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Med Sci (Paris). 38: 5.
doi: 10.1051/medsci/2022174.

L’innovation thérapeutique à tout prix ?

J. Andoni Urtizberea1*

1Institut de Myologie , Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Coûts et analyse des coûts, Diffusion des innovations, Innovation organisationnelle

 

« De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace » disait Danton en 1792. Certes, mais la fin justifie-t-elle toujours les moyens ? On est en droit de se le demander à la lumière de l’actualité récente en matière de thérapies innovantes pour la dystrophie musculaire de Duchenne (DMD). L’annonce du décès du premier patient ayant bénéficié d’une technologie CRISPR-Cas9 à visée thérapeutique a suscité un vif émoi dans la communauté myologique au sens large.

Pour mieux comprendre les raisons et les répercussions de cette issue tragique et de ce qui pourrait s’apparenter, en première lecture, à un fiasco , il faut remonter à quelques années en arrière. Nul n’est besoin de rappeler, surtout dans ces colonnes, le mécanisme d’action de cette technique révolutionnaire de biologie moléculaire co-découverte en 2012 par des chercheuses, l’une américaine, l’autre française, toutes deux nobelisées depuis. CRISPR-Cas9 fait partie des nouveaux outils d’édition du génome capables de réparer toutes sortes de défauts d’un gène donné. Des résultats très concluants, issus notamment des travaux d’Eric Olson au Texas, ont déjà été obtenus dans des modèles cellulaires et animaux (souris, chien) de la DMD.

S’il y avait consensus pour penser que CRISPR-Cas9 constitue un outil très puissant promis à un bel avenir, les avis restaient et restent partagés quant au meilleur timing pour tester la technique chez l’homme malade, la crainte du off-targeting et le manque de recul, malgré le succès de l’expérimentation animale, étant souvent mis en avant par les partisans d’un certain attentisme.

Ce saut dans l’inconnu a néanmoins été franchi par une biotech américaine dans des conditions très particulières. Cure Rare Disease n’est pas une start-up de la biopharma comme les autres. Basée à Boston, elle se revendique à but non lucratif et vise à apporter des solutions thérapeutiques issues de la connaissance des gènes, dont CRISPR-Cas9 mais pas seulement, pour les maladies génétiques rares en général et les ultra-rares en particulier. Son présidentfondateur, Rich Horgan, un jeune entrepreneur primé par le magazine Forbes, avait une raison supplémentaire de s’intéresser au sujet : son frère cadet Terry, souffrait de DMD. Après avoir levé suffisamment de fonds pour financer un premier essai clinique, le jeune trentenaire s’est lancé dans un essai que l’on pourrait qualifier de compassionnel. Le seul patient sélectionné pour l’étude était relativement âgé (27 ans), non-ambulant et vraisemblablement à un stade avancé de sa maladie. Ce malade n’était autre que son frère Terry. L’essai référencé CRD-TMH-001 a reçu la bénédiction à la fois de la Food & Drug Administration (FDA) et des conseillers scientifiques de Cure Rare Disease parmi lesquels figurent d’éminents spécialistes comme Monkol Lek et Robert J. Brown. Avant même que le patient bénéficie, au cours de cet été 2022, d’une injection intraveineuse unique d’un AAV contenant des éléments du système CRISPR-Cas9, des voix s’étaient élevées, notamment en Europe, pour dénoncer cette fuite en avant tout en alertant sur la crainte qu’une telle étude ne prouve rien in fine .

Terry Horgan est décédé à 27 ans dans des circonstances encore peu claires. La communication autour de cet événement tragique reste très verrouillée au motif, en grande partie légitime, qu’une enquête d’imputabilité est en cours. À ce stade, les experts en sont donc réduits à spéculer sur l’implication de plusieurs facteurs. Si les dangers liés à l’utilisation des AAV en clinique humaine commencent à être bien documentés, ce n’est pas vraiment le cas pour l’édition génomique de type CRISPR-Cas9. Les autres facteurs à potentiellement incriminer concernent l’âge du patient et le fait qu’une cardiomyopathie, généralement inéluctable à ce stade de la maladie, aurait pu décompenser à l’occasion de cette thérapie.

Toujours est-il qu’un sentiment de gâchis prédomine après cet échec. D’aucuns craignent même que le principe de l’utilisation de l’édition génomique en clinique humaine ne soit remis en cause et qu’un moratoire soit mis en place comme cela avait été le cas, dans les années 1990, lors des premières expérimentations humaines de thérapie génique à base d’adénovirus. Pour Rich Horgan, il s’agit sans doute d’une triple peine : son frère n’est plus ; un sentiment de culpabilité doit l’habiter même si lui et son frère ont agi en toute connaissance de cause ; les investisseurs et donateurs risquent fort de se détourner de Cure Rare Disease, au moins pour un moment.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.