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Med Sci (Paris). 38(12): 975–976.
doi: 10.1051/medsci/2022159.

Pour une virologie inscrite dans l’interdisciplinarité

Christian Bréchot1

1 Professeur, University of South Florida , Président du Global Virus Network , États-Unis Ancien Directeur général de l’Inserm et de l’Institut Pasteur et Vice-Président de l’Institut Mérieux

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L’importance de la virologie est récemment devenue une évidence ; les épidémies et pandémies dues aux virus Ebola, Zika, Chikungunya, puis, bien sûr, aux coronavirus, SARS-CoV-1 suivi du MERS-CoV et, enfin, du SARS-CoV-2, et, encore plus récemment, le virus Monkey Pox, en attendant les suivants… ont simplement renforcé une notion que la pandémie de sida (syndrome de l’immunodéficience acquise), due au VIH (virus de l’immunodéficience humaine), aurait dû beaucoup mieux ancrer dans nos esprits et se traduire par des stratégies scientifiques et politiques. Nous savons que ces émergences et réémergences sont largement liées aux changements profonds de l’écosystème humain et de la planète. Mais nous ne nous sommes pas donné la capacité de les prendre suffisamment bien en charge, en recrutant les scientifiques, les médecins et les experts en santé publique spécialistes dont nous avons besoin.

Ce n’est pas seulement un problème français ; il s’agit d’une tendance que l’on observe dans le monde entier, y compris aux États-Unis, un problème largement lié à la vue naïve et simpliste de beaucoup de politiques, mais également, malheureusement, de décideurs scientifiques et médicaux, que l’enjeu majeur du futur n’est que celui des maladies « chroniques », des cancers, des maladies métaboliques, des maladies neurodégénératives, pour l’essentiel.

Cette vision et cette manière « d’opposer » différentes disciplines sont clairement erronées et dangereuses. Dans le cas de la virologie et des maladies chroniques, des infections chroniques, comme celles dues aux virus de l’immunodéficience acquise ou des hépatites B et C, sont devenues des maladies chroniques ; de plus, les infections virales sont impliquées dans des maladies réputées « non transmissibles », comme le cancer (entre 15 et 20 % des cas de cancer dans le monde) ; par ailleurs, bien que ces sujets restent très débattus, des infections chroniques par les virus du groupe Herpes pourraient être impliquées dans des cas de maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer.

La recherche sur les solutions à apporter à ces problématiques est donc évidemment essentielle : diagnostic, prévention (incluant la recherche de nouvelles approches de la vaccination) et traitements antiviraux. Mais on ne peut comprendre la virologie qu’en analysant l’ensemble des virus, bien évidemment chez les animaux, puisque l’impact des zoonoses (la transmission de l’animal à l’homme) est maintenant bien reconnu, mais également en s’intéressant aux bactériophages, ainsi qu’aux virus présents dans les océans et le sol. C’est dans ce contexte que la crise de la Covid-19 ( coronavirus disease 2019) a bien montré notre manque de compétences dans tous ces domaines [ 1 ] ( ).

(→) Voir l’Éditorial de C. Bréchot, m/s n° 12, décembre 2020, page 1107

Alors, comment procéder ? En augmentant les budgets et le nombre de recrutements de chercheurs et de médecins ? Certes, mais pas seulement ; il s’agit de former, parmi les étudiants puis les chercheurs et médecins, une nouvelle génération de virologues qui puissent contribuer à une vision intégrée de cette discipline.

C’est ce qui est bien illustré dans ce numéro de médecine/sciences . Les différents articles que l’on peut y lire fournissent cette vision intégrée, en analysant les virus au sein des océans comme sur la terre, leur impact chez l’animal comme chez l’homme, et en examinant les grands mécanismes biologiques qui président à leur évolution.

Prenons l’exemple de l’influence de l’environnement, des changements climatiques et de la pollution de notre planète sur la nutrition, la santé humaine et les pandémies virales, avec le rôle joué par les microbiotes. Il est en effet clair que le risque de futures pandémies virales a été profondément augmenté par les modifications de l’écosystème animal et humain ; il est également clair que la nutrition joue un rôle très important dans la susceptibilité des individus aux infections virales (comme bactériennes et fongiques) ; il est enfin de plus en plus évident que les perturbations des microbiotes induites dans les océans et le sol par les changements environnementaux ont un impact important sur la qualité des plantes et donc sur celle de la nutrition ; la boucle est alors finalement bouclée par l’impact de cette nutrition sur le microbiote humain intestinal. Il ne s’agit pas seulement des bactéries et du « bactériome », mais également des virus et du virome. De nombreux travaux ont en effet démontré les perturbations du microbiote intestinal au cours d’infections virales. Un exemple très actuel est celui de la Covid-19 : le microbiote intestinal des patients infectés est clairement modifié, avec une augmentation des populations de bactéries à effet « pro-inflammatoire », et l’importance de ces perturbations est corrélée à la sévérité de la maladie et, possiblement, à la survenue d’un Covid long. Cause ou conséquence ? C’est sur cette problématique qu’il est nécessaire de travailler, en particulier en intervenant sur la flore intestinale par la transplantation de microbiotes intestinaux provenant de sujets en bonne santé, d’abord dans des modèles précliniques, puis, possiblement, chez l’homme, ainsi qu’en analysant de façon rigoureuse les effets réels de ces pré- et probiotiques. Cela dépasse la manipulation du microbiote bactérien, et le virome humain est certainement un élément très important à analyser ; il est en effet clair qu’il est un facteur déterminant dans l’ensemble des perturbations du microbiote et doit donc être pris désormais en compte. Voilà donc un bel exemple de pistes du futur, interdisciplinaires, en virologie.

Chacune de ces thématiques est déjà abordée dans les laboratoires de recherche, mais trop séparément, et une vue intégrée, qui permette de réellement dégager de vraies pistes d’intervention et de prévention dans le futur, reste à développer. Chaque chercheur pourra-t-il contribuer, individuellement, à cette vision intégrée ? Probablement non, et cela souligne l’importance fondamentale de développer en virologie, comme dans bien d’autres disciplines, des réseaux pluridisciplinaires, mêlant biologie, médecine, mathématiques, épidémiologie, écologie de la santé etc., qui, complémentaires aux efforts des grandes institutions nationales et internationales de financement, peuvent et doivent contribuer à cet « esprit » interdisciplinaire et à de nouveaux modes de coopération et de formation, plus rapides et plus réactifs.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Bréchot C. La pandémie due au SARS-CoV-2 : plus qu’une grave crise sanitaire, un changement d’époque et des leçons à en tirer d’urgence. . Med Sci (Paris). 2020; ; 36 : :1107. – 8 .