de trachéotomie. La trachéotomie, lorsqu’elle est programmée, doit être effectuée par un chirurgien expert et doit bénéficier de soins postopératoires prolongés effectués par des équipes expérimentées. Les lésions trachéales observées lors du suivi des patients sont le plus souvent provoquées par des aspirations trachéales traumatiques, un gonflement excessif du ballonnet de la canule ou par un contact entre la trachée et l’extrémité distale de la canule. Toutes ces complications peuvent être évitées par des bonnes pratiques de soins. La trachéomalacie, par exemple, peut être évitée en utilisant dès que possible des canules sans ballonnet (ce qui facilite également la phonation). Pour prévenir l’irritation des muqueuses et la formation de granulomes, un protocole qui définit les techniques d’aspiration doit tenir compte du fait que l’aspiration ne doit jamais dépasser 0,5 cm au-delà de l’extrémité du tube endotrachéal. De plus, il faut encourager les soignants et les aidants à utiliser une technique d’aspiration stérile et à ne pas aspirer les voies respiratoires de manière systématique mais uniquement lorsque cela devient nécessaire. On minimise ainsi l’introduction d’agents pathogènes. Plus généralement, les suites d’une trachéotomie doivent être prises en charge par une équipe multidisciplinaire comprenant des médecins de différentes spécialités (spécialiste en soins intensifs, otorhinolaryngologiste), des infirmières spécialisées, des kinésithérapeutes respiratoires, des orthophonistes et des diététiciens. Cette équipe doit initier les soins et éduquer le patient, la famille, les aidants et les soignants intervenant à domicile.

Finalement, une meilleure prise en charge à long terme de la ventilation invasive couplée aux avancées technologiques du domaine ont considérablement amélioré la situation de handicap vécue par les patients ventilo-dépendants et trachéotomisés. Lorsque l’indication est bien posée, la trachéotomie ne complique pas outre mesure la phonation [ 5 ], la déglutition [ 6 ] et la gêne respiratoire [ 7 ] chez ces patients. Elle aurait même tendance à les améliorer. Un travail récent fait en collaboration avec l’Association Française contre les Myopathies (AFM-Téléthon) montre que la qualité de vie des patients neuromusculaires trachéotomisés est bonne, voire meilleure sur certains points, chez les patients atteints de pathologies neuromusculaires ventilo-dépendant trachéotomisés comparés à ceux en ventilation non-invasive [ 7 ].

Pour toutes ces raisons, l’AFM-Téléthon, en accord avec la filière de santé neuromusculaire FILNEMUS regroupant les centres de référence et de compétences éponymes, a demandé à la Haute Autorité de Santé (HAS) d’établir des lignes directrices sur la « place et la gestion de la trachéotomie dans la prise en charge de la dépendance ventilatoire des patients atteints de maladies neuromusculaires lentement évolutives » [ 8 ].

Ces lignes directrices ne concernent pas seulement les indications de trachéotomie et ne sont pas non plus en contradiction avec d’autres recommandations internationales précédemment publiées [ 2 , 3 ]. Elles visent également à améliorer la prise en charge des patients, la qualité et la sécurité de leurs soins, ainsi que leur qualité de vie ; tout en gardant à l’esprit que la trachéotomie augmente le coût des soins et limite le nombre d’établissements en aval capables d’accueillir ces patients. De plus, il s’agit d’un enjeu éthique important dans la mesure où le choix du traitement influe sur la qualité de vie et sur le pronostic de survie de ces patients.

Ces nouvelles recommandations de bonnes pratiques concernent toute personne atteinte d’une insuffisance respiratoire consécutive à une maladie neuromusculaire lentement évolutive.

Les raisons majeures de cette révision sont donc :

1. Les progrès réalisés dans l’assistance ou la suppléance respiratoire par la ventilation non invasive, notamment de nouveaux modes de ventilations et le recours à la ventilation par pipette (pièce buccale) ; les progrès dans le traitement des données issues des études de sommeil, dans les techniques de toux assistée, avec ou sans aide instrumentale et les avancées obtenues par les études cliniques consacrées aux problèmes de phonation et de déglutition et proposant de nouvelles stratégies de prise en charge [ 9 ].

2. Les progrès liés aux thérapies innovantes qui sont en train de bouleverser l’histoire naturelle des pathologies neuromusculaires et qui amènent à de nouvelles réflexions diagnostiques et éthiques.

3. La réévaluation de l’équilibre bénéfices-risques avec les risques importants rapportés, suite à une enquête nationale diligentée par l’AFM-Téléthon, à des hémorragies trachéales survenues en période post chirurgicale et qui ont pu entraîner le décès du patient.

Qui est concerné ? ( Figure 1 )

  • Les patients atteints de pathologies neuromusculaires ventilo-dépendants.
  • Toutes les catégories d’âge sont concernées à l’exception du nouveau-né (, 28 jours).
  • Les blessés médullaires et les patients atteints de maladies neurodégénératives à évolution rapide, telles que la sclérose latérale amyotrophique, sont exclus de ces recommandations de bonne pratique.
  • Les professionnels concernés sont ceux intervenant auprès des personnes atteintes de maladies neuromusculaires : pédiatres, pneumologues, physiologistes de la respiration et de la déglutition, spécialistes du sommeil, anesthésistes-réanimateurs, médecins intensivistes et réanimateurs, chirurgiens, oto-rhino-laryngologistes (ORL), radiologues, médecins de médecine physique et de réadaptation, neurologues, médecins généralistes, infirmier(e)s, orthophonistes, masseurs-kinésithérapeutes, et techniciens de ventilation assistée.

Quand ?

La trachéotomie doit être proposée après information et discussion éclairées avec le patient et ses aidants familiaux, après échec de la VNI et des techniques de toux assistée avec aides instrumentales ou en urgence.

Comment ? ( Figure 2 )

La décision est prise en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP).

Recommandations prioritaires pour améliorer la qualité des soins délivrés aux patients

  • La trachéotomie doit être précédée par des examens complémentaires (échographie cervicale et/ou fibroscopie souple trachéale ou endoscopie selon les pathologies),
  • Il est recommandé envisager la trachéotomie qu’après échec de la VNI et des techniques d’assistance à la toux. Elle nécessite un consentement écrit du patient, de sa personne de confiance ou de son tuteur légal, après information éclairée, et à la suite d’une réunion de concertation pluridisciplinaire sur cette question.
  • Excepté en situation d’urgence, il est recommandé que la trachéotomie soit exclusivement chirurgicale et réalisée par un opérateur qui en a l’habitude, ce dernier pouvant être chirurgien ou réanimateur.
  • Le suivi post-chirurgical de la trachéotomie doit être réalisé en réanimation jusqu’au premier changement de canule.
  • Tout saignement post-chirurgical précoce nécessite une évaluation immédiate par un professionnel compétent et au plus vite par l’opérateur.
  • Après le premier changement de canule, un passage en unité de surveillance continue ou structure équivalente peut être envisagé et une rééducation de la déglutition et de la phonation est nécessaire.
  • En cas d’encombrement, des techniques de drainage bronchique, d’aide à la toux, avec ou sans aide instrumentale (in-exsufflateur, relaxateur de pression) sont recommandées en complément de l’aspiration trachéale. Elles sont préalablement systématiquement testées et optimisées à l’hôpital [ 10 ].
  • L’éducation du patient et la formation des aidants aux gestes quotidiens et aux conduites à tenir face à certaines situations d’urgence doivent être effectuées avant la sortie de l’hôpital.
  • Les canules doivent être changées au minimum tous les 28 jours.

Identification et gestion des complications tardives ( Figure 3 )

La prévention des complications passe par l’utilisation d’une canule souple et si besoin réajustable. Il est recommandé de privilégier l’utilisation de canules sans ballonnet ou de poursuivre le monitoring de la pression du ballonnet (selon les experts).

  • En cas de trachéomalacie, il faut adapter la longueur de la canule (grade B).
  • Une fistule entre trachée et tronc artério-brachio-céphalique doit toujours être suspectée devant la découverte d’une hémoptysie et doit faire discuter d’un geste chirurgical en urgence (grade B).
  • La trachéotomie doit être accompagnée d’une rééducation de la phonation et d’une prise en charge de la dysphagie [ 11 ].

Contre-indications

Elles concernent la personne ou son entourage (refus du patient s’il est majeur et considéré comme capable, que cela ait été exprimé ou non par des directives anticipées ; refus du représentant légal) mais aussi du fait de potentiels obstacles anatomiques à la réalisation de la trachéotomie.

Perspectives

Il faut œuvrer au développement de programmes de recherche, d’éducation thérapeutique, de maîtrise des aides instrumentales par les soignants et les aidants, augmenter les centres d’accueil de répit des familles et des patients, élargir les compétences en permettant la pratique de l’in-exsufflation par les infirmières et des aspirations trachéales par les aides-soignantes, etc.

Enfin, le développement des thérapies innovantes (qu’il s’agisse ou non de biothérapies) peut conduire à redéfinir et à adapter de manière continue les présentes recommandations [ 12 ].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Wolfe LF , Benditt JO , Aboussouan L , et al . Optimal NIV Medicare Access Promotion: Patients With Thoracic Restrictive Disorders: A Technical Expert Panel Report From the American College of Chest Physicians, the American Association for Respiratory Care, the American Academy of Sleep Medicine, and the American Thoracic Society. . Chest. 2021; ; 160 : :e399. – e408 .
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7.
Delorme M , Réveillère , Devaux C et al . Quality-of-Life in patients with slowly progressive neuromuscular disorders dependent on mechanical ventilation. . Thorax. . Published on line September 2022.
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Boussaïd G , Lofaso F , Santos DB , et al. Place de la trachéotomie dans la prise en charge de la dépendance ventilatoire des maladies neuromusculaires évolutives. . Respir Med. 2016; ; 115 : :26. – 32 .
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Prigent H , Lejaille M , Terzi N , et al. Effect of a tracheostomy speaking valve on breathing-swallowing interaction. . Intensive Care Med. 2012; ; 38 : :85. – 90 .
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12.
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